J'ai laissé s'éteindre un peu le bruit qui m'a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler de tout mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n'ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j'en ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j'étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d'honneur. Mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l'âge, n'a pas cessé d'être votre reconnaissant élève. Je vous embrasse de toutes mes forces.
Albert Camus


Quelques extraits de la longue lettre de Louis Germain
Mon cher petit,
(…)
"Je crois, durant toute ma carrière avoir respecté ce qu’il y a de plus sacré dans l’enfant : le droit de chercher sa vérité. Je vous ai tous aimés et crois avoir fait tout mon possible pour ne pas manifester mes idées et peser ainsi sur votre jeune intelligence".
(…) Je ne sais t'exprimer la joie que tu m'as faite par ton geste gracieux ni la manière de te remercier. Si c'était possible, je serrerais bien fort le grand garçon que tu es devenu et qui restera toujours pour moi : « Mon petit Camus » (…). Je crois bien connaître le gentil petit bonhomme que tu étais, et l'enfant, bien souvent, contient en germe l'homme qu'il deviendra. Ton plaisir d'être en classe éclatait de toutes parts. Ton visage manifestait l'optimisme. Et à t'étudier, je n'ai jamais soupçonné la vraie situation de ta famille. Je n'en ai eu qu'un aperçu au moment où ta maman est venue me voir au sujet de ton inscription sur la liste des candidats aux Bourses. (…) Avant de terminer, je veux te dire le mal que j'éprouve en tant qu'instituteur laïque devant les projets menaçants ourdis contre notre école. Je crois, durant toute ma carrière avoir respecté ce qu'il y a de plus sacré dans l'enfant : le droit de chercher sa vérité. Je vous ai tous aimés et crois avoir fait tout mon possible pour ne pas manifester mes idées et peser ainsi sur votre jeune intelligence. Lorsqu'il était question de Dieu ( c'est dans le programme), je disais que certains y croyaient, d'autres, non. Et que dans la plénitude de ses droits, chacun faisait ce qu'il voulait.( …) Je sais bien que cela ne plait pas à ceux qui voudraient faire des instituteurs des commis voyageurs en religion et, pour être plus précis, en religion catholique. A l'Ecole Normale d'Alger, mon père, comme ses camarades, était obligé d'aller à la messe et de communier chaque dimanche. Un jour, excédé par cette contrainte, il refusa d'y aller. Et de ce fait, il fut exclu. Voilà ce que veulent les partisans de « l'Ecole Libre » (libre…de penser comme eux). Avec la composition de la Chambre, je crains que le mauvais coup n'aboutisse. Le Canard Enchaîné a signalé que, dans un département, une centaine de classes de l'Ecole laïque fonctionnent sous le crucifix accroché au mur. Je vois là un abominable attentat contre la conscience des enfants. Que sera-ce, peut-être, dans quelque temps ? Ces pensées m'attristent profondément.
Mon cher petit, j'arrive au bout de ma quatrième page, c'est abuser de ton temps et te prie de m'excuser. Ici, tout va bien .
Sache que, même lorsque je n'écris pas, je pense souvent à vous tous.
Madame Germain et moi vous embrassons tous quatre bien fort.
Affectueusement à vous.
Germain Louis.


JF PIMONT merci. Malheureusement je me souviens de la Tousaint Rouge du 1er novembre 1954 en Algérie ou Guy Monnerot, le jeune instituteur originaire de Limoges, est devenu le symbole de cette France investie en Algérie et que le FLN a abattu.
Par la fenêtre du car Citroën qui s'essouffle sur la petite route qui relie Biskra à Arris, Janine Monnerot admire, éberluée, la beauté du paysage. Guy, son mari, est en pleine discussion avec le caïd de M'Chounèche, Hadj Sadok. Le véhicule s'engage dans la gorge de Tighanimine, la plaie béante qui balafre cette partie des Aurès. À gauche du bus, s'élève, vertical, l'à-pic du Foum Taghit. À droite, une vingtaine de mètres en contrebas, coule l'oued El-Abiod.
Au volant, Djemal Hachemi regarde son compteur. Dans quelques centaines de mètres, il devrait apercevoir un barrage de pierre. De mèche avec les insurgés, il a pour consigne de freiner violemment. Les passagers, secoués, ne devraient alors pas opposer de résistance aux hommes de Si Messaoud, de son vrai nom Chihani Bachir.
L'embuscade fonctionne à merveille. Hadj Sadok est la cible du commando. Il est conduit sans ménagement hors du car. Le couple d'instituteurs est emmené lui aussi. « Tu as reçu notre proclamation, tonne Si Messaoud en direction du caïd. De quel côté vas-tu te ranger maintenant ? »
L'ethnologue Jean Servier arrive sur les lieux du drame, vers midi
Après la tonitruante fin de non-recevoir du notable algérien, les événements s'accélèrent. Un geste de trop, une mauvaise interprétation, un pistolet-mitrailleur trop sensible… La rafale de Sbaïhi, l'un des hommes de Chihani Bachir, transperce les trois prisonniers.
Si Messaoud, dont les ordres étaient de ne s'attaquer qu'aux militaires ou aux musulmans pro-français mais surtout pas aux civils, donne l'ordre à Djemal Hachemi de transporter rapidement Hadj Sadok à Arris.
En revanche, Guy et Janine Monnerot sont laissés pour morts, sur le bord de la route. Lorsque l'ethnologue Jean Servier arrive sur les lieux, vers midi, il est trop tard pour sauver Guy mais il est encore temps de conduire Janine à l'hôpital.
Le voyage de Guy Monnerot ne va cependant pas s'arrêter là. D'abord inhumé selon la tradition musulmane, dans un linceul blanc. Le 10 novembre 1954, une cérémonie à Batna permettra de lui rendre hommage.
Mais c'est à Limoges, le 29 novembre 1954, que l'émotion aura été la plus forte. Des centaines de personnes ont assisté d'abord à l'office donné en la paroisse Saint-Joseph, puis à l'inhumation dans le caveau familial.
Même le ministre de l'Intérieur fera connaître son émotion par un court télégramme. «… Stop Je m'incline devant votre douleur Stop François Mitterrand. »
Patrice Herreyre
https://www.lepopulaire.fr/limoges-87000/actualites/le-1er-novembre-1954-guy-monnerot-tombe-sous-les-balles-du-fln-la-guerre-dalgerie-debute_11201184/
Rédigé par : Ben | 22/10/2020 à 22:34
Les événements et la disparition tragique de notre collègue Samuel PATI, m'ont fait découvrir cette lettre d'Albert CAMUS à son Instituteur. Bouleversante d'humilité et d'infinie reconnaissance, cette lettre me touche profondément.
Mais plus encore me touche la réponse de Monsieur GERMAIN à son élève.
Cette lettre, dans ce qu'elle dénonce en 1957, reste tellement d'actualité; "Que sera-ce, peut-être, dans quelques temps?"
L'intolérance et la violence sont de mise encore aujourd'hui et je crains tant qu'elles ne le soient encore longtemps. Ma vie d'instituteur public jusqu'en 2016, a été trop souvent émaillée de ces marques d' intolérance, de méchanceté parfois.
Les réseaux sociaux ont amplifié le phénomène et je déplore l'extrème violence qui s'est un jour déchaînée sur celle qui m'est la plus chère.
Mais Louis Germain l'a dit, mieux que je ne saurais le faire: l'essentiel pour moi était dans le regard confiant de ces enfants que je respectais infiniment, soucieux qu'ils aiment l'école pour tout ce qu'elle pouvait leur procurer de confiance, de bonheur de vivre ensemble et de partager, de cet optimisme pour un avenir qu'on leur promettait d'être beau.
Malgré bien des vicissitudes, j'ai aimé ce métier, même si l'incompréhension et la solitude m'ont souvent pesé.
Je pense souvent à ce millier d'enfants auxquels, pendant quarante ans, je me suis efforcé d'apporter le meilleur. Je revois leur visage et leurs yeux pleins de confiance et de respect.
Bien affectueusement à vous tous.
JF PIMONT
Rédigé par : Jean-François PIMONT | 21/10/2020 à 12:46
"Je crois, durant toute ma carrière avoir respecté ce qu'il y a de plus sacré dans l'enfant : le droit de chercher sa vérité." Cést le plus important pour um Professeur!
Rédigé par : Maria Assunção Araújo | 08/01/2014 à 08:51
j'espère que tu pourras la lire .Bises.PAOLA.
Rédigé par : [email protected] | 01/07/2012 à 06:15
C'est , en effet, une lettre magnifique et on imagine l'émotion du vieux maître lorsqu'il la reçue dans son appartement d'Alger. Personnellement je ne la relis jamais sans en être extrêmement ému.J'en ai fait état dans mon petit livre :Albert Camus et les Algériens:Noces ou divorce." paru aux éditions Atlantica en 2004.
Rédigé par : Jean Pierre Ryf | 01/07/2012 à 05:47