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Docu. Jean-Pierre Lledo confronte son pays à l’histoire de son indépendance.
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Algérie, histoires à ne pas dire documentaire algérien de Jean-Pierre Lledo.
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Il faut prendre au sérieux le titre de ce film : Histoires à ne pas dire. Dans l’Algérie d’aujourd’hui, où les préjugés régressifs renforcent les mensonges officiels, parler des liens noués par les Algériens avec des pieds-noirs ne se fait pas.
Né à Tlemcen en 1943, ayant refusé de quitter l’Algérie car il soutenait sa révolution, Jean-Pierre Lledo est, dès l’abord, un pied-noir de type particulier. Il a fait ses classes de cinéaste à Moscou, ses premiers films en Algérie, avant de s’exiler en France lorsque la menace islamiste s’est faite trop précise, en 1993. Puis il est retourné dans son pays une fois que le malheur s’est éloigné. On ne vit pas une histoire personnelle aussi agitée sans réfuter à un moment ou un autre les mensonges que le destin met sur votre route. Il a donc décidé de dire des vérités peu confortables sous la forme de quatre récits vrais et dérangeants et de portraits étonnants (1).
Larmes. Algérie, histoires à ne pas dire commence avec Aziz, un ingénieur agronome à l’air tranquille. Il raconte à Lledo sa jeunesse passée dans un hameau au-dessus de Skikda, autrefois Philippeville, en Kabylie. Il a du mal à retenir ses larmes quand il évoque le souvenir de sa famille massacrée par les soldats du colonel Aussaresses, ordonnateur des basses œuvres de l’armée française. L’émotion n’est pas moins forte quand il raconte comment son voisin, un cultivateur français d’origine corse, l’a aidé à surmonter cette épreuve atroce et à continuer à vivre. En 1962, l’agriculteur pied-noir est parti en France et Aziz est devenu un nostalgique de cette cohabitation, de son côté quasi filial.
Ce premier témoignage a l’avantage de poser le contexte. Le deuxième brouille les cartes. Nous suivons Katiba, une femme à la forte personnalité. Journaliste à la radio, elle continue de défendre bec et ongles la geste de la libération nationale. Elle se souvient de la bataille d’Alger, qu’elle a vécue, enfant, dans la Casbah. Elle raconte aussi sa jeunesse à Bab el-Oued. Depuis les années de guerre civile, elle s’est éloignée d’Alger et vit à quelques lieues de là, à Tipasa. Elle a eu raison car, quand elle ose se balader dans ses anciens quartiers, cette blonde aux yeux clairs qui refuse de porter le voile se fait insulter par le menu peuple, qui la prend pour une pied-noire…
Le film continue avec un voyage à Constantine, la ville qui fut, et reste, une capitale de la musique arabo-andalouse. Lledo y suit un homme qui, toute sa vie, a entendu parler de Cheikh Raymond, Raymond Leiris de son vrai nom, un joueur de luth légendaire. Leiris, dont le portrait n’orne pas le mur où sont célébrés les musiciens les plus fameux de la ville. Leiris, dont l’assassinat est attribué par la propagande officielle à l’Organisation armée secrète (OAS), alors qu’il a sans doute été tué par le Front de libération nationale (FLN). Leiris, le Juif, membre d’une communauté qui a disparu d’Algérie mais qui suscite encore une haine féroce. Après cet épisode, qui a pâti de diverses pressions, de défections, nous sommes prêts à tout entendre.
Massacres. Vient alors la quatrième enquête, peut-être la partie la plus déchirante du film. Celle qui évoque les liens tissés dans les années 50 entre des jeunes Oranais, Arabes et fils d’Espagnols. Leur amitié et leurs folles nuits de danse et de drague. Jusqu’en 1962. Pour se souvenir de ces moments de bonheur, d’ex-jeunes du cru, devenus sexagénaires, reparlent castillan entre eux. C’est inattendu et émouvant d’entendre ces vieux Algériens s’exprimer ainsi et retrouver l’ombre de leur passé enfui. Que sont devenus leurs amis pieds-noirs, souvent aussi pauvres qu’eux ? Certains sont partis, d’autres ont été victimes des massacres (au moins 440 morts) perpétrés par des activistes du FLN le 5 juillet 1962, jour de l’indépendance, dans ce quartier espagnol qui a été entièrement détruit. Il s’agissait de rompre avec tout ce qui n’était pas purement algérien. «La désignation de l’Autre trahit parfaitement cette pensée : il est le gaouri («gour», au pluriel), le non-musulman, explique Lledo sur son blog (2). Ce type de pensée où l’ennemi est l’Autre en religion, qu’il soit démuni ou possédant, sympathisant ou opposant au système colonial, n’a jamais été déconstruit après l’indépendance. Ce qui explique aujourd’hui la gêne, en Algérie, à désigner le terrorisme islamiste autrement que par l’euphémisme "décennie noire".»
Rappeler tout ceci ennuie évidemment les autorités. Algérie, histoires à ne pas dire a été deux fois déprogrammé dans ce pays. Le film a été vilipendé par la ministre de la Culture, accusé de tous les maux et accompagné d’une polémique malsaine. Le 3 février, toujours sur son blog, Lledo a écrit : «Avec Mohamed Harbi (3), traîné dans la boue dans les années 80, quand, le premier, il osa désacraliser le FLN de la guerre, je pense […] que les mythes, une fois devenus instruments de légitimation politique, risquent d’hypothéquer le devenir de tout un peuple.»
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(1) Histoires à ne pas direconstitue le troisième volet d’une trilogie dont les deux premiers sont Un rêve algérien (2003), sur le retour en Algérie d’Henri Alleg, journaliste d’Alger républicain ayant le premier dénoncé la torture pendant la guerre d’Algérie ; le deuxième, Algéries, mes fantômes (2003), est une réflexion personnelle sur l’exil suivie d’entretiens avec des combattants pieds-noirs et des harkis.
(2) lledo2007.skyrock.com, et le site officiel : www.algeriehistoiresanepasdire.com
(3) Ancien militant actif de la révolution algérienne devenu historien lucide de celle-ci.
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ÉDOUARD WAINTROP
http://www.liberation.fr/culture/cinema/312368.FR.php
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Le quotidien Le Monde a publié hier un article sur le dernier film du cinéaste franco-algérien Jean-Pierre Lledo, "Algérie, histoires à ne as dire". Le journal fait parler trois historiens de renom autour de ce film. Voici l'article intégral :
Quarante-cinq ans après l'exode massif des juifs et des pieds-noirs au moment de l'indépendance de l'Algérie, que reste-t-il dans la mémoire des Algériens de la cohabitation entre musulmans et non-musulmans ? C'est le thème du dernier film du cinéaste franco-algérien Jean-Pierre Lledo.
Algérie, histoires à ne pas dire, documentaire de 2 h 40, partiellement subventionné par la télévision algérienne, sort en France le 27 février. En Algérie, sa diffusion semble compromise. Plusieurs projections privées ont eu lieu l'année dernière à Alger, mais la programmation publique, elle, n'a toujours pas reçu de feu vert.
Officiellement, il ne s'agit pas de censure mais d'un différend quant au cahier des charges. La ministre de la culture, Khalida Toumi, reconnaît toutefois que le contenu du film pose problème et qu'elle prendra l'avis d'anciens moudjahidins avant de donner son autorisation.
En écrivant puis en réalisant ce film, Jean-Pierre Lledo avait pour ambition de démontrer que derrière l'histoire, cruelle et violente, de la colonisation de l'Algérie, puis de la guerre d'indépendance, s'est jouée une autre histoire, peu visible, faite de connivences, de fraternités, d'amitiés, voire d'amour. Pourquoi, dans ces conditions, une Algérie multiethnique, libre et fraternelle n'a-t-elle pas vu le jour ?
Aux anciens combattants algériens, hommes et femmes, le réalisateur pose une question récurrente : "Mais comment avez-vous pu tuer vos voisins, parfois même vos amis, du simple fait qu'ils étaient non-musulmans ?" Le documentaire s'ouvre d'ailleurs sur deux témoignages terribles de vieux villageois de l'Est algérien racontant - presque innocemment - comment ils ont égorgé, de sang-froid, des Européens, en août 1955.
Certains témoins de Lledo ont fait marche arrière, estimant que le cinéaste les avait trahis au montage. D'autres ont assumé leurs propos. La presse algérienne, quant à elle, s'est emparée du dossier, et, depuis des semaines, publie des articles (à charge plus souvent qu'à décharge) sur le réalisateur, allant jusqu'à présenter son film comme une "apologie du colonialisme". Rares sont ceux qui réclament la levée de la censure et l'ouverture d'un vrai débat.
"UN MIROIR DÉFORMANT"
Trois historiens renommés, auteurs de nombreux ouvrages de référence sur l'Algérie, Mohammed Harbi, Benjamin Stora et Daho Djerbal, ont vu Algérie, histoires à ne pas dire. Ils donnent leur point de vue sur ce film mais surtout racontent, avec distance, ce qu'a été l'Algérie colonisée et ce qui a mené à la guerre d'indépendance. Tous trois sont nés en Algérie et y ont longtemps vécu. Daho Djerbal, lui, y réside encore.
Pour Mohammed Harbi (figure de l'indépendance de son pays puis proscrit du FLN), le principal mérite de ce documentaire est "de jeter un pavé dans la mare et d'inciter les Algériens à accepter de se regarder, même si le miroir qu'on leur présente est déformant".
Harbi, autant que Stora et Djerbal, regrette en effet que les témoignages présentés par Lledo "soient sortis de tout contexte" et qu'aient été mises sur le même plan des situations qui n'avaient "rien à voir les unes avec les autres". C'est, disent-ils, la principale faiblesse d'Algérie, histoires à ne pas dire, même si les témoignages sonnent vrai et sont, de toute évidence, sincères.
Oran, grande ville de l'Ouest (qui tombera à la fin de la guerre aux mains de l'OAS), était habitée à 75 % par des Européens, espagnols pour la plupart, dont beaucoup de juifs. A l'inverse, le Constantinois et les Aurès sont restés jusqu'à l'indépendance peuplés presque uniquement d'"indigènes", repliés sur eux-mêmes.
Ces paysans misérables ne connaissaient pas les colons et vivaient dans un total archaïsme. D'où, à l'occasion, des accès de violence brute sans rapport avec le nationalisme algérien. "La question régionale est centrale, et même décisive, pour comprendre ce qui s'est passé pendant la guerre d'indépendance", souligne Benjamin Stora.
On ne peut sous-estimer, en outre, l'avalanche de traumatismes qu'a connus l'Est algérien, depuis le début de la colonisation, en 1830. Chaque tentative de soulèvement - 1870, 1916, mai 1945 - a été matée dans le sang, s'inscrivant dans la mémoire collective et se transmettant de génération en génération. Daho Djerbal voit ainsi dans la tragédie d'El-Halia, le 20 août 1955 - date à laquelle 123 personnes, dont 71 Européens, ont été massacrées - "une sorte de retour du refoulé", et non "une vengeance primitive, hors du temps et de l'espace".
Même chose pour la bataille d'Alger. C'est le carnage de la rue de Thèbes, en pleine casbah d'Alger (72 morts et une centaine de blessés parmi la population musulmane), perpétré le 10 août 1956 par deux activistes européens, qui donne le coup d'envoi du terrorisme aveugle. Le FLN décide alors de riposter par une série d'attentats sanglants contre les Européens. Les bombes sèmeront la terreur à Alger d'octobre 1956 à juin 1957.
"VERROUS DISCRIMINATOIRES"
Les nationalistes algériens avaient-ils d'autres choix que le terrorisme ? Le système colonial mis en place empêchait en tout cas rigoureusement les Algériens de se faire entendre. La discrimination était établie à tous les niveaux. Ainsi, les juifs avaient-ils la nationalité française depuis 1870, mais pas les musulmans. Quant aux élections, elles étaient systématiquement truquées.
Pour Mohammed Harbi, les pieds-noirs reconstruisent aujourd'hui "un passé et un univers rêvés". Ils considèrent le FLN comme "l'élément perturbateur" de leur fraternité supposée avec les Algériens. Mais la réalité était tout autre. Daho Djerbal, natif d'Oran, Benjamin Stora, né à Constantine, et Mohammed Harbi, originaire de Skikda (ex-Philippeville), se rejoignent pour dire qu'il n'y a pas eu de véritables mélanges interconfessionnels ou interreligieux dans l'Algérie d'avant 1962. "Les codes communautaires étaient très puissants. Nous étions proches dans l'espace public - pour des mariages, des concerts, des circoncisions, par exemple -, mais très éloignés dans l'espace privé", se souvient Stora.
Des passerelles et des gestes de fraternité inoubliables, oui, il y en a eu. Des pieds-noirs et des juifs ont combattu aux côtés des Algériens, après avoir longtemps et vainement tenté de "faire sauter les verrous discriminatoires", suivant l'expression de l'historien Gilbert Meynier. Mais leurs efforts n'étaient pas structurés. Ils étaient le fait de petits groupes ou d'individus. Militants communistes, syndicalistes et chrétiens de gauche, notamment, jetaient ainsi quelques pavés sur la route, mais celle-ci, du fait de la nature même du système colonial, était impraticable.
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Florence Beaugé
Article paru dans l'édition du Monde du 27.02.08
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Purée d'vous aut'es alors !
C'était un beau pays ! le mien, le nôtre...
Jadis heureux, la purée de nous autres,
Où se nouèrent tant d'amitiés sincères
Entre ces hommes d'horizons si divers,
Petites gens plus que colons nantis,
Le respect, une idée de la vie...
Oui, la sueur, pour tous, est bien la même
Sur cette terre qu'avec passion l'on aime !
Ainsi transplantés, de force ou de gré,
Espagnols, Allemands expatriés,
Baléares, Italiens ou bien Français,
Espéraient ici la faim oublier.
Musulmans, israélites, chrétiens
Se donnaient la main, partageaient le pain.
Cette terre promise qui m'a vu naître,
Comme avant moi nombre de mes ancêtres,
S'est un matin tristement embrasée,
Avec fureur détruisant l'amitié,
Brisant la vie de nombreux innocents,
Faisant couler des rivières de sang,
Jusqu'à ce jour funeste, issue fatale,
Ces pleurs sincères, cet exode infernal
Qui sans remords dispersa les familles,
Vidant le cœur des garçons et des filles,
Laissant à tous, victorieux et vaincus,
Le goût amer d'un paradis perdu.
J'en chiale encore très fort, bien des années plus tard,
De cette guerre atroce, de ce brutal départ,
De ce bonheur volé, de cette heure arrêtée,
De ces belles amours bien trop tôt avortées,
De tous ces tendres cœurs brutalement brisés,
De ces racines perdues, méchamment arrachées !
Mais ces larmes de rage n'effaceront jamais,
Ce triste sentiment si puissamment ancré,
Que pourtant ce gâchis eût pu être évité
Par des hommes, dits libres, prétendument sensés,
Qui, fiers et si sûrs d'eux, la guerre ont préféré
Quand tous dans ce pays nous savions vivre en paix !
N.B. je précise que ce poème évoque la guerre d'Algérie
Robert Gastaud 31 janvier 2008
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