Témoignages
.
Qui peut mener une jeune fille ou une jeune femme américaine chrétienne à embrasser l’Islam, de sa propre initiative, à la fin du vingtième et au début du vingt et unième siècle ? La situation, inimaginable et inconcevable à peine vingt cinq années plus tôt, demeure aujourd’hui encore incompréhensible et de la plus grande étrangeté pour les proches et les amis de la nouvelle convertie à l’Islam et de façon générale pour le citoyen américain moyen qui considère cette situation comme une trahison sinon comme une déraison.
Carol L. anway, chrétienne pratiquante, éduquant ses enfants dans la voie chrétienne, auteur de Daugthers of Another Path (Les filles de l’autre voie : témoignages de femmes américaines converties à l’Islam, 1999) décrit, douze années après, sa réaction à l’annonce de sa fille :
«Quand Jodi est venue nous rendre visite ce fameux jour de l’action de grâces et qu’elle nous a annoncé sa conversion à l’Islam, cette nouvelle a provoqué en nous le même effet que si elle nous avait frappés d’un coup de poignard en plein cœur. Comment notre chère fille si adorable pouvait-elle faire quelque chose d’aussi étrange ? Joe, mon mari, ainsi que moi-même étions tous les deux profondément blessés. Il est certain que Jodi ne voulait pas nous faire de mal, mais nous n’arrivions pas à comprendre son geste. Nous étions littéralement paralysés, mais aussi très en colère et nous ne savions plus si nous voulions que Jodi fasse encore partie de la famille. Il nous fallait prendre une décision. Devions-nous considérer qu’elle n’était plus la bienvenue chez nous et faire comme si elle n’existait plus ?
Le jour qui suivit l’annonce
fut triste pour Carol : «Je suis allée dans ma chambre (après l’annonce
de la conversion) et j’ai sangloté pendant presque toute la nuit. je
n’ai jamais ressenti autant de chagrin qu’à ce moment-là. L’immense
souffrance était telle que c’était comme si quelque chose s’arrachait
de mon corps. Vers midi, le lendemain, je me suis agenouillée à la
fenêtre de ma chambre et j’ai prié : Seigneur des chrétiens, des
musulmans, de l’univers, qu’est-ce que je vais faire, comment supporter
tout cela ?»
Malgré l’engagement qu’elle prit les jours suivants
de tout mettre en œuvre pour ne pas rompre avec sa fille : «Je ne
pouvais pas prendre le risque de perdre ma fille et mon gendre. Je
ferais l’impossible pour apaiser le tumulte de notre relation, la
blessure de la mère resta ouverte durant trois années : «Il ne m’était
jamais venu à l’esprit qu’elle pourrait choisir de son plein gré une
religion différente de la nôtre. Pourtant, c’est bien ce qu’elle a
fait».
C’est seulement trois années plus tard qu’une occasion se présenta à elle pour s’exprimer sur le cas, lui permettant de prendre pour la première fois un peu de recul et d’introduire des éléments d’explication :
«Cela faisait maintenant trois ans que Jodi avait
annoncé sa conversion à l’Islam. le rédacteur en chef du périodique de
notre église recherchait des articles sur le thème de la réconciliation
dans les familles ; et j’ai pensé que je pourrais mettre sur papier ce
qui s’était produit… j’ai expliqué dans l’ensemble comment l’annonce de
sa conversion nous avait ébranlés et comment nous nous étions efforcés
d’améliorer la situation durant ces quelques premières années. J’ai
terminé ma narration avec les phases suivantes : je crois
fondamentalement que Dieu est le même Dieu pour le monde entier. Il
aime toutes les nations. Il se manifeste dan la vie de chacun et il
représente le pivot de l’expression religieuse de chacun. A la suite de
cette expérience bénéfique, je peux enfin dire à ma fille : Tu peux
toujours compter sur moi pour avoir tout mon soutien et mon amour. Je
te remercie de m’avoir aidée à comprendre que tu ne nous rejettes pas,
que tu as seulement choisi une façon différente d’exprimer ta mission
sur cette terre. Tu es notre fille, notre amie, notre fenêtre sur un
autre monde. Je t'aime».
Ces quelques extraits, mieux qu’un commentaire, si honnête soit-il, permettront sans doute au lecteur de ces lignes de comprendre plus directement et plus aisément comment est vécue une situation de conversion à l’intérieur d’une famille américain. Ils nous permettent aussi d’observer qu’il n’est pas facile pour un Américain d’être musulman en Amérique du Nord. Aussi, encore une fois, qui pousse un Américain et de façon plus délicate encore une Américain, à déclarer son adhésion à l’Islam de son plein gré et opter pour une nouvelle culture totalement différente, voire opposée à la culture d’origine ? Le cas n’est pas évident et les motivations, quelles qu’elles soient, sont très perturbatrices de la culture américaine qui n’a pas préparé certains de ses enfants à franchir le pas, ni ne s’est attendue à un tel résultat : la conversion d’une jeune Américain à l’Islam est, pour la culture américaine, un non sens et pour les chrétiens américains une hérésie.
D’une certaine manière la mère, Carol, représente la conscience américaine et la fille, Jodi, la mauvaise conscience américaine : apostasie pour les uns, trahison pour les autres, indifférence à la limite pour d’autres encore. Jodi musulmane est un non événement parce que que non acceptable par la culture ambiante américaine. On voudrait qu’elle soit une parenthèse définitivement fermée, une erreur de jeunesse.
Mais cet espoir est lui-même faux : la mère, Carol, découvre progressivement d’autres jeunes filles et jeunes femmes dans la ville, mais aussi à travers tous les Etats-Unis et le Canada qui ont suivi le chemin de Jodi. la situation est donc plus sérieuse qu’une parenthèse et l’affaire plus importante que l’erreur de jeunesse. Que se passe-t-il donc en Amérique ? Quelle est ce vent qui emporte certaines des jeunes filles et jeunes femmes du pays ? Carol, arrivée à ce stade du vécu de la situation, veut comprendre et à travers cette compréhension mieux saisir les motivations de sa fille. Après une longue maturation, douze années précisément (soit vers 1992), après la conversion de Jodi, la mère prend la décision de faire connaître aux autres le style de vie de Jodi et de ses amies américaines musulmanes : «J’ai commencé à en savoir davantage sur les autres femmes qui se sont converties à l’Islam. Comment leur famille avait-elle réagi ? Est-ce que ces femmes étaient arrivées à un terrain d’entente avec leur famille ? Ma propre histoire pouvait-elle les aider à trouver une solution ? Je voulais vraiment aider d’autres parents accablés qui avaient du mal à accepter le choix de leur fille». Ces questions auxquelles elle voulait répondre étaient les mêmes que se posaient les femmes converties à l’Islam elles-mêmes : «A la première rencontre, les femmes converties ont parlé de l’importance d’aider les membres de leur famille à mieux comprendre leur choix, en quoi il peut consister et comment elles le mettent en pratique et, enfin, le désir qu’elles éprouvent d’être acceptées par leur famille. Elles voulaient aussi partager avec le public en général, la signification selon elles, d’un tel choix». Cependant, de cette entente sur la nature des questions à poser l’usage à faire des réponses était différent, objectivement, pour la mère et pour les femmes converties : pour la mère, Carol, l’objet était d’apporter «une aide aux autres parents accablés ayant du mal à accepter le choix» ; pour les femmes converties, l’objet devait consister à «partager avec le public (opinion publique) en général la signification (selon elles, précise Carol, l’auteur) d’un tel choix». D’une part, pour la mère, il y avait une nécessité à mettre en place un secours d’urgence, fut-il psychologique, destiné aux parents des familles concernées : d’autre part, pour les femmes converties, l’utilité réelle consistait à informer le large public sur la valeur de leur conversion à l’Islam. Bien que très tiède à l’idée de glorifier la conversion des femmes à l’Islam qui reste un choix controversé sinon indésirable, Carol, l’auteur, se trouvera en situation de lever le voile sur de nombreux aspects positifs de l’Islam par l’obligation dans laquelle elle se trouve de parler des motivations des femmes converties à l’Islam.
L’ouvrage
présente, incontestablement, quoique de façon disséminée, parfois
anecdotique, parfois documentaire, les thèmes majeurs de l’Islam dans
les pays chrétiens, qui autorisent la conversion réfléchie et de libre
choix de certaines personnes dans ces pays. Il n’est pas destiné à
Jodi, ni aux femmes converties, ni aux musulmans de façon générale,
mais aux Américaines et Américains, ignorant tout de l’Islam et qui ont
le désir d’en apprendre quelque chose. Ignorant tout du succès
potentiel de l’ouvrage auprès des lecteurs américains, nous savons,
cependant, paradoxalement qu’il est devenu un ouvrage à succès pour
l’ensemble des musulmans américains, d’origine arabe et asiatique. Deux
raisons expliquent cela : la première relève de la fierté des musulmans
de voir l’Islam se faire une place, si petite soit-elle, dans la
société d’origine américaine elle-même ; la seconde consiste en l’autre
fierté de voir les arguments de l’Islam en matière de spiritualité
s’imposer par eux-mêmes, auprès des personnes converties, sans
contrainte et par la seule force de leur évidence. Et bien qu’il ne
l’intentionne pas, le libre de Carol L. Anwya, grâce aussi à
l’objectivité d de la présentation et à l’honnêteté de l’argumentation
qu’il faut souligner,l’ouvrage dans certains de ses contenus,
indépendamment de la volonté de l’auteur, est un plaidoyer pour
l’Islam.
.
.
.
.
.
.
23-09-2007
'La Nouvelle République'
.
.
.
.
.
.
Les commentaires récents