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Parmi les préceptes de Ramadan, nous notons la pondération. Toute une culture de sagesse.
Malheureusement, depuis un certain temps, on remarque des outrances de
tout ordre autour de ce mois sacré. Que des penchants gastronomiques et
excès en tous genres. Alors qu'il est censé être - avant tout - des
moments de profonde sérénité, de piété, et d'évitement de toute
exubérance aussi bien des actes ostentatoires que des paroles
saugrenues. Dont le mensonge qui, d'après des exégètes, altère
considérablement la portée du jeûne. En vérité, ses commandements sont,
en principe, les bases même de notre quotidienneté durant toute la vie.
Hélas, le foisonnement de médias télévisuels proférant des paroles - à
tout vent - ont pollué la sphère spirituelle privée de beaucoup de gens
enclins, justement, à la rationalité et sobriété des choses de la vie.
A
cet effet, cette contribution est un ensemble de brefs souvenirs des
lointains Ramadans, caractérisés par des valeurs et comportements
différents des actuels chargés d'excès, notamment en paroles déplacées
voire vexatoires, dont les impacts touchent des millions de personnes.
Comme celles faites la veille de ce mois de retenue autour, entre
autres, d'un mesfouf au lait - repas ramdanesque de consistance
alimentaire pour tous les ménages algériens -, notamment démunis, qui
est hélas importé à plus de 65 % (1). Toute une perte d'autonomie
alimentaire coutumière.
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LES ANNEES D'AUTONOMIE ET DE FRUGALITE ALIMENTAIRE
La
nostalgie, ce sentiment émouvant, amourachant les coeurs et les
esprits, est un voyage aller-retour entre le présent et le passé. Un
exercice compliqué et enivrant. Comme un beau rêve paradoxal. Un laps
de temps intense, chargé d'images et d'ombres furtives toujours
omniprésentes, défilant à l'instantané en des occasions particulières,
comme justement celle qu'on vit actuellement.
Les carêmes
d'antan avaient des allures et ambiances particulières. Inoubliables,
du fait du contexte de la période, de la démographie, des modes
d'habitat et de vie sobre des gens liés à des écosystèmes équilibrés et
stables, des communautés en présence... Un tas de choses. Ci-après
quelques bribes de souvenirs, de ces années-là, dans une petite ville
d'Algérie d'avant 1962, devenue chef-lieu de wilaya, depuis 1974.
Notre
quartier, situé au bord de l'oued appelé du temps des romains « flumen
piscens » - fleuve des poissons - abritait, au début des années 1950, à
peine 1.500 âmes. Les maisons bâties en pisé de terre, s'ouvrent sur
des petites ruelles sinueuses, collectées par trois sorties abruptes
vers l'oued lieu de jeux, de pêche, de lavage de laine, d'abreuvement
du cheptel et dont ses pourtours servaient de lieux de pacage pour les
bêtes de somme dont le nombre dépasserait la trentaine.. On comptait,
au niveau du quartier, près de 40 vaches et environ 100 chèvres. Ce qui
permettait une autosuffisance en lait et viandes consommés
modérément...
La journée d'avant le jeûne, on allait se
baigner dans l'oued, pêcher le barbeau, chasser la gerboise, des
moineaux et étourneaux, cueillir des narcisses et coquelicots... Les
adultes vaquaient, dans le contentement et l'insouciance, à leurs
occupations habituelles. A la tombée de la nuit, des gens âgés
s'installent sur le toit de la mosquée, des maisons étagées, pour
scruter le ciel. Un moment d'intense attention. Le croissant tout juste
vu est annoncé par de larges sourires et des cris de joies, nous
foncions, têtes baissées, en courant vers nos maisons respectives pour
annoncer la nouvelle. Tout un événement. Chaque famille, avait déjà
stocké les denrées et rangé les ustensiles nécessaires, pour préparer
le shôr. Le combustible se composait de fagots de bois où bien de
charbon pour quelques dizaines de ménages « nantis ». Lors de la
préparation de ce repas, c'est tout un « feu de bois » flamboyant et de
braises de charbon scintillant, accompagnés de discussions des femmes
et de cris de joies des grands et petits. Eblouissants. Cette collation
variait selon les moyens des ménages. Pour la plupart, c'est du mesfouf
- couscous sublimé - de blé dur ou tendre, produit localement,
assaisonné de beurre frais ou conservé (dhane) accompagné de petit lait
de vache ou de chèvre, conservé dans des outres tannées au goût et
parfum appétissants. Ou bien de belles crêpes - ghreif, beghrir -
copieusement enduites de beurre et enrobées de sucre rouge de
betterave. Un délice. Ou encore de la galette dite « matloûh el mili »
raffinée et légère, accompagnée de lait naturel et de miel d'abeille.
Un rassasiement.
Le lendemain matin, les jeunes garçons et
filles montrent leurs langues, pour prouver fièrement qu'ils font
carême. Toute une pantomime amusante. Puis, l'habituelle ruée vers
l'oued avec au programme, des baignades et football pour les uns,
randonnées autour des vergers pour les autres. Des promenades
fantastiques, dans un milieu sain plein de verdures où l'on admire d'un
lieu à un autre, des vols de papillons éperdus dans les champs, et de
libellules zigzagantes sur les mares d'eau limpide de l'oued, de
gazouillements d'oiseaux chamarrés, et d'agneaux sautillants dans tous
les sens. La nature en plein mouvement ! Un spectacle saisissant. L
'après-midi, on transporte des plateaux en zinc garnis de galettes -
préparées à la maison - chez le boulanger pour les faire cuire au feu
de bois. Une grosse brioche de bonne farine de blés, pétrie patiemment
avec du levain et des oeufs, de forme ronde ou carrée, décorée de
petits pains en forme de pigeons au milieu. « Khobz eddar »,
désigne-t-on. Un pain épais super-léger se conservant, pendant
plusieurs jours, sans perdre sa texture ni de sa saveur. Une pitance
intercommunautaire (2).
Quelques heures avant le ftour, une
odeur envahissante piquant les narines et excitait les papilles
gustatives se répandait doucereusement dans les ruelles sinueuses,
accompagnée par les effluves, de zalabia dégoulinante de miel bien
préparé aux arômes naturels qu'on consommait, de temps à autre, en
petites portions. Des senteurs inoubliables. Le menu se composait
essentiellement de chorba aux grains, de blés ou d 'orge, broyés par de
petites meules - de maison - en granit pour obtenir du « fric » de
soupe. Celle-ci, préparée avec de la tomate locale séchée et d'abricots
secs, qu'elle soit de viande ou de saindoux, de mouton, de chèvre, de
boeuf, de... dromadaire, ou encore de volailles, exhalait la même odeur
appétissante. Un velouté merveilleux. Le « deuxième plat » n'est prévu
que les premiers et derniers jours du carême. Dans la plupart des cas,
du « Lham lahlou », une cuisson de viande, de raisin sec et de coing
parfumé de la région. Une caractéristique. Et quotidiennement, bien
évidemment, du lait et leben à gogo. Toute une culture alimentaire
naturelle, autosuffisante car stricte, nutritive, frugale et surtout
non gaspilleuse.
A quelques minutes avant le ftôr, on tenait
d'assister, tous les jours, au coup de canon annonçant la fin du jeûne.
Tout un cérémonial. Un vieux israélite était chargé de le faire. On
l'aidait en ramassant toutes sortes d'objets non solides, pour faire le
plus de « tonnerre » possible. Un silence sidéral le précédait dans
tout le village. Après le coup de canon, on repartait en courant vers
nos maisons, avec une station sous les arbres de mûriers - il y avait
dans le village plus de 50 plantés dans les principales artères du
village - aux gros fruits de couleurs, rouge, blanc, noir, grenat.
Toute une mosaïque. On ramassait donc, pêle-mêle, ces belles mûres pour
le...dessert ! Après le ftôr suivi de moments de jeux et de gaietés
autour d'un thé ou de café au zalabia, on prend ensuite le chemin de la
mosquée qu'on retrouve pleine de quiétude, pour faire la prière des «
tarraouih ». Un moment d'extase et de profonde méditation individuelle.
Pas de hauts parleurs, de vociférations.Comme aujourd'hui.
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RAMDANESQUES D'AUJOURD'HUI EXCES ET DEPENDANCES
Notre
quartier qui s'est peu agrandi, depuis l'indépendance, est habité à
quelques centaines près, par le double d'habitants qu'il y avait voilà
une cinquantaine d'années, avec moins d'animaux utiles et beaucoup
d'inutiles. Et des idées courtes et noires - jusqu'à ne pas faire
carême et commenter doctement ses préceptes - par de jeunes hommes dans
un oued tari, défiguré et plein de salissures diverses. Des jeunes -
même aisés -, mais paumés rêvant à travers les écrans télévisuels et
d'Internet, de tout (...) et de rien. Ils ne lisent point. Une
indolence culturelle en crescendo inquiétant. En revanche, ils
s'accrochent, furtivement, au sensationnel des unes de journaux,
notamment de langue nationale. Ils sont enclins à la mélancolie et à
l'abattement moral après, par exemple, une défaite de l'équipe
nationale de football ou pour moins que ça, jusqu'à l'emportement et
aux suicides. Est-ce leur faute ? Non, les nôtres. Du temps « civique »
perdu depuis 1962 à ce jour, malgré les immenses progrès accomplis dans
tous les domaines, mais dont les impacts n'ont pas été assumés à leur
hauteur... De l'argent et des bijoux usurpés de la collectivité
nationale économe... d'avant 1962, et surtout celui de la rente
pétrolière depuis 1970, conjuguée à la dictature des uns au profit des
hyènes sur terre, des requins en mer et autres vautours dans l'air
qu'on avait laissé, lâchement, dévorer les corps et surtout les
esprits. Du système d'éducation qui abrutit les honnêtetés en herbes et
« émancipe » les tentations contre-productives, celles du mépris du
savoir au profit du gain facile partout, y compris de faire valser,
selon les convenances et autres influences, les notes « des
connaissances acquises ». Un piège terrible, pour la poursuite du
cursus des scolarités ainsi tronquées... Des ministres qui se
chamaillent comme des chiffonniers. Des turpitudes de toutes sortes
dans la rue, au sein des mosquées et autres institutions, avec tous
leurs impacts négatifs sur les états d'esprits des jeunes et sur ceux
des honnêtes gens. Bref, une société qui vit au quotidien ses «
plaisirs » et ses problèmes, liés aux fables de Djeha : « le sens
civique ainsi perçu », inscrits dans la doctrine d'Ali baba et les
quarante voleurs : « notre système politico-économique et culturel »
associés enfin au génie noir (les hydrocarbures) de la lampe d'Aladin :
« notre unique savoir et secours ». C'est aussi le fin fond -
politico-culturel - de la grille de l'ENTV pour ce mois et tout le
temps. Bref... Afin de s'imprégner de l'ambiance matinale des premiers
jours du Ramadan de cette année, on s'est promené autour des vergers,
situés sur l'autre rive de l'oued, abandonnés depuis des décennies. Un
paysage affligeant, vraiment. Poursuivant notre chemin, nous
traversâmes le marché des fruits et légumes, installé sur les combes du
plus vieux quartier de la ville, après sa destruction par mesure de
précautions par suite du tremblement de terre de janvier 1965. Des tas
de légumes et de fruits de saison, mais aussi d'ordures sur un lieu de
plus d'un millénaire d'histoire. Des cris commerçants et des
va-et-vient incessants, de centaines de personnes, dans les allées d'un
marché ressemblant à celui de bétail. Assourdissant. Des prix
assommants pour les humbles bourses bien évidemment qui, paradoxalement
pour la plupart, dépassent souvent leurs moyens financiers en la
matière ! Des enquêtes socioéconomiques, sociologiques,
anthropologiques menées sérieusement, au cours de ce mois expressif,
seraient instructives à plus d'un titre. Des personnes rencontrées ont
émis des points de vue différents sur le niveau de l'offre. Il est bon,
jugent certains, du fait de celui de la demande qui est bas, estiment
les autres. Ce qui est sûr, ce sont les ingrédients de la chorba qui
semblent bien constituer, pour bon nombre de ménages, le grand «
paravent » alimentaire aux autres envies. A la fin, on a visité un
grand magasin de produits alimentaires de toutes sortes.
Impressionnant. En notre for intérieur, nous nous sommes dit qu'en fin
de compte, notre beau pays a de tout et se permet tout. Mais à quel
prix ? Peu importe aurait assuré un politico-économiste « mondialiste
». Alors que manque-t-il à notre pays ? Peut-être, son manque de
confiance à son « système sociétal » décrépit, en si peu de temps...
Les choses ont évolué tellement vite en termes, entre autres, de
dépendance alimentaire diversifiée, pavlovienne. (3) Un cycle
pernicieux. Bref... A l'heure du ftôr tout y est, sauf l'essentiel.
C'est-à-dire l'ambiance enchanteresse d'antan. Tout un mouvement
d'ensemble. Peut-être qu'en vieillissant, toute délectation ramdanesque
devient fuyante. Nostalgique ! Au moment du shôr, on ne se prive pas de
se souvenir des feux de bois dans l'âtre de cuisine de la cour. Et les
belles crêpes. La réalité quant à elle, nous fait signifier que le
beurre parfumé et le petit lait frais moelleux ont disparu avec leurs
vaches, remplacés par du lait de poudre, ou bien naturel frelaté et un
mesfouf avec un arrière goût de maïs - peut-être - transgénique ! Le
tout à l'air du nouveau mode de vie. Empaqueté, dans tous les sens !
Donc, beaucoup de bruits, de dépenses et de courses effrénées pendant
toute la journée, pour un bien maigre plaisir le soir, à part le moment
d'une prise de... cigarette et d'un bon café chaud dégustée en
...Silence !!
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par Ali Brahimi
Ingénieur agronome, retraité
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NOTES
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1- Depuis un certain temps, de hauts responsables du gouvernement se
sont fourvoyés, via les médias, dans des « raisonnements »
contradictoires sur des sujets récurrents, apparemment, les dépassant
oui bien non maîtrisés dans leur prolongement. En dictons, tout ce
raffut se résume à : « koul hadha, igoul fouli tayab » = « chacun dit
que ses fèves cuisent vite, ou encore sont meilleures ». Alors qu'ils
sont dans la même « marmite ». Que des histoires éhontées de «
cucurbitacées ratées ». La vérité est dans un autre adage -arabe lui
aussi -, mais qu'on préfère le formuler, grosso modo, en français comme
suit : « Deux commissionnaires de halles se disputent les biens
d'autrui ». En effet, les 2/3 des calories qu'on consomme
quotidiennement, proviennent de l'extérieur dont les blés pour plus de
1,3 milliard de dollars et le lait - en poudre - pour près de 1
milliard de dollars (Dixit le Dpt concerné). Alors,
arrêtons...d'ergoter ! Tout le monde connaît la solution.
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2- Au début des années 50, par une nuit d'un mois de décembre, une
pauvre femme âgée, accompagnée par son jeune fils vêtu de son seul
burnous et pieds nus, vient solliciter une usurière juive pour qu'elle
lui prête une somme d'argent sous gage de bijoux. A l'intérieur de la
maison de cette dernière, un feu de bois de cheminée dégageait une
chaleur réconfortante.
A
côté, une table basse garnie de gros plats de loubia aux pieds de veau
et sur d'autres assiettes des belles tranches de foies et bien
évidemment le célèbre khobz eddar (une spécialité juive régionale).
La
dame juive invita la pauvre femme et son fils à s'y associer. Elle
refusa. Son fils lui écrasa le pied pour lui faire signifier
d'accepter, car il n'avait rien mangé depuis la veille. En vain. Par
dignité. L'usurière demanda, sincèrement, à la vieille femme pourquoi
elle gage ses bijoux, alors que son fils pourrait bien travailler.
Alors celle-ci, harcelée par son fils qui voulait partir en France,
répondit dans la foulée « Que veux-tu que je te dise, ma chère, c'est
des juifs ». Choquée, la belle-fille de la dame israélite, entrain de
dîner laissa s'échapper, malgré elle, sa cuillère sur le sol. Le fils
de la gaffeuse lui écrasa encore le pied. Ayant saisie sa grande bourde
elle rectifie « oui, oui, ils sont fiers comme vous et s'ils décident
d'une chose ils restent fermes, comme vous aussi » ! Enfin, le contrat
fut conclu et quelques morceaux de khobz eddar récupérés. On était en
plein mois de Ramadan !!
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3- Dans mon patelin, il y avait une épicerie appartenant à un italien.
Elle était bien fournie en divers produits alimentaires de haute
qualité. Sa clientèle était composée des seuls Européens et quelques
juifs aisés. Le reste, c'est-à-dire nous autres, personne n'osait
acheter quoi que ce soit de chez cet épicier qui vendait des choses
illicites, avait-on dit, par notre religion. En vérité, c'est toute une
culture d'autonomie alimentaire. Et elle l'était, presque à 100 %. Des
fois, on se demande si on n'était pas plus indépendant qu'aujourd'hui
en la matière... Une notion qui tend, affirme-t-on, à se confondre dans
la « mondialisation des destins humains vitaux ». En théorie et dans la
pratique, un attrape nigauds !!!
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