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Cinq années se sont écoulées depuis
que Mohamed Dib, une des plus grandes plumes de la littérature
algérienne, s’est éteint, le 2 mai 2003, à l’âge de 83 ans, dans son
domicile de La Celle-Saint-Cloud (France). Il a laissé derrière lui une
oeuvre immense.
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« De Tlemcen,
la ville natale, coeur de la trilogie algérienne d’avant la guerre de
Libération (La Grande Maison, l’Incendie, Le Métier à tisser), à la
Finlande (Les Terrasses d’Orsol, Le Sommeil d’Eve, Les Neiges de
marbre), du Paris des magnifiques poèmes d’Ombre gardienne (1961), au
Los Angeles de L.A. Trip, «roman en vers», Mohammed Dib défie la
frontière entre les genres, mais aussi les chapelles et les modes»
(Nadine Sautel, février 2003).
Mohammed Dib est né le 21 juillet
1920 à Tlemcen où il étudie et termine ses études au collège. Ensuite
il passe une année au lycée d’Oujda, au Maroc, avant d’entrer à l’école
normale d’instituteurs d’Oran.
Sorti sans diplôme, il trouve un
poste d’instituteur à Zoudj Beghal, près de la frontière marocaine,
qu’il occupera entre 1938 et 1940. Les deux années suivantes, il se
retrouve comptable à Oujda au service des subsistances de l’Armée.
En 1943 et 1944, il fait office, à Alger, d’interprète franco-anglais auprès des armées alliées.
Il
est de retour, en 1945, à Tlemcen où il travaille en qualité de
maquettiste (de tapis) dans la corporation des tisserands puis rejoint
une nouvelle fois Alger comme journaliste, en 1950 et 1951, à
«Alger-Républicain». Il écrit également dans le journal du parti
communiste algérien «Liberté».
Mohammed Dib se marie en 1951
avec Colette Belissant la fille de l’instituteur Roger Belissant qui
lui fera découvrir la culture française et l’encouragera à écrire.
Il
écrit, en 1952, sa première oeuvre, de sa trilogie Algérie, La grande
maison, saluée par André Malraux qui le qualifie comme l’un des plus
grands écrivains algériens de langue française.
La grande
maison, inspirée par sa ville natale, décrit à travers le regard d’un
enfant de dix ans, Omar, l’atmosphère et les profondeurs de la société
algérienne. C’est une réalité où règnent misère, mensonges et
hypocrisie. L’action du roman (1939) se situe dans l’immédiat
avant-guerre, au moment où les sirènes des exercices d’alerte
emplissent déjà Tlemcen,
Ce livre qui reçoit un accueil très favorable auprès des milieux nationalistes est très critiqué par la presse coloniale.
Le
fameux passage -souvent cité comme exemplaire- où l’instituteur Hassan
dénonce le mensonge de la France, ne pouvait que déranger «Ce n’est pas
vrai, si on vous dit que la France est votre patrie», lâche le maître
en laissant passer une phrase en arabe.
Omar est un personnage
témoin se mêlant à la foule des rues qui lui renvoient l’écho de sa
culture auprès des gens de sa condition comme Hamid Saradj. En
choisissant un personnage d’enfant, Mohammed Dib signifie aussi que la
vie n’est pas encore jouée et que les forces neuves de la jeunesse
peuvent triompher.
Pour beaucoup «La Grande Maison» reflète les
tendances idéologiques de Mohammed Dib. S’il se prend à dire «nous»,
c’est qu’il s’approprie et ressent les souffrances de ses personnages.
Dans
«L’Incendie» (1954) Omar, encore gamin, va vivre à la campagne et
découvrir la grande détresse des paysans et leurs espoirs. L’action se
déroule en pleine Deuxième Guerre mondiale.
Ce n’est
certainement pas un hasard que «L’Incendie» soit né en 1954, année du
déclenchement de la guerre de Libération. C’est du contexte historique
qui a prévalu au déclenchement du 1er Novembre 1954, nourri de douleurs
et de violences, que Mohammed Dib s’est certainement inspiré.
Dans
ses trois premiers romans transparaît une lente prise de conscience
politique du peuple algérien devant la colonisation. Mohammed Dib
montre comment était vécu le quotidien des plus humbles, là même où la
Révolution s’est faite véritablement ensuite.
«Le métier à
tisser» (1957) est le troisième roman de la trilogie. L’action se situe
à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, une période de grande misère
faite de pénuries et de rationnements.
Cette fois, Omar a grandi
et il est en butte, après deux ans de guerre mondiale, à la
prolétarisation des artisans avec qui il travaille et dont il partage
la misère.
«Un Eté africain (1959)», dernier roman qu’il écrit
en Algérie, dans lequel il aborde la guerre de Libération, précède son
expulsion d’Algérie vers la France. A ce propos, Mohammed Dib
s’exprimant dans une interview accordée au «Magazine littéraire», en
février 2003, souligne: «Pour être plus précis, on m’a «permis» de
venir en France. Malraux est intervenu, mais aussi Camus (qu’à l’époque
je connaissais à peine) et mes amis Jean Cayrol et Louis Guilloux».
Il
s’installe dans les Alpes maritimes en 1959, au Maroc entre 1960 et
1964, pour ensuite revenir en France où il s’installe définitivement,
tout en continuant à voyager à l’instar de cette escapade aux
Etats-Unis où il enseigna en 1976 la littérature à l’université de Los
Angeles.
En 1961, il publie un recueil de poèmes, «Ombre
gardienne», préfacé par Aragon, puis deux romans, «Qui se souvient de
la mer» (1962) et «Cours sur la rive sauvage» (1964) Avec ces deux
romans, Mohammed Dib se défait de l’écriture réaliste, d’avant
l’indépendance, qui l’a fait con¬naître, et qui se manifestait jusque
dans ses poèmes et nouvelles.
Il s’en explique, lui-même, dans
la postface de «Qui se souvient de la mer» «La brusque conscience que
j’avais prise à ce moment-là du caractère illimité de l’horreur (...)
est, sans doute aucun, à l’origine de cette écriture de pressentiment
et de vision».
Naget Khadda, grande spécialiste reconnue de
Mohammed Dib, écrit «Avec «Qui se souvient de la mer» M. Dib entre
résolument dans une problématique moderne de l’écriture où l’effet de
ressemblance avec le réel est abandonné au profit d’une organisation
signifiante qui cherche à rendre compte du réel en faisant fi du
vraisemblable... le roman Dibien n’opère pas un simple changement de
forme, il renonce à être un instrument de connaissance pour devenir
interrogation sur l’homme et expression d’être dans un monde hostile».
Dans
ce roman il rend hommage à la femme «La sagesse de la mer finit
toujours par l’emporter sur les trépignements de l’homme... Sans la
mer, sans les femmes, nous serions restés définitivement orphelins:
elles nous couvrirent du sel de leur langue et cela, heureusement,
préserva maintes d’entre nous! Il faudra le proclamer un jour
publiquement».
Mohammed Dib ne cessa de publier, avec
régularité, quelques 26 titres, «poèmes Formulaires» (1970), «Omneros»
(1975), «Feu, beau feu» (1979), «O vive» (1987), «L’Aube Ismaël»
(1996)), pièce de théâtre (Mille hourras pour une gueuse), contes
(L’Histoire du chat qui boude) alternent et se mêlent aux romans et
nouvelles «Talisman» (1966), «Dieu en barbarie» (1970), «Le Désert sans
détour» (1992), «L’Infante maure» (1994), «Dans la nuit sauvage»
(1995), «Si diable veut» (1998), «Comme un bruit d’abeilles» (2001),
«Simorgh» (2003) et «Laëzza», livre posthume fini deux jours avant sa
mort, pour ne citer que ces titres.
Entre 1975 et 1980 il se
rend plusieurs fois en Finlande où il collabore, avec Guillevic, à des
traductions d’écrivains finlandais. Ces séjours lui inspirent sa
«trilogie nordique», publiée à partir de 1985: «Les Terrasses d’Orsol»
(1985), «Le Sommeil d’Ève» (1989) et «Neiges de marbre» (1990).
Son séjour à l’Université de Californie à Los Angeles lui inspirera son roman en vers «L.A. Trip» (2003).
Souvent ignoré dans son pays d’origine, il n’est guère plus reconnu, à sa véritable valeur, dans son pays d’accueil.
Dans
une de ses dernières interviews, répliquant à Amine Zaoui qui lui
demande si son exil est celui d’un homme politique, d’un travailleur
émigré ou d’un intellectuel? «Ma réponse est très simple: mon exil est
celui d’un travailleur émigré. Après l’indépendance, je n’ai pas trouvé
ma place dans mon pays malgré les promesses et les démarches. J’avais
une famille à ma charge, il fallait bien qu’elle vive. J’avais proposé
l’édition de mes livres en Algérie. Les contrats existent, certains
remontent à 1965, d’autres plus récents, à 1979 et 1981».
Dib a
rencontré plusieurs responsables, ceux notamment de l’ex-Sned à qui il
leur avait proposé ses services, «sans rien réclamer de spécial».
«Aux
premières années de l’Indépendance, en 1964 et en 1965. J’avais fait
plusieurs voyages et, à chaque fois, on me disait qu’«on allait étudier
la question».
La culture a toujours été le parent pauvre dans
notre pays et ce ne sont pas les quelques festivals organisés, destinés
plus au prestige, qui occulteront la déperdition de notre capital
culturel traditionnel et cette résistance aveugle à tout fait culturel
contemporain.
Bannir un des plus grands écrivains qu’aura connu
l’Algérie, et le plus prolifique en chef-d’oeuvres, est un crime que
les quelques poux qu’on a été lui chercher sur sa tête ne sauront
jamais excuser.
Le dernier exemple est ce déchaînement qui a
fait suite à un entretien accordé par Mohammed Dib à la revue mensuelle
française «Magazine littéraire» (édition de février 2003) où l’auteur,
répondant à une question ayant trait à ses livres qui se passent entre
deux pays et entre deux langues, souligne, entre parenthèses, «que les
Algériens devaient avoir honte d’écrire en arabe classique qui est pour
la France l’équivalent du latin ou du grec».
L’indignation fut
grande des «défenseurs» de la langue arabe et des écrivains
d’expression arabe, mais elle s’est manifestée seulement à l’occasion
de la tenue du Salon du livre à Alger en septembre 2003, qui consacrait
officiellement Mohammed Dib, avec des journées d’études traitant de son
oeuvre.
C’est évidemment notre «pourfendeur national» des
écrivains algériens d’expression française, en l’occurrence Tahar
Ouettar, qui se déchaînera et ira jusqu’à contester l’hommage rendu à
ce monument de la littérature contemporaine.
Extraite du
contexte entier de la réponse, cette phrase peut choquer les âmes
sensibles et sourcilleuses d’une constante nationale sacrée.
Dans
sa réponse au «Magazine littéraire», Dib dit d’abord «mes images
mentales sont différentes de celles d’un Français, elles appartiennent
à l’arabe parlé qui est ma langue maternelle» avant l’affirmation en
cause qui, paradoxalement, a donné lieu, pour une fois, à un débat
intéressant sur les origines du conflit linguistique.
La
responsabilité incombe à ceux qui, avec une politique d’arabisation
menée de manière irrationnelle et au pas de charge, dès les premières
années de l’Indépendance, ont créé et alimenté le clivage, dressant un
mur d’incompréhension mutuelle et incité à crier haro sur ceux qui
seront taxés de «Hizb França».
Mohammed Dib appartient à cette
génération qui s’est vu exclue, au lendemain de l’Indépendance. Les
désillusions et les douleurs vécues par l’homme ont, peut-être, donné
naissance à une aversion envers plus un symbole d’un système
destructeur que la langue arabe même.
Dire que Dib ne souffrait
pas de son exil signifie être ignorant de son oeuvre qui traduit, dans
la plupart de ses écrits, le mal-être dans un environnement sans
racines après avoir perdu le sien.
Ecoutons Faïna, le personnage
féminin dans «Sommeil d’Eve» «Je me quitte... Pendant ce temps mon vrai
moi, prolongé au fond d’un puits, est en train de crier au secours».
Puis
il a la nostalgie de son pays «l’émigré ne rêve que de retrouvailles
avec le pays perdu, et de la résurrection que cela signifierait pour
lui. Hanté par l’idée de retour, au vrai, celui-ci espère obscurément
plus que cela: voir son pays venir à lui.(...) Assez loin et plus en
vue en comparaison, se range une catégorie d’exilés bien spéciale:
celle des artistes et autres écrivains. Nulle époque n’a, probablement,
plus que la nôtre compté autant de Jean sans Terre parmi leur gent».
(L’Arbre à dires)
Dib est bien obligé de trouver des repères
dans une société qui n’est pas la sienne et cela transpire dans son
essai «L’Arbre à dires» «On n’évite d’être une âme morte ni là où on a
ses racines, ni là où l’on n’en a aucune, alors que, retransplanté
ailleurs, s’offre au moins à vous l’opportunité, en vous découvrant
autre (...) de donner faculté à des dons ignorés de s’épanouir».
Naget
Khadra, la spécialiste de Dib, écrit enfin «Son pays natal, Dib n’y
habite plus depuis longtemps, mais, comme il arrive presque toujours
dans l’exil, ses livres parlent de la terre qu’il a quittée avec une
ferveur parfois teintée de nostalgie et comme d’une vague rancune pour
tout ce qui aurait pu advenir et qui a avorté. Ils en parlent avec une
hauteur de vue qui produit un effet de distance comme s’il s’agissait
d’une vue surplombante».
Son oeuvre immense et si riche tant par
le nombre de ses romans, de ses poèmes, de ses nouvelles, de son
théâtre, de ses essais et de ses contes lui a valu de nombreux prix
littéraires: Prix Fénéon 1952, Prix de l’Union des écrivains algériens
en 1966, Prix de l’association des écrivains de langue française en
1978, Grand prix de la Francophonie, l’académie Française en 1994
attribué pour la première fois à un écrivain maghrébin, Prix Mallarmé
pour son recueil de poèmes L’Enfant-jazz...
Ce «phénomène littéraire», qui aurait mérité le prix Nobel, nous a quitté mais son oeuvre l’inscrit à jamais dans la postérité.
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par Mohamed Benrebiai
4 mai 2008
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