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Avec ce premier ouvrage, Habib AMAR nous invite à refaire, avec lui, le voyage de moments choisis de sa vie au travers de son histoire… de ses histoires… et des histoires, cher lecteur, il y en a de toutes les saveurs… de toutes les couleurs. L'auteur qui, selon sa propre expression, fait le grand écart entre les deux rives de la Méditerranée, nous offre très généreusement de jolis souvenirs aux accents du sud, de savoureux personnages, de belles rencontres, sa crainte et son espoir pour son pays natal, de tendres émotions, quelques déboires… et aussi - et surtout - de beaux éclats de rire
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Été 1976…
Le Bus fantôme
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Hadjout se trouve à peu près à 300 km de Mostaganem. Tous les week-ends, je faisais le mur pour aller voir la famille. Cela semble simple, mais le voyage dure environ 10 heures. Un vrai périple : auto-stop de la caserne vers Hadjout (ex-Marengo) à 6 km, puis bus, taxi ou auto-stop jusqu’à El Affroun. Je prends le train de 19h qui arrive entre minuit et 2h du matin à Relizane. Les premiers descendus du train prennent l’unique taxi vers Mostaganem (44 km). Pour les autres, c’est la chasse aux routiers ou aux automobilistes originaux qui s’arrêtent à ces heures-là. Le fait d’être en tenue de combat est un plus quand même. Bref, en temps normal, j’arrive à Mosta entre 3 et 5h du matin le samedi et je refais le chemin inverse le dimanche soir ! (train de minuit à Relizane pour être à Hadjout vers 8h30 le lundi matin !
C’était une fin d’après-midi d’été. Arrivé à Hadjout, plus de moyens
de transports pour rattraper le train de 19h… On était 5 ou 6 troufions
et quelques civils du coin. Soudain, un bus sorti de nulle part
s’arrête devant nous. Le chauffeur hurle d’avance :
– Personne ne monte, ce bus n’a plus de freins, il rentre au garage !
Avec un ou deux gars, je vais voir le chauffeur pour négocier :
—Écoute, tu es notre seule chance pour choper le train de 19h. Le week-end est râpé si tu nous laisses tomber.
Il nous toise, réfléchit et nous dit :
– Vous montez sous votre entière responsabilité, en sachant qu’il n’y
aura pas d’arrêt avant El Affroun, car il n’y a plus de freins.
Tous les futurs passagers, civils et militaires répondent en chœur :
– D’accord ! Promis ! Juré !
Et nous voilà partis, avec une petite vieille collée derrière le siège du chauffeur.
Elle commence à demander l’aide de tous les marabouts pour qu’on arrive
sains et saufs. On roule depuis 5 minutes lorsqu’un paysan du coin
demande au chauffeur :
– Ya chifor*, que Dieu te garde, peux-tu me déposer vers la ferme Ceccaldi*?
Le coche prit la mouche :
– Tu me prends pour qui ? Je vous avais averti qu’il n’y avait pas d’arrêt!
La petite vieille intervient :
– C’est ton frère, sois gentil, ses enfants l’attendent, cela ne te prendra que quelques minutes !
Les personnes âgées étant sacrées, le chauffeur maugréa quelques
amabilités et réalisa une cascade pour s’arrêter. Le gars descendit et
nous reprenons notre route. La vieille dame remercie notre driver, avec
un lot de bénédictions sorties de derrière les fagots. Quelques
centaines de mètres plus loin, la vieille s’adresse au pilote:
– Mon fils, que Dieu te bénisse, peux-tu me déposer vers l’ancien moulin, juste là?
J’ai cru que le chauffeur allait nous fracasser contre un eucalyptus ! Sans un mot, il entreprit de dangereuses manœuvres, en se frottant même à un arbre pour s’arrêter. La vieille se lance dans une tirade interminable, bénédictions, remerciements, etc., mais le chauffeur avait pris sa veste, ouvert la porte et faisait déjà de l’auto-stop. Je cours derrière, le rattrape et le supplie de revenir prendre les commandes de ce bus de la mort.
Il pleurait de rage :
– Ya khouya*, je n'en peux plus ! Si je reviens, je ne vous garantis
rien. J'en ai marre, je n'ai plus d'horaire, ce bus part le matin, mais
on ne sait jamais à quelle heure il revient au dépôt. Je suis tellement
souvent en rase campagne que ma direction oublie des fois que j'existe,
et le dépôt ferme sans m'attendre ! Mes enfants sont toujours étonnés
de me voir rentrer à la maison, quand je rentre.
Il remonte dans le bus et hurle à la cantonade :
– Je repars, mais le premier qui me monte le Zbel* à la tête, sur la vie de mes enfants, je le réduis en miettes!
Le voyage se poursuivit dans un silence de mort jusqu’à El Affroun, où notre bus emplâtra une camionnette pour s’arrêter. Ce n’est pas si mal, on arrive sains et saufs, sans payer le transport, même avec une heure de retard, on n’est pas inquiet, le train aussi n’a pas d’horaire ! Si on rate un train, c’est que c’est celui de la veille qui vient de passer, fier et insouciant, comme un cheval de fer fourbu, mais toujours là.
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Khouya : mon frère, communément utilisé pour interpeller n’importe quel quidam.
Zbel : monter zbel lerass se traduit par «s'énerver, perdre son sang froid.»
Chifor : chauffeur.
Ceccaldi : ferme portant le nom d'un colon. Les possessions coloniales ont gardé les noms des anciens propriétaires.
Extrait de "Algérires", de Habib AMAR, Editions Lapeyronie (éditeur de Hachemi Ameur également)
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Rédigé par:
meriool
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