.
Il
y a quelques mois, s'éteignait Lucie Aubrac. Son nom est associé à la
résistance française, à l'occupation allemande, moins aux combats
qu'elle a menés après la chute du nazisme, combats qu'elle a menés
jusqu'à son dernier souffle. Elle ne pouvait supporter quelque
injustice que ce soit, quels qu'en soient l'auteur et la victime. Plus
encore, elle disait que les raisons qui l'avaient conduite à la
Résistance et à la clandestinité restaient celles-là mêmes qui
inspiraient sa lutte contre le sort fait aux exclus, contre les crimes
de la colonisation, contre le racisme... Elle disait volontiers que «
le verbe résister doit se conjuguer au présent ». Guy Môquet, exécuté
en 1941, n'a pas vécu les lendemains de la chute du nazisme. Pour
autant, serait-il si hasardeux d'avancer qu'il aurait sans doute
cheminé de conserve avec Lucie et Raymond Aubrac et les autres
résistants qui ont lutté et luttent encore pour la fin de toutes les
injustices, y compris quand leur propre pays y a une part ? Non, sans
doute. Sans doute aurait-il reconnu comme un frère de combat Ahmed
Zabana, militant de l'indépendance algérienne, premier résistant à
mourir guillotiné en 1956, aux termes d'un simulacre de procès conduit
par un tribunal colonial. Il aurait reconnu comme un frère celui qui
déclarait, du fond de la sinistre prison Barberousse d'Alger : « Le
savoir, c'est la vie la plus noble et l'ignorance, la plus longue mort
». Et comment n'aurait-il pas vu un écho de sa lettre émouvante dans
cette dernière missive qu'adressa Ahmed Zabana à ses parents, à la
veille de son exécution ?
.
Mes chers parents, ma chère mère,
Je vous écris sans savoir si cette lettre sera la dernière et cela,
Dieu seul le sait. Si je subis un malheur quel qu'il soit, ne
désespérez pas de la miséricorde de Dieu car la mort pour la cause de
Dieu est une vie qui n'a pas de fin, et la mort pour la patrie n'est
qu'un devoir. Vous avez accompli votre devoir puisque vous avez
sacrifié l'être le plus cher pour vous. Ne me pleurez pas et soyez
fiers de moi.
Enfin, recevez les salutations d'un fils et
d'un frère qui vous a toujours aimés et que vous avez toujours aimé. Ce
sont peut-être là les plus belles salutations que vous recevez de ma
part, à toi ma mère et à toi mon père ainsi qu'à Nora, El Houari,
Halima, El Habib, Fatma, Kheïra, Salah, Dinya et à toi, mon cher frère
Abdelkader ainsi qu'à tous ceux qui partageront votre peine.
Allah est Le Plus Grand et Il est seul à être équitable.
Votre fils et frère qui vous aime de tout son cœur. Hmida*.
.
.
*Surnom affectueux d'Ahmed Zabana
.
Saluer la mémoire de Guy Môquet est nécessaire, à condition de ne pas
l'inscrire dans une histoire exclusivement nationale mais dans celle du
combat sans cesse renouvelé de l'humanité tout entière contre
l'injustice, dans sa tension vers un avenir de dignité, d'égalité et de
fraternité.
.
.
.
par Brahim Senouci
.
.
Les commentaires récents