Dans mon dernier article « Nos ancêtres les Gaulois », j'avais brièvement évoqué Albert Camus. Parce que, mort il y a une cinquantaine d'années dans « un stupide accident de voiture », Camus fait en ce moment parler de lui. Pourtant Camus n'a rien demandé à personne. Il n'est pas entré par effraction dans ce débat ; ce débat on l'a voulu. En haut lieu. On l'a imposé en quelque sorte à la société française qui ne sait plus à quel saint se vouer tant les débats auxquels elle est conviée à participer sont nombreux et variés. Elle est belle la liberté d'expression ; elle est belle la démocratie. Mais quand il y a autant de débats à la fois, ça fait cacophonie et ça empêche sérieusement les gens de se concentrer, de faire la différence entre le bon grain et l'ivraie, l'utile et le futile. C'est pourquoi je veux ramener Camus à Tipaza !
Après une journée harassante, je ne suis pas en mesure de trop philosopher sur ces débats qui de toute façon ne se passent pas chez nous, je veux dire en Algérie. Mais, puisqu'on y est, n'est-il pas intéressant que, sous notre ciel aussi, on débâterait sur la seule question qui taraude actuellement l'esprit des algériens à savoir faut-il on non rompre les relations diplomatiques avec l'Egypte ? Je parie à cent contre un que la réponse serait un « oui » massif et franc. N'en rajoutons pas. Revenons plutôt à Camus. Ses restes vont certainement être transférés au Panthéon. On n'attend, semble-t-il, que l'aval de ses enfants. Mais, n'est-il pas venu à l'esprit de quelqu'un parmi les partisans de cette « Panthéonisation » que son autre patrie, celle où il est né et où il a grandi, pourrait aussi, un jour, revendiquer ses restes ? N'est-il pas venu à l'esprit de ces gens-là que, puisque de son vivant Camus aimait le soleil et la luminosité d'Alger, il serait préférable que ses restes reposent pour l'éternité dans un petit carré au cimetière de Belcourt qui domine la baie d'Alger ? Ou carrément dans un endroit qui serait aménagé spécialement à cet effet à la basilique « Notre dame » qui surplombe St Eugène et la mer ? Ne serait-ce que pour narguer nos « frères » Egyptiens qui ont orchestré une campagne de dénigrement vis-à-vis de notre identité et de notre Histoire, nous devons tout faire pour que Camus retrouve sa terre natale. Nous prouverons ainsi au pays des Pharaons que la terre algérienne a enfanté un prix Nobel de littérature et ce bien avant qu'« Oum Eddounia » n'enfante le sien : Naguib Mahfouz. Non, amis français, je ne suis pas niqué de la tête (excusez-moi le terme). Je jure sur la tête de Saint Nicolas que je parle le plus sérieusement du monde. Si ça ne tenait qu'à moi, nous nous approprierons les restes de Camus et nous les inhumerions là où je viens de le suggérer. D'autant plus qu'un pas a été déjà fait dans ce sens par les pouvoirs publics : en effet, une stèle lui a déjà été dédié à Tipaza. L'emplacement de cette stèle en ce lieu précis et non pas ailleurs, en face du Mont Chenoua, n'est pas fortuit ; il rappelle aux étrangers de passage dans cette ville que Camus a été tellement émerveillé par la nature splendide de la région qu'il lui consacra une œuvre sous le titre de « Noces » à Tipaza. Comment sais-je que Camus aimait le soleil d'Alger ? D'où m'est venue cette idée (que certains trouveront peut-être stupide) que Camus aimait se vautrer sur le sable chaud des plages d'Alger ? Pas besoin d'être critique littéraire ni d'avoir lu toutes les œuvres d'Albert Camus pour deviner tout ça. Il suffit de lire L'étranger pour s'en rendre compte ; les mots « soleil », « luminosité », « plage », « ciel bleu » et d'autres encore reviennent souvent dans la narration que, forcément, on ne peut que conclure à l'attachement de Camus à sa terre natale, à cette terre d'Afrique du Nord où le soleil brille presque toute l'année. En un mot, à l'Algérie. Dans tous ses écrits, Camus parle de soleil. Soleil qui éblouit parfois la vue mais qui éclaire toujours l'âme. Je ne compte pas faire ici une dissertation sur l'Etranger mais une chose est sûre : le choix du nom donné au principal personnage de ce roman a certainement quelque chose à voir avec la douce Algérie. Du temps de la colonie. Il évoque tout aussi bien le meurtre (de l'Arabe), la mer et le soleil : Meursault. On peut cependant faire, ici, le reproche à Camus d'avoir sciemment dénié toute identité à l'Arabe ; celui-ci est traité comme une entité abstraite. Comme si l'Arabe n'avait ni personnalité ni famille ni histoire. Mais laissons le soin aux critiques littéraires de décortiquer ce roman et de nous dire pour quelle raison Camus avait fait surgir « l'Arabe » du néant : une sorte de génération spontanée alors que l'Arabe occupait cette terre bien avant le débarquement de la flotte française à sidi ferruch en 1830. Pendant la guerre d'Algérie, Camus avait adopté une position ambiguë vis-à-vis de notre cause. Rappelez-vous de sa fameuse phrase « si j'avais à choisir entre la justice et ma mère, je choisirais encore ma mère ». Par justice, il est clair qu'il entendait la cause algérienne, le combat du peuple algérien pour sa libération du joug colonial qui était, aucun doute là-dessus, tout à fait juste et justifié, et, bien entendu, par « sa mère », il faisait clairement allusion à la France coloniale. Disons-le crument, Camus était pour une Algérie française. De la lutte des indigènes (Arabes) pour leur indépendance, il n'en avait rien à cirer. Mais, nous ne lui en tenons pas rigueur. Il avait choisi son camp : être du côté des partisans de l'Algérie française. Nous avions continué la guerre. L'issue en était heureuse. Pour nous. Malgré les drames et les déchirures de part et d'autre. L'Histoire des peuples est ainsi faite ; de bas et de hauts, d'amour et de répulsion, de guerre et de paix. Cinquante ans après sa mort et presque autant après l'indépendance de l'Algérie, les plaies liées à cette sale guerre ont eu largement le temps de cicatriser, de part et d'autre de ma méditerranée aussi. Alors, pourquoi voudrait-on aujourd'hui, sous le prétexte que « la patrie lui est reconnaissante », transférer ses cendres dans un lieu froid, sans âme, et où le soleil ne pénètre peut-être jamais ?
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