par Belaïd Abbane
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A lire le titre de cet ouvrage Abane Ramdane et les fusillés de la rebellion, on s’attendait, à prime abord, à une sorte de réquisitoire contre ceux qui ont mis fin aux jours de cet illustre héros, architecte de la révolution, que fut Abane Ramdane.
D’autant qu’il est écrit par un de ses proches parents. Mais ce dernier a su dépasser les contingences personnelles, restrictives, pour s’adonner à un essai historique fort en analyse. Professeur de médecine installé en France, l’auteur troque le tensiomètre contre une plume qui s’enfonce dans l’Histoire. Structuré en quatre parties, l’ouvrage s’étale de «la Longue nuit algérienne» (composé de chapitres traitant «De Cortès à Bigeard», de «le Premier mensonge français ») un autre chapitre intitulé «la Nation en marche»… En troisième partie, l’auteur s’attache à «Abane Ramdane et l’unanimité nationale», à travers des chapitres se rapportant, entres autres, aux centralistes, etc.
Mis en vente depuis quelques jours, «La Nouvelle République» a choisi de présenter quelques bonnes feuilles de cet ouvrage, d’excellente facture, qui reste absolument à lire.
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Bélaïd Abane (auteur) : «Abane Ramdane était un monomaniaque de l’Algérie»
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Quelles sont les motivations qui vous ont conduit à écrire cet ouvrage ?
J’ai toujours été un passionné d’histoire et, tout particulièrement, de l’histoire de notre pays. Certains livres avaient fini par installer un doute dans mon esprit. Avons-nous été des bourreaux ou des victimes ? J’ai, donc, très tôt voulu en savoir un peu plus.
J’ai, également, nourri depuis le début des années 1980 le projet d’écrire un livre sur Abane Ramdane. Pourquoi lui, me diriez-vous, et pas Didouche, Ben M’hidi, Ben Boulaïd, Amirouche, Lofti ou quelque autre prestigieux dirigeant de notre guerre de Libération, qui méritent tous amplement un livre ? Abane est celui qui, pour moi, vient tout naturellement en premier. D’une part, comme vous le devinez, il m’est proche et je voulais rendre hommage à son sacrifice total. Ce n’est pas un vain mot, car Abane était une sorte de monomaniaque de l’Algérie — et à travers lui, à tous les dirigeants et combattants morts au cours de la guerre de Libération. D’autre part, dès que Abane, qui a été, comme vous le savez, longtemps effacé des hommages officiels, est réapparu comme l’un des personnages centraux de la Révolution, après le déverrouillage idéologique et politique qui a suivi les événements de 1988, les attaques ont commencé à pleuvoir. Certaines de ces attaques ont, outrageusement, dépassé le cadre d’une critique doctrinale, une critique, au demeurant, nécessaire, pour un débat sain et serein sur notre histoire. Je l’ai dit et le répète, Abane n ‘est pas un sanctuaire inviolable. Comme tous les autres dirigeants il ne doit pas être épargné par la critique, à condition qu’elle soit débarrassée de l’insulte et de la calomnie. Imaginez-vous, il aurait été de ce monde qu’on s’y prendrait, à dix fois et non à deux, avant de l’attaquer de manière aussi ignominieuse. A l’évidence, les morts ne font peur à personne, comme le dira un jour, amèrement, le docteur Lamine Debaghine. Ce livre, et le deuxième, qui est en stand by chez l’éditeur, pour être publié dans les prochains mois, sont donc aussi une réponse à ces attaques et une manière de dire à tous ses contempteurs : faites d’abord le bilan de ce que vous laissez à la postérité. Puissiez-vous, un jour, avoir l’honneur d’être pris à partie comme l’est aujourd’hui Abane ?
2. Comment avez-vous travaillé ?
Il y a de nombreuses années que je recueille documents et témoignages. Ces derniers m’ont beaucoup aidé à comprendre «l’ambiance» de la révolution, et à la restituer dans mon livre. J’ai, notamment, rencontré à plusieurs reprises le président Ben Khedda, dont je garde un souvenir affectueux, tant est humble l’homme, et son honnêteté irréprochable. J’ai également rencontré en 1999, pendant plus de deux heures, le président Ben Bella, que je suis allé voir en sa qualité de meilleur adversaire politique d’Abane, pensant mettre fin, par quelque communiqué apaisant, à l’affaire suscitée par les insultes et les calomnies d’Ali Kafi. Charmé, comme beaucoup l’ont été, par sa chaleur et sa jovialité j’ai été, par la suite, très déçu. Car deux années plus tard il parlera, comme il me l’avait promis, à El Jazeera.TV, mais pour déclarer exactement tout le contraire de ce qu’il m’avait dit, le jour de notre rencontre. J’ai eu, également, le bonheur de rencontrer le président Rabah Bitat, un homme affable et d’une simplicité désarmante. Il m’apportera, avec gentillesse et délicatesse, des informations importantes inédites sur les premiers jours de la Révolution et, notamment, sur la place de Abane dans le projet de novembre. Je rapporte tout cela en détail, dans ce livre et le prochain. J’ai rencontré, aussi, le colonel Ouamrane à plusieurs reprises. Les informations que je tiens de lui m’ont apporté un éclairage nouveau sur la manière dont s’est déroulée la crise au sein du FLN post-soumamien. La rencontre avec Lamine Debaghine m’a ému et m’a, également, beaucoup appris. J’ai été bouleversé par les conditions de vie, à la limite de la décence, de cette grande figure du mouvement national algérien. Ce jour-là, il m’apprendra qu’il venait de commencer à percevoir sa modeste retraite de diplomate. J’ai également cotoyé un certain nombre de dirigeants qui m’ont, chacun, apporté une bribe qui m’a permis de reconstituer un pan du récit national, et de cette vérité que je cherchais.
Il faut, naturellement, ajouter à cela une considérable compilation d’articles et d’ouvrages traitant de la guerre de Libération nationale. Je peux dire que j’ai, à peu près, tout lu de ce qui s’est écrit, en tout cas du côté algérien, sur la période 1954-1962, y compris une bonne partie des œuvres de fiction.
Pensez-vous avoir fait œuvre d’historien ?
Non bien sûr. Pensez-vous qu’un médecin puisse s’aventurer, aussi facilement, sur le territoire sacré de l’historien. Je le dis clairement dans mon avant propos où, vous le remarquerez, je me suis beaucoup attardé sur les préalables méthodologiques pour dire comment, et pourquoi ,j’ai écrit ce livre. Je n’ai pas la qualité d’historien et je n’en ai pas la compétence. Je n’ai, du reste, travaillé qu’à partir des faits, historiquement avérés. La nouveauté est que j’ai totalement changé d’angle de vue et d’objectif, au sens optique du terme, afin de rétablir certains faits dont l’importance a été soit surdimensionnée («les atrocités du FLN») soit sous évalués ou, même, ignorés, comme les horreurs de la responsabilité collective et du terrorisme ultra. Vous lirez dans la plupart des livres d’histoire des inepties du genre : c’est à la Soummam que le FLN a programmé la violence aveugle à l’encontre de la population européenne au cours de «la bataille d’Alger». La vérité est que la violence aveugle du FLN est une réponse aux horreurs de la responsabilité collective dans le bled et au terrorisme, aveugle, pratiqué par les ultras à Alger, notamment avec la bombe de la rue de Thèbes, qui constitue le véritable tournant du FLN et son basculement dans l’engrenage infernal de la guerre totale contre la population européenne d’Alger.
Si ce n’est pas un livre d’histoire c’est quoi alors ? Ce que j’ai voulu écrire, c’est une sorte de cotre roman colonial, un récit national, libéré des entraves qu’impose l’académisme des historiens. Il faut encore beaucoup de livres comme le mien. L’histoire est un domaine trop grave, pour le laisser entièrement aux seuls historiens. Les historiens algériens sont trop frileux, brisés par le souci d’objectivité. la glaciation de l’histoire nationale n’est pas, entièrement, le fait de la censure politique, comme on trop souvent tendance à le croire.
Quant aux historiens français, rares sont ceux qui font l’effort, comme Gilbert Meynier et Gilles Manceron, ou comme quelques nouveaux historiens comme Pascal Blanchard, Raphaëlle Branche, Sylvie Thénault et Linda Amiri, pour comprendre les tourments de l’âme indigène et le bouillonnement et les aspirations à la liberté et à la dignité qui agitent ce monde algérien, que les historiens colonialistes décrivent comme une masse- «la masse indigène»- infirme sans affect et sans psyché. Je me suis, donc, attaché à injecter un peu de psychologisation, cette dimension qui manque, singulièrement, dans l’approche historienne, qui n’hésite pourtant pas à s’émouvoir des humeurs et des malheurs des Européens d’Algérie parfois, il est vrai, à juste titre.
Il y a également une autre constante de l’approche historienne de type colonialiste : celle de présenter les dirigeants du FLN, et les combattants de l’ALN, comme des spectres menaçants et malfaisants. Sous l’angle unique de la perversité et de l’infériorité morale, en quelque sorte. Cela continue, encore aujourd’hui; au cinéma. Tenez, le dernier film de Florent Emilio Siri, L’ennemi intime, qui a, pourtant, fait un effort de rééquilibrage, a présenté l’ALN comme une armée d’ombres dont les «atrocités» font basculer des officiers français qui, eux, ont forcément des problèmes de conscience. Je me suis, donc, attaché à redonner à l’ALN un peu de cette humanité, que j’ai réellement sentie quand j’étais enfant, fier de caresser leurs armes dont je percevais alors, ardemment, qu’elles étaient porteuses de mon propre avenir.
En définitive, je n’ai pas fait œuvre d’historien. C’est même plus confortable pour moi de ne pas en être. Cela m’a permis d’appréhender les événements, sans entrave épistémologique, et les restituer avec une plus grande liberté. Ceci dit, j’assume totalement mon projet dans le fond et dans la forme.
4- Vous affirmez (page 219) que le vrai acte de naissance du FLN est consécutif à l’appel du 1er avril 1955 lancé par Abane Ramdane au peuple algérien ? Pouvez-vous en expliquer ?
J’ai écri,t en effet, que l’appel à l’action et à l’union du peuple algérien, lancé le 1er avril 1955, signe «le vrai acte de naissance du FLN et son émergence comme mouvement national». Vous remarquerez que j’ai pris soin de mettre cette affirmation entre guillemets, car je n’ai fait que reprendre l’historien Gilbert Meynier qui est, à mon sens, le meilleur historien du FLN en rappelant, toutefois, que les travaux de Mohamed Harbi lui ont servi de précieux tremplin.
Je suis cependant d’accord avec Meynier. Ce que l’historien a voulu dire, sans aucun doute, est que c’est à partir de cet appel que le FLN est véritablement né, politiquement. Si vous relisez la proclamation de novembre il y est encore question d’ «une équipe de jeunes responsables, militants et conscients…», «indépendants des deux clans qui se disputent le pouvoir …». Dans son tract du 1er avril Abane, resté à l’abri des querelles qui ont secoué le landernau politique du PPA/MTLD, est définitivement sorti du «patrimoine de parti». Pour lui «la réussite dépend de la contribution de tous les Algériens aux côtés des forces combattantes». C’est également à partir de cet appel que viendront se fondre dans le Front, MNA excepté, toutes les sensibilités du mouvement national algérien (centraliste, UDMA, Ulémas, communistes, indépendants) donnant aux trois lettres de l’acronyme FLN une réalité concrète. Il ne faut pas oublier que, durant plus d’un semestre, il n’y avait dans le FLN que du personnel de souche PPA/MTLD, issu exclusivement de sa branche activiste, et que c’est après l’arrivée de Abane que le FLN deviendra réellement un large mouvement de résistance et la façade politique nécessaire- en tout cas pendant encore quelques temps- à l’action de l’Armée de libération nationale sur le terrain.
5- Pensez-vous avoir apporté des éléments nouveaux par rapport à ce qui est déjà connu ?
C’est la question qui a tourmenté mon esprit depuis que j’ai entamé ce travail, il y près de six ans. Le doute m’a constamment accompagné, au cours de ce projet . Ceci dit, quand on écrit deux livres totalisant un millier de pages, en y mettant tout son cœur, beaucoup de temps et d’énergie, il y a, forcément, quelque chose de nouveau. Pas de scoop naturellement. J’ai essayé de conter un récit national, en prenant le contre-pied du roman colonial. Pour la partie guerre de libération, le fil conducteur est la contribution décisive d’Abanane Ramdane à l’unification du mouvement national.
Abane a, en effet, réussi à mettre sur pied un véritable front de combat. J’ai essayé de montrer comment cette troisième tentative d’union nationale, la bonne, est allée jusqu’à la victoire, en rappelant l’échec du Congrès musulman de 1936, tentative morte avec les espoirs déçus du Front populaire, et celui des AML de 1944 qu’engloutira le bain de sang du 8 mai 1945. Bien entendu, la conjoncture historique n’est pas la même. Du nouveau, également, concernant la place d’Abane dans le 1er novembre. Celui qu’on a, souvent, tendance à présenter comme un nouveau venu faisait, en fait, partie d’un comité révolutionnaire de 12 membres, désigné à la veille de l’insurrection. J’y reviens en détail dans mon livre. J’ai, également, abordé de manière inédite cette gigantesque opération de police baptisée «bataille d’Alger» par Massu et ses colonels. Dans ce livre j’ai, aussi, projeté la vision et les perceptions de quelqu’un qui a vécu la guerre du début jusqu’à sa fin, reclus dans un village de regroupement, à l’ombre d’un mirador militaire.
Sur le plan de la forme tout est nouveau : L’angle de vue général, la psychologisation, le style, que j’ai énormément travaillé pour le rendre fluide. Il y a, également, beaucoup d’informations peu connues du grand public. J’espère, aussi, que le lecteur lambda apprendra les grandes lignes de l’histoire nationale tout en prenant du plaisir. Les quelques échos que j’ai eux m’ont encouragé et un peu réchauffé le cœur.
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Le feu à Alger
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Le premier semestre 1954 s’achève, marqué par une montée en puissance des activistes. Ces derniers sont désormais, tout entiers, tournés vers l’action. Le déclenchement de la lutte armée est imminent. Informés, les Centralistes sont mis devant le fait accompli. La décision, irréversible, les surprend, d’autant que le projet ne leur semble pas mûrement réfléchi. La démarche, empreinte d’enthousiasme et d’exaltation, dénoterait, même, à leurs yeux, d’une certaine légèreté. Pis, tout leur paraît sacrifié à l’action violente et à l’esprit militaire. De surcroît, «dans la hâte et la précipitation»3.
Pour les Centralistes, qui voudraient voir «privilégier la cohérence, l’unité de vue et le souci de l’efficacité»4, il aurait fallu doubler l’action militaire d’une vision et d’une base politiques, après avoir réuni un congrès pour mobiliser toutes les énergies nationales. Il aurait fallu, également, évaluer les chances de victoire d’une insurrection dont ils redoutent qu’elle n’emprunte, une fois de plus, les voies du passé, celles de l’échec et de la régression.
Rigueur, prudence et lucidité pour certains. Faux-fuyants, atermoiements et louvoiements, pour d’autres. Aux yeux des Activistes, en tout cas, la réaction des Centralistes au projet de novembre est, au mieux, une preuve de leur «immobilisme stérile», au pire, l’expression de leur «politicaillerie»1 irrémédiable. Ainsi, dans les milieux activistes on rappellera, à la moindre occasion, toujours sur un ton de lassitude, qu’ «ils ne changeront jamais !».
Les Centralistes sont, pourtant, les premiers à faire les frais des troubles déclenchés le 1er novembre 1954. Ben Khedda, Kiouane et Dekhli sont arrêtés et enfermés à Barberousse (Serkadji), quelques jours après le début de l’insurrection. Les y rejoignent, courant décembre, Sid Ali Abdelhamid, Ahmed Bouda, Mustapha Ferroukhi, Saâd Dahlab, Messaoudi Zitouni, Abdelhakim Bencheikh El Hocine et Larbi Dmaghlatrous. La plupart resteront en prison, jusqu’au printemps 1955, avant de prendre contact avec Abane qui les intègre, à titre individuel, dans les rouages de l’Organisation. La plupart de ceux qui ont échappé aux arrestations ne tarderont pas à s’engager dans la lutte pour constituer les réseaux de l’Est et de l’Ouest d’Alger2.
Cependant, l’engagement des Centralistes ne met pas fin à la méfiance et à l’hostilité que suscite leur enrôlement dans le front et, surtout, leur présence dans ses instances dirigeantes. On continuera à leur reprocher d’avoir traîné des pieds et on les soupçonnera, même, de squatter le FLN pour mener la révolution dans une «voie secondaire». C’est l’analyse que développera Mohamed Harbi, lequel souligne «le danger réformiste» que représentent les «Modérés» Centralistes, et la menace qu’ils font peser sur l’avenir du mouvement révolutionnaire. Empruntant ses catégories au marxisme, l’historien expliquera que «c’est à travers eux que la bourgeoisie1 apporte son soutien au FLN pour l’amener à accepter un compromis rapide avec la France».
Réformistes, modérés, radicaux, ces mots ont-ils alors vraiment un sens, tant les convictions idéologiques sont partout fluctuantes ? Bien des «radicaux», en effet, et pas des moindres, réfrènent leurs surenchères maximalistes chaque fois que leurs intérêts de pouvoir l’exigent, tandis que des «modérés» durciront le ton et leurs positions, souvent pour les mêmes raisons. Rares sont les principes, et ceux qui y tiennent contre vents et marées. C’est ainsi qu’on verra des «radicaux» comme Krim, Ben Tobbal et Boussouf, pour ne citer que ceux-là, prôner plus de souplesse dans les négociations avec la France, face à des «modérés», comme Ben Khedda, devenus intransigeants sur le préalable «intangible» de l’indépendance.
De même, les conflits qui opposent les dirigeants, rarement de nature doctrinale, relèvent le plus souvent de querelles de personnes et de rivalités de clans pour la possession du pouvoir, et de la rente qu’il génère.
Revenant, quelques années plus tard, sur le rôle des centralistes et leur place, dans la révolution, Harbi2 reconnaîtra qu’ils «constituaient, indéniablement, le pôle national de l’insurrection», et s’étonnera que ne soit pas reconnu, à Abane Ramdane, «le grand mérite (d’avoir) vite compris que la révolution devait s’assurer la collaboration de ceux-là, mêmes, que les activistes accusaient d’avoir mené le mouvement dans l’impasse». Il ajoutera : «Il est vrai que les politiques s’étaient ralliés au FLN, parce que la France ne leur laissait pas d’autres solutions».3 L’historien précisera, cependant, que Ben Khedda et ses amis «voulaient éviter le pire et que, sans eux, le succès de l’entreprise n’était pas garanti».
De Ben Khedda, considéré par les «radicaux» comme l’archétype du dirigeant «tiède», susceptible de mener la révolution dans une voie réformiste, le même Harbi dira que ce «nationaliste radical (sic)… est prêt à accepter tous les concours pour la libération du pays. Apparaît, par certains côtés, comme le dépositaire du testament politique d’Abane et le garant d’une certaine fermeté au cours d’éventuelles négociations avec la France»1.
En réalité, les centralistes ne sont pas opposés, par principe, à l’action armée. C’est un «point d’histoire important», reconnaîtra Harbi. A la recherche désespérée de l’unité perdue ils avaient, en effet, tenté de persuader les chefs activistes de différer le passage à l’action, prévu pour le 1er novembre, en attendant la réunification des rangs nationalistes. «Par deux fois, confirme Ben Khedda, Lahouel avait demandé à Boudiaf de différer la date du déclenchement de deux ou trois mois, afin de mettre sur pied un appareil de combat minimum, désigner une direction et élaborer une plate-forme d’union.» Dépêchés au Caire, la veille du 1er Novembre, pour calmer le président Nasser, impatient de faire un pied de nez au colonialisme français, Yazid et Lahouel auront, à peine, le temps de déposer leurs valises avant d’apprendre que «la machine» du 1er novembre est lancée et que plus rien ne pourra l’arrêter. Mis devant le fait accompli, ils n’auront d’autre choix que de rallier le FLN. Ce qu’ils font, bon gré mal gré, dès le lendemain de l’insurrection.
Face aux événements du 1er Novembre les Centralistes ne réagissent, donc, pas tous, c’est un fait, au quart de tour. Si nombre d’entre eux rejoignent le Front, dès les lendemains de l’insurrection, d’autres le feront plus tardivement. Du reste, les premiers, des anonymes pour la plupart, ne préoccupent pas les Activistes. En raison de leur efficacité et de leur sincère engagement, bien sûr, mais aussi et surtout parce qu’ils restent discrets et peu visibles. Nombre d’entre eux perdront la vie, parfois dans d’atroces souffrances2.
Quant aux «grosses cylindrées»3, ceux qu’on accusera d’avoir voulu «squatter» la révolution pour en «dévier» la trajectoire, ils n’avaient, à leur décharge, même pas le temps de voir venir les événements, puisque la police les arrête en bloc, quelques jours après le début de l’insurrection. Auraient-ils voulu rejoindre immédiatement le Front, qu’il eut été difficile de trouver les canaux menant vers un centre de décision, dans cet imbroglio Algérois de novembre 1954 1. A quel responsable s’adresser ? Zoubir Bouadjadj, premier responsable d’Alger, est pris dans le coup de filet policier, dès le 5 novembre. Bitat, dont le réseau algérois est démantelé, est en cavale et erre pendant plusieurs semaines à travers la Mitidja et l’Atlas blidéen2. Ouamrane, qui prend le relais, finit par se replier en Kabylie. Pour d’anciens responsables politiques, on n’entre pas en révolution comme on va à une partie de chasse. L’autre solution, celle de la facilité, aurait été de s’envoler pour le Caire. Ils n’auraient fait, alors, que confirmer tous les pêchés dont on les accablera de toutes parts.
Avec un certain retard, il est vrai, certains choisiront la voie difficile et dangereuse des «maquis urbains». Ben Khedda et Dahlab se mettront à la disposition d’Abane Ramdane, dont ils partageront la vie clandestine. Ils s’exposeront, encore plus dangereusement, avec les djounouds de l’ALN durant la longue marche qui les mènera, après la «bataille d’Alger», en Tunisie (Ben Khedda avec Krim), et au Maroc (Dahlab, en compagnie d’Abane). Bel exemple de courage pour certains «radicaux» donneurs de leçons, qui appliqueront avec constance le principe bien connu : «Armons nous et partez.» C’est le cas, notamment, de Ben Bella et de son affilé Mahsas, ces deux anticentralistes obsessionnels, qui arborent un radicalisme, facile et gratuit, sur les bord du Nil, loin du champ de bataille3, en salivant devant «la marmite qui bout au Caire», pendant que «le feu chauffe à Alger».
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04-11-2008
M. B.
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