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Souad Massi a récemment chanté en Egypte pour la Fête de la musique. Cette interprète-compositeur phare d’une musique fusionnant des tendances diverses reste très ancrée dans son patrimoine algérien. Une Berbère, installée à Paris depuis 1997.
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La madone d’Alger
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Exilée ou émigrée ? Berbère ou beure ? Son public en Algérie comme en France lui accorde des qualifications multiples. Mais elle les réfute presque toutes. « Beur c’est trop raciste, c’est anti-arabe ! ». Elle n’en tient qu’à une seule : berbère. Et elle est fière de l’être. Ainsi Souad Massi est-elle l’une des rares à interpréter une chanson en tamazight. « Cette ethnie doit être reconnue au Maghreb, approuvant sa langue et sa culture ... Or, on la prive de tout droit d’existence », dit-elle. Amessa (titre de la chanson) était donc une sorte de reconnaissance de la part de la chanteuse engagée. « Engagée ? Je n’en suis pas sûre. J’aborde les sujets de tous les jours, des problèmes qui occupent notre société arabe et surtout algérienne, des sentiments humains ... Est-ce vraiment de la politique ? », s’interroge-t-elle en toute simplicité.
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Cette jeune et jolie brune aux yeux grands comme le Sahara est loin d’adopter le discours des chanteurs sophistiqués qui prétendent incessamment jouer le rôle de politiciens. Elle chante parce qu’elle aime chanter. Et, chanter pour ce genre d’artiste veut dire respirer, et par conséquent exister. Au fil de ses albums, elle tisse de sa voix une mélancolie à la fois émouvante et fascinante. Elle conclut sur un ton lucide, comme si elle soulignait une évidence simple : « Si on ne fait pas des choses comme ça, cela voudrait dire que les terroristes ont gagné et que tous les intellectuels qu’ils ont tués sont morts pour rien ».
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Ce talent étincelant qui s’est épanoui en France est toujours habité de sa patrie, de son Algérie. Raison pour laquelle elle continue à chanter en son dialecte, et très rarement en français. Malgré tout, elle a pu s’imposer, et avec force, dans une société qui ne partage pas la même langue, ce formidable outil de la communication. « Plus andalouse, plus sensuelle aussi, Souad Massi chante toujours dans sa langue maternelle, laissant les auditeurs paresseux que nous sommes se laisser bercer par les inflexions étoilées de sa voix », a-t-on souligné dans le magasine Rolling Stone. Souad Massi affirme pour sa part qu’il n’était pas facile de percer en chantant dans sa langue, dans son dialecte. C’est donc sa voix envoûtante et sa musique chaleureuse et originale qui nouent des ententes à l’infini avec un public grandissant.
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« La France est un pays qui pèse sur le plan culturel et artistique. L’Etat accorde beaucoup d’importance aux artistes et ces derniers jouissent d’un bon statut. Contrairement à l’Algérie où — comme la plupart des pays arabes — les artistes souffrent de conditions défavorables entravant leurs productions créatives ». La France, pour Massi, est non seulement le sol où s’est épanoui son talent, mais aussi un creuset enrichissant sur le plan humain. « J’ai appris en France la tolérance, la nécessité d’écouter les autres. C’est vrai que certains sont hostiles aux Arabes, mais ils demeurent quand même une minorité. J’ai appris à ne pas généraliser », explique-t-elle.
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Cette jeune Algérienne n’a jamais pensé qu’elle allait un jour traverser l’autre rive de la Méditerranée pour chanter. « La première fois que j’ai mis les pieds à Paris, c’était en janvier. J’ai vu la neige pour la première fois de ma vie. Ce n’était pas facile pour moi de quitter la famille et de me retrouver seule à Paris, surtout que l’on vivait tous ensemble à la même maison de famille (beit al-eila). J’ai dépensé tout mon argent, le peu que j’avais, à appeler ma mère tous les soirs », sourit-elle. Et de poursuivre : « Maman était toujours là pour me soutenir. Elle m’a tant répété que je n’ai pas le droit d’avoir peur ».
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Neuf ans déjà en France, depuis 1997, et elle ne se considère ni comme émigrée ni comme exilée. « Je ne suis pas émigrée. Tout simplement, mon travail se trouve en France et j’ai toujours des contacts avec toute ma famille en Algérie. D’un autre côté, je ne suis pas exilée non plus parce que je n’étais pas forcée à quitter mon pays. Le départ était un choix », précise-t-elle.
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La nostalgie rayonne dans la plupart des chansons de Souad Massi. Dar Dgedi (la maison de mon grand-père), Hagda wala akter (y a pire) et Khallouni (laissez-moi) ... Des chansons parmi d’autres sont portées à l’introspection. « Dans la plupart des textes, je pars d’une histoire vraie, je la développe un peu, comme les cinéastes. Je parle de la nostalgie de vivre loin de sa famille, de ne pas reconnaître le quartier où j’ai vécu. Il a changé. Les maisons ont poussé comme des champignons. Les enfants que l’on a laissés sont devenus des adolescents. La mentalité a changé — ou bien on ne la perçoit plus de la même façon parce que l’on vit à l’étranger. Quand on retourne là-bas, on le voit, on le sent, on a changé », souligne-t-elle dans la presse.
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La jeunesse de Souad Massi a été marquée par les guerres civiles en Algérie. « Ce n’était pas facile de se balader avec sa guitare à l’épaule ». Rendant la carrière d’artiste quasiment impossible, le couvre-feu des années 1990 dans lequel s’est enfoncé le pays a forcé Souad Massi à poursuivre ses études d’urbanisme pour devenir ingénieur. Avant d’être contactée par le groupe de rock algérois Atakor. Elle le rejoint pour en devenir la guitariste égérie. Le groupe sort un premier album en 1997 qui atteint des records de vente.
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En 1998, elle sort son premier album Souad sur le marché algérien et connaît un grand succès. Un an après, elle reçoit une invitation à Paris pour participer à un festival intitulé Femmes d’Algérie, conçu pour chanter et militer contre les intégrismes. Un vrai tournant dans la vie de Souad Massi. Le concert a fait un tel tabac que le directeur artistique d’un des labels d’Universal Music (Island-Mercury) n’hésite pas à signer un contrat avec cette jeune inconnue pour la réalisation d’un premier album. Deux ans plus tard, elle sort Raoui (le conteur) pour entamer un enchaînement de réussites dépassant les frontières de l’Hexagone. Enracinés, tout en douceur et inquiétude, dans les tourments de l’Algérie et les plaisirs mélodiques de l’Occident, les albums de Massi témoignent dans quelle mesure des tendances aussi différentes que multiples tels le rock, la country, ou le fado portugais, ou encore le chaabi, confèrent une grande rigueur à ses compositions. « Quand j’étais encore petite en Algérie, je détestais la musique arabe et j’étais surtout fascinée par le rock et la musique occidentale. Aujourd’hui, en France, je suis à la recherche de la musique arabe ». Un état de révolte contre les ordres établis est inhérent à sa personnalité. « J’ai été terrorisée par la société d’hommes qui m’était imposée. J’allais souvent jouer au foot pour échapper aux corvées ménagères. Dans le travail, pareil : je n’aime pas mettre ma féminité en avant, je ne me maquille pas, je m’habille n’importe comment », a-t-elle souligné dans l’une de ses entrevues. Pourtant, elle est toujours reconnaissante à son frère aîné Ilham. Compositeur, il l’a aidée à étudier la guitare, le solfège ... alors qu’elle jouait de la musique en cachette. Sa mère, bien que mélomane, refusait que sa fille joue en public, vu le regard méprisant de la société envers les femmes artistes.
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Cette société l’accable encore et toujours. Pourquoi la notoriété des chanteurs maghrébins dans le monde arabe dépasse-t-elle celle des chanteuses maghrébines ? « La réponse est si simple », dit-elle en avalant du miel au citron pour se préparer au concert de la Citadelle. « Nous vivons dans des sociétés où les lois sont faites par les hommes et pour les hommes. Ainsi, le statut de la femme en général est très fragile dans les sociétés arabes. Alors, si nous parlons de femmes artistes ... c’est encore pire ».
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Pourtant, Souad Massi a un grand public qui s’enivre de sa voix dans le monde arabe. A la Bibliothèque d’Alexandrie, 1 700 de ses fans s’entassaient pour assister à son concert, et à la Citadelle du Caire, quatre heures avant le concert, le public cherchait déjà à s’infiltrer en dépit des restrictions sécuritaires. « J’ai peur, j’ai mal à la gorge, c’est la première fois que je chante au Caire ! ». Souad Massi éprouve un grand amour ainsi qu’un grand respect à son métier d’artiste comme à son statut de mère. « Je n’ai jamais pensé à me marier. Mais, je suis ravie d’avoir deux vies en parallèle. D’ailleurs, je me sens tiraillée entre le fait de donner des concerts ailleurs et de m’éloigner de ma fille. Mais sur scène, en apercevant l’amour de mon public, je retrouve un grand soulagement. L’artiste n’appartient pas seulement à sa famille, mais aussi à son public », dit cette étoile étincelante de la chanson .
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Jalons
23 août 1972 : Naissance à Alger.
1989 : Membre de Triana, groupe algérois de flamenco.
2001 : « Paris », duo avec Marc Lavoine.
2002 : Prix de la chanson étrangère décerné par l’Académie Charles Cros ainsi que prix du Haut Conseil de la Francophonie pour son album Raoui (le conteur).
2003 : Sortie de son album Deb.
2006 : Prix « Victoires de la musique » pour son album Mesk el-leil (chèvrefeuille).
Septembre 2007 : Lancement d’un DVD renfermant un medley de ses trois albums avec un arrangement en oud.
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Lamiaa Al-Sadaty.
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