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Musique. Avec I Loved You for Your Voice (je t’aimais pour ta voix), Sélim Nassib offre un roman chargé de nostalgie. Une ode poétique à Om Kalsoum, un retour romantique à une époque oubliée que la Diva était venue éclairer.
Ce n’était peut-être qu’un rêve
C’est l’histoire d’une petite paysanne du Delta qui, à 16 ans, maigrelette et timide, s’habillait en garçon pour pousser la chansonnette avec le cheikh Aboul-Ela Mohamad. C’est l’histoire d’un brillant jeune homme, diplômé en littérature française à la Sorbonne qui, en apercevant un petit chanteur déguisé en bédouin, lui demanda de chanter son poème. C’est le flash. « Le petit bédouin tremblait de dévotion et mes mots étaient transformés en ce qu’ils voulaient vraiment signifier », dira le jeune poète. Le petit bédouin s’avérera plus tard être Om Kalsoum, le jeune poète, celui qui l’aimera toute sa vie sans jamais la posséder : Ahmad Rami ou les « mots de la grande dame ».
« Aujourd’hui, dit Omar Chérif, un jour sans elle c’est un jour sans couleur », mais s’écoule-t-il un jour en Egypte sans qu’une de ses chansons ne vienne colorer notre quotidien ? Om Kalsoum c’est une dépendance, une drogue douce et savoureuse qui procure, lorsqu’elle est absente, un sentiment de manque. Sentiment parfaitement relevé par Sélim Nassib dans sa biographie fictive d’Ahmad Rami. Il décrit ces « millions d’hommes » qui attendent, chaque jour, devant leur poste radio, la retransmission d’un concert ou d’une chanson. Elle ne viendra pas, la voix d’or ne chantera que demain, la frustration est grande et ne s’apaisera qu’aux premières notes soufflées dans un microphone qui retentira, ô combien plus loin que ceux des minarets. Le silence se fait, la grande dame va chanter : « C’est tout un peuple, écrit Nassib, qui est arrimé à des mots d’amour ». L’auteur nous fait revivre ces moments qui ont, malgré tout, perdu de leur ampleur. La voix du monde arabe nous a quittés, il n’y a plus de concerts, de nouvelles mélodies, plus d’attente non plus. La dépendance est assouvie dès que le besoin s’en fait ressentir, mais le plaisir, lui, reste intact, comme au premier jour.
Sentiment de proximité
Doucement, avec pudeur et magie, le livre glisse peu à peu du petit bédouin aux grands succès, aux amours impossibles de la diva, percevant avec subtilité ce caractère peu banal, autoritaire et capricieux, national et amoureux, triste et plein d’espoir. Pour narrer ce caractère, le choix d’une autobiographie imaginaire d’Ahmad Rami est particulièrement appréciable, diffusant tout au long du roman un sentiment de proximité avec Om Kalsoum. Toute sa vie, il l’aima d’un amour platonique penché tant sur la voix que sur la personne. Le lecteur est Ahmad Rami, ses mots et ses poèmes sont les notes sublimées par une voix que seule Om Kalsoum possède. Cependant, le héros du livre reste bien Ahmad Rami si tant est que toute sa personne soit tournée vers la chanteuse. Mais qu’importe ? Finalement, le héros de l’histoire et de la vie d’Om Kalsoum n’était-il pas le peuple égyptien ? Ce n’est pas pour elle-même qu’elle chante, mais pour les autres, son pays et ses enfants en quelque sorte.
Le livre se termine par l’hommage rendu à la diva lors de ses funérailles, quand la rue tout entière voulut porter sa dépouille. « Le cercueil commença à flotter librement au-dessus de la tête des gens. Il se déplaçait seul d’un bras tendu à un autre, d’une main à une autre, (…) puis, je le vis disparaître à l’horizon ». Entre-temps, il eut Gamal Abdel-Nasser, les guerres, la gloire, les peines et cette immense beauté qui réchauffait les cœurs, cette beauté qu’Ahmad Rami partage si bien avec le lecteur. Si le livre nous replonge dans l’atmosphère de l’époque, il omet par là même de s’intéresser à la légende qu’elle est devenue. Mais, peut-être est-ce mieux ainsi, peut-être vaut-il mieux oublier ce qui a suivi, ce qu’elle est aujourd’hui : une voix qui grésille, qui reste somptueuse mais qui a perdu ses idéaux, ce qu’elle incarnait à l’époque. Cette époque où, du Maroc au Liban, de l’Iraq à la Libye, les peuples étaient unifiés par une voix qui fut bien plus que celle de l’Egypte. Elle fut cette voix de la paix et de l’espoir, de la nation et du monde arabe : mais qu’en reste-t-il aujourd’hui, sinon la beauté musicale ? Aussi, le roman est parfois excessivement romantique, tout y est beau et doux manquant parfois du piquant qui pourrait l’éveiller, lui donner un regard moins rêveur, et donc moins idéal, que ce qu’il nous offre. Mais peut-être Om Kalsoum n’était-elle finalement qu’un rêve, une simple illusion, un songe qui prit fin dans une nuée humaine, la plus importante depuis un certain 28 septembre, 5 ans plus tôt.
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Alban de Ménonville
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