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Au moment où se pose la question de la « diversité » sur les écrans de télévision ou de cinéma, il est nécessaire de jeter un regard rapide sur l’histoire. Les études universitaires sur l’immigration maghrébine, algérienne en France ont jusqu’à présent trop souvent oscillé entre deux pôles. D'un côté, l’histoire sociale, avec les descriptions et analyses autour des systèmes de mise en place de l’exploitation sociale ; de l'autre, l’histoire politique, celle des organisations et des institutions, avec, au centre, la séquence considérée comme inaugurale de la guerre d’Algérie, où sont mis en lumière les tragiques affrontements entre militants nationalistes algériens.
Le samedi 20 septembre 2008, une thèse originale d’histoire soutenue à Paris 8, par Naima Yahi a mis en évidence d’autres facteurs. Il a été cette fois question d’une histoire jamais appréhendée, une histoire culturelle, celle des artistes algériens vivant en France, au-delà de la date fatidique de 1962, moment peu étudié par les chercheurs français. Ce travail de recherche s’arrête à la date de 1987.
Le mérite et la difficulté de cette recherche tient au fait qu’il se situe en permanence dans une sorte « d’entre-deux » : entre les territoires de l’Algérie et de la France, entre les espaces du social et du culturel, entre la subjectivité du chercheur et l’objectivité nécessaire à l’accomplissement d’un travail scientifique. A la lecture de cette thèse se dégage la sensation d’existence d’un « espace mixte » plein d’effervescence culturel entre l’Algérie et la France pendant de nombreuses années, y compris après l’indépendance de 1962. Cette situation singulière dit toute la difficulté à bâtir un corpus singulier d’étude. Dans la circulation incessante ente les espaces, qui peut être considéré comme « artiste algérien » ? Celui qui a choisi de conserver la nationalité algérienne après 1962 ? Celui qui a choisi la langue arabe ou berbère dans la pratique littéraire ou musicale ?
Les artistes issus de l’immigration ont été obligés se confronter (se heurter) à un double défi : à la fois surmonter le processus d’acculturation né au long du temps colonial ; et déjouer les ruses de l’assimilation pendant les années d’installation dans la société française. Double défi qui explique le « travail de l’oubli » dans la production artistique : oublis des drames nés de la guerre d’indépendance algérienne, oubli de la longue présence coloniale française. Dans les années 1960-1980, les artistes algériens semblent exclusivement traiter des douleurs, des blessures engendrées par la solitude de l’exil, et de la misère sociale. De sorte que les artistes « beurs » qui apparaissent après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, se présentent presque en état d’amnésie.Yahi Naima dans son travail d’histoire a utilisé plusieurs sources, riches et variées: la presse française (le Monde, le Nouvel Observateur), les journaux issus de l’immigration nés dans les années 1970-1980 (Sans Frontière, Baraka), et, surtout, une masse considérable d’archives privées (correspondances entre artistes, cartes postales, manuscrits, partitions, ect), ainsi que les archives audiovisuelles (des télévisions française et algérienne.
Les trois grandes parties, des années 1960 aux années 1990 dévoilent un paysage complètement dissimulé, ou en marge, de la société culturelle française. Ces artistes n’ont jamais eu accès aux « médias lourds », en particulier la télévision. Qui connait Slimane Azem, Zeroukhi Allaoua ou Ahmed Wahby, ces chanteurs qui remportaient un succès considérable auprès de leurs compatriotes, juste après l’indépendance de l’Algérie, dans les cafés ou sur les scènes de banlieues ou de province ? Les chanteurs de la seconde génération sont mieux connus : Idir, Ait Menguellet, Ferhat, Djamel Allam. Les écrivains semblent mieux avoir trouvé leur place dans l’espace de publication éditorial, comme Kateb Yacine, Assia Djebar ou Rachid Boudjedra. Les cinéastes de la seconde génération comme Ali Ghanem (« Une femme pour mon fils »), ou Okacha Touita (« Les sacrifiés ») nous entrainent dans des fictions qui ressemblent à des documentaires sur la condition des travailleurs immigrés. Il faudra attendre la professionnalisation de la scène artistique (marketing, promotion, studios) et l’apparition d’un nouveau public nouveau, jeune et nombreux pour que les artistes issus de l’immigration algérienne apparaissent enfin en pleine lumière. Mehdi Charef, avec « Le thé au harem d’Archimède », au cinéma, Leila Sebbar dans le domaine littéraire, « Carte de séjour », dans l’espace musicale. La figure positive du « beur » vient se substituer à celle de l’immigré, écrasé par le travail et l’analphabétisme.Le travail de Naima Yahi, ouvre un champ d’investigation originaldans la connaissance de l’histoire de l’immigration, et place le débat sur « la diversité » dans une perspective de longue durée. Et se pose, avec l’école ou la pratique politique, la question de l’espace culturel, créatif, comme outil d’installation des immigrés et de leurs enfants dans la société française. Il faut espérer que cette thèse soit rapidement publiée…
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Benjamin Stora.
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