LES DERNIERS JOURS DE LA VIE D’ALBERT CAMUS DE JOSÉ LENZINI
La mer, les pierres et la mère égarée
De Belcourt à Paris, la vie de Camus semble être dictée par la douleur que nourrissait son silence, en pensant à sa mère laquelle, pourtant, n’a jamais lu un seul mot de ses oeuvres...
Dans Les derniers jours de la vie d’Albert Camus, l’essayiste qui s’est penché sur l’oeuvre et la vie de «l’Etranger» durant plus de 20 ans, nous prévient d’emblée: c’est «un récit» donc où sont imaginés dialogue et autres situations qu’aurait vécues Albert Camus durant les 48 ans de sa vie. En effet, décliné sous forme de roman, ponctué de quelques phrases de l’auteur, ce livre de 140 pages nous plonge dans la vie mélancolique, mais pleine d’ambitions de cet homme charmeur, aimant les chats mais un peu désespéré qu’il était, sur le point de changer de cap. Il voulait, en effet, se lancer dans le théâtre, en attente de réponse de Malraux pour lui attribuer la direction d’une salle. Il envisageait aussi d’entreprendre une carrière de comédien. Il achevait un manuscrit Le Premier homme qu’il a failli appeler Adam.
«Il sera mon Guerre et paix» disait-il. Camus insistait sur la «nécessité de donner au texte toute sa beauté en encourageant un théâtre contemporain qui pourrait s’appuyer sur de grands classiques à la fois de la tragédie grecque, du répertoire français, du théâtre élisabéthain et du siècle d’or espagnol». Albert était un inconditionnel du foot, n’était la tuberculose contractée très jeune qui le poussera à délaisser sa première passion..Mais sa vie durant a été dictée par la douleur qui nourrissait son silence, en pensant à sa mère sourde et presque muette, «égarée» laissée là-bas, dans «les quartiers pauvres» de Belcourt mais dont il était reconnaissant pour l’avoir fait ce qu’il était. Et, c’est alors qu’il est au bord de la dépression, qu’il reçoit en automne 1957, son prix Nobel qu’il dédiera à son instituteur d’Algérie. Un prix qui ne fera qu’amplifier le mouvement de rejet de ses détracteurs dont Jean-Paul Sartre.
Aussi, nous sommes le 4 janvier 1960: Albert camus est dans la voiture des Gallimard, Michel, Janine et leur fille, Anne, sur le point de fêter ses 18 ans. Il quitte sa maison de Lourmain, en direction de Paris. Il avait pourtant le ticket aller-retour par train, mais son éditeur le dissuade. Dans le trajet, des réflexions sur la vie, la littérature, l’existence foisonnent et peuplent le trajet. Elles sont entrecoupées de silences méditatifs.
On s’arrête pour respirer, souper et fêter l’anniversaire de l’adolescente dont Camus veut qu’elle fasse du théâtre. Mais la voiture sort de sa ligne droite et percute un arbre. Albert Camus, assis devant, meurt sur le coup tandis que Michel Gallimard est grièvement blessé, sa femme et sa fille s’en sortent indemnes.
Dans un style narratif et descriptif, mélangé de flash-back, le livre de Lenzini nous livre par bribes successives des moments intimes et familiaux passés par le jeune Albert au milieu de sa famille, à Tipaza ou Djemila, ses divagations, doutes et ressentiments envers les critiques. «Ses promenades avec sa mère à Sidi Ferruch..».
Nous y trouvons aussi ses pensées sur cette phrase selon lui, injustement tronquée de son contexte: «Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice.» Dans le postface du livre, il est retranscrit le contexte de cette déclaration en entier dite devant un certain Saïd Kesal lors d’une conférence de presse à Stockholm, suite au prix Nobel.
«Il a appris tôt à taire ses douleurs tout autant que ses maigres bonheurs.» Stoïque, de la tuberculose, il en faisait «une maladie métaphysique». «On peut guérir, il suffit de le vouloir», jugeait-il.
Le silence de Camus ressemblait aussi à celui du père parti pour la guerre alors qu’il n’avait que quelques mois et n’en est jamais revenu. Durant les derniers jours de sa vie, à cette époque, Camus, dit le narrateur, devait être «comblé. Il est célèbre, riche, en pleine force de l’âge», ayant intégré complètement sa maladie comme une seconde nature. Mais un mal-être le liait à l’Algérie et avait beaucoup d’angoisse. «Après le temps de l’absurde et celui de la révolte, vient, l’époque de l’amour», apprend-on.
A la fin de la lecture de ce livre, une chose nous parvient, c’est un Albert pacifiste, apolitique et humaniste que Lenzini a tenté de brosser. Mais, à une époque où on demandait à un intellectuel de s’engager pour la lutte de l’indépendance, Camus se présentait comme une exception, d’où l’anathème dont il a fait l’objet. On croit alors apercevoir comme une main de tendresse tendue au visage d’Albert dont le miroir de sa vie, finalement, a de tout temps renvoyé le visage de sa mère et à laquelle il voulait, seul, plaire.
Truffés d’anecdotes, Les Derniers jours de la vie d’Albert Camus sont traversés d’interrogations et d’atermoiements d’un Camus obsédé par cette mère illettrée, sourde et quasiment muette pour laquelle il n’aurait cessé d’écrire alors qu’elle n’a jamais pu lire un seul mot de lui, mais le savait beau et beaucoup plus bon danseur et se plaisait à s’en flatter. Le récit de José Lenzini, sobre et sensible, restitue avec fidélité, la vie de Camus, notamment à Alger.
Cinquante ans après sa mort, il suscite encore en Algérie et ailleurs des débats passionnés. A l’occasion de son cinquantenaire, d’ailleurs, l’auteur, José Lenzini, natif de Sétif, a effectué une tournée en Algérie (Béjaïa, Tizi Ouzou, Constantine, Alger Oran et Tlemcen) en novembre dernier pour présenter son livre et rencontrer les lecteurs et les férus, amoureux de Camus. José Lenzini a consacré à Camus de nombreux articles et conférences en France. Il constitue son sujet de prédilection depuis 20 ans. Ancien journaliste, il a été enseignant à l’école de journalisme durant dix ans.
.
O. HIND
http://www.lexpressiondz.com/article/3/2010-01-14/71961.html
Les commentaires récents