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Raconter l’histoire de Mama Binette en se basant sur des faits historiques relève quelquefois de l’imaginaire tellement cette sainte femme et ses six compagnes sont adulées dans cette région pittoresque et presque sauvage de la baie des Béni Haoua.
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Cette chronique, qui a fait l’objet de plusieurs écrits, demeure mystérieuse tellement la transmission orale a selon les oui-dires façonné et parfois rajouté des propos qui n’ont rien à voir avec les actes authentiques. Pour comprendre cette épopée mystique, nous avons demandé à la Marine française de nous transmettre des documents de l’époque que nous avons exploités afin de faire toute la lumière sur le naufrage du Banel. Mais avant cela, il est indispensable de mettre en exergue les conditions de ce voyage dans le temps qui nous a permis d’aller sur les traces de Mama Binette grâce à Hachemi Mokrane, artiste plasticien et responsable de communication du CCF, qui connaît cette tragédie mieux que quiconque étant donné que c’est un enfant de la région et qui puis est s’est avéré être un homme de culture et de surcroît un véritable défenseur du patrimoine national.
C’est en compagnie de sa charmante épouse qu’il a organisé cette rencontre qui a permis à plusieurs titres de presse de s’imbiber de cette aventure qui a fait de cette femme et des autres un lieu de mémoire et de méditation. Nous sommes le 15 janvier 1802 au large de Ténès dans la baie de Oued Goussine (Souahlia). Par une nuit de forte tempête, le Banel est secoué dans tous les sens, des déferlantes font courber le navire qui n’arrive pas à surmonter la colère de la mer. Les marins et l’équipage sont secoués, on entend les cris des hommes qui passent par-dessus bord, l’appel des femmes qui se cramponnent tant bien que mal à n’importe quelle corde ou les rambardes, le vent est violent, les voiles se déchirent, le mât principal se rompe brusquement et le Banel dévire dangereusement vers les récifs.
Et puis soudain, le navire est éventré par un rocher et puis un bruit assourdissant suivi d’un éclaire, le Banel se penche à tribord, les hommes sont violemment jetés à la mer par le choc, d’autres sont écrasés par les flancs du bateau et les plus chanceux s’agrippent à des morceaux de bois qui vont sur les ressacs. Après toute une nuit de souffrance, les rescapés sont allongés sur la plage de galets de Beni Haoua. La mer a retrouvé son calme. Les survivants s’organisent. On fait le décompte : beaucoup de disparus, des appels, on porte secours en direction des cris. Des femmes exténuées sont allongées, les corps sont tuméfiés par les blessures occasionnées par le frottement sur les rochers et les galets mais elles sont en vie. Le capitaine du vaisseau Serge Thébaut, chef du département Marine du service historique de la défense, nous donne les éléments suivants concernant notre demande : «le Banel était un ancien vaisseau vénitien de 64 canons lancé en 1797. Confisqué à Corfou après la capitulation de Venise, il fut réarmé à Toulon en flûte de 6 canons et appareilla le 9 janvier 1802 (et non pas 1807) pour porter des troupes à Saint-Domingue, où le frère du Premier Consul se trouvait en difficulté.»
Selon l’ouvrage d’Alberte Sadoullet en notre possession et transmis par la Marine française, «le voyage commence à Paris, rue Octave Gérard, chez le commandant Rostand, chef du service historique de la Marine, parmi des compilations de vieux ouvrages. En les feuilletant, nous apprenons que le Banel, vaisseau ex-vénitien provenant du butin des premières campagnes napoléoniennes d’Italie, avait été réparé dans les arsenaux toulonnais. Son nom français datant de ce radoubage (1797), il le tenait du général Banel, tué à l’attaque du château piémontais de Cossaria le 13 avril 1796. Dernier commandant de l’unité : lieutenant de vaisseau Joseph-Thérèse Callamand. Date du naufrage sur les côtes de Barbarie ; le 25 nivôse, an X. Causes de la présence du vaisseau dans les eaux méditerranéennes : le Banel faisait partie de la division Gantheaume qui transportait des troupes à destination de Saint-Domingue où la rébellion de Toussaint Louverture donnait des difficultés et devait, ainsi que toute l’escadre, rejoindre devant le îles Canaries les divisions parties de Brest et de Rochefort. En datant sa lettre de ventôse, an X, voici ce que M. Dubois-Thainville chargé d’affaires de France écrivait au dey d’Alger Mustapha au sujet de la perte de ce bâtiment : «Le vaisseau français le Banel portant 200 marins, 529 militaires et 9 femmes ayant à son bord des munitions de guerre et de bouche, s’est perdu le 25 nivôse dernier sur les côtes de Barbarie. Les rapports qui me sont parvenus sur cet événement font frémir. Les habitants des contrées où le naufrage a eu lieu se sont portés aux attentats les plus inouïs ; ils ont brisé les radeaux, coupé les cordes qu’on était parvenu à attacher à terre ; ils ont pillé, dispersé l’argent et une partie des effets qui se trouvaient sur le bâtiment. Les Français qui ont échappé à la fureur de la mer ont été dépouillés, mis nus par le froid le plus rigoureux, assassinés ou traînés impitoyablement dans les montagnes. Plus de 200 ont péri de la main des Barbares et leurs cadavres sont encore étendus sur le rivage. Plusieurs naufragés du nombre desquels se trouvent être 3 femmes, le comte Noyer, officier, et plusieurs mousses sont encore au pouvoir des Cabaili (Kabyles)….»
N’obtenant pas de réponse du dey le 18 juillet 1802, Napoléon Bonaparte écrit lui-même «… Du vaisseau qui a échoué cet hiver sur vos côtes, il me manque encore plus de 150 hommes qui sont entre les mains des Barbares. Je vous demande réparation… et j’envoie un bâtiment pour reconduire en France les 150 hommes qui me manquent…»
Cette fois, Mustapha répond au général Premier Consul : «…Vous réclamez des corps jetés sur la côte à la suite d’un naufrage. Dieu a disposé de leur sort et il n’en reste pas un seul, ils sont tous perdus. Tel est l’état des choses.» Revenons aux faits. Sous la terre baisée par ses fidèles, Mama Binette garde le secret des rites funéraires pouvant dater sa dépouille. Comment savoir ? Imma B’net, c’est-à-dire en arabo-berbère «la mère des filles» tel est en effet le vocable exact sous lequel est désignée la maraboute (la sainte). Et peut-être le folklore avec ses cinq femmes sœurs (donc nées de la même mère) ayant enfanté cinq grandes tribus.
Dans le souvenir des gens du pays lesquels par leurs vieux, l’avaient oui-dire son naufrage de meure aussi lié à la venue de cinq femmes dont imma B’net fut la plus illustre. Trois autres connues sous les noms d’imma Dzahar (Maman la chance), Lalla Aouda, Lalla Aziza seraient respectivement enterrées aux douars montagnards de Breira, au vieux Ténès. Quant à la cinquième ombre anonyme elle aurait été en la possession d’un mari brutal car toutes avaient été épousées. Selon l’historienne, «on sait que tout navire quittant un port laisse à l’administration de celui-ci le double du rôle qu’il emporte et que sur ce document sont mentionnés les noms de ses passagers. Et nous adressant au port de Toulon, l’identité des naufragés serait connue.» Je relève cinq noms féminins sur le rôle du Banel sans autre mention que «femmes», nous répond l’archiviste. Des guillemets en marge semblent indiquer que ces femmes Thérésa Massa, MonicaVico, Marie Pavan, Catherine Amer, Marie Dubois, provenaient du «Bull Dog». Qui est ce Bull Dog ? Ignoré dans l’escadre de Gantheaume ? Des recherches auxquelles Mlle Forget, archiviste paléographe attachée à la 3e Région maritime, voulut bien livrer pour l’historienne, il ressort que le «Bull Dog», corvette anglaise d’abord capturé dans les eaux italiennes par les Français, puis repris par les Anglais, avait été emmenée prisonnière à Malte avec toute sa cargaison, passagers compris. Armé en plénipotentiaires quelques mois plus tard après la signature des préliminaires de la paix d’Amiens le Banel avait eu pour mission d’aller à Malte afin de rapatrier ces prisonniers. D’où les cinq femmes (il s’en trouvait même sept et un bébé !) mentionnées sur le rôle primitif. Cette découverte importante le vaisseau ex-vénitien n’ayant fait que deux voyages pour le compte des Français : Toulon Malte Toulon d’une part ; Toulon… Les rochers nord africains où il naufragea.
Mama Binette est enterrée sur un promontoire qui domine la mer non loin du rivage où elle repose en paix. A l’intérieur du mausolée on peut lire sur sa tombe «Ici repose la mère Binette victime avec ses six compagnes religieuses comme elle du naufrage du Babel en 1802. Le Banel était un bateau qui allait de Toulon à la Louisiane et dont on peut voir encore l’ancre et les canons dans l’eau à la baie des Souahlias. Après le naufrage, la mère Binette devint l’épouse d’un notable musulman. Elle fit tant de bien qu’elle fut vénérée et à sa mort sacrée sainte. Ce mausolée fut construit en 1936 M . Periller étant sous-préfet, M.Grech étant administrateur, M. Bortolotti adjoint spécial. Il fut démoli par le tremblement de terre de 1954 et fut reconstruit par M. Antoine Martinez en 1958. Ayant été saccagé par les éléments de l’ex-FIS, il vient de retrouver son lustre d’antan grâce à l’apport de Son Excellence l’ambassadeur de Hollande M. Henk Revis.
Ce qui est gênant et presque absurde à chaque fois, ce sont des étrangers qui prennent en charge notre patrimoine alors que nos responsables, à l’image du directeur de la culture de la wilaya de Chlef qui a brillé par son absence, alors que le wali avait déjà fait un premier déplacement et délégué son secrétaire général pour l’inauguration du mausolée. Cette manière de faire et d’agir démontre à quel point notre patrimoine culturel est en pleine déliquescence. Cet oubli volontaire démontre on ne peut mieux que les responsables de la culture, dont madame la ministre, ne donnent aucune importance à des monuments qui sont les gardiens de notre mémoire collective.
Faut-il à chaque fois quémander auprès des étrangers de restaurer nos sites et monuments ? N’avons-nous pas le courage politique et ou l’argument culturel pour essayer de sauvegarder ce qui reste de notre patrimoine ? Pourquoi un tel silence ? Pourquoi tant de mépris pour cette région qui va de Gouraya à Ténès l’antique Cartenna qui existe depuis l’époque punique et bien plus loin encore. Des ossements humains ont été découverts dans une grotte à Sidi Mérouane à proximité du phare de Ténès par des archéologues français en 1930. Ces ossements démontrent que des humains habitaient dans ces grottes 10 000 ans avant J-C. Que dire aussi du tombeau des Phéniciens qui est en voie de disparition, de Bab El-Gherb, de la mosquée de Sidi Maiza qui a 1 300 ans et du Vieux Ténès construit par les Andalous ? Pourquoi cette région est-elle oubliée volontairement ? La région de Ténès regorge de sites historiques qui sont répertoriés mais non classés, qui est derrière ce blocage ? Ténès fait-elle peur ? Fera-t-elle de l’ombre à Cherchell et Tipasa ? C’est à cette question en effet que la réponse est la plus plausible !
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Reportage réalisé par Mohamed El Ouahed
20-04-2008
Mohamed El Ouahed
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Beni Haoua
Un site féerique en mal de développement
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La route entre Beni Haoua et Damous (Tipaza) est en
très mauvais état, les structures d’accueil sont quasiment inexistantes
et l’eau potable fait cruellement défaut.
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L’Ambassadeur des Pays-Bas a effectué, le 15 avril dernier, une visite au mausolée de Mama Binett, dans la commune côtière de Beni Haoua, à la limite entre Chlef et Tipaza. Le lieu offre une vue imprenable sur la mer et la ville est nichée au milieu d’un paysage naturel féerique. Le diplomate a admiré la beauté du site et s’est rendu au mausolée où sont enterrées 7 sœurs hollandaises qui avaient échappé au naufrage du voilier « Le Banel », en 1802, près des côtes de Beni Haoua. Les victimes avaient été secourues par les habitants de la région et l’une d’elles, plus connue sous le nom de Mama Binet, s’était mariée à un notable musulman de la région. Le monument qui a subi des dégradations a pu être restauré et remis en bon état grâce à une opération financée par l’Ambassade des Pays-Bas. Il fait partie des sites historiques qui peuvent contribuer à la relance et à la promotion du tourisme dans ce coin paradisiaque qui accueille chaque année des milliers d’estivants venus de plusieurs wilayas du centre du pays. Cependant, beaucoup reste à faire dans cette belle région côtière, où la route entre Beni Haoua et Damous (Tipaza) est en très mauvais état, les structures d’accueil sont quasiment inexistantes et l’eau potable fait cruellement défaut.
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Faibles moyens
L’unique projet touristique lancé depuis plus de deux ans, à l’entrée ouest de la commune, traîne en longueur à cause, semble-t-il, de difficultés financières. Pour sa part, l’unité de transformation des figues a fermé ses portes et son matériel a été transféré dans une autre unité de production de l’ouest du pays. Seul l’abri de pêche continue à fonctionner, mais sans produire l’effet escompté sur le développement du secteur en raison de l’exiguïté de l’infrastructure et des faibles moyens matériels dont disposent les pécheurs. L’agriculture n’est pas mieux lotie puisqu’elle se limite à quelques parcelles de cultures sous serres, souvent travaillées avec des moyens rudimentaires. Et le soutien à l’investissement agricole ? On n’en entend pas parler dans la région, tout comme les autres dispositifs de soutien à l’emploi qui ne profitent, dit-on, qu’aux « vrais faux chômeurs ». Conséquences : le chômage atteint des proportions alarmantes qui accentuent le désespoir chez les jeunes et poussent nombre d’entre eux à tenter l’aventure de la « harga », au péril de leur vie.
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le 21 avril 2008
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