Des vérités qui dérangent.
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«Couronnez messieurs du Jury que ne puis accepter vos couronnes»
Propos attribués à Jean-Paul Sartre suite à son refus du prix Nobel.
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Depuis sa création (1901), le prix Nobel a été
décerné 34 fois à des femmes. Marie Curie est la seule à l’avoir reçu
deux fois: il n’y a donc, pour l’instant, que 34 femmes qui ont reçu le
prix Nobel. Jusqu’à septembre 2007, le nombre total de lauréats était
de 785 dont 33 femmes, 733 hommes et 19 organisations. Deux lauréats
déclinèrent personnellement le prix Nobel: Jean-Paul Sartre, le prix
Nobel de Littérature en 1964, Comme il écrit: «Les raisons
personnelles sont les suivantes: mon refus n’est pas un acte improvisé.
J’ai toujours décliné les distinctions officielles. Ce n’est pas la
même chose si je signe Jean-Paul Sartre ou si je signe Jean-Paul Sartre
prix Nobel. [...] L’écrivain doit donc refuser de se laisser
transformer en institution même si cela a lieu sous les formes les plus
honorables comme c’est le cas. [...]Le seul combat actuellement
possible sur le front de la culture est celui pour la coexistence
pacifique des deux cultures, celles de l’Est et celle de l’Ouest.[..]
Pendant la guerre d’Algérie alors que nous avions signé le ´´Manifeste
des 121 ´´, j’aurais accepté le prix avec reconnaissance, parce qu’il
n’aurait pas honoré que moi mais aussi la liberté pour laquelle nous
luttions. Mais cela n’a pas eu lieu et ce n’est qu’à la fin des combats
que l’on me décerne le prix».(1)
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Souvent, la polémique...
C’est
de la fortune considérable de Nobel, inventeur de la dynamite, que
proviennent les fonds qui permettent depuis 100 ans de décerner chaque
année les 5 prestigieux prix Nobel (Physiologie et Médecine, Paix,
Littérature, Physique, Chimie), auxquels se rajouta par la suite le
prix d’Économie alimenté par d’autres sources. Si, par leur nature, le
prix Nobel de la Paix et celui de la Littérature donnèrent parfois lieu
à des controverses, les trois prix scientifiques ont, durant ce siècle,
produit remarquablement peu d’erreurs: comment choisit-on les prix
Nobel? Y a-t-il des pressions politiques de la part des nations
intéressées? Existe-t-il des marchandages entre telles ou telles
branches de la science?
Il faut savoir que l’attribution des prix
Nobel a donné lieu souvent à polémiques. Notamment les prix Nobel de la
Paix attribués de façon nette sous l’influence de la politique décidée
et imposée par les puissances occidentales en fonction d’un ordre
impérial avec naturellement le monopole du sens. Le prix Nobel de la
Paix récompense «la personnalité ayant le plus ou le mieux contribué
au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des
armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour
la paix», selon les volontés d’Alfred Nobel. Cela comprend la lutte
pour la paix, les droits de l’homme, l’aide humanitaire, la liberté. Il
a été attribué pour la première fois en 1901. Le prix Nobel de la Paix
a aujourd’hui une extraordinaire importance politique, certains prix
ayant une valeur de désaveu de gouvernements qui ne rentrent pas dans
le rang. Ainsi, certaines nominations ont eu une résonance particulière
comme celle de Theodore Roosevelt en 1906 qui fut fortement contestée,
car Roosevelt était militariste. En fait, et pour faire court,
l’attribution des prix Nobel semble se faire en fonction de la
politique occidentale du moment. Ainsi, Le Duc Tho qui négocia avec
Kissinger la paix au Vietnam refusa le prix Nobel accepté par
Kissinger. Quand il s’est agi de diaboliser l’empire soviétique, on «attribua»
le prix Nobel de la Paix à Lech Walesa, quad il s’est agi d’arracher le
Timor oriental chrétien à l’Indonésie musulmane, il fallait donner une
légitimité à Mgr Belo. Quand il a fallu conforter Israël on convainc
Anouar Sadate d’aller à la Knesset, pour cette reconnaissance d’Israël,
les Arabes protestèrent en vain, la Ligue arabe déménagea à Tunis.
Anouar Sadate eut le prix Nobel avec Menahem Begin, le terroriste de
l’Irgoun devenu fréquentable. Sadate sera tué. Plus tard, Arafat eut le
prix Nobel en compagnie de ses anciens adversaires mais son pays est
toujours dans la tourmente. Le prix Nobel à l’Aiea ou a l’ONU ont
soulevé beaucoup de critiques, affaires du Ruanda et surtout de la
Bosnie gérées de façon calamiteuse par l’ONU et Koffi Annan. Il en est
de même pour l’Aiea avec Hans Blix puis Mohamed El Baradei dans la
tragédie irakienne.
Dans le même ordre, la diabolisation de l’Union
soviétique a fait que le prix Nobel 1970 a été attribué à Alexandre
Soljenitsyne, dissident soviétique, assigné à résidence. Il ne put
percevoir sa distinction qu’après avoir été déchu de sa nationalité
soviétique et exclu d’U.R.S.S. en 1974, et reçu naturellement comme un
héros aux Etats-Unis.
De même, un rapport sensationnel de
l’historien Ivan Tolstoï a sérieusement bousculé les idées reçues sur
l’attribution à Boris Pasternak du prix Nobel de Littérature en 1958.
Selon Ivan Tolstoï, il s’agit d’une opération tramée par la CIA. «Le
Comité Nobel étudiait depuis longtemps et avec attention l’oeuvre
géniale du poète et écrivain russe. Il manquait une seule et dernière
chose pour forcer la décision. C’est le roman Docteur Jivago qui a joué
le rôle de la dernière goutte qui fait déborder le vase. Boris
Pasternak présenta son livre aux éditions nationales, à une revue et,
parallèlement, l’envoya à l’éditeur italien, Giangiacomo Feltrinelli.
Ayant appris qu’un certain Pasternak avait fait parvenir à l’Occident
son roman antisoviétique, Nikita Khrouchtchev, à l’époque maître du
pays, se mis dans une fureur pathologique et lança une campagne enragée
de persécution du poète dans la presse. C’est alors que la CIA, affirme
Ivan Tolstoï, se rendit compte de tous les avantages qui découlaient de
la persécution de Pasternak, dans le contexte de la guerre froide, et à
quel point il serait sensationnel de remettre le prix Nobel de
littérature à un génie antisoviétique. Ivan Tolstoï prétend que le
texte du roman aurait été volé par des agents de la CIA de la valise
d’un voyageur aérien européen, puis recopié en deux heures pour être
finalement restitué au propriétaire sans que celui-ci s’en aperçoive.
Bref, ayant copié en cachette le manuscrit, la CIA, brouillant les
pistes, fit paraître le roman de Pasternak en russe par extraits, le
faisant éditer par différentes imprimeries, puis rassembla les
fragments en un tout, contraignit l’éditeur Feltrinelli à couvrir cette
affaire de son nom, et voilà qu’au mois d’août 1958, un exemplaire du
roman apparut devant les membres du Comité Nobel. Les formalités
étaient respectées, et peu après, le 22 octobre 1958, le comité suédois
annonça le nom du nouveau lauréat, celui de Boris Pasternak, pour ses
mérites exceptionnels dans la poésie lyrique contemporaine et dans le
domaine de la grande prose russe. En somme, le grand poète serait
devenu l’otage et la victime d’une opération lancée par la CIA.»(2)
Enfin,
comble d’ironie, des prix Nobel sont attribués à des personnes qui se
trouvent avoir un passé nazi comme Gunter Grass prix Nobel 1999 ou
encore John Steinbeck (prix Nobel de Littérature 1960) chantre le plus
engagé pour la guerre au Vietnam. Plusieurs prix Nobel américains ont
d’ailleurs signé une pétition pour la légitimité de la guerre en Irak.
L’année
dernière, le bruit avait couru que Assia Djebbar était nobélisable,
elle n’avait aucune chance, car il faut qu’elle soit parrainée et dans
ce domaine comme dans tant d’autres, les lobbys ont un rôle majeur. Par
contre, quand il y a une cause qui sous-tend la désignation en fonction
d’une stratégie, il n’y a pas de contrainte ou d’obstacle. Ainsi, la
désignation de Shirin Ebadi obéit à cette logique, choisie parmi 165
candidats tous aussi respectables les uns que les autres, elle avait
sur eux l’avantage de la condition de la femme en terre d’Islam: le
prix Nobel de la Paix 2003 a été attribué hier à Shirin Ebadi. Cette
avocate iranienne qui exerçait les fonctions de juge sous l’ancien Shah
et a été destituée par l’imam Khomeynei (une femme étant considérée
comme «trop émotive» pour présider un tribunal...Dans le domaine
des sciences dures, les controverses ne sont pas au niveau de la
désignation, mais surtout au niveau de l’éthique. Ainsi, le prix Nobel
de Médecine de cette année constitue la consécration de la découverte
des cellules souches. C’est en 1981 que le Britannique Martin Evans, de
l’Université de Cardiff, découvrit les cellules souches embryonnaires,
et prouva qu’elles sont pluripotentes: cela signifie qu’elles ne sont
pas encore spécialisées. Elles peuvent devenir n’importe quoi: cellules
cardiaques, cellules neuronales, cellules de la peau, du sang, des
poils, etc. Cinq ans plus tard, un Italien et un Britannique, Mario
Capecchi et Oliver Smithies, qui partagent aujourd’hui le Nobel avec
Martin Evans, devinrent les premiers à faire naître des souris dont ils
avaient «désactivé» certains gènes avant la naissance. Evans a démontré qu’il existait un mécanisme caché au coeur de ces cellules «originales»,
qui envoyait un signal lors des futures divisions cellulaires: toi, tu
deviendras un poumon; toi, tu deviendras un rein. Capecchi et Smithies
ont effectué un premier pas vers la manipulation des gènes dès le stade
embryonnaire. Dès lors, la question allait hanter les chercheurs:
pourrait-on contrôler ce processus chez les humains, par exemple, pour
fabriquer des poumons ou des reins à volonté, en vue de
transplantations? Vingt-cinq ans plus tard, la question est le moteur
même de l’un des domaines de la recherche scientifique les plus
prolifiques...et les plus controversés. Controversés, parce que, bien
sûr, qui dit cellules souches dit embryons. Et qui dit embryon dit
controverse...dit éthique et limites à ne pas dépasser...Apparemment,
ceci ne semble pas déranger les membres du Jury de Stokholm.
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La grande controverse
Sans
vouloir être négativiste à tout prix, le prix Nobel de la Paix décerné
à Al Gore pour son film An inconvenient truh paraît discutable. Ce
n’est pas en 4X4 que l’on peut lutter contre les changements
climatiques. L’Académie n’a-t-elle pas cédé à la tentation du «sujet à la mode».
Sans remettre totalement en cause l’honnêteté de l’engagement d’Al Gore
pour cette problématique, il faudrait rappeler que peu de temps après
la sortie de son film, les médias révélaient une autre vérité qui avait
de quoi déranger le nouveau chantre de la lutte contre le réchauffement
planétaire: sa propriété aurait consommé, en 2006, vingt fois plus
d’électricité qu’une maison moyenne américaine. Une controverse
toujours d’actualité: l’idée d’un nouveau «prix Nobel» celui de
l’Economie vient de Per Åsbrink, gouverneur de la Banque de Suède
(Sveriges Riksbank), la plus ancienne banque centrale du monde. Le prix
de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel
dit «prix Nobel» d’Economie, récompense chaque année des
contributions exceptionnelles en économie. Il a été fondé en 1968 et
doté par la Banque de Suède, à l’occasion de son 300e anniversaire.
Dans
son numéro du 10 décembre 2004, le grand quotidien suédois Dagens
Nyheter a publié une longue tribune signée du mathématicien suédois,
Peter Jager, membre de l’Académie royale des sciences, de l’ancien
ministre de l’Environnement, Mans Lonnroth, et de Johan Lonnroth,
économiste et ancien membre du Parlement suédois. L’article montrait de
manière détaillée comment certains économistes, au nombre desquels
plusieurs récipiendaires du prix de la Banque de Suède, avaient fait un
mauvais usage des mathématiques en créant des modèles de dynamiques
sociales irréalistes. «Jamais, dans la correspondance d’Alfred
Nobel, on ne trouve la moindre mention concernant un prix en économie,
nous a précisé M.Peter Nobel dans un entretien exclusif. La Banque
royale de Suède a déposé son oeuf dans le nid d’un autre oiseau, très
respectable, et enfreint ainsi la ´´marque déposée´´ Nobel. Les deux
tiers des prix de la Banque de Suède ont été remis aux économistes
américains de l’école de Chicago, dont les modèles mathématiques
servent à spéculer sur les marchés d’actions - à l’opposé des
intentions d’Alfred Nobel, qui entendait améliorer la condition humaine.»
Une imposture scientifique est mise en cause. Si cette controverse n’a
guère de chances de figurer au menu des élites regroupées à Davos, dans
la Suisse enneigée, elle mériterait d’être à l’ordre du jour du Forum
social mondial de Porto Alegre.(3)
Pour tourner en dérision le prix
Nobel, des universitaires de renom ont créé l’Ig Nobel Prize qui rend
chaque année honneur aux gens dont les accomplissements «ne peuvent pas ou ne doivent pas être reproduits»
(la reproductibilité étant un des critères de la méthode scientifique).
L’expression reprend le nom d’une revue irrévérencieuse des années
1960, The Journal of Unreproducible Results. Dix prix sont donnés
chaque année à quelques personnes qui ont fait des choses
remarquablement bêtes parfois admirables, mais parfois pas. Les prix
sont présentés à l’université Harvard avec le patronage de la revue
d’humour en science Annals of Improbable Research. Les premiers prix
IgNobel ont été remis en 1991. Le nom est un jeu de mots qui se moque
des prix Nobel: en anglais, «Ig Nobel» se prononce approximativement comme le mot «ignoble».
Plusieurs lauréats parmi eux, en physique: Thomas M.Kyle, authentique
farceur, pour sa découverte de l’élément le plus lourd de l’univers,
l’Administratium, qui comprend un neutron, huit neutrons-assistants, 35
vice-neutrons et 256 vice-neutrons-assistants. En mathématiques:
l’Église baptiste sudiste de l’Alabama, mesureuse mathématique de
moralité, pour ses estimations comté par comté du nombre de citoyens
d’Alabama destinés à l’enfer sans repentir. Enfin, en psychologie:
David Dunning de l’université de Cornell et Justin Kreuger de
l’université de l’Illinois, pour leur modeste étude, «Incapables et
inconscients de l’être: comment la difficulté de reconnaître sa propre
incompétence mène à une surévaluation de soi». Improbable Research, a pour thème «Les recherches qui font d’abord rire puis réfléchir».
Le succès de cette gentille mascarade ne se dément pas, au contraire.
Il semble qu’il augmente d’année en année. Alors que les prix ont
longtemps été remis, le plus souvent, en l’absence des intéressés, les
lauréats 2006 n’ont pas hésité à faire le voyage à Harvard pour se
prêter au jeu, et dans le monde entier, on se fait l’écho de cette
cérémonie pour rire. Selon l’agence canadienne, Science Presse, les
journaux ont mieux couvert les Ig Nobel que les vrais prix Nobel...
Les
dynamiques souterraines qui président aux désignations des prix Nobel
sont loin d’être simples. Ce n’est pas demain que l’on verra une
alternative crédible pour prendre en charge les «Nobels» qui représentent les compétences des 80% restant de la planète.
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1.Lettre de Jean-Paul Sartre au Comité Nobel. Octobre 1964
2.Anatoli Korolev. La CIA délivre le prix Nobel à Boris Pasternak: Vendredi 23 Février 2007
3.Hazel Anderson: Prix Nobel d’économie: L’imposture Le Monde diplomatique février 2005.
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Pr Chems Eddine CHITOUR
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