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Tortionnaire non repenti,
le général Aussaresses se souvient
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Maurice Audin
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.Dans "Je n'ai pas tout dit", Paul Aussaresses livre ses "ultimes révélations au service de la France". Entretien
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On
le croyait mort. Ou plutôt, au fin fond des oubliettes de l'histoire,
tant ses précédents souvenirs ont choqué l'opinion. Paul Aussaresses a
presque 90 ans. Désabusé, presque aveugle, il déverse dans un livre au
titre choc "Je n'ai pas tout dit" ses "ultimes révélations au service
de la France". Exercice à trous, où brillent quelques pépites.
Ancien résistant, ancien tortionnaire, ancien marchand d'armes… Le général Aussaresses restera jusqu'à son dernier souffle un espion schizophrène. Officier du SDECE, prêt à tout pour défendre la patrie, même à piétiner ses propres idéaux. Il le dit en conclusion, il n'a pas supporté l'infamie de ses pairs:
"Je ne voudrais pas que les hypocrites qui m'ont enlevé la Légion d'honneur, distinction que, moi, j'ai acquise au combat, puissent continuer à nier l'histoire de France, avec ses réalités dures à dire et à entendre. Après moi, il ne restera plus grand monde pour parler."
Son co-auteur (le journaliste Jean-Charles Deniau) le confirme: il a été "blessé" par le retrait de sa décoration, conséquence logique de ses premiers mémoires. D'ailleurs, dans un épais avertissement, l'éditeur se démarque du personnage et de ses opinions. Les éditions du Rocher ont à l'esprit la condamnation à 7500 euros d'amende de l'auteur (15 000 euros pour l'éditeur Perrin) pour "apologies de crime de guerre", infligée en 2003 par la 17e chambre correctionnelle du TGI de Paris.
Pendant ce procès, plusieurs polémiques avaient émaillé l'audience. La justification de la torture pendant la Bataille d'Alger (1957) bien sûr, mais aussi l'affaire Audin. Plusieurs témoins avaient alors imploré le général de dire tout ce qu'il savait sur l'exécution de ce professeur de mathématiques, militant du PC algérien. Paul Aussaresses y revient aujourd'hui, à pas comptés, prudemment, comme s'il y avait encore dans cette bataille pour la mémoire quelques coups à prendre.
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L'affaire Maurice Audin
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Il n'en dira pas plus. Il n'en sait pas plus. Pourtant, à bien lire les quarante pages consacrés à cette histoire, on finit par comprendre qu'il sait tout. Le commandant O, comme le surnomme Yves Courrière dans "Le temps des léopards", était alors à la tête du groupe de tueurs qui arrêta, interrogea et fit disparaître le jeune mathématicien. Même si, aujourd'hui, il prétend ne pas en savoir plus.
"Je ne sais pas où Maurice Audin a été enterré", dit-il, reconnaissant ainsi que la thèse de la disparition du jeune militant communiste est bien une fable racontée aux civils et à la justice pour couvrir les exactions des parachutistes. L'explication est à lire sous la plume du journaliste, qui rapporte l'existence d'un serment prêté entre plusieurs militaires pour taire à jamais la vérité.
Et de citer le témoignage du capitaine Yves de la Bourdonnaye-Montluc, successeur d'Aussaresses qui raconta à la journaliste Marie-Monique Robin:
"Certains membres de l'équipe que j'avais récupérée étaient devenus complètement fous. Ils avaient pris l'habitude de tuer les prisonniers d'un coup de couteau dans le cœur."
En clair: un membre de l'équipe Aussaresses, pris de folie, aurait tué Maurice Audin, dont il aurait ensuite fallu se débarrasser pour présenter une version crédible de sa "disparition" aux autorités civiles. En juin 2007, Josette Audin a écrit au président Sarkozy pour qu'il l'aide à connaître la vérité. En vain pour l'instant.
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Les silences d’un professionnel de la torture
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- Bien. Rappelons d’abord les faits plus ou moins connus et établis.
Juste après que le Docteur Hadjadj eut donné l’adresse de Maurice
Audin, une équipe de parachutistes, composée, entre autres, du sergent
Maurice Jacquet et du policier Llorca, est partie pour l’arrêter. Ils
n’ont pas de mandat, mais ce "détail" sera rectifié plus tard par un
juge d’instruction militaire. Nous sommes le mardi 11 juin 1957 et il
est environ 23 heures. Madame Audin ouvre. Elle est entraînée dans une
autre pièce pendant que les paras interrogent Maurice Audin, puis elle
est autorisée à lui dire au revoir. La dernière image qu’elle aura de
son mari sera celle d’Audin descendant l’escalier entre deux paras. «Ne
vous inquiétez pas», lui disent-ils. «On vous le rend d’ici une heure.»
Elle ne le reverra jamais.
Maurice Audin n’avait que vingt-cinq ans le jour de son arrestation, mais il était déjà marié et père de trois enfants. Professeur de mathématiques, assistant à la faculté des Sciences d’Alger, il préparait une thèse de doctorat à la Sorbonne. Son père était un gendarme français basé d’abord en Tunisie, puis à Alger ; sa mère, une Algérienne européenne. Le jeune Audin avait adhéré au PCA en 1950, mais n’avait encore aucune activité qui risquait d’attirer l’attention des parachutistes. Quelques mois auparavant, il avait hébergé des militants en cavale, comme Paul Caballero, et avait rencontré deux fois, par l’intermédiaire de son ami Henri Alleg, André Moine, le chef de réseau, celui justement sur lequel vous deviez mettre la main à tout prix.
Maurice Audin est donc emmené à El Biar, dans un immeuble occupé par le 1er RCP. Il semble qu’il ait été interrogé tout de suite, et de l’habituelle et abominable manière, si l’on en croit un témoignage du docteur Hadjadj reproduit dans le livre de Pierre Vidal Naquet sur l’affaire Audin.
En voici un extrait : «Le lendemain de mon arrestation, dans la nuit du mardi 11 au mercredi 12 juin 1957, j’ai été mis en présence de Maurice Audin.
Il était environ 1 heure du matin. Le capitaine Faulques m’a mené dans la pièce qui ressemblait à une cuisine et où j’avais été torturé l’après-midi à l’eau et à l’électricité. Audin était en slip, attaché sur, une planche, relié à une magnéto.
Il y avait près de lui les lieutenants Charbonnier et Erulin. Quant à moi, j’étais accompagné par quatre parachutistes, dont le capitaine Devis et le capitaine Faulques. On m’a fait répéter ma déclaration selon laquelle j’avais donné des soins à Paul Caballero au domicile de Maurice Audin, et on m’a reconduit à l’infirmerie.»
Les paras ne perdent pas de temps. Deux heures après son arrestation, Maurice Audin a déjà été torturé. Pourtant, Audin n’était pas un poseur de bombes. Pourtant, vous me dites vous-même que, le PCA étant cloisonné, il risquait peu de savoir où était Moine.
Comment
expliquez-vous cette hâte malsaine et contre-productive ?
- (pas de réponse)
L’appartement de Maurice Audin avait été transformé en souricière. Son ami Henri Alleg, qui lui rend visite, y est pris dès le lendemain, le 12 juin 1957. C’est le lieutenant Charbonnier qui vient le chercher dans son Aronde bien reconnaissable. Alleg est emmené a son tour à El Biar et torturé lui aussi, Il décrira son mois passé à El Biar dans un livre, La Question, publié en 1961 aux éditions de Minuit.
Alleg est un des derniers à avoir vu Maurice Audin vivant.
Le soir du mercredi 12, après sa première «séance» d’interrogatoire, Charbonnier fait venir Audin pour qu’il lui décrive ce qui l’attend, s’il s’obstine à se taire. Erulin l’oblige à regarder Audin : Au-dessus de moi, je vis le visage blême d’Audin qui me contemplait. «C’est dur, Henri», me dit Audin. Et on le remmena. (Henri Alleg, La question).
Pendant ce temps, Josette Audin, aussitôt qu’elle a été libre de ses mouvements, c’est-à-dire dès le 16 juin, alerte toutes les autorités militaires, policières, judiciaires, ainsi que la Commission de Sauvegarde des Libertés (1). Elle rencontre - en présence d’un avocat - le lieutenant Mazza, l’aide de camp du général Massu. Il lui dira de ne pas s’inquiéter, qu’il n’y a pas vraiment de tortures, juste des interrogatoires musclés.
Un des avocats de Madame Audin envoie même un télégramme au Président
de la République René Coty, pour qu’il intervienne en faveur de Maurice
Audin et d’Henri Alleg.
Le 18 juin, les parachutistes sont avertis que la Commission de sauvegarde, conduite par le général Zeller, doit passer voir les prisonniers. Beaucoup ne sont pas présentables et on les éloigne. On raconte aux membres de la commission qu’Alleg et Audin ont été transférés. Ils ne chercheront pas à en savoir plus. Dans leur rapport de synthèse remis en septembre 57, ils mentionneront l’affaire Audin en en parlant comme d’une «disparition mystérieuse». La commission avait en main tous les éléments pour faire éclater la vérité ; elle a été incapable de jouer son rôle.
En fait, pendant le passage du général Zeller à El Biar, Alleg est caché dans le bâtiment où logent les paras. Audin et Hadjadj sont conduits au deuxième bureau du 1- RCP, le PC de la rue de Verdun. Le soir,...dès la fin de l’inspection, ils seront ramenés au bâtiment d’El Biar et placés dans deux cellules différentes.
Ensuite, la seule trace de la présence de Maurice Audin à El Biar est un document non daté relatant ses dernières «déclarations» aux parachutistes. Cela veut dire qu’il a subi le 20 et/ou le 21 juin une dernière séance d’interrogatoire.
Enfin, il y a ce rapport, signé par le lieutenant-colonel Mayer, commandant du 1er RCP, daté du 25 juin et donné intégralement dans le livre de Vidal–Miquet. Il y est dit que le 21 juin, vers 21 heures, le sergent Misiry a emmené le détenu Audin en jeep pour le transférer dans une villa occupée par le noyau «Auto» du régiment OP (2) , villa située 5 rue Faidherbe. A l’avant, il y avait le chauffeur et Misiry. Le détenu était seul à l’arrière. Profitant du ralentissement de la voiture à un virage, Audin aurait sauté et se serait mis à courir. Le sergent Misiry est parti à sa poursuite, tirant des rafales de PM dans sa direction. Un habitant de la rue n° 4 Dar Naâma, le Dr Mairesse, a indiqué la direction prise par Audin : il lui avait semblé voir une ombre s’enfuir du côté de FraisVallon. D’autres paras seraient arrivés sur les lieux. Il n’est pas possible de recueillir le moindre renseignement. Selon ce rapport, Maurice Audin se serait évanoui dans la nature.
Résultat : Misiry se prend quinze jours d’arrêts de rigueur pour avoir laissé s’enfuir le détenu.
Le domicile du fugitif n’est pas
sérieusement surveillé au cas où il y reviendrait, et vous vous en
tenez là. Pourquoi n’êtes-vous pas allé plus loin dans la recherche de
ce dangereux ami des terroristes ?
- (le général hoche la tête)
Après «l’évasion» de Maurice Audin, qui fait grand bruit en métropole, Henri Alleg et le Dr Hadjadj ne seront plus torturés. La plupart des paras protagonistes de l’affaire Audin auront de longues permissions ou seront déplacés, et vous-même vous passez le flambeau au capitaine de la Bourdonnaye. Audin ne réapparaîtra jamais. C’est dire si la thèse de l’évasion est peu crédible. Madame Audin, qui n’y a jamais cru, dépose une plainte en homicide contre X le 18 juillet 1957. Une enquête est menée. Plusieurs autres suivront. On ne saura jamais la vérité.
Toujours grâce à Vidal-Naquet, qui a eu le dossier entre les mains, nous pouvons retenir de la première enquête, menée par les gendarmes à Alger en juillet 57, quelques dépositions qui, mises bout à bout, sont intéressantes.
Rappelons-nous : au volant de la jeep qui emmène le prisonnier Audin, il y a le sergent Yves Cuomo. À ses côtés, le sergent Misiry. A l’arrière, curieusement non menotté, Maurice Audin.
Les dépositions des parachutistes concordent à peu près : au moment de l’évasion, le sergent Misiry est parti à la poursuite du prisonnier en tirant des rafales de, mitraillette, l’a manqué, a perdu sa trace, puis a rencontré un habitant de la rue, le docteur Mairesse, alerté par les tirs. Ensuite Misiry et le docteur Mairesse, après quelques recherches vaines, sont retournés devant la villa du docteur et ont rencontré le lieutenant Charbonnier, que le sergent Cuomo était allé chercher en jeep.
Le lieutenant Charbonnier cafouille un peu dans ses dépositions. Devant la justice civile, il assure être parti pour son PC nie de Verdun, avoir entendu les coups de feu et être reparti seul et à pied dans leur direction. Là, il serait tombé sur le sergent Cuomo au volant de la jeep, qui l’aurait emmené devant la villa .du docteur Mairesse. Il y aurait retrouvé le docteur Mairesse, des militaires, le brigadier de police Valentin et ses deux agents.
Le témoignage du Docteur Mairesse apporte un détail révélateur : au
moment des coups de feu, le docteur a vu, depuis sa terrasse, une ombre
se glisser furtivement vers une rue dite «numéro 9». Plus tard, en
revenant de ses recherches avec le sergent Misiry, en haut des
escaliers de cette même rue, là où aurait pu être le fugitif, il
aperçoit... un lieutenant parachutiste.
Les récits du docteur Mairesse et du brigadier de police alerté par les
voisins infirment ceux des paras sur un point : ni l’un ni l’autre
n’ont vu le lieutenant Charbonnier. À aucun moment. Alors, une question
se pose : et si l’ombre, que le docteur Mairesse a vu fuir, et le
parachutiste mystérieux qu’il a aperçu plus tard n’étaient qu’un seul
et même homme ?
Et si ce para, qui ne rejoint pas les autres mais disparaît ensuite, cette ombre fuyante, était le lieutenant Charbonnier ? Le lieutenant Charbonnier jouant -le rôle du prisonnier Audin ?
S’il en est ainsi, c’est que l’évasion est une mise en scène. Une mise en scène pour cacher une vérité, gênante et que tout le monde soupçonne : Audin est mort sous la torture, dans ies mains d’Erulin, de Charbonnier ou d’un autre.
Tout cela, l’historien Vidal-Naquet l’a parfaitement mis en lumière dans son livre-enquête paru en 1958.
Mais, cinquante ans après, nous pouvons aller plus loin. Nous disposons de nouveaux éléments. Et nous ajouterons ceci : derrière une mise en scène jouée par des paras, il y a forcément un metteur en scène.
Examinons d’abord les faits nouveaux :
En 2001, la tempête que beaucoup espéraient depuis 1957 éclate : après avoir répondu à une interview dans Le Monde, vous publiez un livre qui fait grand bruit et dans lequel vous dites franchement que les paras chargés des opérations de police à Alger torturaient, qu’ils avaient l’ordre d’obtenir des renseignements par tous les moyens, y compris la torture, et que tous les responsables politiques le savaient et l’approuvaient.
«C’est une amère victoire pour les partisan vérité», écrira Vidal-Naquet dans le journal Le Monde après vos premières révélations.
Par conséquent, le premier point est que Maurice Audin a bien été torturé par les paras à El Biar et qu’il a pu mourir au cours d’un interrogatoire. Exit la fable de l’évasion, qui devient de plus en plus improbable, surtout après notre conversation où vous m’expliquez comment votre section débarrassait l’armée des basses besognes.
Deuxième coup de théâtre : au mois de mai de cette année 2001, le chauffeur de la jeep, Yves Cuomo, parle enfin. Il révèle qu’il n’avait jamais vu Audin et que le prisonnier qu’on lui a dit être Maurice Audin était cagoulé.
«On est venu me chercher (…) pour servir de chauffeur et assurer le transfert d’un prisonnier qui se trouvait à la compagnie, à El Biar, pour le ramener au PC (…). L’homme d’escorte qui était armé clé son pistolet mitrailleur [Pierre Misiry] est revenu avec un prisonnier cagoulé qui s’est assis à l’arrière. Deux cents mètres plus loin, cet homme a sauté en marche (…). Mon collègue a ouvert le feu sans pouvoir l’atteindre. C’est à ce moment seulement que j’ai appris qu’il s’agissait de Maurice Audin», dit Yves Cuomo dans une interview au journal La République des Pyrénées. «L’homme d’escorte était au courant. Mais pas moi.»
Le détail est d’importance et accrédite encore plus la thèse du coup monté.
Yves Cuomo, indigné de ce que vous le nommez comme faisant partie de votre «seconde équipe», ajoute : «Avec le recul, quarante ans après, je me demande s’il n’y a pas eu un coup fourré. En donnant nos noms, on savait que nous ne risquions rien. Le coup a été très bien monté, ce qui me fait dire que Paul Aussaresses tient à couvrir quelqu’un.» «Il finit en souhaitant que la justice ouvre une enquête «afin que tout le monde s’explique». Ce serait souhaitable, en effet. Mais l’ex-sergent Cuomo avait certainement compris depuis longtemps ; sinon, pourquoi aurait-il affirmé dans sa déposition en 1957 qu’il était allé chercher le lieutenant Charbonnier à son QG rue de Verdun, alors que les autres témoins disent que Charbonnier n’était pas dans sa jeep ?
Désormais, rien ne prouve que c’est Maurice Audin qui est monté, vivant, à l’arrière de la jeep ce soir-là et qui a sauté en marche. Un para cagoulé a pu jouer ce rôle.
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M. B.
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Tfou !!! !
Tortionnaire non repenti, le général Aussaresses se souvient
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