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Nouvelle ouvrage du criminel de guerre
Paul Aussaresses
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Ce n’est plus seulement un militaire tortionnaire français qui dévoile ses exactions criminelles durant la guerre d’Algérie, cette fois-ci, c’est l’agent secret, un spécialiste des coups bas, des coups tordus et des coups d’Etat, un trafiquant d’armes, un allié des dictateurs sud-américains soutenus par les gouvernements français de droite et de gauche, un membre du service Action du fameux SDECE (Services spéciaux français), un professionnel de la torture désigné pour l’enseigner aux Etats-Unis, un officier de renseignements mêlé à toutes les sauces.
Il est tout à la fois ce général Paul Aussaresses qui vient de mettre
les pieds dans le plat de la cuisine des services spéciaux français en
récidivant par la publication, il y a quelques jours, de Je n’ai pas
tout dit, son dernier ouvrage, dans lequel il livre quelques secrets de
ses agissements, quelques révélations «ultimes». A ce jeu de
questions-réponses, le tortionnaire Aussaresses se prête tellement
qu’on se demande s’il a trouvé le moyen de dévoiler juste ce qu’il faut
pour se venger de ceux qui lui ont ôté la Légion d’honneur. Ainsi, par
exemple, en ce qui concerne l’«affaire Audin», il se suffit à
acquiescer aux hypothèses émises par Jean-Charles Deniau, son
intervieweur, qui maîtrise tellement le dossier qu’il pousse le général
dans ses derniers retranchements, le lecteur comprend que cet agent du
service Action du SDECE reste fidèle au serment des tortionnaires à
s’adonner à un déballage des coups tordus, des coups bas, des ventes
d’armes, des soutiens apportés aux ex-dictatures sud-américaines. Nul
n’est naïf pour croire que ce professionnel de la torture est mû par la
vengeance, la haine ou la rancœur. Nul doute qu’il rend service (le
dernier ?) à la Maison, celle des politiques.
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- Venons-en au mois de juin 1957… Vous aviez presque gagné. Les chefs du FLN étaient partis de la Casbah ?
- Tous, ils s'étaient tous tirés à l'étranger, sauf Yacef Saâdi. Mais,
après une belle accalmie, les attentats et les meurtres ont repris de
plus belle. Le 3 juin, quatre bombes dissimulées dans des lampadaires
explosent à l'heure de la sortie des bureaux près de la station de bus
à Alger. Elles font des dizaines de morts et de blessés. Le 9 juin,
c'est sous l'estrade de l'orchestre du Casino de la Corniche, un
dancing très fréquenté par les jeunes Algérois, qu'explose la bombe.
Les musiciens sont pulvérisés. Et encore une fois des morts, des mutilés, des blessés, et des dizaines de victimes autant musulmanes qu'européennes.
Massu était fou furieux. Il nous convoquait, Trinquier et moi, et nous engueulait comme si c'étaient nous qui avions posé les bombes : «Et ça, c'est quoi, espèce de salauds ? nous disait-il. Hein, qui est-ce qui a fait ça ? Qu'est-ce que vous attendez ?»
J'avais déjà dit à Massu, en janvier 1957, au moment de l'attentat contre le général Salan, que ce genre d'action ne venait pas du FLN, parce qu'ils ne savaient pas faire des trucs comme ça.
Que c'était peut-être le Parti communiste algérien, qui était une
branche du Parti communiste français. Pour faire bon poids, on avait
reçu un ordre de Paris disant qu'il était de première importance de
coffrer les propagandistes de La voix du Soldat, une feuille de chou
d'endoctrinement communiste qui appelait les soldats français à
désobéir et à refuser de faire la guerre en Algérie. Depuis, Massu me
les cassait tous les matins à propos des cocos : «Alors, z'avez pas
encore mis la main sur La voix du Soldat.
Vous servez à quoi ?»
Nous avions donc décidé de nous intéresser de plus près au PCA et de mettre la main sur le chef de son service Action, un certain André Moine.
- Comment ! Vous croyiez sincèrement que les communistes à Alger avaient un service Action ?
- Mais c'était vrai ! Les communistes disposaient de l'équivalent de
notre service Action, c'est-à-dire une cellule secrète avec des experts
en explosif et en armes. J'en avais déjà eu la preuve à Philippeville.
Et des histoires tragiques comme celle d'Yveton, employé au
gaz-électricité d'Algérie, militant du PCA, qui avait été pressenti
pour faire exploser deux bombes dans l'usine à gaz où il travaillait,
ou celle de l'aspirant Maillot, vingt-quatre ans, militant du PCA, qui
avait volé un stock d'armes et s'apprêtait à le livrer au FLN, m'ont
encore confirmé dans mon hypothèse.
Donc, nous concentrions nos recherches sur le PCA quand, le 10 juin 1957, un adjudant de CRS arrête à l'entrée d'Alger le Dr Hadjadj au volant de sa grosse voiture. Pur contrôle de routine. Mais Hadjadj, déjà fiché comme membre du Comité directeur du Parti communiste algérien, était justement celui qui dirigeait la rédaction et l'impression de La Voix du Soldat.
Quand Massu a appris qu'on l'avait arrêté, il a immédiatement pensé que celui-ci devait savoir où était André Moine. Si on voulait en savoir plus sur l'organisation des derniers attentats et sur celle des prochains, il fallait qu'on interroge Hadjadj.
- On en arrive à l'affaire Audin. Vous étiez présent à l'interrogatoire d'Hadjadj ?
- Non. Je ne pouvais pas être partout !
- Mais vous lisiez tous les rapports à ce sujet…
- Bien entendu. Dans les papiers d'Hadjadj, il y avait le nom de
Maurice Audin, un jeune professeur de mathématiques, qui était aussi
sur nos listes. Le docteur, spontanément, nous a donné son adresse en
nous disant qu'Audin mettait sa demeure à disposition des militants de
la branche Action du PCA. Il se pouvait donc que le fameux André Moine
y soit. Une équipe a fait une descente. Ils y ont trouvé Audin et l'ont
arrêté.
- Audin, vous êtes allé chez lui ?
- Oui, je suis allé chez lui dès que j'ai été prévenu de son arrestation. J'espérais découvrir l'adresse d'André Moine.
- Vous avez vu sa femme et ses enfants ?
- Oui. Et j'ai vu Henri Alleg, qui s'est fait prendre dans la souricière que nous avions installée chez Audin.
- Et qu'est-ce qui s'est passé après ?
- Eh bien, il fallait répartir tout ce beau monde et mettre ces gens
quelque part en attendant qu'on ait un peu éclairci leur situation. Ils
ont étéconfiés à des régiments.
- Et AIleg et Audin, ils ont été confiés à qui ?
- Au régiment du général Fossey-François, je crois.
- Et à un certain lieutenant Charbonnier ?
- Oui, c'est ça. Mais Charbonnier était de mon régiment, du 1er RCP.
- Qu'est-ce que vous avez demandé à Charbonnier ? De les interroger ?
- De les interroger, bien sûr. C'était évident. Ils étaient là pour ça.
- C'est donc ce qu'il a fait. Et Alleg a été libéré ?
- Non, il a été fichu en taule.
- Il est resté combien de temps en taule ?
- Je ne sais pas.
- Quant à Audin, vous n'en savez pas plus ?
- Pas plus. Attendez... Il y a eu quand même... Massu, à qui je rendais
compte tous les matins et à qui je descendais le papier tiré du
manifold - pourquoi je n'ai pas gardé le double de ce fichu manifold...
J'ai été stupide de le laisser à mon successeur, La
Bourdonnaye-Montluc, mais c'était l'usage.
- Oui, c'est vraiment dommage ! Mais revenons à Massu.
- Massu me demande si on a interrogé Alleg, directeur du journal Alger
Républicain. Ce journalistc devait savoir pas mal de choses, car il
voyageait beaucoup et était très débrouillard. Il devait donc savoir où
était Moine. Ce que Massu n'a jamais pu comprendre c'est que le Parti
communiste algérien avait diverses branches qui ne communiquaient pas
entre elles. Comme toutes les organisations clandestines sérieuses, il
était cloisonné. Il y avait donc très peu de chances pour qu'Alleg
puisse savoir où était Moine. Mais ça, j'avais beau le lui dire...
- Et Audin, Charbonnier l'a interrogé pour savoir où était Moine ?
- Bien sûr.
- Votre cible, c'était André Moine...
- Oui.
- Et Audin ne connaissait pas non plus l'endroit où il était. Mais ce qui s'est passé avec Audin, vous ne le savez pas ?
- Je ne le sais pas.
- Parce que vous avez promis de pas le dire ?
- Mais je n'ai rien promis du tout !
- Alors, cela restera un mystère ?
- Voilà. Un mystère.
- D'accord. La dernière fois que vous avez vu Audin, c'était à El Biar, là où était Alleg. Et puis après, plus rien ?
- Oui.
- Et vous en avez reparlé avec Massu après, de cette histoire Alleg ?
- Oui, bien sûr. Massu m'avait dit : «A El Biar, il y a un nommé Alleg.
Vous voyez qui c'est ?» Je lui réponds que oui, bien sûr. C'est lui qui
dirige le journal Alger Républicain. Massu me demande comment il est,
si c'est un fanatique : «Voyez-le et discutez avec lui». Alors je suis
allé à El Biar et j'ai rencontré Henri Alleg. Je lui ai dit : «Vous
êtes journaliste. Vous-même vous écrivez et vous dirigez un journal. Ne
croyez-vous pas qu'on devrait parlementer ? Le général Massu serait
tout à fait disposé à discuter avec des hommes comme vous.»
- Et qu'est-ce qu'il a répondu ?
- «Pas question !»
- Est-ce qu'il a été torturé, Alleg ?
- Non. On me reproche des tas de trucs, et Alleg, entre autres. Mais je
ne l'ai pas touché, Alleg. Je demande à être confronté avec Alleg !
- Au fait, votre béret, il était bleu ou rouge ?
- Bleu !
-
Alors, c'est vous que décrit Henri Alleg dans son livre La question.
Un Para l'empoigne et le conduit sur le palier en disant «Le voiIà, mon
commandant».
Voilà la description : «Devant moi se tenait un commandant de paras en
uniforme de camouflage et béret bleu. Il était long et cassé,
extrêmement maigre. D'un air doux et ironique, il me dit : «Vous êtes
journaliste ? Alors vous devez comprendre que nous devons être
informés. Il faudra nous informer». Il avait seulement voulu faire ma
connaissance», ajoute Alleg. C'était vous ? En plus, votre jour de
passage, c'était chaque mercredi, et le 12 juin 1957, c'était justement
un mercredi.
- (silence)
- Audin, vous l'avez rencontré, vous ?
- Non, je ne l'ai pas rencontré.
- Mais Charbonnier, lui, il était à El Biar
- Oui, il était à El Biar.
- Et au mois de juin 57, au moment où il y a eu cette histoire Audin, vous étiez où ?
- Eh bien, j'étais à Alger, mais j'avais fini mes six mois de
détachement, et j'avais repris contact avec mon régiment, le 1er
Chasseur Parachutiste, dont j'étais le chef d'état-major. J'estimais
que j'avais accompli ma mission et je souhaitais quitter au plus vite
cette fonction que Massu m'avait imposée. Il me fallait trouver un
successeur et lui passer les consignes. Jacques de la
Bourdonnaye-Montluc, un ancien camarade d'Indochine, capitaine à
l'unité de marche du 11e Choc, avait - difficilement - accepté de
prendre le relais.
- C'était la période de transition…
- Voilà.
- Et au moment de cette affaire Audin, Massu ne vous a pas appelé ?
- Non.
- Donc, en gros, la seule chose dont vous ne voulez pas parler, c'est de l'affaire Audin ?
- (silence)
- Et si c'était moi qui racontais l'histoire ?
- Eh bien, racontez ce que vous voulez…
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M. B. 29-4-08
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