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En cette fin d’année 1851, Marengo allait avoir un
voisin immédiat, distant de 6 kilomètres seulement.
Le 15 décembre, 81 personnes (17 familles) venant du Doubs et du Jura y arrivèrent, déjà démoralisées par la rencontre à Alger de Suisses, qui repartaient d’Ameur-el-Aïn pour rentrer dans leur pays. Réconfortés par le maire, le curé de Marengo et les sœurs de charité, ils prirent possession des maisons qui leur étaient destinées.
L’ emplacement du village avait été choisi, plus pour des nécessités militaires que pour des raisons relevant de la colonisation : il constituait un lieu stratégique au point où la route Alger-Miliana. pénétrait dans les premiers contreforts de l’Atlas. Il se trouvait au débouché, de l’oued Bourkika (Bou-rkika = père de la maigreur, allusion à la santé des habitants du lieu). Le léger relèvement du sol paraissait favorable à l’établissement du village ; il était en fait le cône de déjection de cet oued, et les habitants souffriront périodiquement des inondations provoquées par les crues consécutives à des pluies abondantes. D’autre part, la cuvette au lac Halloula arrivait à moins de 3 km du village et, à la saison des pluies, la plaine était couverte d’eau.
Le centre était prévu pour 60 à 90 familles. Il comprenait 92 lots urbains, mais, sur 1146 ha, 860 ha de palmier nain, 75 %. Les premiers travaux, terrassements, construction de 55 maisons, furent exécutés par le génie.
Les arrivants étaient démunis de tout. Par pétition, ils demandèrent, au début de 1852, l’octroi de vivres gratuits, mais le maire s’y opposa, craignant de voir les colons se transformer en mendiants "car ils ne travaillerons pas plus que les Parisiens, tant qu’ils auront la vie assurée".
Après sa visite de février, l’inspecteur de colonisation Bonnemain fit porter à 1 hectare les lots de jardins et, pour activer les défrichements qui s’avéraient laborieux, étant donné l’importante superficie de palmier nain, il eut recours à des ouvriers agricoles employés à la tâche (240 à 300 francs par hectare défriché).
Les colons entreprirent la culture de leurs jardins et, aiguillonnés par la promesse d’une prime de 200 f promise par le maire, préparèrent pour l’emblaver, le premier hectare ... à la pioche ! Heureusement, la colonie reçut 16 bœufs razziés en Kabylie, et une somme de 100 francs pour acheter 500 mûriers et 1500 pieds de vigne, cette vigne qui sera plus tard la richesse du pays. Fin février, 18 ha sont prêts pour la culture.
Le dimanche, les habitants de Bourkika se rendaient à Marengo pour assister à la messe, tout au moins les femmes, car les hommes fréquentaient plus volontiers les débits de boissons, ce qui se terminait souvent par des bagarres entre habitants des deux villages. Malgré les changements de population à Bourkika, la tradition ne devait pas se perdre car, près d’un siècle plus tard, des disputes éclataient souvent au cours des bals de l’un ou de l’autre centre.
Les maigres résultats, durement acquis par les habitants ne devaient pas leur profiter. A la suite du coup d’état du 2 décembre 1851, Louis -Napoléon Bonaparte avait déporté, en partie en Algérie, les opposants à sa dictature, qu’on nomma pudiquement "transportés". Il n’est pas dans le propos de cette monographie de retracer les durs traitements qu’il durent subir. Ils furent condamnés au travail forcé dans des centres ou dans des pénitenciers militaires. Ils durent attendre l’amnistie de 1859 pour pouvoir rentrer en France, mais beaucoup étaient morts. 250 environ restèrent en Algérie, sur près de 10.000 arrivés.
Bourkika, ayant été désigné comme centre de déportés, eu raison sans doute des mauvaises conditions de son exploitation., les colons durent l’abandonner au mois de mars 1852 pour s’installer, soit à Bou-Medfa, soit à Ameur-el-Aïn. Ceux qui rallièrent cette colonie n’eurent pas à s’en féliciter.
Trois cent cinquante déportés arrivèrent début juillet, juste pour affronter les chaleurs de l’été. Si l’on ajoute à cela la dureté, des travaux, inhabituels à la plupart : défrichements, terrassements, et à la rigueur de la discipline, on comprendra que leur nombre devait bientôt fondre : 28 décès jusqu’à la fin de l’année, 21 pour le premier trimestre 1853, trimestre habituellement le plus favorable. Nouvel objectif pour le peuplement de Bourkika, : les Alsaciens. Beaucoup de familles du Haut-Rhin, pourvues d’un pécule en liquide émigraient en Amérique. Une active propagande les détourna vers l’Algérie. Bien que la loi de 1850 ait modifié le régime d’émigration, ils profiteront des terres on partie défrichées, certains d’une maison. 6 familles étaient arrivées lorsque nouvelle volte-face : Bourkika restera colonie pénitentiaire en raison de l’insalubrité et du manque d’ eau. Mieux : on regroupera tous les déportés de la province d’Alger. La situation du centre n’est guère brillante : une quarantaine d’hectares sont défrichés, moins de 4% des terres. Le paludisme y continue ses ravages. Malgré tout, fin 1854, 83 hectares peuvent être mis en culture.
Nouveau changement : courant 1855, les déportés sont remplacés par des colons, qui trouvent des terres à cultiver et des maisons. Malheureusement, ils perdent la première année 124 pour mille de leur effectif et l’année 1856 sera catastrophique : pas de pluies en hiver et il faudra réensemencer. L’ été sera torride : les nouveaux arrivants font connaissance du sirocco, qui détruit toutes leurs cultures. L’eau des pluies est malsaine et il faut aller s’approvisionner près de Marengo, avec des moyens rudimentaires, en attendant la construction d’une conduite d‘eau. Si les colons ont parfois été taxés de "revendicateurs obstinés" (Ageron), il faut convenir qu’ils en avaient parfois des raisons...
En 1857, malgré une prime de 100 francs par hectare, 80 ha seulement étaient en culture. La colonie végéta longtemps.
En 1874, son territoire s’agrandit du Douar Beni M’rit et 1875, Bourkika, toujours annexe de Marengo, est érigée en commune. Le premier maire sera M. Aupècle, l’adjoint Perraux, les conseillers Appert, Jean Jean, Hamet ben Samet et Miloud ben Garnah.
C’est la vigne qui fit de Bourkika une commune riche. En 1938, elle occupait 3.848 ha sur 4279, soit 90% des terres cultivée, avec un rendement de 83 hectolitres à l’hectare.
Pourtant, sa population européenne régressait : de 1911 à 1921, elle perdait 235 personnes ! A cette dernière date, la population était constituée par moitié d’Européens et d’indigènes, 580 de chaque environ. Cinq ans après les Européens n’étaient plus que 400 contre 1.260 indigènes. Le village était victime comme Ameur-el-Aïn de 1importance de la grande propriété (40 % des exploitations dépassant 40 ha), et du centre d’attraction de Marengo.
En 1954, Bourkika comptait 397 européens (dont 3 étrangers) - et 2806 indigènes.
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