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Tout ça peut être beau, dans le stricto sensubiologique, malheureusement, le petit poupon est le fruit d'une liaison forcée, infligée avec violence à Z'Hira par son propre cousin. Le clan se faisait ainsi injure. Après cette cabale, car c'en est une, la victime accuse à la fois sa propre mère qui n'a pas su la prémunir des appétits instinctifs des mâles qui l'entouraient, son cousin qui dénie la paternité de l'acte violeur et la chape conservatrice des conditions socio-culturelles de sa mechta nichée dans les monts du Chenoua. Aînée d'une fratrie composée de huit garçons et filles, elle n'a pas eu la chance d'aller à l'école comme le font ses frères et soeurs présentement. Il n'y avait pas d'école à plusieurs kilomètres de son hameau. Le corps encore frêle et la démarche hésitante, donnent à Z'Hira l'air d'une adolescente à peine sortie de l'enfance. La peau blanche, les pommettes hautes et le visage en médaillon entourant un regard fauve, rappellent ces icônes de captive maltaise de la course ottomane. Cette fleur à peine éclose fut étêtée dans un moment de débordement instinctif. Elle subit, résignée, un statut dont elle est incapable d'en assumer les retombées. Sa tragique histoire a commencé, alors qu'elle n'avait que quatorze ans. En ce matin de 2003, elle se rendait comme à l'accoutumée chez sa cousine, orpheline de père depuis longtemps et de mère depuis peu, dans leur masure à quelques pas de chez elle. Elle pousse la porte de la première chambre où il n'y avait personne, à la seconde, elle va rencontrer l'auteur de son funeste destin. Son cousin paternel, qui devait être à cette heure ci au collège du village, se lève prestement et l'attire brutalement dans son antre. Elle ne tente même pas de se débattre, étouffée par la surprise, elle subit se disant probablement que son cousin n'osera jamais porter le déshonneur à son propre oncle. Candeur enfantine ou silence complice, on ne peut déduire aucune hypothèse sur les événements qui se sont déroulés ce jour là.
Le quidam, qui est actuellement étudiant à l'université Houari Boumediene de Bab Ezzouar, quitte rapidement les lieux après son forfait. Il laisse à sa soeur, rentrée entre-temps, le soin de calmer sa victime en pleurs. Cette dernière ne fera pas mieux que les autres, elle niera tout ce qu'elle a vu au procès intenté plus tard à l'agresseur. Et comme le premier malheur ne suffisait pas, voilà qu'elle subit un deuxième malheur véhiculé par une grossesse qu'elle ne pourra plus dissimuler. Et c'est l'opprobre général issu de cette naissance, dite illégitime qui va hanter la vie de cet enfant. Les gendarmes sont les premiers informés de l'infâme procréation ; ce n'était autre que le médecin accoucheur qui crut être obligé de leur signaler le « crime ». A contre-courant des lois de la République qui garantissent l'accouchement dans l'anonymat aux mères célibataires, notre hippocrate fait, en toute bonne foi, dans la délation. Voici, la première époque de la saga de Z'Hira qui n'était pas au bout de ses peines. Le père intente, sans succès, un procès à son propre neveu, pour l'emmener à reconnaître la paternité de l'enfant et à réparer le préjudice par l'union légale. Le coupable vaque toujours à ses occupations ; il ne fait que verser les montants rééchelonnés d'un dédommagement de 100.000 Da de l'arrêt de justice. Quant à la réparation du préjudice par le mariage, il n'en est pas question ; du moins jusqu'à l'heure actuelle.
Le nouveau-né, arraché brutalement au sein de
sa mère, est confié à une famille d'accueil. Aux dernières nouvelles, le petit
bonhomme, âgé de six ans, vient de subir un deuxième déchirement par la perte
de sa nourrisse. Dieu y pourvoira. Ce n'est qu'à son retour au foyer familial
que Z'Hira mesurera l'ampleur des « dégâts » occasionnés à son entourage.
Touché dans ce qu'il considère comme son honneur, le clan va lui faire subir
toutes sortes d'humiliations vexatoires. En prenant de l'âge, son cadet menace
de laver l'affront par le sang de la soeur indigne. La mère, telle une bête
blessée et revêtant paradoxalement le burnous masculin, se délecte par la
stigmatisation de sa fille et en toutes occasions. Elle recourt à l'exclusion
extra domiciliaire et à la diète prolongée pour mieux la punir.
Le père, plus maternel que ne l'aurait voulu
sa nature propre, s'est depuis toujours chargé de la tourmente de sa malheureuse
descendante. Il assume courageusement la perdition involontaire de sa fille.
Faisant fi des railleries du clan, il n'abdiquera pas pour autant devant les
coups de butoir du sort. C'est ainsi que pour sauver sa fille des griffes de sa
propre mère, il décide de la placer dans une famille d'accueil dans une ville
du Littoral et dont la maîtresse de maison exercerait une profession libérale.
Assurant le ménage et la garde des enfants en bas âge, elle sera enfermée à
double tour tout au long de l'absence journalière du couple. Tout allait pour
le mieux, jusqu'aux jours où d'autres démons sexuels mâles surgiront encore une
fois pour convoiter ses attraits féminins. Elle refit sa malle et fut déposée
par son père, au centre d'accueil des femmes en détresse de Bou-Ismail. Et,
c'est seulement là, qu'elle retrouve un certain équilibre psychologique en
partageant son vécu avec celui des autres co-pensionnaires. Chacune d'entre
elles avait son propre chemin de croix ; ce faisant, le partage émoussait
quelque peu les aspérités de l'une et de l'autre amère expérience. Après deux
années de pensionnat, Z'Hira qui apprit l'art de la cuisine, la couture et un
tas de petites choses, sait lire et écrire à présent. Ce séjour fut ponctué
d'un court intermède chez une vieille personne qui habitait seule et qui
disparaissait soudainement, emportée par la maladie. Le Centre reprenait encore
ses droits sur la malheureuse jeune fille.
Cette errance vient de prendre probablement
fin, avec l'accueil volontaire de Z'Hira, par une famille d'Alger. Relativement
aisée, celle-ci souhaite garder la jeune fille autant qu'elle le voudra et qui
sait, jusqu'au jour, peut-être, où un prétendant voudra la prendre comme
épouse.
Combien sont-elles les Z'Hira de ce pays ? Et
combien de bébés, sans nom, sont dans les pouponnières et chez les familles
d'accueil ? Il aura suffit d'un bref instant de perte de self contrôle, pour
que l'irréparable soit commis. Quand bien même la réparation viendrait à
colmater la brèche, il en restera toujours quelque chose d'enfoui dans les
tréfonds de l'être agressé dans son intime intégrité. La société, comme la
meute ou le troupeau, ne consentira aucune grâce aux faibles qui trébuchent
lors du parcours.
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par Farouk Zahi
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