Dans Ahlam shakespeariya, Chaabane Youssef creuse
dans le mythe de Hamlet et Ophélie, dans le labyrinthe de l'amour et du
doute, pour poser des questions sur le présent de la patrie. En voici
quelques vers tirés de son nouveau recueil.
Rêves shakespeariens
A travers deux mille miles
Elle laisse échapper quelques-unes de ses hantises
Et un peu de la prudence qui tyrannise son intuition
Et un souhait paisible !
A travers deux mille miles
Hamlet s'est accroché
Entre moi et son éloquence
Comme une question qui résiste à toutes ses réponses
Que Shakespeare a lancée,
Il m'a dit :
Elle parlera à sa voisine du petit chat de sa fille
Puis elle l'apportera …
Et lui donnera le bain
Et enlèvera l'impureté qui est sur sa fourrure
Et le cajolera
Puis allumera quelques chandelles pour réchauffer l'âme
Puis le couchera dans un petit lit … petit …
Pour briser sa solitude
Ou pour bercer un peu son enfance.
Shakespeare qui a allumé la nuit
Jusqu'à ce qu'elle allume ses lanternes,
Il sortira d'entre les étagères des bibliothèques
Et il descendra
Et sera attentionné avec sa fille,
Puis il lui racontera l'histoire du royaume pour qu'elle s'endorme,
Et
il explique que ceux qui vivent sur les trônes sont atteints — toujours
— de la maladie de la trahison, de la haine, de la terreur et de la
vengeance !
A travers deux mille miles …
Elle étendra un flot d'affection mystérieuse
Je la contemple
Et je calligraphie des lettres qui lui répondent
Et qui troublent l'immobilité par leur délicatesse,
J'effleure tous les reliefs de sa phrase,
Alors qu'elle monte tout haut comme un ciel
Et qu'elle déclare, avec une confiance presque parfaite :
ô mon ami lointain
A la voix qui tremble à travers le métal du téléphone
Je suis lasse de ceux qui se mettent à m'affronter,
Ils désirent rester proches de moi,
Sans découvrir mon âme,
Sans l'expérience de savoir le destin qui guette toujours.
ô mon ami, moi je vis la vie intensément,
Et
je demande : Qu'est-ce que l'être humain ? Si son souci et le seul bien
qu'il tire de la vie c'est de dormir et de manger ? Un animal et rien
d'autre !
Et elle ajoute : Crois-moi, ô ami intime que les aléas de la vie ont éloigné et qui est là maintenant présent avec moi :
Je ne joue pas avec la vie à un jeu de hasard
Je ne prends pas à la légère des doutes jetés çà et là
Mais j'hésite avant de prendre une décision
Je te parle des dédales de mon âme
Et de ma langue manifeste
Aide-moi à être l'amie que tu écoutes
Ou pour que je sois un rayon qui inonde …
Qui éclaire tes ténèbres qui sont là, à s'amonceler dans la chambre que tu habites
Et que tu transformes en un musée de ton vacarme
Aide-moi à verser ma béatitude sur toi
Et un peu de ma vie.
J'enverrai le portrait de ma fille pour que tu me contemples,
Puis tu liras des traits de mon visage,
Je veux ton salut,
Et sois toujours rayonnant
Comme un soleil qui émerge sur l'univers
Tous les matins,
Et sois toujours sincère comme une promesse
Et sois un chevalier … et non un vieillard
Pour me donner de la force
Et me laisser comme un rêve.
La folie du ballet
Et je n'ai pu habituer mon âme à contempler cette beauté
Pour qu'elle élucide — sûre d'elle-même — des mots étranges
Elle interprète un peu du mystère qui fait tourner une danseuse
Qui fait des pirouettes dans la peine et la stupeur
Elle me prendra sur son île
Vers le royaume des mouvements et les cloîtres des braves gens,
Une transcendance qui s'épanche,
Qui prend forme dans des histoires magnifiques,
Et les tendres sentiments babillaient, étonnés
De l'innocence de ce lieu enchanteur
Et riaient de la vivacité des mouvements
Qui nous entraîneront doucement, paisiblement,
Et nous mèneront comme les enfants de l'école primaire
Voir un spectacle
Et une histoire féerique qui s'élève très haut par amour
Qui va noyer nos âmes dans le désarroi
Alors je garde le silence quelque temps
Je ne peux respirer … Je ne peux me retourner
Je ne peux pas parler et je ne peux rester silencieux
Et je sens que lire son charme ébranlera tout mon être
Je résiste à moi-même et à mes yeux … à la main de mon cœur
J'observe un peu de la folie qui me bouleverse
Et l'œil ne peut la contempler sans vaciller
Et je me demande
Est-il raisonnable d'hésiter en prononçant chaque lettre ?
Est-il raisonnable que le cœur, enflammé, résiste
Toutes ces années ?
Toutes les paroles qui reviennent sont infimes … infimes
Pour la décrire
Toutes les paroles s'égarent
Et toutes les belles images sont impuissantes — dans l'absolu —
Et ont honte à chaque instant.
Je la contemple longuement et j'ai peur,
Et je m'écrie : Tout ce qui est passé par mon âme avant
Est une illusion,
Et de pures histoires nonchalantes
C'est un charme pur
De purs sentiments
La vie pure
Je suis absent
Je suis présent
Je respire — c'est vrai —
Et je délire avec toutes ses vertus.
L'appel du sommeil
L'anachorète s'asseyait tous les matins sous les murs de la sagesse,
Il lisait un texte d'énigmes … il s'attachait à chaque mot
Il rêvait ou se souvenait de spectres qui se sont éloignés,
Tout le passé entre ses mains
Redevenait présent,
Il resserrait les fils du temps,
Ou contemplait le royaume de Dieu
Il chante quand la lumière s'éclipse, quand la lumière pâlit
L'anachorète sentait qu'un temps apparaîtra
Et qu'un temps est passé avec ses révélations édifiantes,
Quand le soleil paraît et se lève
Pour que viennent les rayons de mon cœur sur les lignes de mon âme
Les illuminer !
L'anachorète s'est mis à raconter des histoires
Il racontait que le monde … il était … et il était …
Il pleurait puis versait des larmes abondantes
Il a noyé des textes de la sagesse,
L'anachorète allait presque savoir déchiffrer les signes de la magie
Et les signes se sont mis à danser.
Il s'écrie :
Tu es l'espoir émanant des hauteurs du vaste univers
Tu réunis mes fragments
Et tu verses l'ample musique dans le chaos de mon être
Et tu ébranles par ton esprit toute ma certitude
Et tu donnes à ma soif la légende de ton fleuve.
L'anachorète allait soupirer
Quand le soleil a illuminé toutes les ténèbres d'une âme qui crie
Lui, l'homme debout entre les arbres secs
L'anachorète s'élevait
Par l'extrême brillance du soleil
Je sais que l'encens de l'air qui t'entoure s'élève — dans l'absolu — dans toute la demeure
Je sais qu'il m'est difficile de réunir tes qualités
De les dire une à une
De les enfiler dans le chapelet de l'âme et transcender
Il est difficile de contempler chaque matin
Le spectre des vents de ta tendresse
Je sais que la demeure est belle
Et que l'atmosphère est pure
Et les amis sont attirés vers toi
Et chantent
Pour toi, entre la joie de la famille
Je sais que l'amoureux allait s'envoler
Il allait papillonner sans avoir des ailes
Il observait de sa cachette toutes les lettres de la phrase
Il lit des textes qu'il n'a jamais lus
Il écoute une langue qu'il ne connaît pas
Il regarde des jardins qui naissent de ton sourire
Il soupire :
Toute beauté s'agenouille entre tes mains
Toute vie se lève sous ton ciel
Je demande à mon âme,
J'interroge un cœur qui allait se dessécher
Qui allait quitter la dernière pulsation dans les veines,
Tant de beauté est-elle possible ?
Quelle élévation battait des ailes sur les sables du rivage ?
Je sais que l'eau est enviable
Et que la sérénité de la mer vénère tes pas
Que la légende de la finesse de ton âme
Fait honte à la délicatesse de la brise
Que ton rayon est plus fort que toutes les aubes.
Je sais que tu es l'âme de l'âme
Tu es un soleil qui brille dans l'éternité, l'éternité
Au cœur du secret caché
Partout ici-bas
Tu es un flot de lumière
Se levant entre le souffle de l'aveu.
Chaabane Youssef
Traduction de Suzanne Lackany
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