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Le
discours sur la femme maghrébine post-Indépendance se trouve confronté
à la sempiternelle problématique tradition/modernité, Orient/Occident,
séculier/régulier. Dans notre espace maghrébin, la situation de la gent
féminine évolue en fonction des modèles socioculturels (et cultuels).
L'enjeu fondamental convoité par les idéologies sociétale, partisane,
politique, religieuse... est concentré au niveau de sa liberté qui
tangue entre une tradition ancestrale désuète et une modernité qui
gravite dans l'orbite d'un monde en perpétuel changement.
Ainsi, la société maghrébine post-Indépendance pose, avec acuité, la
problématique de la femme par rapport à la modernité. Le discours
littéraire foisonne dans ce domaine. Boudjedra, Benhadougga, Djebbar,
Ben Djelloun... posent cette thématique dialectique
(tradition/modernité) parce qu'ils sont à cheval sur deux aires
culturelles : arabo-islamique et occidentale et, aussi, confrontés à
deux lectorats : arabophone et francophone dans une même ère et un même
espace. La femme moderne est souvent assimilée à sa congénère
européenne. Assimilation, d'ailleurs, qui ne lui sied aucunement vu
qu'elle est d'une autre aire culturelle, cultuelle et géographique.
Écrivains et intellectuels avertis conjuguent leurs efforts pour tenter
d'aplanir les querelles byzantines entre apologistes et détracteurs et
trouver une plateforme de cohérence afin d'endiguer les différends qui
pourraient éroder, davantage, les pans fragiles de la société. Cette
cohérence devient, alors, un projet de construction socioculturelle
pour empêcher la suprématie, voire la récupération du discours
idéologique (politique et/ou religieux) sur le discours social. La
production de nos écrivains et, particulièrement, celle de nos
écrivaines est une forme de repartie au discours négateur de la femme à
certains idéologues nihilistes en ce qu'elle (production) repose sur
une lecture du réel vécu.
Si la philosophie de l'Islam
évolutionnaire occupe une place honorable dans la production
littéraire, c'est pour éviter à la femme de rester en rade de la vie
sociale. Elle n'est pas seulement la moitié de l'homme, elle est aussi
la moitié de nation.
L'avènement de l'Islam lui a accordé des
droits inaliénables dont ses congénères non-Musulmanes en étaient
forcloses, notamment, le droit à l'héritage. «Le garçon a droit à deux
parts de la fille» 1. Elle est aussi respectée : « Les meilleurs hommes
de ma communauté, disait le Prophète (QSSL), sont les meilleurs avec
leurs femmes, les meilleures femmes de ma communauté sont les
meilleures avec leurs maris» 2.
Ainsi, la loi islamique
authentique a pourvu la femme des droits que, hélas, les traditions
sociales rétrogrades s'acharnent à les lui confisquer tel que le choix
du partenaire (époux), de travailler, d'assumer des responsabilités
socioprofessionnelles, de disposer de ses revenus si elle exerce une
profession salariée... Son droit à l'instruction, tout comme son frère,
n'a aucune limite. Elle peut aller en Chine, elle aussi, pour acquérir
le savoir. L'Islam considère qu'une société instruite peut s'épanouir
et s'émanciper : «Dieu élèvera en degré ceux qui d'entre vous ont cru
et ceux qui ont acquis un savoir»3. Et le Prophète de renchérir :
«Celui qui s'engage dans la recherche de la science, Dieu lui ouvrira la voie qui le conduit au Paradis» 4.
La nation musulmane est une nation de «Iqra'» parce qu'une nation
instruite est policée. Elle sait lutter intelligemment contre la
dépravation des moeurs et de la morale, se libérer des contraintes
coutumières qui se sont greffées, au fil du temps, au point de prendre
des allures religieuses alors que l'Islam orthodoxe les nie parce
qu'elles lui sont étrangères. Tel que limiter le rôle de la femme
uniquement au foyer et à la procréation.
La femme musulmane
est reconnue, par la religion, en tant qu'être humain à part entière.
Elle n'est ni un succube ni un suppôt de Satan comme c'est le cas dans
certaines croyances. C'est la raison pour laquelle son rôle, dans la
famille, est central puisqu'elle est le centre de gravité du bonheur
familial.
L'acquisition du savoir lui est, impérativement,
prescrite par l'Islam pour qu'elle puisse comprendre son temps,
connaître son espace et pourquoi pas d'autres horizons. Son instruction
lui permet d'éduquer ses enfants pour en faire, plus tard, des citoyens
et des citoyennes intègres au service de leur pays et de leur société.
«La mère est une école, disait Hafadh Ibrahim, si tu l'instruis, tu
prépares un peuple qui a de bonnes racines» 5.
Or, le sort
réservé à la femme maghrébine - voire musulmane, en général - est
tellement déficient qu'elle semble vivre au seuil de la vie presque
devant la porte de sa tombe. Emmurée, cachée, battue, elle est
l'esclave de peine et du plaisir. Nombre d'entre elles ne connaissent
de la vie que son ombre. Il faut rappeler que parmi ces femmes, il y a
nos mères, ces êtres chers et chéris. Combien d'entre elles ont laissé
leur vie ou ont frôlé les rivages brumeux de la mort en voulant donner
la vie à leurs chérubins. C'est pourquoi le Prophète rappelait que «Le
Paradis est sous les pieds des mères.» Il dit aussi dans Son Discours
d'Adieu sur le Mont Arafat: « Je vous recommande de prendre soin des
femmes».
Certains féodaux appliquent le principe qu'»il est
donné à la femme (musulmane, entendons) de sortir trois fois dans sa
vie : du ventre de sa mère au monde, du domicile parental au foyer
conjugal et de sa demeure à sa tombe». Comme si elle vient dans ce
monde par effraction ou sa vie est une erreur. Elle n'a pas le droit de
connaître d'autres espaces, d'autres contrées que ses murs ?
Si nous sommes arrivés à de pareilles convictions, c'est parce que des
innovations [bida'] (pourtant interdites en Islam) se sont insérées
dans les pratiques religieuses et se sont consolidées au point de
devenir source de négation de la femme qui tentent de la spolier de ses
droits originels. Elle s'est engagée à lutter pour les faire
(re)valoriser à commencer par le refus de son statut d'éternelle
mineure et, par-là même, réfuter le pouvoir tutélaire du mâle. Elle
veut se libérer du joug des traditions contraignantes qui sont plus
sociales qu'islamiques. Le Prophète disait: «une fille ne peut être
mariée sans son consentement» 6. Ce qui montre explicitement que la
femme ne doit pas être une monnaie d'échange. Ce hadith est conforté
par le verset coranique : « Dieu! Donne-nous en nos épouses (nos époux)
et nos enfants la joie et le contentement et fais de nous un modèle à
suivre par les pieux» 7. Ceci prouve le respect que l'Islam inspire à
la gent féminine pour être (ou plutôt pour avoir été) «La meilleure
nation venue au monde» 8. Équilibrée et moderne, elle s'attelle à
poursuivre, sans relâche, sa voie vers le progrès en livrant bataille
aux valeurs féodales, rétrogrades et réactionnaires. Quant à la
polygamie, qui était déjà une pratique antéislamique, l'Islam l'a
réglementée en limitant le nombre à quatre épouses sous réserve d'être
équitable entre elles.
Le combat à mener pour le progrès,
tant temporel que spirituel, est d'abord celui du Musulman sur lui-même
au niveau des mentalités. A commencer par ceux qui détiennent
réellement les leviers du Pouvoir. Qu'ils se conduisent en modèles
envers leurs compatriotes, comme le faisait le Prophète (QSSL). Ces
derniers leur emboîteront le pas et nous redeviendront, comme par le
passé, les guides pour les autres nations. Pour ce faire, il faut qu'il
y ait un saut qualitatif de la raison chez ceux qui nous dirigent. Ce
qui est, pour l'heure hélas, loin d'être le cas.
La femme ne
doit pas être réduite seulement à un corps nommé désir pour le plaisir,
c'est-à-dire ravalée au rang du repos du guerrier. Elle est appelée à
fonctionner à l'intérieur de sa société pour contribuer à son
émancipation sans, pour cela, faire fi de la tradition en tant que
valeur sûre et sacrée. Toutefois, s'émanciper ne veut pas dire «singer»
l'Européenne dans ce qu'elle a de médiocre tel que fumer, boire...
Sinon, elle est en rupture déclarée avec les valeurs socioculturelles
en vigueur. Ce qui ne l'empêche pas, non plus, de remettre en cause
certaines moeurs pernicieuses qui entravent son épanouissement social
et intellectuel pour mieux s'intégrer dans la société. Elle rejette
l'obscurantisme politique et religieux qui l'exclut du discours
général. Certes, il y a quelques percées dans notre région qui lui
concèdent certains droits, à savoir le droit au vote, à l'instruction,
au travail, aux responsabilités administratives et/ou politiques
(directrices, députées, ministres...). Ce qui est, en soi, insuffisant.
Si la société arabe, en général, ne revoie pas et ne corrige
pas son rigorisme et n'acquière pas une certaine flexibilité d'esprit,
si elle continue à maintenir la femme dans son statut «d'objet de
désir» au lieu de la reconnaître en tant que «sujet de développement»,
notre nation aura du mal à progresser. Pis, elle continuera à fermer la
marche des nations déréglées au lieu de rattraper le peloton des
nations avancées et organisées qui ont résolu, depuis des lustres, le
problème de la femme. On ne puit imaginer un corps humain hémiplégique
fonctionner à plein rendement avec seulement... la moitié de ses
capacités.
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Docteur ès lettres Université de Chlef
1. Soura 4 ; verset : 11
2. Hadith rapporté par Tirmidhi
3.Soura 58, verset : 11
4. Hadith rapporté par Tirmidhi
5. Hafadh Ibrahim, pietà égyptien
6. Hadith rapporté par Boukhari
7. Soura 25, verset : 74
8. Soura 3, verset : 110
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