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L’Algérie et le Maroc s’engagent dans une course folle à l’armement, à coup de milliards de dollars.
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“La paix est improbable et la guerre est toujours possible”: voilà l’état d’esprit partagé, semble-t-il, tant au Maroc qu’en Algérie. «Malgré nous, depuis plus de quatre décennies, nous avons dû faire face à la menace de ce pays voisin. Une lourde charge budgétaire mais c’est le prix de notre indépendance, de notre intégrité territoriale recouvrée et de notre souveraineté», nous déclarait tel responsable militaire, longtemps opérationnel au premier plan.
À la différence d’une certaine rhétorique “unioniste” si prégnante -par autisme ou par calcul- dans divers cercles marocains, l’heure est toujours à la vigilance. Cela veut dire se doter des moyens de défense et de dissuasion à son corps défendant pour ne pas subir un jour le “diktat” du voisin de l’Est; pour ne pas non plus se trouver, par imprévoyance ou par candeur, face à un adversaire dont l’hégémonisme ne peut sans doute que se transformer en bellicisme. Alors, on continue, ici et là, à s’armer et à se surarmer. Le dernier rapport 2008 deu très sérieux Institut international de Recherche pour la Paix (SIPRI), basé à Stockholm, vient de nouveau de mettre en relief ce fait: la course à l’armement du Maroc et de l’Algérie.
Dans le classement des pays arabes, le Royaume se situe à la cinquième place avec un budget militaire de 34,625 milliards de dirhams, ce qui correspond pratiquement à 16% du budget général de l’Etat et à 4,6% du PIB. Dans le détail, les dépenses de personnel dépassent les 14,944 millions de dirhams tandis que celles afférentes au matériel et à d’autres rubriques se situent à hauteur de 4.730 millions de dirhams. Quant aux crédits de paiement, ils s’élèvent à près de 5 millions de dirhams et sont prévus au niveau de 3,5 milliards de dirhams pour 2010. A ces données dument budgétées dans la loi de finances actuelle, il faut ajouter l’enveloppe d’un montant de 2,4 milliards de dollars relative à l’acquisition de 24 avions de chasse F16 du constructeur américain Lockheed Martin, un marché remporté, on s’en souvient, sur une offre française concurrente à la fin de l’année 2007… À ce budget, il faut ajouter également les aides de certaines États amis tels l’Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unis.
Quant à l’Algérie, elle n’est pas en reste dans ce domaine, loin de là. Elle se classe ainsi au troisième rang des pays arabes, derrière le Qatar et l’Arabie Saoudite. Une moyenne de 3,3% de son PIB est dédiée aux dépenses militaires, soit un budget de 4,5 milliards de dollars environ. Et pour 2009, les crédits de ce même chapitre s’élèvent à 383 milliards de dinars, soit 6,25 milliards de dollars.
Déséquilibre
Par rapport à l’exercice précédent, l’augmentation de 10% est importante. Là aussi, le trend est haussier -comme au Maroc- mais avec un envol plus marqué. À titre indicatif, on peut relever à cet égard qu’en 2003, ce budget n’était que de 2,14 milliards de dollars; qu’il a ensuite grimpé à 2,8 milliards de dollars en 2004 puis à 2,3 milliards de dollars au titre des seuls achats d’équipement militaires.
Comment ne pas s’alarmer de cette course à l’armement entre les deux pays? Plus précisément, qu’est-ce qui pousse l’Algérie à se lancer dans un tel schéma si peu pacifique, le Maroc n’ayant d’autre option que de veiller à éviter un trop grand déséquilibre des forces? Officiellement, les autorités d’Alger expliquent que c’est la traduction d’un grand programme de modernisation de l’Armée nationale populaire (ANP) défini en 1999. Pour autant, ce processus plaidable et légitime pour n’importe quel pays doit-il prendre une dimension telle qu’il s’apparente à ce qu’il faut bien appeler une politique de militarisation menée à marche forcée? Comme on aurait aimé que ce voisin fasse montre d’autant de volontarisme et de continuité pour consolider la démocratie, l’Etat de droit ou la justice sociale et la solidarité nationale alors que son modèle n’est rien d’autre qu’un “maldéveloppement” caricatural de l’échec d’options et de pratiques structurantes dans ce ratage historique!
Une armée de quelque 220.000 hommes qui a vu ses effectifs plus que doubler en dix ans; des forces de réserve de plus de 180.000 hommes, trois divisions blindées, trois autres mécanisées, huit brigades d’infanterie motorisée, une division aéroportée, dix bataillons indépendants d’artillerie, six de défense aérienne et six autres bataillons de désert, sans compter d’autres effectifs: l’ANP est “un Etat dans l’Etat”, éligible finalement à la structure du pouvoir déclinée dans de nombreux pays arabes et africains. Il faut ajouter à cela un autre cercle formé par les 45.000 hommes de la Gendarmerie nationale, dotée d’une centaine de véhicules blindés de transport de troupes et de quelque 80 hélicoptères; mais aussi la Garde républicaine, forte de 8.000 hommes; et les forces de sécurité du ministère de l’Intérieur, dont les effectifs dépassent les 25.000 hommes.
Ce suréquipement d’armement s’est accentué ces dernières années dans des conditions qui préoccupent la région, mais aussi de grandes puissances comme les Etats-Unis ou certains Etats de l’Union européenne. A l’issue de sa visite à Alger, en décembre 2008, le Premier ministre russe Vladimir Poutine a conclu avec le président Abdelaziz Bouteflika un gros contrat d’un montant de 3,5 milliards de dollars. Ses clauses portent sur l’achat de six avions Yak-130 livrés en 2008, sur dix autres appareils en 2009, ainsi que sur 4 Mig 29 SMT, 28 chasseurs SU-20 MKA, 34 chasseurs MIG-29 UBT, 16 avions-écoles Yak-130, 8 divisions de missiles sol-air S 300 PMU-2 et 180 chars T-90 C. Si la Russie reste encore le gros fournisseur, des contrats ont été également été finalisés avec la Chine, l’Inde et le Brésil pour un montant de quelque 10 milliards de dollars. D’autres achats ont été également effectués en Afrique du Sud et en Grande-Bretagne, sans oublier la vente de 700 millions de dollars d’équipements par les Etats-Unis en 2006.
Contre qui l’Algérie s’arme-t-elle donc aussi massivement et aussi lourdement? D’une autre manière, quelle peut bien être sa politique de défense? Classiquement, on peut à un premier niveau d’analyse formuler ces préoccupations ou ces missions: défense de l’intégrité territoriale et de l’indépendance, sécurisation des frontières, préservation de l’ordre public et lutte contre la subversion interne. On peut comprendre que les nécessités de la politique d’éradication du terrorisme commande la dotation en certains moyens particuliers adaptés à cette situation. Mais l’arsenal militaire existant et appelé à se renforcer durablement à terme est sans commune mesure avec ces exigences. Y aurait-il des menaces venant des frontières sud partagées avec le Mali et le Niger et imputées aux Touaregs? Les Baïdanes de Mauritanie voudraient-ils exporter en Algérie on ne sait trop quelle “révolution pastorale” inédite matinée de maoïsme et de jihadisme? La Tunisie, tellement pacifique, serait-elle devenue sous la houlette du président Ben Ali un sanctuaire de tous les réseaux terroristes, des Tigres Tamouls aux FARC de Bolivie présentant tous les dangers pour l’Algérie? Ou alors n’est-ce pas la Libye du bouillant colonel Kadhafi qui ne connaîtrait qu’une “normalisation” de façade servant de paravent à un interventionnisme subversif tous azimuts? Aucune de ces lectures ne résiste bien entendu à l’examen.
Marine
C’est qu’en effet ce surarmement, effréné même, obéit à une logique de pouvoir qui est en dernière instance un marqueur “génétique” du régime même. Il consolide l’armée -et son appareil sécuritaire- comme colonne vertébrale au détriment du mouvement démocratique et du pluralisme échevelé et corseté qui a été institué par les émeutes populaires d’Alger d’octobre 1988 contre le parti unique du FLN et ses suppôts. Il fait aussi de cette même ANP le seul rempart contre le terrorisme islamiste: dès lors qui peut lui contester de se doter en équipements, sauf à observer que ceux-ci sont largement disproportionnés par rapport aux stricts besoins. Enfin, comment évacuer que c’est contre le voisin de l’Ouest, en l’occurrence le Maroc, que s’opère continument ce surarmement qui couvre tant l’armée de terre et l’aviation que la marine forte, elle, de 3 sous-marins, 6 frégates, 30 patrouilleurs et garde-côtes et des navires et bâtiments de léger tonnage. Force est en effet de faire ce constat: depuis près d’un demi-siècle prévaut une culture d’adversité dans l’univers politique et les valeurs de la “Nomenklatura” du FLN et de l’armée. Cette situation a été cristallisée par la “Guerre des sables” d’octobre 1963 à propos du tracé frontalier du côté de Hassi-Beïda et Tinjoub, près de Tindouf. En se lançant dans cette aventure, l’ancien président Ben Bella visait en fait deux objectifs: mobiliser autour de lui sur le thème de “l’Union Sacrée” et mettre sous son autorité l’ANP alors dirigée par un certain colonel Houari Boumédienne alors, ministre de la Défense. Ce n’était pas seulement le choc de deux nationalismes, mais aussi celui de deux projets de société marqués du sceau de l’altérité et campant de surplus résolument dans la bipolarisation de la guerre froide entre les deux Supergrands.
Avec l’affaire du Sahara qui revient au premier plan au début des
années soixante-dix, le fonds d’opposition et son stock de contentieux,
qui était déjà important, s’est alourdi par les divergences entre Rabat
et Alger sur les conditions de décolonisation de l’ancien Sahara
occidental. Reniant les engagements pris tant au sommet de Nouadhibou
(septembre 1970) qu’au sommet de l’OUA en 1972 à Rabat, Houari
Boumédienne s’est impliqué comme partie prenante dans ce dossier. Un
cheminement connu et l’aide apportée au Polisario, puis par
l’engagement de l’armée algérienne dans les combats de Mahbès et
d’Amgala à la fin 1975, début 1976. Depuis trois décennies, les
positions de ce voisin de l’Est n’ont guère évolué et le champ régional
est bloqué par la rigidité et l’hostilité d’Alger.
L’UMA (Union du Maghreb Arabe) est en panne depuis des lustres. Les
nombreuses tentatives de médiation ont fait long feu. Le dossier du
Sahara est entre les mains du conseil de Sécurité. La position
marocaine est confortée avec les résolutions 1813 et 1871 qui font
droit aux propositions de Rabat d’un règlement négocié sur la base de
son projet d’autonomie interne dans les provinces sahariennes. Autant
de relief donné à un échec plus que trentenaire de l’Algérie tellement
hégémoniste hier comme aujourd’hui.
Conflictualité
De quoi nourrir la paix et contribuer à transcender les rancœurs et
l’hostilité? Pas vraiment si l’on en juge par une situation objective
de conflictualité qui n’est point régulée ni maîtrisée d’ailleurs.
Quelle est la matrice, pourrait-on dire de cette belligérance encore
larvée et dont les symptômes ne manquent guère au regard d’un regard
rétrospectif sur plus de trois décennies écoulées? Assurément c’est la
question du Sahara qui est au centre d’un bilatéral empoisonné depuis
le début des années soixante-dix. Par sa persistance, par la
psychorigidité du Président Abdelaziz Bouteflika et de la hiérarchie
militaire -avec à sa tête le général Salah Gaid- sur ce dossier, nul
doute qu’il pèse de tout son poids dans cette situation. Un côté
“revanchard” prégnant au sein des cercles de décision de l’ANP est
également nourri et même ravivé : effacer l’humiliation de la guerre
perdue de 1963. Cette disposition est aussi confortée par un autre
paramètre: celui du succès -même relatif- d’un régime monarchique et
plus globalement d’un pays sorti du sous-développement et dont les bons
choix de développement, surtout avec le nouveau règne, sont
l’illustration en creux des échecs et des impasses d’un régime se
voulant “révolutionnaire”… Une révision déchirante qui a vu l’Algérie
remiser ses slogans et faire la queue pour réclamer le statut d’associé
à l’Union européenne, adhérer à l’OMC ou pire ouvrir un dialogue et
nouer un partenariat avec l’OTAN!
Sur la base de ce cadre-là, qui fournit un référentiel culturel,
politique voire même idéologique, les prétextes d’une confrontation
armée à redouter ne manquent point. Un soutien logistique et militaire
par trop appuyé aux gesticulations et aux parades fanfaronnes du
Polisario dans le “no man’s land” hors du mur de protection dans les
provinces sahariennes, un incident voulu ou non qui dégénère localement
et qui mécaniquement pousse à la montée des périls, une provocation
ciblée autour d’une zone frontalière non encore bornée: pour Alger, les
opportunités bellicistes sont multiples. La modération marocaine n’est
pas cependant un pacifisme benêt ni angélique et ce serait une grave
erreur d’évaluation qui serait faite par Alger si elle estimait que le
Royaume du Maroc n’aurait pas d’autre choix que de céder et de
capituler. Personne de sensé ne peut souhaiter la guerre -et la
communauté internationale ne permettrait pas le choc qu’elle n’aurait
pas pu éviter lors de sa première explosion. Il reste que le
surarmement est un facteur belligène et qu’une démocratie -même en
transition- ne fait pas la guerre. Pour autant, elle se défend quand on
l’agresse...
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M. Sehimi
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Hauman Yaakoubi, spécialiste des questions militaires, installé à Paris :
“Les contrats d’armement profitent aux galonnés algériens”
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M H I: On constate depuis quelques années une course effrénée à l’armement au Maghreb, notamment en Algérie et au Maroc. Pourquoi cette effervescence?
Hauman Yaakoubi: Je ne pense pas qu’il y ait effervescence. Tous les pays ont des budgets, des programmes d’armement et des lois de programmation militaire. Cela répond à des impératifs sécuritaires vitaux des nations. D’abord, les pays ont besoin de changer des armes ou des systèmes d’armes obsolètes et de renouveler leurs stocks. Ensuite ils sont soucieux d’adapter leurs armements à l’évolution technologique en la matière d’une part, et aux impératifs sécuritaires qu’imposent l’évolution géopolitique et le souci des équilibres régionaux d’autre part. Les pays du Maghreb ne font pas exception à la règle et encore moins le Maroc et l’Algérie.
N’empêche que des budgets colossaux sont consacrés à la défense par les deux pays, 6,5 milliards de dollars en Algérie contre 3,5 au Maroc pour l’année 2009. N’est-ce pas exagéré?
Hauman Yaakoubi: Tous les
budgets militaires de par le monde se font malheureusement au détriment
du développement, de la lutte contre les problèmes globaux comme le
réchauffement climatique, la faim dans le monde, le sida et autres
épidémies. Le monde étant ce qu’il est, certains pays non belliqueux
comme le Maroc, doivent adapter leur armement à leur environnement. Ce
n’est pas une exagération, mais une nécessité vitale pour la défense de
son intégrité, de ses intérêts vitaux et de ses droits inaliénables.
Cependant, cela peut être une exagération pour des pays belliqueux qui
cherchent la fuite en avant pour des raisons multiples et notamment
pour détourner ou flouer leur opinion publique. Si vous prenez
l’Algérie, une dictature gouvernée par des généraux, une dictature très
riche mais dont la richesse ne se voit ni dans le développement ni dans
le panier de la ménagère, elle court fatalement vers l’explosion.
Alors, on justifie l’incurie politique par des dépenses militaires exagérées faisant d’une pierre deux, voire plusieurs coups. Outre le fait de justifier ce décalage entre les ressources du pays et la médiocrité de son développement, les contrats d’armement profitent aux galonnés et aux fournisseurs, une forme de blanchiment d’argent. C’est là une exagération dont les généraux algériens ne se privent pas.
Cette course peut-elle conduire les deux pays à posséder l’arme nucléaire et pensez-vous qu’il y a une volonté et d’ores et déjà des projets dans ce sens?
Hauman Yaakoubi: Non, je ne pense pas. Concernant le Maroc, la situation est claire. Dans les instances internationales, le Maroc est considéré comme un pays propre et non belliqueux; il est signataire du TNP (traité de non prolifération) et respectueux de ses engagements. Il a tout à gagner dans cette posture qui lui permet, selon les termes du même traité, de développer le nucléaire à des fins civiles et notamment la production de l’électricité.
Cela le rendra moins dépendant de la pluviométrie, et lui évitera des
coupures d’électricité sur des grandes villes comme Casablanca, sans
parler de l’essor de l’électrification rurale.
Quant à l’Algérie, obsédée par un leadership régional qui ne se réalise
pas, il est de notoriété publique qu’elle possède des réacteurs
nucléaires chinois. Elle a fini par signer le TNP, néanmoins ces
derniers temps certaines déclarations laissaient penser que la
tentation est de retour. Et, bien entendu, il y a eu des réactions le
leur déconseillant. Affaire à suivre. Ce qui doit inquiéter la
communauté internationale, ce n’est pas tant un programme nucléaire
incertain, que le polygone d’essai de Oued Namous, hérité de la France
avec toutes ses installations de production d’armement chimique, une
sorte d’usine de production clé en main.
Quels sont alors les genres d’armement les plus prisés par Alger et Rabat?
Hauman Yaakoubi: En général les pays s’équipent en armement adapté à la menace potentielle, à la formation des troupes, aux objectifs désignés, qu’ils soient offensifs ou défensifs, et à la topographie régionale. On n’utilise pas les mêmes armes en Sibérie et au désert et on n’utilise pas des armes de topographie accidentée dans la plaine.
S’agit-il d’armements sophistiqués ou d’anciens engins que les constructeurs cherchent à écouler?
Hauman Yaakoubi: C’est là une question à laquelle je ne saurais répondre. Je ne suis pas dans le secret des états-majors.
Peut-on craindre une guerre entre Rabat et Alger et quelles pourraient être son issue et ses conséquences sur les deux pays, voire sur toute la région?
Hauman Yaakoubi: Pour qu’il y ait guerre, il faut qu’il y ait un enjeu, un belligérant et des déterminants géopolitiques ou stratégiques qui impliquent les intérêts de certaines puissances qui font la guerre par procuration, comme cela a été le cas du temps de la Guerre froide. Aujourd’hui il n’y a plus d’URSS, de RDA, de Libye et encore moins de Cuba. Non, je ne crains pas une guerre entre le Maroc et l’Algérie car, objectivement, elle n’a pas de raison d’être.
Pour le Maroc, sa guerre est ailleurs, il l’a déclarée au sous-développement, à l’analphabétisme, aux problèmes de santé. Sa réputation pacifique est indiscutable, désormais, il a attaché son wagon au train des nations qui vont de l’avant. Quant à l’Algérie, aussi belliqueuse qu’elle puisse être, on voit mal quel enjeu la pousserait à déclarer la guerre au Maroc. Auquel cas ce serait un casus belli, une agression contre laquelle le Maroc se défendra bien entendu. Sur le plan politique et diplomatique, l’Algérie serait perdante car cela aurait des conséquences non seulement sur la région, mais au-delà.
Il ne faut pas oublier que l’Afrique du Nord est le flanc sud de l’OTAN et que la sécurité du Nord dépend de la stabilité du Sud. Enfin, je dirais que les grandes puissances n’y ont aucun intérêt et elles s’y opposeront. Il ne faut pas être alarmiste, il n’y a pas encore de bruit de bottes.
D’après vous, les grandes puissances n’accepteraient-elles pas une guerre entre Alger et Rabat?
Hauman Yaakoubi: La réponse est non. Comme je l’ai dit, les grandes
puissances n’accepteraient jamais un conflit dans la région.
Ce n’est un secret pour personne que les puissances peuvent dans
certains cas sinon pousser au conflit, comme c’était le cas de la
guerre Iran-Irak, du moins s’en désintéresser en fonction de la nature
de ce qu’il peut leur apporter. Dans ce cas, non seulement un conflit
ne leur apporterait rien mais, au contraire, déstabiliserait une région
dont dépend leur propre sécurité.
Un massacre de l’ampleur de la guerre entre l’Irak et l’Iran, début des années 80, près de 2 millions de morts et sans vainqueur ni vaincu, n’est-il pas à craindre dans le cas d’une guerre Algérie-Maroc?
Hauman Yaakoubi: Comparaison n’est pas raison, il faut comparer se qui peut l’être. La guerre Iran-Irak a été déclenchée par des enjeux géopolitiques, stratégiques et idéologiques qui dépassaient les deux pays. Cette guerre, l’Iran l’a subie car agressé par un Irak, dirigé par Saddam Hussein, encouragé, armé et soutenu non seulement par les puissances occidentales, mais aussi par tous les pays de la région qui voulaient faire avorter la révolution islamique d’Iran, conduite par Ayatollah Khomeini. Tous avaient peur de la contagion, les enjeux étaient considérables. Ce n’est pas le cas en Afrique du nord. Au contraire, pour les grandes puissances, l’enjeu majeur c’est la stabilité dans la région.
Le conflit du Sahara peut-il constituer la cause d’une confrontation armée entre les deux pays, ou y a-t-il d’autres raisons, notamment les frontières toujours non définies?
Hauman Yaakoubi: Ni l’un ni l’autre. Si le Sahara ou le tracé des frontières devaient provoquer une guerre entre le Maroc et l’Algérie, c’est dans les années soixante-dix qu’ils l’auraient provoquée.
En effet, le Maroc aurait pu entrer en guerre contre l’Algérie sans la sagesse de feu Hassan II, sa finesse diplomatique et son réalisme reconnus de tous.
Le Maroc aurait pu, légitimement user de son droit de poursuite, il ne l’a pas fait. Il aurait pu réagir aux différentes provocations et il ne l’a jamais fait. Actuellement, le conflit du Sahara a évolué et se joue sur le terrain politique et diplomatique, non seulement sous l’égide des Nations Unies, mais aussi sous celles des puissances. La question qui se pose est la suivante: jusqu’à quand l’Algérie gardera-t-elle cette posture négative qui la caractérise quant à cette question? Le projet d’autonomie initié par le Maroc est considéré par les Nations Unies et par la majorité des chancelleries comme réaliste est de nature à régler le problème dans la dignité de tous. Après les nombreuses rencontres de Manhasset, Nous sommes toujours au point mort à cause de l’ingérence et de la posture négative de l’Algérie dont la devise est : bloquer pour le plaisir de bloquer.
Quel rôle joue le renseignement militaire actuellement dans la région?
Hauman Yaakoubi: Le renseignement joue un rôle important actuellement dans la région, peut-être plus que par le passé. En effet, le Sahel est aujourd’hui dans une situation inquiétante due à l’implantation d’Al Qaïda par le truchement de l’AQMI (Al Qaïda aux pays du Maghreb islamique), ancien GSPC algérien. Perdant pied en Afghanistan et en Irak, Al Qaïda cherche à s’implanter au Sahel dans des régions qui échappent au contrôle de leur pays comme le nord du Mali ou du Niger, menée en ça par un certain Abdel Wadoud Droukdel d’origine algérienne.
D’ailleurs, actuellement les Maliens, les Nigérians armés par l’Algérie
et, dans une moindre mesure, la Mauritanie, sont en train de mener des
opérations de ratissage. Pour finir, je dirais en matière de
renseignement que seuls les petits secrets ont besoin d’être protégés,
les grands le sont par la grâce de l’incrédulité du public.
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N. Jouhari
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