... son « immense écrivain »
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Camus, le retour ? Boudé, zappé, longtemps stigmatisé, l'auteur de «
Noces à Tipasa » a fait, à Tipasa précisément, un
come-back étonnant : pour la première fois en Algérie, un colloque
officiel, organisé par l'université d'Alger et financé en partie par la
wilaya de Tipasa, lui a été consacré en 2006. Intitulé « Albert Camus et les
lettres algériennes, l'espace de l'inter discours », le colloque s'est
poursuivi dans la capitale, où il s'est clos, vendredi 28 avril, par
une représentation théâtrale : Les Justes, mis en scène par Kheireddine
Lardjam. Une conférence sur Albert Camus avait déjà eu lieu en juin
2005 à Oran, à l'initiative de l'Association des amis de l'Oranie. Mais
jamais, à ce jour, les institutions algériennes n'avaient accompli un
tel geste de reconnaissance à l'égard de l'écrivain, né en Algérie en
1913 et mort en France en 1960, en pleine guerre de libération, deux
ans avant l'indépendance.
Venus d'Algérie et de France, bien sûr, mais aussi de Tunisie, du Brésil, des Etats-Unis, d'Afrique du Sud et des Pays-Bas, les intervenants, qui se sont succédé pour revisiter les textes littéraires de Camus, n'avaient, pour certains d'entre eux, jamais mis les pieds sur la terre natale de l'auteur de L'Etranger. Ainsi, par exemple, pour Guy Basset, petit-fils de l'orientaliste René Basset (premier doyen de l'université d'Alger) et membre de la Société des études camusiennes, qui faisait là son premier voyage en terre algérienne. Fruit « des hasards, de l'amitié et de la ténacité », selon Christiane Chaulet-Achour (université de Cergy-Pontoise), ce colloque serait-il aussi, comme le croit sa consoeur Naget Khadda, « l'aboutissement d'une longue décantation », une manière d '« effet en retour de l'intégrisme » -, la société algérienne, au sortir du long cycle de massacres et de répression des années 1990, « n'acceptant plus les affirmations radicales et monolithiques » ?
Dans Albert Camus et l'Algérie (éd. Barzakh, Alger, 2004), Christiane Chaulet-Achour avait passé en revue les réactions des intellectuels algériens qui, de Mouloud Ferraoun à Jean Pélégri, de Kateb Yacine à Taleb Ibrahimi ou Areski Metref, se sont exprimés, quelquefois avec chaleur, mais souvent négativement et violemment, sur Albert Camus. Ses détracteurs l'ont accusé, pêle-mêle, de ne pas avoir mis de personnages d'Arabes dans ses romans et d'avoir refusé, dans ses prises de position politiques, de soutenir le camp (et les méthodes) des nationalistes algériens. Débat révolu ? Pas sûr. Certes, l'Algérie « revendique » la mémoire de Camus, a souligné, dans son discours d'ouverture, le vice-recteur de l'université d'Alger. Sans lui décerner pour autant un « certificat de nationalité », selon le mot de Paul Siblot (université de Montpellier)...
Durant le colloque ont d'ailleurs resurgi certaines hantises et blessures d'hier. « Il faut se libérer du ressentiment vis-à-vis de Camus, a plaidé, pour sa part, le romancier et universitaire Nourredine Saadi. Camus n'est pas un nationaliste algérien. Camus n'est pas Sénac. Il est fils de la colonie de peuplement - il faut s'y faire ! Il nous appartient parce qu'il dit des choses qu'on aime et qui nous éclairent sur ce pays qui est le nôt re. » Un point de vue loin d'être partagé : le quotidien francophone El Watan a cru bon, pour saluer le colloque, de donner la parole à une universitaire algérienne, qui a accusé Camus d'avoir plagié « l'écrivain juif autrichien » Stephan Zweig.
Camus l'Algérien ? Camus le Français ? Camus, cet « immense écrivain méditerranéen, qui fait partie de notre patrimoine culturel », comme préfère le qualifier Karima Aït Dahmane (université d'Alger) ? Et si Albert Camus était « le premier émigré des écrivains de son temps, comme le soutient Afifa Berehi, chef du département de français de l'université d'Alger et coordinatrice du colloque de Tipasa ? Camus est un exilé, ça le rapproche de tous les autres : de Jean Amrouche, mais aussi, d'une autre manière, de Mohammed Dib. Et ça change complètement l'optique qu'on a de lui », avance-t-elle.
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« HÉRITIER IMPERTINENT »
Proche des grands écrivains d'hier, Camus l'est devenu de certains romanciers d'aujourd'hui. De Maïssa Bey, par exemple, ce qu'aura démontré Jean-Pierre Castellani. Mais aussi d' « émigrés » ou d '« exilés », comme Aziz Chouaki, cet « héritier impertinent », selon l'expression de Sylvie Brodziak, ou comme Nina Bouraoui, dont les Mauvaises pensées rejoignent, via la figure narcissique du monstre, Le Premier homme, assure Allen Diet.
« Camus fait partie de notre patrimoine », insiste Meriem, étudiante à la faculté des lettres, venue assister au colloque - comme plusieurs dizaines de ses congénères. « Mais c'est l'école algérienne qui peut en convaincre l'Algérie... », nuance-t-elle aussitôt.
En attendant qu'Albert Camus, Mouloud Ferraoun ou Kateb Yacine fassent leur véritable entrée dans les écoles d'Algérie, les maisons d'édition mettent les bouchées doubles. Ainsi, à Bejaïa (ex-Bougie), les éditions Zirem viennent de ressortir, sous le titre Misère de la Kabylie, les reportages réalisés par Albert Camus, en juin 1939, pour le quotidien Alger républicain. Et qui, à l'époque, déjà, avaient un parfum de scandale...
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Catherine Simon
05.05.2006
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