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L’arrestation de deux évangélisateurs français à Zagora relance la question des tentatives de conversion des Marocains au christianisme. Près de 3.500 auraient changé de religion en 2007. Les intellectuels seraient une cible privilégiée.
Deux touristes français ont été arrêtés, le 31 mars 2008, dans un camping à Zagora, au sud du Maroc, en possession d’un nombre important de livres et de CD Rom en français et en arabe sur le christianisme. Ces étrangers sont soupçonnés de vouloir convertir la population locale. Selon la loi marocaine, ils risquent une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 100 à 500 dirhams pour avoir ébranlé la foi d’un musulman.
Ce n’est pas la première affaire du genre au Maroc. La plus médiatisée est celle de Sadek Noshi Yassa. Cet allemand d’origine égyptienne de 64 ans a été condamné à six mois de prison ferme pour conversion de Marocains musulmans au christianisme par le tribunal de 1ère instance d’Agadir. Des bruits de plus en plus persistants parlent de la multiplication des campagnes de prosélytisme au Maroc.
Un chiffre important circule. Celui de plus de mille évangélistes qui auraient sillonné discrètement le pays depuis plus de dix ans pour “prêcher la parole de Jésus”. Une situation qui ne laisse pas indifférent le ministère des Habous et des Affaires islamiques. Le département de Ahmed Taoufik tire la sonnette d’alarme. Le ministère de l’Intérieur est interpellé pour identifier et contrôler les mouvements de prêcheurs venus d’outre-mer. La question de la montée de l’évangélisation s’était déjà posée en mai 2005, lorsque Abdelhamid Aouad, député du parti de l’Istiqlal, a saisi Ahmed Taoufik lors d’une question orale à la Chambre des Représentants. Ce dernier s’est refusé à tout commentaire.
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Augmentation
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Mais, plus besoin de nier l’évidence. D’après la World Christian Database, centre pour l’étude du christianisme mondial, le christianisme est la religion dont le taux de croissance au Maroc est le plus élevé. Cette recrudescence s’explique essentiellement par l’installation de plus en plus d’Européens au Maroc et l’arrivée d’immigrés de confession chrétienne originaires de l’Afrique Sub-saharienne. Pour les nouvelles conversions, l’organisme donne le chiffre de 3.000 à 3.500 en 2007, alors qu’en 2005, ils étaient 2.000 à 2.500. Une nette augmentation.
Le pasteur protestant français de Casablanca,
Jean-Luc Blanc
Toutefois, ces données sont impossibles à vérifier. Car les nouveaux convertis parmi les Marocains se font discrets. Personne n’ose le crier sur le toit, sinon il risque la mort. Une étude conduite par Amnesty International et publiée par l’Agence de Presse internationale catholique, Apic, révèle que les musulmans convertis au christianisme préfèrent cacher leur changement de religions pour assurer leur sécurité et celle de leurs proches. L’apostasie, renoncement public de sa foi, est, en effet, punie de peine de mort dans l’islam.
Une question s’impose : Qui se cache derrière ces conversions clandestines?
Les églises officielles, reconnues par l’Etat marocain, se dégagent de toutes responsabilités. L’archevêque catholique de Rabat, Monseigneur Vincent Landel, dans un entretien accordé à un quotidien marocain, explique la fonction de son église. «Ma mission est de vivre ma foi et non pas d’essayer de convaincre qui que ce soit. » La déclaration de Ahmed Taoufik, devant la Chambre des Représentants, est aussi sans équivoque. «Les religieux chrétiens reconnus par l’Etat sont ceux qui travaillent dans des églises des différentes confessions pour l’encadrement de leurs frères chrétiens établis ou de passage au Maroc».
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Sauveur
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Le prosélytisme est plus l’oeuvre des églises évangéliques issues des Etats-Unis. L’organisation Arab World Ministries, très présente au Maroc, ne s’en cache pas. Son objectif est bien explicite : «Annoncer la bonne nouvelle d’un Sauveur aux musulmans du monde arabe conformément à l’ordre du Seigneur et Sauveur Jésus-Christ de prêcher la bonne nouvelle à toute créature. » Sur son site www.awn.org, elle rapporte sous des pseudonymes les témoignages de musulmans convertis. Leur nationalité n’est pas divulguée, mais, selon le récit de quelques-uns, ils sont originaires du Maghreb.
Régulièrement, cet organisme lance des appels pour recruter des adeptes qui seront par la suite envoyés dans des pays arabes. Sur leur annonce, on peut lire «Nous cherchons, avec l’aide de Dieu, à atteindre les Musulmans du monde arabe là où on peut les trouver, par l’envoi d’hommes et de femmes consacrés qui renoncent à eux-mêmes, pour encourager les églises autochtones et en établir de nouvelles, là où elles n’existent pas». Dans les pays où ils sont envoyés, dont le Maroc, les missionnaires oeuvrent sous une couverture professionnelle, notamment celle d’un médecin ou un enseignant ou encore un homme d’affaires.
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Parole
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De préférence, ils doivent avoir une bonne formation théologique, parler la langue locale du pays et connaître ses traditions et ses coutumes pour pouvoir mieux s’intégrer. Ils prêchent “la parole de Dieu” à l’aide de livrets relatant la vie du Christ, de bibles en langue du terroir, de CD sur les percepts du christianisme, des tracts expliquant le chemin du salut et des formulaires pour ceux qui souhaitent se convertir.
Pour attirer les nouveaux adeptes, les missionnaires ne lésinent pas sur les moyens. Ils leur font miroiter un avenir meilleur et un univers parfait. Au départ, ils approchent les populations autochtones en offrant leur soutien. Cela va de la distribution de denrées alimentaires à des aides financières en passant par la dispense de soins médicaux gratuits.
Au Maroc, les habitants des régions les plus reculées, surtout les populations berbères, seraient les plus concernés. Pour les jeunes, les missionnaires ont une autre stratégie. Ils leur miroitent la possibilité de quitter le pays en facilitant l’octroi d’un visa Schengen ou une somme d’argent ou encore les deux. Mais, c’est sans compter sur la force de persuasion. Les évangélistes ne se contentent plus des populations défavorisées, mais ratissent large, comme en témoigne le pasteur à la paroisse protestante française de Casablanca, Jean-Luc Blanc.
Dans un entretien avec le site d’information, Afrik.com, ce religieux déclare qu’un certain nombre de Marocains, anciennement de confession musulmane, qui se sont convertis au christianisme, sont des intellectuels, ou plutôt des personnes appartenant à la classe aisée. Parmi eux, il y a des universitaires, des professeurs, des chercheurs aussi. Des personnes, selon lui, difficilement influençables. L’objectif des évangélistes étant avant tout de créer une communauté chrétienne au Maroc. Pour quelle raison? Seul l’avenir le dira.
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Loubna Bernichi
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Contre un extrême, l’autre !
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Le discours virulent de Wafa Sultan n’a qu’un avantage : il “explose” à la figure des extrémistes.
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Wafa Sultan dérange, perturbe, excite toutes les passions et toutes les haines. Depuis les interventions sur Al Jazeera qui ont fait d’elle une célébrité mondiale (la dernière remonte au 8 mars), cette intellectuelle syrienne installée aux Etats-Unis, qui se définit comme “une laïque née musulmane et éduquée comme telle”, est l’objet de multiples condamnations à mort émises par une foultitude d’extrémistes. Depuis, sa famille a du déménager dans un lieu secret, et elle est sous la protection permanente du FBI.
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Ce qu’on lui reproche, c’est d’avoir dit, très ouvertement et à visage découvert, ce qu’elle pensait de l’islam : en gros, que c’est “une religion fondamentalement violente qui maintient ses adeptes dans l’incapacité d’utiliser leur raison”, et que, plutôt qu’un “choc des civilisations”, ce que nous vivons aujourd’hui est un “choc entre la civilisation (occidentale) et l’arriération (musulmane)”. Dans l’interview exclusive qu’elle accorde cette semaine à TelQuel (sans que, pour autant, nous endossions tous ses propos), Wafa Sultan déclare sans ambages que “l’islam, en tant que dispositif religieux, est le premier et le dernier responsable de la faillite intellectuelle des musulmans”. Qu’en sait-elle ? “Je le sais, puisque j’ai étudié les exégèses du Coran et les livres de science islamique de A à Z”. C’est là-dessus que je ne suis pas d’accord. Sans lui renier son intelligence, Mme Sultan pèche tout de même par immodestie. Personne ne peut prétendre avoir lu les ouvrages de sciences religieuses “de A à Z”. Le cumul de tels ouvrages est tel, en 14 siècles d’histoire de l’Islam, que c’est tout bonnement impossible. Aujourd’hui encore, selon qu’on soit sunnite ou chiite, adepte du rite malékite ou hanafite, du salafisme de Mohammed Abdou ou de celui d'Ibn Taïmiya, on aura des visions radicalement différentes, et radicalement opposées, de ce qu’est vraiment l’islam. Les extrémistes me crispent tout autant que les rêveurs qui font le tour des plateaux télé pour expliquer que “l’islam est une religion de paix et d’amour”. L’islam est tout et son contraire, tout dépend des références.
Voilà pourquoi (on finit toujours par y revenir) la laïcité est le cadre de vie idéal pour maintenir la paix civile : que la vie en société soit régie par des règles humaines, rationnelles, équilibrées. Et que les exégètes – les illuminés comme les béats – continuent à s’étriper jusqu’à la fin des temps, s’ils le veulent, dans des cénacles qui leur seront réservés. On verra s’ils finiront par s’entendre un jour. Les chrétiens et les juifs, pour info, n’y sont toujours pas arrivés.
À la différence près (et elle est de taille) qu’elle n’a jamais prêché la violence contre personne, Wafa Sultan est aussi une extrémiste. Comme celui de ses adversaires, son discours est virulent et sans nuances. Il n’a en fait qu’un “avantage” : il secoue les intégristes et, pour ainsi dire, leur “explose” à la figure. Ses interventions sur Al Jazeera (Internet en regorge) sont des morceaux d’anthologie. Généralement, dans les débats opposant intégristes et “modérés” (dans l’interview qu’elle nous accorde, Mme Sultan donne d’ailleurs une définition très intéressante à ce concept), les seconds se font systématiquement manger tout crus par les premiers. Parce que les premiers hurlent plus fort, qu’ils menacent comme ils respirent, et qu’ils font facilement peur. Wafa Sultan, elle, ne s’en laisse compter par personne. à l’outrance, elle répond par une outrance équivalente. Du coup elle crée la polémique et dans les esprits de beaucoup, le doute. Or le doute a été le point de départ de Descartes, l’inventeur du rationalisme moderne. Le doute est toujours le point de départ des remises en question. Et l’islam, comme les musulmans, ont désespérément besoin d’une remise en question.
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Ahmed R. Benchemsi
(SEBASTIEN MICKE/PARIS MATCH)
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