Parution du deuxième tome des mémoires de Ahmed Taleb Ibrahimi
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Plusieurs fois ministre, Ahmed Taleb Ibrahimi a publié le deuxième tome de ses mémoires sous le titre La Passion de bâtir. Si Houari Boumediene a droit à tous les éloges, Abdelaziz Bouteflika en prend pour son grade.
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Ahmed Taleb Ibrahimi: La torture était pratiquée à grande échelle dans l’ Algérie libérée.
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Après le premier tome de ses mémoires Rêves et épreuves (1932-1965) publié en avril 2006, Ahmed Taleb Ibrahimi a présenté, en mai 2008, la seconde partie sous le titre La Passion de bâtir (1965-1978).
Ahmed Taleb Ibrahimi, 75 ans, est le fils de cheikh Bachir Ibrahimi, initiateur du courant fondamentaliste algérien au début du siècle dernier. Étudiant en médecine à Paris, il a milité au sein de la fédération de France du FLN, ce qui lui a valu un premier séjour en prison où il a partagé, au centre de détention de la Santé (Paris), de longs moments de captivité avec les “cinq” (Boudiaf, Khider, Aït Ahmed, Ben Bella, Lacheraf). Après l’indépendance, en 1962, il retournera en prison sous Ben Bella, avant d’être plusieurs fois ministre sous Houari Boumediene et Chadli Ben Jedid, chargé, tour à tour, de l’Éducation nationale, de l’Information et la Culture, et des Affaires étrangères. Il a également été candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2004 contre Abdelaziz Bouteflika.
Dans le premier volume de ses mémoires, l’auteur rappelle l’ambiance qui règne au seuil de l’indépendance.
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Sommet
Il épingle les luttes fratricides entre les compagnons d’armes d’hier et les méfaits de la course au pouvoir. Il se dit «ahuri par cette capacité d’oubli des morts» tant chez l’homme de la rue que chez les hommes du gouvernement. Il réserve un traitement sans ménagement à Ahmed Ben Bella, avec une plume au vitriol. Les Algériens, écrit-il, «sont découragés par un pouvoir qui ne brille pas seulement par la démagogie et l’improvisation, mais également par les innombrables atteintes aux droits de l’Homme»; la torture étant «pratiquée à grande échelle». Partant de là, il est normal que l’auteur se réjouisse du coup de force de Boumediene qui a fait tomber Ben Bella; «c’est le sort de tous les tyrans», dit-il.
Il était tout autant prévisible que le docteur Taleb Ibrahimi ne tarisse pas d’éloges à propos de Houari Boumediene. Et tienne à le dire à coup de superlatifs. C’est la période que couvre le deuxième tome de ses mémoires, une véritable consécration de “l’œuvre de Boumediene”. Le médecin à l’hôpital Mustapha Pacha, à Alger, désire s’éloigner de la politique, mais le coup d’État du colonel Boumediene le rattrape.
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Polémique
Chérif Belkacem, ministre de l’Orientation à l’époque, lui propose le poste de l’Éducation nationale, où il entamera une politique d’arabisation. Une politique qui suscitera une vive polémique avec les tenants de la langue et de la culture berbères, dont l’élite, généralement francophone, est animée par Mouloud Mammeri.
À l’évidence, Ahmed Taleb Ibrahimi n’aime pas Abdelaziz Bouteflika. Il raconte que ce dernier, alors ministre des Affaires étrangères, tenait à créer, à l’occasion de la nouvelle constitution de 1976 élaborée par Mohamed Bedjaoui, un poste de vice-président, élu en même temps que le Président, sur le même “ticket”, à l’américaine. C’est ce que révèle à Ahmed Taleb Ibrahimi, Houari Boumediene hospitalisé à Moscou, en octobre 1978: «On a beaucoup épilogué sur mes relations avec Bouteflika. La vérité, c’est que Abdelaziz était un jeune homme inexpérimenté, qui avait besoin d’un mentor, j’ai joué ce rôle. Sans doute m’en veut-il de ne pas l’avoir désigné comme prince héritier, alors qu’il le désirait». Ces révélations restent d’actualité par rapport au projet de révision constitutionnelle d’un Abdelaziz Bouteflika qui se découvre une vocation de Président à vie.
Dans ce deuxième volume de ses mémoires, Taleb Ibrahimi traite, évidemment, des relations algéro-marocaines, sous le signe de la tension permanente. Il écrit ceci: «Boumediene nous reçoit le 14 décembre 1977, Bouteflika et moi, et nous fait part d’une curieuse information: Hassan II, par des voies détournées, l’a contacté pour des entretiens secrets. Afin de manifester sa bonne foi et sa bonne volonté, le Roi a désigné sa sœur Lalla Aïcha pour entamer le dialogue avec le représentant de Boumediene».
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Eclectisme
Il s’agissait de préparer une rencontre au sommet entre les deux chefs d’État, pour débattre, une fois de plus, du Sahara marocain. Des émissaires marocains ont effectivement rencontré, à Genève, les 6 et 7 septembre 1978, Taleb Ibrahimi, accompagné de Kasdi Merbah, directeur de la sécurité militaire. Le sommet n’aura pas lieu en raison de la maladie du Président algérien. Sauf que Al Watan, dans ses bonnes feuilles du deuxième tome des mémoires de Ahmed Taleb Ibrahimi, s’est gardé de rapporter les deux sommets Hassan II-Boumediene, de 1972 et 1974 à Ifrane et à Fès, sur la même question du Sahara marocain. Un éclectisme à tordre le cou à l’Histoire.
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Abdellatif Mansour
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