de Mohamed Benchicou
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Affaire Benchicou : El-Watan et le silence embarrassé des autorités
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C’est le black-out total après la saisie à
l’imprimerie avant même sa parution du nouvel ouvrage intitulé Journal
d’un homme libre du journaliste et auteur Mohamed Benchicou (directeur
du journal Le Matin).
Joint par téléphone, le
directeur général de la Bibliothèque nationale, Amine Zaoui, ayant
certifié le dépôt légal et le numéro ISBN du livre Journal d’un homme
libre de Mohamed Benchicou et transmis la fiche technique de l’ouvrage
pour impression – qui par la suite se rétractera à travers une
correspondance à la directrice de l’imprimerie Mauguin de Blida dont la
teneur portait sur l’annulation du dépôt légal renfermant une erreur –
nous demandera de le rappeler plus tard pour une déclaration concernant
cette contradiction « livresque ». Cependant, rappelé à maintes
reprises, le téléphone portable du directeur de la BN ne répondait pas.
Mohamed Benchicou, commentant ce mutisme assourdissant, nous déclarera
: « Ils sont surpris par leurs propres outrances et ne savent quoi
dire. Et le comble, c’est que cela se passe le même jour de la
résolution du sommet de la francophonie insistant sur le respect des
droits humains... Ce silence et cet embarras montrent que l’acte est
démesurément injustifié. Il n’y a absolument rien à dire ! Ce silence
embarrasse et valide l’acte bananier qui vient d’être commis. Je crois
que c’est le moment pour les créateurs, écrivains, artistes,
journalistes et autres cinéastes de s’unir pour rétablir le droit à
l’expression. »
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Par K. S. (El-Watan)
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extraits :
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Page 126:
14 SEPTEMBRE
Je reprends ma plume dans les colonnes du Soir.
C’est ma seconde grande riposte adressée aux conspirateurs.
Une
riposte inespérée, car rien ne laissait deviner mon retour à l’écriture
: mon journal était toujours suspendu, la presse du Territoire me
fermait ses portes et, pour ne rien arranger, la maladie de Parkinson
m’avait ankylosé le bras droit.
Qui peut déjouer les lois de la vie
? « Si tu écris, c’est parce que tu es encore vivant.Qui peut te le
reprocher ? » assure le poète marocain. Écrire !
« L’écriture est pour toi comme une prière adressée à la vie pour qu’elle continue à te visiter. »
C’est ce que je retiens d’Abdellatif Laâbi. Écrire !
Il y a dans les répressions comme la part d’une terrible impuissance.
À
l’heure où je retrouvais les lecteurs grâce à la formidable hospitalité
de mes camarades du Soir, à cette heure de retrouvailles émouvantes
après deux années d’emprisonnement arbitraire, il me revint ces mots de
Camus éprouvés par le temps, le sang et le triomphe des idées : « Une
police, à moins de généraliser la terreur, n’a jamais pu résoudre les
problèmes posés par l’opposition.»
Le prix Nobel est mort avant
d’avoir pu vérifier que de cette terre qui lui a valu d’éternelles
controverses, a jailli, un jour de juillet 1962, le bien-fondé d’une si
élémentaire et si profonde pensée. En revanche, Kaiser Moulay et Le
Grand Vizir Yazer, qui ne désespèrent pas de pasticherMassu, un
demi-siècle après sa déroute, s’activent toujours à réduire les
indocilités sociales et politiques par le gourdin et les tribunaux. Ils
apprennent, un peu tard mais avec tout le bénéfice de l’âge, que de ce
côté-ci de la Méditerranée, il n’est pas rare de voir un esprit
récalcitrant,
un syndicaliste rebelle ou une plume têtue se relever intacts de leurs barbaries, de leurs prisons comme de leurs chantages.
La
leçon a dû être particulièrement singulière pour le Grand Vizir, père
de l’historique appel de Djelfa, percepteur intransigeant des petites
et grandes factures, et qui découvrit, à sa grande surprise, qu’on peut
« payer » sans forcément se ruiner, ruiner sa dignité et ses principes.
Page 129 :
OCTOBRE
Je regarde cette photo embarrassante du directeur d’un journal indépendant recevant le leader intégriste Rabah Kébir.
J’ignore
comment ce tueur en chef a atterri dans une rédaction qui portait
encore les marques de ses forfaits, mais je dois, à l’évidence,
reconnaître qu’il y a une science qui reste pour nous méconnue :
blanchir les crimes.
Elle a fait la pérennité de générations de tyrans.
Notre
chef de gouvernement se livrait à cet exercice, ce jour-là, en
recyclant la technique de deux célèbres bourreaux : Massu et Ariel
Sharon.
Avec la foi du représentant de commerce, Abdoul le Persan
affirmait devant la presse que le problème n’était désormais plus dans
le danger terroriste mais dans la montée de la délinquance juvénile.
Avec cette précision
jubilatoire : les délits liés à la petite et
moyenne criminalité étaient en hausse alors que ceux rattachés au
terrorisme connaissaient un déclin heureux.
Abdoul le Persan se
livrait, là, à un vieux subterfuge. Par cette sournoise similitude
entre le larcin de rue et l’explosion d’une bombe, il reléguait l’acte
terroriste au rang de vulgaire maraudage et pensait ainsi rétablir la
sérénité par le mensonge. Rien n’est en effet plus rassurant pour
l’opinion que de savoir qu’à l’échelle des menaces, le pickpocket avait
déclassé le terroriste et qu’elle avait, en conséquences, plus à
craindre pour le portemonnaie des vieilles dames que pour la sécurité
de la patrie !
Le chef du gouvernement aligatorien n’ignore pourtant
rien de la petite différence qui sépare le pickpocket du terroriste et
qui rend dérisoire toute comparaison : le projet. Le premier n’en a
pas, il vole pour lui-même ; le second en a un, très politique, il tue
pour renverser le pouvoir en place.
L’inconvénient, pour Abdoul le
Persan est que cette fumisterie, à laquelle tous les régimes
oppresseurs s’étaient déjà adonné, à commencer par les plus grands,
l’occupant français et l’occupant israélien, était vaine.
La
jubilation d’Abdoul le Persan rappelait, en effet, celle d’Ariel
Sharon, après que l’élévation d’un mur pour séparer Israël des «
territoires » eût provoqué une baisse des attentats. Celle-là même que
l’on avait entendue,
jadis dans la bouche du général Massu après la
bataille d’Alger : « Après tout, nous avons ici beaucoup moins de morts
causées par les terroristes que l’on n’en a ailleurs du fait des
accidents de la route ! »
La péroraison suggérait que la défaite des
« terroristes » était à ce point consommée qu’elle en est arrivée à
faire moins de victimes que l’excès de vitesse.
On connaît la suite peu glorieuse que le temps réserva à ces tartarinades.
Mais,
à voir un des plus hauts dirigeants aligatoriens rétablir les vieilles
ficelles de l’armée coloniale et imiter, dans le jésuitisme, le
bourreau de Ben M’hidi et celui du peuple palestinien, on en vient à
conclure que les grands esprits finissent toujours par se rencontrer et
que la mode du matamore, qui survit aux plus grands revers de
l’histoire, restera décidément la valeur sûre en politique, en tout
temps et en tout lieu.
Oui, Coluche avait bien raison, c’est pas
compliqué, en politique, il suffit d’avoir une bonne conscience, et
pour ça il faut avoir une mauvaise mémoire !
Page 276 :
Les
faits donnaient raison à la résistante : « L’occupant français n’a pas
laissé que les blessures, les deuils et l’écrasement de la personnalité
nationale.
Il a surtout pondu les oeufs de la future dictature des
Frères Ali Gator, descendance hybride d’un occupant dont ils ont hérité
de l’art du mépris et de la science de l’abaissement Car enfin, la
manipulation… Il ne suffisait donc pas d’emprunter à Massu le raccourci
pour nier l’ampleur du terrorisme, il fallait encore puiser dans
l’argumentaire colonial ce vocable outrageant, « la manipulation »,
conçu pour discréditer le combat et délégitimer les combattants.
«
La manipulation » qu’on opposait déjà aux salves du 1er novembre 1954,
pour les présenter, elles les premières explosions qui allaient
emporter un ordre discriminatoire, comme une inavouable instrumentation
orchestrée par une poignée d’aventuriers.
On a même imité chez Massu
la façon, à la fois déchaînée et dérisoire, de répondre aux
revendications. Hier, on mobilisait le contingent et l’arsenal de la
troisième puissance mondiale pour mater la « rébellion »; aujourd’hui,
on fait donner la charge aux pacifiques manifestants par les compagnies
nationales de sécurité (CNS), les nervis ou même, tenez, les hommes de
main recrutés le temps d’une grève pour casser du gréviste.
Et vous messieurs, qui vous pardonnera ?
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Extraits du livre "portant atteinte à Novembre"
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PAGES 178-179
AVRIL
Comment s’acheter un peuple apprivoisé ?
Je retrouve dans la bouche d’un leader démocrate l’obsession de
Massu, de Rastignac et de tous les intrigants de la planète.
Et je regarde nos politiciens perplexes devant cette emplette impossible.
Enfermés dans des corporations du délire et de la vanité, ils se préparent
à des élections qu’elles savent boudées, ignorées par le peuple
occupé, lui, à de moins nobles soucis.
« Achetez-moi un peuple ! », semble dire chacun de nos postulants au
strapontin. « Un peuple qui vote, cela va sans dire, et un peuple assez oublieux
pour ne pas vous rappeler vos promesses trahies. »
Je pensais que ces caprices étaient la marque des politiciens impopulaires
qui désespéraient de leur impopularité. Voilà qu’ils deviennent
aussi le credo de démocrates du Territoire, c’est à dire de politiciens qui
devraient être aux côtés du peuple, même quand il boude les urnes,
plutôt que du côté de ceux qui se désolent que la populace ne s’associe
à leurs farces électorales.
Je ne doute pas que parmi nos amis démocrates beaucoup font
confiance à l’admirable avantage d’être politicien, c’est à dire, selon le
bon mot de Claude Fournier, celui de toujours pouvoir se convaincre
qu’en avançant soi-même on fait automatiquement progresser le peuple.
Belle chimère même si les chimères ne font pas une carrière politique.
N’est-ce pas déjà tard et vain ?
Dans le Soir, quelques jours plus tard, l’article d’un moudjahid historique,
Mohamed Mechati, m’apprend qu’avec ces législatives de
mai 2007, nous ferons un clin d’oeil à la grande insurrection de
Novembre, l’époque où, selon Mechati « le peuple ne croyait plus à
l’action politique. »
L’auteur nous rappelle qu’à la veille de l’insurrection « Le peuple se
sentait frustré par certains de ses dirigeants préoccupés essentiellement par
la course au pouvoir. »
Un demi-siècle plus tard, rien n’a vraiment changé. Pendant que le
peuple se noie dans la solitude, les opposants républicains bavent déjà
sur leur plat de lentilles : quelques sièges dans l’hémicycle du bourreau
Il faut assurément avoir de l’estomac.
L’histoire a eu, comme ça, ses vrais décideurs et ses boute-en-train,
ses puissants souverains et ses bouffons du Roi, le tout formant cette
confrérie de politiciens amoraux, habiles dans le mensonge et désinvoltes
devant le malheur, qu’il nous est donné loisir de voir et, hélas,
aussi d’écouter. Il n’y a, après tout, aucune raison pour notre pays
d’échapper à la règle de l’histoire : il a eu ses Saladin et ses Savonarole,
il aura ses Raspoutine.
Mais revenons à l’article de Mechati pour déplorer qu’un autre historique,
Rédha Malek, ne l’ait lu. Car enfin, que venait-il faire, lui qui
compte parmi les derniers historiques encore en vie, que venait-il faire
au milieu de cette communauté d’esprits cyniques et sans grande
confession politique ? L’homme au riche parcours a-t-il mesuré le
risque qu’il y avait à donner de nos démocrates l’image classique et
haïssable de l’escobarderie politique ? On le pensait étranger à ce monastère
de l’intrigue et de l’ambition, et voilà qu’il s’en désigne comme un
des plus fervents cardinaux. Mesure-t-il ce qu’il lui faudra trahir de
réputations pour faire partie de l’ordre des camelots ? Il lui faudra
s’initier, au crépuscule de sa vie, aux techniques de l’immoralité, à l’art
du mensonge, à l’impudeur du renoncement, aux inconvenances du
pharisaïsme, bref à toutes ces vulgarités qui font le cynisme en politique
et qu’on n’a jamais connues à Rédha Malek.
Pourquoi avait-t-il choisi de finir, lui le négociateur d’Évian, dans le flagrant
délit de bricolage, annonçant une fausse alliance par ci, un faux ralliement
par là ?
C’est que les collèges de l’esbroufe ont toujours besoin d’enseignes
en trompe-l’oeil et Rédha Malek aurait dû le réaliser avant d’en être le
proviseur.
PAGES 228-229
Ce fut un lundi après-midi, au Sénat, qu’Abdoul le Persan réalisa l’incommodité
d’être à la fois le mauvais génie du Kaiser et son mauvais chef du
gouvernement.
La tribu des Têtes-képi l’avait désigné aux tirailleurs professionnels : il
n’en avait plus pour longtemps.
Agissait-elle pour le compte d’un clan, la sénatrice Zohra Drif lançant,
ce jour-là, un premier projectile à la face d’Abdoul le Persan ?
« M. le chef du gouvernement, je suis navrée de vous dire que, hélas, le citoyen
ne croit pas en vous, en vos institutions, en votre politique… En plus des difficultés
de la vie quotidienne, les citoyens ressentent des signes de frustration, d’extrémisme
et de dérive. Ils font face à la violence, au gaspillage flagrant des deniers
publics, à l’absence de gestion, au vol et à la corruption, à l’immigration illégale
(harragas), à la fraude aux examens, notamment au baccalauréat. Voilà la réalité
aujourd’hui,M. le chef du gouvernement ».
Puis, regardant la salle accrochée à ses lèvres, elle s’autorise une deuxième
bombe :
« Votre programme ne sera pas réalisé parce que la situation n’est pas bonne
dans le pays et parce que le citoyen, qui est le premier concerné, se considère
comme non concerné. Ce sont des réalités qu’il faut regarder en face ».
Puis une troisième : « Aux dernières élections législatives, le peuple par son
boycott, nous a transmis un message clair : il ne se sent pas concerné. Ecoutons-le. »
Epuisée, elle éclata en sanglots.
Qui pleurait, de la sénatrice aux cheveux blancs ou de l’insoumise
guérillera ? La première, par simulation ? Je ne sais pas. Peut-être est-ce
d’impuissance, au souvenir d’une jeunesse sacrifiée pour si peu de
lumières. Peut-être était-ce la seconde, de dépit, la fellaga qui avait vu
monter les cris de la population dépenaillée, ces cris qui, un demisiècle
plus tôt, à l’époque du twist, lui avaient fait sécher les cours de la
fac d’Alger et préférer la compagnie de Ali la Pointe à celle des damoi-
seaux twisters… Allez savoir… Ou peut-être, après tout, n’étaient-ce
que des larmes de joie, celle, indéfinissable, de la résistante qui venait
de réussir son dernier attentat contre l’injustice et le mensonge.
Je préfère me ranger, pour ma part, à cette hypothèse là : la sénatrice
Bitat pleurait du bonheur d’avoir redonné une seconde vie à la
combattante Zohra Drif. A l’insurgée de 1956. La fille de Vialar, Zohra
la rebelle, l’étudiante qui séchait les cours de la faculté de droit d’Alger
pour les réunions clandestines du FLN, la tigresse de la bataille d’Alger,
condamnée à mort à l’âge de vingt ans pour une bombe justement,
placée avec audace au milieu d’un restaurant pied-noir…Oui, c’était bien
l’insoumise de la Casbah qui, ce lundi après-midi au Sénat, semblait
rejaillir d’un temps oublié, les bombes à la main, pour se venger des
injustices faites à ce peuple damné. Le gouverneur avait changé de
nom, de Lacoste en Abdoul le Persan. Mais l’injustice était restée la
même : population dépenaillée, asservie, dépouillée de son avenir et de
ses rêves…
Oui, contre les supputations politiciennes, je préfère finalement
cette version. Elle confirme la cicatrice salutaire de Barberousse : on ne
peut avoir séjourné dans ses geôles macabres, dans ses couloirs de la
mort à attendre son tour pour la guillotine qui décapita Zabana et Yveton,
on ne peut avoir compté les nuits de Barberousse sans se rappeler
à jamais la cause pour laquelle on y était entré.
Oui, je préfère croire à un «seuil de l’allégeance » comme on parlerait
d’un seuil d’incompétence, une limite au-delà de laquelle la raison
finit par l’emporter, la raison ou l’histoire, la mémoire ou le regard de
l’absent... Tout homme a droit à son aggiornamento moral. Même
Mme Drif !
La sénatrice Bitat agissant pour le compte de Kaizer Moulay ou pour
celui d’un clan opposé ? Non, je n’ai entendu que l’étudiante Zohra
Drif interpeller le Palais pour avoir si atrocement mutilé les rêves d’indépendance.
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Les extraits du livre "banalisant les crimes coloniaux"
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JANVIERIl était minuit quand Kaiser Moulay se remit à croire à l’immortalité.
« On gravera mon nom sur le Nobel 2008 et du haut d’un minaret de
300 mètres, le plus haut du monde, on le soufflera à l’oreille de Dieu ! »
C’est tout l’avantage du bunker : on y récupère vite un moral d’acier.
Sans doute parce qu’on s’y offre le privilège de s’épargner les questions
désagréables, comme celle de savoir comment ne pas déplaire à la postérité
quand on n’a pas eu le génie de plaire à son siècle. Ou parce que,
y méprisant les vérités laissées par le temps, celles de Voltaire par
exemple, à propos du siècle de Louis XIV, on oublie que les titres ne
servent à rien pour la postérité et que le nom d’un homme qui a fait
de grandes choses impose plus de respect que toutes les épithètes.
En haut, dans la foulée, les Barbies pleureuses nous firent l’amitié
d’improviser un second spectacle.
Habillées en âmes chauvines ulcérées, en islamistes révoltés et en
patriotes de la 25e heure repartant en guerre, elles avaient larmoyé, sangloté
et même tremblé de rage après le refus de Nicolas Sarkozy, à
Alger même, de s’excuser pour les crimes de la colonisation.
Elles furent sublimes de duplicité !
Leurs exaspérations relevant de la tartuferie avaient ce quelque chose
de sordidement factice auquel s’identifie si brillamment notre régime.
On aurait dit de l’amour pour le pays, de l’attachement à Novembre,
de la compassion pour les victimes des hordes coloniales !
On aurait dit des âmes aff ligées.
J’observais avec quel talent l’une d’elles, habillée en chef de gouvernement,
exigeait, les yeux en larmes, que la France s’excusât pour ses
crimes entre 1830 et 1962 et, dans le même temps, avec une splendide
magnanimité, dispensait les assassins terroristes, du pays ceux-là, de cette
même repentance pour des meurtres plus récents ! Comme si ce n’était
pas dans la même chair que le couteau fut planté.
Elles interprétaient avec une telle virtuosité le rôle d’exubérants gardiens
de la mémoire et de l’honneur du drapeau, qu’on en oublia
qu’elles furent muettes quand cette même mémoire fut souillée par
Rabah Kébir, annonçant que le FIS s’inspirait du PPA, s’amusant à
l’odieux parallèle entre le parti de la haine et celui du sacrifice, entre
MadaniMezrag et Rabah Bitat, entre le fils de Hassan El Banna et le père
du FLN. Entre l’assassin et le libérateur.
Nos Barbies pleureuses avaient oublié de pleurer en ce moment là.
Je n’ai entendu aucune de leurs voix mortellement nationalistes, ni
même d’ailleurs celle des anciens maquisards qui semblent toutes
converties à l’art du possible, je n’ai entendu aucune d’elles protester
de ce que Boudiaf soit assimilé à Naegellen. Le premier avait interdit le
FIS pour sauver une idée de la République. Le second avait interdit le
PPA pour sauver l’occupation coloniale.
Mais comme toujours, elles en firent trop.
C’est le péché des pleureuses : l’excès de larmes.
Alors, le père d’un lycéen qui manifestait, les interpella : « Le peuple
n’a-t-il pas autant besoin d’une repentance pour les crimes commis avant l’indépendance
que pour les injustices qu’il endure depuis 1962 ? Car vous, messieurs,
qui vous pardonnera ? »
Pour reprendre la formule de Jules Renard, on se repent toujours
des torts irréparables, des torts qu’on a eus envers des gens qui sont
morts. À quel droit ouvre donc le statut des vivants ?
Les Barbies pleureuses ne savaient quoi répondre au père du lycéen.
Une universitaire, accompagnée de sa mère, vieille résistante, se leva
alors et répondit :
« L’occupant français n’a pas laissé que les blessures, les deuils et l’écrasement
de la personnalité. Il a aussi pondu les oeufs de la future dictature
des Frères Ali Gator. Oui, les pouvoirs totalitaires qui se sont succédé à la
tête du pays depuis 1962 ne sont rien d’autre que la progéniture hybride
de l’occupant. Ils en ont hérité l’art du mépris et la science de l’abaissement.
Il faudra bien qu’un jour on se penche sur la relation filiale entre colonialisme
et dictature. »
Quel génie ! Novembre, ce ne serait plus seulement revendiquer la
repentance de la France coloniale, ce serait, aussi, obtenir celle des
régimes joumloukistes.
L’universitaire qui apostrophait nos Barbies pleureuses me fit penser,
de nouveau18, à Jacques Derrida, le philosophe disparu, l’enfant
d’Alger qui deviendra par la suite l’un des plus célèbres penseurs
contemporains : « Possible ou impossible, le pardon nous tourne vers le passé.
Il y a aussi de l’à-venir dans le pardon. Nous aurions, me semble-t-il « contre
l’oubli », un premier devoir : pensons d’abord aux victimes, rendons-leur la voix
qu’elles ont perdue. Mais un autre devoir, je le crois, est indissociable du premier
: en réparant l’injustice et en sauvant la mémoire, il nous revient de
faire oeuvre critique, analytique et politique. Citoyens de l’État dans lesquels
nous vivons ou citoyens du monde, au-delà même de la citoyenneté et de l’État-
nation, nous devons tout faire pour mettre fin à l’inadmissible. Il ne s’agit
plus seulement alors du passé, de mémoire et d’oubli. »
L’éminent intellectuel, qui porte un regard charnel et émouvant sur
son pays natal dont il reconnaît à l’héritage qu’il en a reçu « quelque
chose qui a probablement inspiré mon travail philosophique », avait tout
résumé : « Nous n’accepterons plus de vivre dans un monde qui non seulement
tolère les violences illégales mais, viole la mémoire et organise l’amnésie de
ses forfaits.Notre témoignage critique doit transformer l’espace public, le droit,
la police, la politique de l’archive, des médias et de la mémoire vive. »
Et l’homme, regardant les Barbies pleureuses qui continuaient de se
lamenter, répétait inlassablement sa question :
« Et vous messieurs, qui vous pardonnera ? »
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Pages 110-111-112
Alors,
elles sont seules… Seules et déterminées. Ici, elles habitent un pays
de cimetières et elles ont vu payer le prix de la lumière... Ces
femmes, de mères en filles, ont appris dignes, seules, à pleurer le
fils et le mari et personne n’a plus assez de deuils pour leurs coeurs !
Comme le dit Benjamin Constant, les peuples qui n’ont plus de voix n’en ont pas moins de la mémoire.
Sans
doute existe-t-il chez de larges catégories de la société, des raisons
de ne pas partager la colère de ces mères. La plupart opposent le souci
de ne pas ajouter aux désarrois les polémiques improductives. Soit.
Après
tout, les juristes ont peut-être raison de nous mettre en garde contre
nos furieuses passions : ces tueurs qu’on élargit ont quand même fait
l’objet d’un référendum et d’une loi. Et les intégristes, dans leur
infinie hypocrisie, se sont toujours servis de nos impulsivités pour
racheter leurs âmes. C’est dans ces moments que le Diable, selon
Jacques Vergès, qui eut à le défendre souvent, « se met à souffrir
d’une solitude insupportable qui le place du côté de l’humanité ». Bien.
Le
propos, c’est entendu, n’est donc pas de savoir si le pouvoir a commis
un impardonnable péché en relâchant les tueurs intégristes avant
l’expiration de leur peine.
Faut-il pour autant s’abandonner à cette
bienveillante béatitude devant l’immonde profanation de la mémoire ?
Maîtriser sa colère dispense-t-il, dans ces terribles moments, de
s’impliquer, aux côtés des familles victimes du terrorisme, dans un
combat urgent qui se profile à la faveur de cette « réconciliation
nationale » et dont l’enjeu n’est rien moins que le projet national ?
Car si l’on déduira avec Maître Brahimi qu’il serait suicidaire pour
les démocrates de « se situer sur un terrain de non-droit , il le
serait tout autant, pour nous tous, de nous en tenir au stérile statut
de “démocrate observateur” ravi que le droit suive son cours ».
Le
droit, c’est connu, ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Combien de
criminels ont été, longtemps, bien longtemps après leurs forfaits,
rattrapés par leur passé ? Klaus Barbie pour des crimes commis en 1942,
Paul Touvier jugé en 1973 pour avoir fusillé des Français en 1944,
Papon condamné en 1999 pour ses raf les de 1942… « Le temps efface
beaucoup de choses mais pas tout », avait alors dit le Président
Pompidou.
Le droit s’arroge toujours un droit d’inventaire dans le passé des criminels.
Layada
et ses gangs doivent-ils échapper à la règle par le fait de notre
apathie ? Faut-il être nécessairement juif, victime de la Shoah, pour
enfin disposer du droit d’accuser son bourreau de crime contre
l’humanité ?
Nos juristes dévoués à la cause anti-intégriste ont un
devoir d’encadrement de ces familles endeuillées par les terroristes
islamistes et dont les commanditaires, Layada, Kertali, Hattab, Benhadj
et Abassi, sont au moins aussi coupables que Papon pour la rafle du
Vél’d’Hiv, que Touvier pour la fusillade de Rillieux-La-Pape ou que
Klaus Barbie pour les déportés d’Auschwitz. La présidente de
l’association Djazaïrouna a mille fois raison de brandir le recours aux
juridictions internationales si la justice des Frères Ali Gator venait
à persister dans sa duplicité : il est temps que les crimes des
islamistes soient traités comme des crimes contre l’humanité.
Quant
aux outrages de mémoires, oeuvres souterraines de révisionnistes
enfouis dans une littérature de la compromission, il faut bien en faire
notre affaire ! Passe que des éditorialistes, sublimés par le qamis de
Benhadj, le désignent sous le sobriquet, qu’ils pensent f latteur, de
Savonarole : ils oublient que le prédicateur italien, adversaire des
arts et des lettres, a fini excommunié puis abandonné par le peuple
avant de mourir pendu puis brûlé.
Papon ? Il n’est jamais très loin.
J’écoute
un de mes amis politiciens, parmi les plus boutef likistes des
démocrates de mon pays, chaud partisan de la réconciliation nationale
et accessoirement opposant politique, plaider sa propre cause avec des
accents touchants : « Nous avons certes soutenu la Charte de la
réconciliation nationale, mais pas pour que la défaite militaire du
terrorisme se transforme en victoire politique de l’islamisme comme on
le constate aujourd’hui. »
De Papon à Bousquet, tous les grands
collaborateurs du régime hitlérien ont eu cette même réplique dérisoire
et désespérée pour atténuer les effets tragiques de leur complicité : «
Oui nous avons bien livré des juifs aux nazis, mais on ne savait pas
qu’ils étaient destinés aux fours crématoires. »
On peut donc
conclure à la décharge de notre ami opposant et de tous les comparses
occasionnels de la réconciliation nationale qu’ils « ne savaient pas. »
Ils « ne savaient pas » qu’ils avaient accompagné une marche vers
l’abdication de la République, ils « ne savaient pas » que les
islamistes allaient revenir en force grâce à la Charte, ils « ne
savaient pas » que Rabah Kebir allait rentrer au pays après les délais
pour exiger publiquement la création d’un nouveau FIS et ils « ne
savaient pas » que Kaiser Moulay, selon le propre aveu du chef
islamiste, lui avait déjà donné son feu vert. Ils « ne savaient pas »
que le référendum du 29 septembre 2005, auquel ils ont applaudi,
s’intégrait dans un plan global, machiavélique, qui leur échappait,
qu’il était l’acte légal par lequel allait
s’opérer la capitulation,
la date de la renaissance de l’islamisme politique après quinze années
de résistance, de larmes et de douleurs Ils « ne savaient pas »…
Ils
n’ont fait qu’aider au transport des explosifs, ils ignoraient le
sinistre usage qui en allait être fait et ils n’ont pas appuyé sur le
détonateur.
Faut-il alors quand même considérer qu’ils portent une
grosse part de responsabilité dans le probable retour du FIS ? Hélas !
oui. Ils ont failli, en tant que démocrates, dans la conduite morale de
la politique, c’est-à-dire dans ce qui nous différencie des
opportunistes et des islamistes : l’attachement à des principes
républicains inoxydables.
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Les
grands desseins marchant toujours par deux, la seconde ambition secrète
de Sarkozy pour le Territoire des Frères Ali Gator est, elle, fourrée à
l’intérieur d’un grand rêve secret : l’Union méditerranéenne.
Pour
Sarkozy, il s’agit d’un objectif doublement capital. D’une part, en
tant que Commonwealth français, il va enfin redonner à la France une
partie de l’influence perdue.D’autre part, il va « blanchir » Israël et
accélérer son intégration dans la communauté internationale.
La France sait plus que jamais que son avenir de puissance influente n’est plus en Europe.
Sur
le plan économique, l’Allemagne, ayant réussi sa réunification, est
loin devant. Sur le plan politique, les Anglais ont pris un leadership
incontesté, soutenus en cela par les pays de l’Est.
Par conséquent
le salut de la France ne réside plus que dans un pari : inventer un
nouvel espace économique et politique où elle pourrait prendre le
leadership et dans lequel ni l’Allemagne, ni le Royaume-Uni ne
pourraient lui faire concurrence.
Elle a donc regardé à son… Sud.
Pour
Sarkozy, il y a aussi Israël qui a tout à gagner de l’Union
méditerranéenne et qu’il faut aider à regagner la respectabilité voulue
sur la scène internationale.
L’intérêt stratégique d’Israël est une
cause pour laquelle Sarkozy semble se dévouer corps et âme. Le
président français doit son élection, en grande partie, aux lobbies
pro-sionistes : le Conseil représentatif des juifs en France (CRIF),
mais aussi et surtout l’AIPAC («The American Israël Public Affairs
Committee» - Comité américain pour les affaires publiques d’Israël),
principal lobby d’Israël aux États-Unis).
Le CRIF et l’AIPAC ont
autant favorisé le succès de Sarkozy que démoli les chances de Chirac
et des chiraquiens. Sarkozy s’est fait subtilement adouber par l’AIPAC
lors de son fameux discours pro-israélien de 2005 à Washington avant de
jouer habilement de son image de « juif hongrois » pour devenir la star
du CRIF. Mais Sarkozy a surtout profité de l’offensive anti-Chirac dont
il est établi qu’elle fut – aussi – menée par les lobbies pro-Israël.
On dit que le CRIF a, en effet, a beaucoup contribué à la chute du
prestige de Jacques Chirac en alimentant méthodiquement la campagne qui
le fit passer pour un voleur et un corrompu.
Ce n’était que
revanche. Le lobby sioniste en France – avec Sarkozy en support depuis
des années – n’a, en fait, jamais pardonné 3 choses à Jacques Chirac :
avoir dans les années 1990 déclaré qu’une bombe trouvée chez une fille
et qui a failli exploser dans un avion de la compagnie aérienne
d’Israël était un coup monté du Mossad ; avoir rendu un hommage
officiel à Arafat ; s’être opposé au plan israélien de morceler le
monde arabe sur une base ethnique et religieuse, plan dont l’Irak
n’était qu’un simple préambule.
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C’est que Boussad est bien le gamin de cette aristocratie anonyme.
Il
parle avec dévotion de son père, lui-même orphelin dès la petite
enfance, fils unique sauvé de la misère par un oncle, instituteur
kabyle, devenu ouvrier ébéniste, puis technicien en tout genre chez un
riche juif algérois qui possédait les illustres cinémas d’Alger, le
Plaza et le Marignan de Bab El Oued, le Colisée et le Versailles du
centre-ville. Il évoque avec admiration cet homme qui s’est saigné pour
instruire ses neuf enfants et qui s’autorisait pour seul luxe, la
cigarette, le luxe maudit qui lui coûta avec le temps, une lente agonie
due à un cancer des poumons.
Boussad reçut de son père deux ou
trois clés pour la vie : l’osmose avec sa société ; le devoir d’être
heureux ; le goût de la création ; la tolérance et l’ouverture sur les
autres…« Je ne me sentais musulman que par mes différences culturelles
vis-à-vis de mes copains juifs ou chrétiens. Et j’en étais fier, bien
sûr », me confia-t-il.
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Je
suis convié sur tous les plateaux en qualité de « journaliste opposant
», dans l’espoir, sans doute, que j’apporte mon seau d’eau à la curée
antinationale. Mes déclarations déçoivent les médias français. À RTL,
je suis l’invité du journal. L’animateur prend soin de me présenter
sous mes hauts faits d’armes de contestataire, et me demande :
- Pensez-vous que l’incident Mohamed Chérif Abbès est clos ?
Je
lui réponds que l’incident est clos diplomatiquement,mais que dans la
réalité la polémique aura révélé un vrai climat de méfiance, une vraie
frustration, un sentiment d’humiliation réel né des derniers
comportements arrogants de Sarkozy sur les crimes coloniaux et
l’immigration.
J’ajoute que mes compatriotes s’estiment fondés à
redouter que derrière ses attitudes ne se cache une stratégie de
reconquête néo-coloniale et ils ont voulu lancer un message
d’exaspération à Nicolas Sarkozy.
Mes propos ne correspondent pas
au message que voulait diffuser la plus célèbre radio de France à cette
heure de grande écoute. L’animateur me relance, un brin courroucé :
- Mais quand même, cela justifie-t-il les propos antisémites du ministre ?
Je
rétorque que Mohamed Chérif Abbès, chargé sans doute d’apporter la
réplique, a exploité tout cela à sa manière, pour des objectifs
politiciens, en leur donnant une teinte islamo-conservatrice, haineuse,
odieusement antisémite, croyant ainsi caresser la fibre populiste dans
le sens du poil. Je précise à l’animateur queMohamed Chérif Abbès comme
le chef du gouvernement Abdoul le Persan font partie de la frange
politicienne opportuniste qui fait de la guerre et de la mémoire un
fonds de commerce mais qui n’en croient pas un mot. « Ni l’un ni
l’autre ne parlent au nom de mes compatriotes qui, eux, condamnent le
recours aux arguments antisémites, exécrables et qui attisent la haine.
»
Jugeant l’instant opportun pour refermer sur moi mes
contradictions, mon confrère français m’interpella avec un sourire
entendu :
- Mais vous-même, Mohamed Benchicou, qui n’êtes pas un
islamoconservateur et avez été emprisonné par le régime pour vos
écrits, vous écrivez dans votre dernier éditorial sur le site
lematindz.net : « Une “relance des relations algéro-françaises’’ qui
reposerait sur notre silence devant le mépris du président français, ne
conduirait-elle pas, d’une façon ou d’une autre, à une recolonisation
du pays, à son arrimage à des intérêts obscurs, à un nouveau
protectorat en quelque sorte ? »
Je comprenais sa perplexité : ma
position perturbait la conception binaire que nos amis français avaient
des gens de ma terre : noirs ou blancs. De quelle nuance grise étais-je
pour, à la fois, me revendiquer de mon époque et user de références
qu’il jugeait médiévales ?
Je lui expliquai qu’il n’était pas besoin
d’utiliser des arguments antisémites exécrables et condamnables pour
décrire un fait incontestable : il y a bel et bien une arrogance
sarkoziste. Ce n’est pas Mohamed Chérif Abbès qui a déclenché les
hostilités, c’est Sarkozy, alors candidat, en s’alignant brutalement
sur les thèses des nostalgiques colonialistes, prisonnier
qu’il était de sa stratégie de séduction de l’électorat lepéniste.
Ensuite,
en tant que président, en rejetant avec mépris la repentance, puis en
commettant le discours de Dakar, puis la politique sur l’immigration,
puis l’ADN, et les diatribes antimusulmanes rapportées par le
journaliste de Libération.
L’animateur, exaspéré, coupe illico le micro.
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