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Si le premier jalon d’un long périple dans l’acte d’écriture fut, pour nombre d’écrivains algériens d’expression française, le roman autobiographique, Assia Djebar déroge donc à la règle. Bousculant l’ordre établi par ses pairs, l’écrivaine rédige, après une quinzaine de romans, de nombreux prix internationaux, une entrée prestigieuse auprès des Immortels à l’Académie française (2005) et une œuvre traduite en 24 langues à travers le monde, son roman autobiographique.
Mercredi 21 février 2007 à l’Unesco, Assia Djebar a évoqué le rapport entre langues maternelle et d’écriture. «Depuis au moins 20 ans, dira-t-elle, dans mon travail d’écriture sur la mémoire visuelle du Maghreb, comme pareillement en littérature, j’ai compris que l’occulté, l’oublié de mon groupe d’origine, devait être ramené à la clarté, précisément dans la langue française. Dans cette langue, dite de l’autre, je me trouvais habitée d’un devoir de mémoire, d’une exigence de réminiscences d’un passé mort arabo-bèrbère, le mien.» (Le Monde 02/03/2007)
Et c’est de ce passé, que va surgir, des tréfonds de la mémoire, le dernier roman d’Assia Djebar: «Nulle part dans la maison de mon père». Editions Fayard. Octobre 2007. 407 p.
Résidant à New York, au cœur de l’immensité de la capitale américaine, un minuscule lambeau de patrie et d’amour, Césarée, taraude son esprit, fouille sa mémoire, creuse un sillon dans les années d’enfance, à la recherche du tatouage imprimé par le père et toutes les générations précédentes : la saga familiale et l’enfance heureuse sous l’aile affectueuse et protectrice des aïeules.
Le fruit de cette introspection, de ce retour aux sources est ce recueil à la lisière du roman et de la nouvelle. Des instants de vie fugaces, découpés dans la toile du passé, fragments épars, souvent sans liens, ressuscités au gré des souvenirs lointains, nostalgie d’une enfance heureuse au sein d’une famille unie. En filigrane, la stature immense du père et la volonté d’émancipation de la fille.
Mercredi 21 février 2007 à l’Unesco, Assia Djebar a évoqué le rapport entre langues maternelle et d’écriture. «Depuis au moins 20 ans, dira-t-elle, dans mon travail d’écriture sur la mémoire visuelle du Maghreb, comme pareillement en littérature, j’ai compris que l’occulté, l’oublié de mon groupe d’origine, devait être ramené à la clarté, précisément dans la langue française. Dans cette langue, dite de l’autre, je me trouvais habitée d’un devoir de mémoire, d’une exigence de réminiscences d’un passé mort arabo-bèrbère, le mien.» (Le Monde 02/03/2007)
Et c’est de ce passé, que va surgir, des tréfonds de la mémoire, le dernier roman d’Assia Djebar: «Nulle part dans la maison de mon père». Editions Fayard. Octobre 2007. 407 p.
Résidant à New York, au cœur de l’immensité de la capitale américaine, un minuscule lambeau de patrie et d’amour, Césarée, taraude son esprit, fouille sa mémoire, creuse un sillon dans les années d’enfance, à la recherche du tatouage imprimé par le père et toutes les générations précédentes : la saga familiale et l’enfance heureuse sous l’aile affectueuse et protectrice des aïeules.
Le fruit de cette introspection, de ce retour aux sources est ce recueil à la lisière du roman et de la nouvelle. Des instants de vie fugaces, découpés dans la toile du passé, fragments épars, souvent sans liens, ressuscités au gré des souvenirs lointains, nostalgie d’une enfance heureuse au sein d’une famille unie. En filigrane, la stature immense du père et la volonté d’émancipation de la fille.
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Eclats d’enfance
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L’œuvre est composée de trois chapitres, correspondant à trois tranches de vie: l’enfance, l’adolescence, la vie de jeune adulte.
Les titres de ces chapitres, suggestifs à tout le moins, révèlent une forte connotation émotionnelle: «Eclats d’enfance», «Déchirer l’invisible», «Celle qui court jusqu’à la mer.»
S’abandonnant aux réminiscences lointaines, «les Eclats d’enfance» de l’auteure font revivre des bris de mémoire intimiste.
«La jeune mère», que, dès l’âge de trois ans, l’auteure prendra par la main pour l’accompagner d’une maison à l’autre de sa cité natale, Césarée, investie alors, dans son rôle d’accompagnatrice d’une caution sociale, celle de démontrer à tous la respectabilité d’une mère de famille.
«Les larmes», lors de l’immense chagrin causé par la disparition de la grand-mère paternelle ; ou le «tout premier livre».
«Le père et les autres», lorsque Assia Djebar rencontre à Paris, lors de la dédicace de l’un de ses romans «Loin de Médine», M. Sari, professeur d’arabe en retraite, qui lui parle de son aïeule à elle – la grand-mère de son père- qu’il a connue à Césarée alors qu’il était enfant.
«J’étais petit garçon dans notre cité commune, Madame !»
L’écrivaine découvre alors, pour la première fois, qu’un pan de sa saga familiale lui est inconnu. «Ressuscitée en quelques phrases par M. Sari, l’aïeule de mon père m’est restée dans sa voix à lui, inoubliable, évoquée en quelques flashs seulement.»
M. Sari a qui l’auteur attribue les qualifiants de «bourgeois de Césarée», «d’homme jovial», qui lui a brossé un tableau incisif de son aïeule paternelle, ce «condisciple» et «ami de son père» n’est autre que le petit-fils d’une dame dont l’auteure porte le prénom et qui fut la sœur aînée de sa propre mère.
Il y a quelques temps, sirotant un café dans le salon de celle- ci et désirant m’assurer du lien de parenté de mon aïeule avec elle : «Qui est Fatima – Zohra mère de mon grand- père ?» lui demandai-je.
Enrobé de la douceur du sucre et de la saveur du miel de son accent cherchellois, sans détourner le visage vers moi, dans un regard oblique et droit, empreint de fierté et de majesté: «Khétsé» me répondit-elle ...
«Le piano», autre souvenir ému dont l’acquisition souhaitée par la mère ne réussira pas à transformer la fillette en virtuose de noubas andalouses.
«La bicyclette» sera le souvenir le plus cuisant. Alors qu’elle apprenait à monter aidée de l’enfant de la voisine, enseignante comme son père, celui-ci arriva sur ces entrefaites et ordonna à sa fille, pris d’une colère démesurée, de rentrer. La sentence tomba tel un couperet: « Je ne veux pas que ma fille montre ses jambes !»
Plusieurs décennies plus tard, de New York où elle rédige ces lignes, Assia Djebar avoue : «La seule blessure que m’infligea jamais mon père, comme s’il m’en avait tatouée encore à cette heure où j’écris plus d’un demi siècle plus tard !»
Las ! Ce père, comme tous ceux de son époque, pérennisait des principes éducationnels intransigeants, appliqués à sa fille, qui, de surcroît, va à l’école et rompant, ce faisant, définitivement le cours immuable de la vie d’une jeune fille de famille citadine - faut-il le souligner - cloîtrée dans la maison de son père, contrairement à la jeune fille rurale qui, elle, vaquait aux travaux champêtres. Ces mêmes principes qui, à l’époque donc (années 40), contraignaient la lycéenne, interne durant l’année scolaire, à la réclusion durant les vacances.
Ce rigorisme dans l’éducation algérienne appliqué aux filles n’avait d’égal que son opposé direct : le laxisme affiché envers les garçons, quelle que soit l’étendue de leurs frasques, de leurs bêtises, de leurs dépassements. «Il s’assagira en grandissant» diraient, attendries, les aïeules, devant le jeune mâle qui va pérenniser la lignée…
«Le jour du hammam», demeure le souvenir le plus marquant de la fillette. Le cérémonial conférait à cette sortie une dimension démesurée et un aspect festif. C’était l’événement hebdomadaire : rencontres pour la mère avec les villageoises de Guillo ville, pour qui elle devient le centre d’intérêt - l’épouse du maître d’école – et voyage initiatique pour l’enfant. «Aux rives d’un monde souterrain dont le ruissellement des eaux paraît infini.»
L’intérieur de la «Seppa» tapissé de satin rose, calmait les frayeurs de l’enfant tout en suscitant la convoitise des voyeuses alentour ! «La dame de la cité ancienne, qui gardait sa simplicité de bourgeoise au milieu de tant de ruraux des deux bords». Tendre, émue, Assia Djebar raconte le décès du petit frère et le chagrin de la jeune mère; impudique, elle évoque la chambre parentale; ethnologue, puis sociologue, elle décrit le parcours du père à travers les rues du village ou celui de la mère allant au hammam sous le regard respectueux des hommes, Arabes et Français, vis-à-vis du maître d’école ou de son épouse.
Puis, vinrent avec l’adolescence, les années de lycée, l’internat, les lectures, la lecture-passion, les premières confidentes, la liberté- arrachée- de circuler seule dans Alger et le premier rendez-vous …
«Déchirer l’invisible», est selon l’auteure «La traversée de mon adolescence, des scènes par bribes, ou brèves d’un passé qui parfois se penche en ombre inclinée, vers moi.»
Les titres de ces chapitres, suggestifs à tout le moins, révèlent une forte connotation émotionnelle: «Eclats d’enfance», «Déchirer l’invisible», «Celle qui court jusqu’à la mer.»
S’abandonnant aux réminiscences lointaines, «les Eclats d’enfance» de l’auteure font revivre des bris de mémoire intimiste.
«La jeune mère», que, dès l’âge de trois ans, l’auteure prendra par la main pour l’accompagner d’une maison à l’autre de sa cité natale, Césarée, investie alors, dans son rôle d’accompagnatrice d’une caution sociale, celle de démontrer à tous la respectabilité d’une mère de famille.
«Les larmes», lors de l’immense chagrin causé par la disparition de la grand-mère paternelle ; ou le «tout premier livre».
«Le père et les autres», lorsque Assia Djebar rencontre à Paris, lors de la dédicace de l’un de ses romans «Loin de Médine», M. Sari, professeur d’arabe en retraite, qui lui parle de son aïeule à elle – la grand-mère de son père- qu’il a connue à Césarée alors qu’il était enfant.
«J’étais petit garçon dans notre cité commune, Madame !»
L’écrivaine découvre alors, pour la première fois, qu’un pan de sa saga familiale lui est inconnu. «Ressuscitée en quelques phrases par M. Sari, l’aïeule de mon père m’est restée dans sa voix à lui, inoubliable, évoquée en quelques flashs seulement.»
M. Sari a qui l’auteur attribue les qualifiants de «bourgeois de Césarée», «d’homme jovial», qui lui a brossé un tableau incisif de son aïeule paternelle, ce «condisciple» et «ami de son père» n’est autre que le petit-fils d’une dame dont l’auteure porte le prénom et qui fut la sœur aînée de sa propre mère.
Il y a quelques temps, sirotant un café dans le salon de celle- ci et désirant m’assurer du lien de parenté de mon aïeule avec elle : «Qui est Fatima – Zohra mère de mon grand- père ?» lui demandai-je.
Enrobé de la douceur du sucre et de la saveur du miel de son accent cherchellois, sans détourner le visage vers moi, dans un regard oblique et droit, empreint de fierté et de majesté: «Khétsé» me répondit-elle ...
«Le piano», autre souvenir ému dont l’acquisition souhaitée par la mère ne réussira pas à transformer la fillette en virtuose de noubas andalouses.
«La bicyclette» sera le souvenir le plus cuisant. Alors qu’elle apprenait à monter aidée de l’enfant de la voisine, enseignante comme son père, celui-ci arriva sur ces entrefaites et ordonna à sa fille, pris d’une colère démesurée, de rentrer. La sentence tomba tel un couperet: « Je ne veux pas que ma fille montre ses jambes !»
Plusieurs décennies plus tard, de New York où elle rédige ces lignes, Assia Djebar avoue : «La seule blessure que m’infligea jamais mon père, comme s’il m’en avait tatouée encore à cette heure où j’écris plus d’un demi siècle plus tard !»
Las ! Ce père, comme tous ceux de son époque, pérennisait des principes éducationnels intransigeants, appliqués à sa fille, qui, de surcroît, va à l’école et rompant, ce faisant, définitivement le cours immuable de la vie d’une jeune fille de famille citadine - faut-il le souligner - cloîtrée dans la maison de son père, contrairement à la jeune fille rurale qui, elle, vaquait aux travaux champêtres. Ces mêmes principes qui, à l’époque donc (années 40), contraignaient la lycéenne, interne durant l’année scolaire, à la réclusion durant les vacances.
Ce rigorisme dans l’éducation algérienne appliqué aux filles n’avait d’égal que son opposé direct : le laxisme affiché envers les garçons, quelle que soit l’étendue de leurs frasques, de leurs bêtises, de leurs dépassements. «Il s’assagira en grandissant» diraient, attendries, les aïeules, devant le jeune mâle qui va pérenniser la lignée…
«Le jour du hammam», demeure le souvenir le plus marquant de la fillette. Le cérémonial conférait à cette sortie une dimension démesurée et un aspect festif. C’était l’événement hebdomadaire : rencontres pour la mère avec les villageoises de Guillo ville, pour qui elle devient le centre d’intérêt - l’épouse du maître d’école – et voyage initiatique pour l’enfant. «Aux rives d’un monde souterrain dont le ruissellement des eaux paraît infini.»
L’intérieur de la «Seppa» tapissé de satin rose, calmait les frayeurs de l’enfant tout en suscitant la convoitise des voyeuses alentour ! «La dame de la cité ancienne, qui gardait sa simplicité de bourgeoise au milieu de tant de ruraux des deux bords». Tendre, émue, Assia Djebar raconte le décès du petit frère et le chagrin de la jeune mère; impudique, elle évoque la chambre parentale; ethnologue, puis sociologue, elle décrit le parcours du père à travers les rues du village ou celui de la mère allant au hammam sous le regard respectueux des hommes, Arabes et Français, vis-à-vis du maître d’école ou de son épouse.
Puis, vinrent avec l’adolescence, les années de lycée, l’internat, les lectures, la lecture-passion, les premières confidentes, la liberté- arrachée- de circuler seule dans Alger et le premier rendez-vous …
«Déchirer l’invisible», est selon l’auteure «La traversée de mon adolescence, des scènes par bribes, ou brèves d’un passé qui parfois se penche en ombre inclinée, vers moi.»
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L’image du père
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Tout au long de l’œuvre, le père est omniscient, omniprésent.
Dès la prime enfance, la fillette se sent aimée, choyée. (ses jouets sont de vraies poupées) et entourée de l’affection qui fait d’elle «la fille de son père» selon la formule consacrée dans toutes les familles de la cité pour désigner et nommer «la préférée».
Le prix d’excellence obtenu en fin d’année scolaire (une biographie de Pétain, chef de l’Etat français de l’époque) a déplu au père qui a opposé à l’enthousiasme de l’enfant un demi-sourire ironique ; le père encore, champion de natation de fond et se moquant de la ségrégation raciale en allant se baigner à la plage réservée aux Français et renversant du talon le panneau indiquant «interdit aux Arabes». Le père, immense stature, défiant un parent d’élève français qui venait de le tutoyer.
Enfin, l’épisode cuisant de la bicyclette, provoquant la première fracture, la première faille dans l’image irréprochable du père dans l’esprit d’une enfant de 5 ou 6 ans. Ainsi, il n’est plus infaillible ? «En quoi des jambes de fillette seraient-elles indécentes ?»
Cette image forte du père, va construire l’ossature de la personnalité de l’enfant. Et le nœud gordien se situera dans cette sorte d’ambivalence : la personnalité de l’enfant, de la femme à venir va se construire par et contre le père à la fois.
D’abord par lui, lorsque enfant, elle obéit, sans rechigner à tous les diktats imposés par son père et à travers lui, par la société et la chape de plomb des convenances ; puis contre lui, lorsqu’elle va transgresser certains interdits dès l’adolescence à l’internat du lycée de Blida : sorties, cinémas, promenades, entres autres.
Ainsi, l’adolescente marque son entrée dans l‘émancipation et la modernité par la lecture, le sport, les cours supplémentaires de littérature, l’étude de la poésie arabe, dans une volonté consciente et délibérée d’aller à l’encontre de la volonté paternelle en sortant sans permission, en fréquentant un garçon lycéen comme elle, en se promenant seule dans Alger «nue», c’est-à-dire dévoilée….
Dès la prime enfance, la fillette se sent aimée, choyée. (ses jouets sont de vraies poupées) et entourée de l’affection qui fait d’elle «la fille de son père» selon la formule consacrée dans toutes les familles de la cité pour désigner et nommer «la préférée».
Le prix d’excellence obtenu en fin d’année scolaire (une biographie de Pétain, chef de l’Etat français de l’époque) a déplu au père qui a opposé à l’enthousiasme de l’enfant un demi-sourire ironique ; le père encore, champion de natation de fond et se moquant de la ségrégation raciale en allant se baigner à la plage réservée aux Français et renversant du talon le panneau indiquant «interdit aux Arabes». Le père, immense stature, défiant un parent d’élève français qui venait de le tutoyer.
Enfin, l’épisode cuisant de la bicyclette, provoquant la première fracture, la première faille dans l’image irréprochable du père dans l’esprit d’une enfant de 5 ou 6 ans. Ainsi, il n’est plus infaillible ? «En quoi des jambes de fillette seraient-elles indécentes ?»
Cette image forte du père, va construire l’ossature de la personnalité de l’enfant. Et le nœud gordien se situera dans cette sorte d’ambivalence : la personnalité de l’enfant, de la femme à venir va se construire par et contre le père à la fois.
D’abord par lui, lorsque enfant, elle obéit, sans rechigner à tous les diktats imposés par son père et à travers lui, par la société et la chape de plomb des convenances ; puis contre lui, lorsqu’elle va transgresser certains interdits dès l’adolescence à l’internat du lycée de Blida : sorties, cinémas, promenades, entres autres.
Ainsi, l’adolescente marque son entrée dans l‘émancipation et la modernité par la lecture, le sport, les cours supplémentaires de littérature, l’étude de la poésie arabe, dans une volonté consciente et délibérée d’aller à l’encontre de la volonté paternelle en sortant sans permission, en fréquentant un garçon lycéen comme elle, en se promenant seule dans Alger «nue», c’est-à-dire dévoilée….
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La prise de conscience
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L’impact de l’éducateur sur son enfance puis plus tard sur son devenir, fera naître chez la fillette une prise de conscience : celle de l’histoire de l’émancipation de la femme par le père ; c’est à travers cette ombre tutélaire qu’elle se construit et c’est en se rebellant contre lui qu’elle se construit aussi ; l’adolescente constate cependant une ambivalence: si le père demeure le gardien de la tradition la plus stricte, il est en même temps et à la fois le libérateur, en consentant à envoyer sa fille au collège dans la ville voisine , alors que seule et à son âge, elle prend le car pour s’y rendre … l’entrée dans la modernité par l’émancipation ne se fera pas sans conflits intérieurs par rapport au père : lui faire plaisir petite, aller contre sa volonté jeune fille.
C’est de cette ambivalence que naîtront tous les questionnements, toutes les peurs: «Si mon père l’apprend, je me tue…» , Toutes les angoisses face à l’autorité parentale dont l’ombre projetée n’est autre que celle de la société tout entière , avec ses règles d’acier et ses lois d’airain. C’est cette dualité qui est mise en exergue – pour une lecture plurielle de l’ouvrage- celle des couples citadins / ruraux, riches / pauvres, lettrés / illettrés, Français / Arabes – La partition coloniale - dira Assia Djebar, pour lesquels quelques rares points de rencontre sont évoqués dans les seuls microcosmes que sont l’école, l’internat ou le voisinage .Deux mondes opposés, selon la dualité sociale camusienne, chacun évoquant celui de l’autre. C’est à travers cette dualité hommes /femmes, dans les années 40, 50 et même 60 que les femmes, elles, se sont opposées à l’émancipation de leurs filles et à leur accès à la modernité.
Si l’auteure «s’approprie» la rue, sa mère hésite à lui confectionner une robe qui découvrirait ses épaules «par crainte du père !»
Dans la trilogie dibienne l’émancipateur est le père et c’est pourtant l’aïeule qui refuse l’entrée du lycée à la jeune fille !
C’est de cette puissance maléfique des femmes envers d’autres femmes que surgissent souvent des personnalités masculines divergentes ou non assumées. Souvent, l’homme «au dehors» est différent de celui «du dedans» et l’auteure place ce constat dans l’esprit de M. Sari: «Monsieur Sari savait combien ces femmes, devant leurs maris et leurs fils, faisaient semblant de croire que ceux-ci restaient les maîtres …du moins dans la cour de leurs maisonnettes.»
C’est ce regard enfin, sur le monde des autres et sur celui de son époque, celui d’une fillette à cheval entre deux cultures, deux mondes que tout oppose et vivant côte à côte.
La résultante sera cette structuration de sa personnalité et de son devenir adulte qui ne pourra jamais se dissocier de toutes les contradictions sociales et familiales au sein desquelles elle a été éduquée, donc construite. C’est à travers son enfance et son adolescence que l’académicienne livre, dans ce chef-d’oeuvre, une étude sociologique de l’Algérie des années 40 et 50, qui a vu l’émergence de la femme algérienne vers l’émancipation, vers l’instruction et la modernité et dont elle fut, elle, l’une des pionnières.
Et la romancière de conclure : «Pourquoi ne pas te dire dans un semblant de sérénité, une douce ou indifférente acceptation : ne serait-ce pas enfin le moment de tuer, même à petit feu, ces menues braises jamais éteintes ? Interrogation qui ne serait pas seulement la tienne, mais celle de toutes les femmes de là-bas, sur la rive sud de la Méditerranée...pourquoi, mais pourquoi je me retrouve, moi et toutes les autres, nulle part dans la maison de mon père ?»
C’est de cette ambivalence que naîtront tous les questionnements, toutes les peurs: «Si mon père l’apprend, je me tue…» , Toutes les angoisses face à l’autorité parentale dont l’ombre projetée n’est autre que celle de la société tout entière , avec ses règles d’acier et ses lois d’airain. C’est cette dualité qui est mise en exergue – pour une lecture plurielle de l’ouvrage- celle des couples citadins / ruraux, riches / pauvres, lettrés / illettrés, Français / Arabes – La partition coloniale - dira Assia Djebar, pour lesquels quelques rares points de rencontre sont évoqués dans les seuls microcosmes que sont l’école, l’internat ou le voisinage .Deux mondes opposés, selon la dualité sociale camusienne, chacun évoquant celui de l’autre. C’est à travers cette dualité hommes /femmes, dans les années 40, 50 et même 60 que les femmes, elles, se sont opposées à l’émancipation de leurs filles et à leur accès à la modernité.
Si l’auteure «s’approprie» la rue, sa mère hésite à lui confectionner une robe qui découvrirait ses épaules «par crainte du père !»
Dans la trilogie dibienne l’émancipateur est le père et c’est pourtant l’aïeule qui refuse l’entrée du lycée à la jeune fille !
C’est de cette puissance maléfique des femmes envers d’autres femmes que surgissent souvent des personnalités masculines divergentes ou non assumées. Souvent, l’homme «au dehors» est différent de celui «du dedans» et l’auteure place ce constat dans l’esprit de M. Sari: «Monsieur Sari savait combien ces femmes, devant leurs maris et leurs fils, faisaient semblant de croire que ceux-ci restaient les maîtres …du moins dans la cour de leurs maisonnettes.»
C’est ce regard enfin, sur le monde des autres et sur celui de son époque, celui d’une fillette à cheval entre deux cultures, deux mondes que tout oppose et vivant côte à côte.
La résultante sera cette structuration de sa personnalité et de son devenir adulte qui ne pourra jamais se dissocier de toutes les contradictions sociales et familiales au sein desquelles elle a été éduquée, donc construite. C’est à travers son enfance et son adolescence que l’académicienne livre, dans ce chef-d’oeuvre, une étude sociologique de l’Algérie des années 40 et 50, qui a vu l’émergence de la femme algérienne vers l’émancipation, vers l’instruction et la modernité et dont elle fut, elle, l’une des pionnières.
Et la romancière de conclure : «Pourquoi ne pas te dire dans un semblant de sérénité, une douce ou indifférente acceptation : ne serait-ce pas enfin le moment de tuer, même à petit feu, ces menues braises jamais éteintes ? Interrogation qui ne serait pas seulement la tienne, mais celle de toutes les femmes de là-bas, sur la rive sud de la Méditerranée...pourquoi, mais pourquoi je me retrouve, moi et toutes les autres, nulle part dans la maison de mon père ?»
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Nora Sari
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