.
La vraie histoire des rapports entre l’Emir Abdelkader et la Franc-maçonnerie
“En 1962, M. Louis Terrenoire, député gaulliste et ex-ministre de l’Information, déclarait : derrière ces partis qui nous ont fait tant de mal, il y a certains traitres, combinards et tireurs de ficelles qui voudraient encore pouvoir faire et défaire les ministres. La Franc-maçonnerie, elle aussi, voudrait à nouveau influencer la constitution des ministères” (Jean Marc Guérin). .
.
En suivant les évènements culturels, artistiques et politiques en Europe, essentiellement en Angleterre et en France, et leurs répercussions sur le Monde arabo-musulman depuis plus de deux siècles jusqu’à nos jours et en tenant compte de l’immixion d’un grand nombre de Francs-maçons dans la vie politique, on ne peut que regretter le peu d’intérêt accordé de la part de nos analystes et nos historiens à l’étude de la Franc-maçonnerie. Pourtant, il fut un temps où le dossier de cette société secrète— nous reviendrons sur le secret maçonnique— a été au cœur du débat sur la Palestine et la question du Moyen-Orient de la part des générations d’intellectuels qui nous ont précédé et qui étaient plus averties que nous. En témoigne la conférence faite par feu Othman Kaak à la Khaldounia en 1958, comme me l’a signalé un de mes anciens professeurs d’arabe de Sadiki que j’ai eu le plaisir de rencontrer lundi 17 avril à la Maison de la Culture de Tunis lors de la Conférence de M. Denis Lefebvre sur les loges maçonniques en Afrique du Nord à la fin du 19ème siècles et au début du 20ème.
Le contenu de cette conférence, ainsi que l’entretien qu’a eu Noura Borsali avec M. Lefebvre, qui reconnait son adhésion à la Franc-maçonnerie (lire Réalités n°1067) ne peuvent nous laisser indifférents. Du moment que d’après les travaux historiques récents —comme nous allons le prouver— les origines de la Franc-maçonnerie, ses symboles, sa philosophie, ainsi que ses méthodes d’action visent essentiellement le Monde musulman, nous ne pouvons à travers les lignes que promettre aux lecteurs une série d’articles sur cette société.
De prime abord, nous devons reconnaître que l’étude de la Franc-maçonnerie est loin d’être simple du fait que les différents thèmes qui se rapportent à la question sont aussi nombreux et variés que les polémiques qui ne cessent jusqu’à nos jours d’être soulevées au sein même du Monde occidental. Des habitués des librairies ésotériques du quartier Latin de Paris et d’ailleurs se rendent compte de la véracité de nos dires. Rien que sur les origines de la Franc-maçonnerie ou sur le secret maçonnique, que de livres et de revues ont été publiés dans plusieurs langues ! Quant à ses ingérences dans la vie politique depuis la Révolution française jusqu’à son invasion des pays de l’Europe de l’Est après la chute du mur de Berlin en passant par son infiltration du gouvernement d’Ataturk pour dépecer l’Empire musulman ou celle du Vatican (le rôle de la loge P2 dans la faillite de la Banque du Saint-Siège), que d’écrits ont été publiés pour avertir et dénoncer tant d’abus et de crimes !
Afin de garantir à nos articles objectivité et crédibilité sur le dossier de la Franc-maçonnerie, que nous considérons fondamentale dans la compréhension du conflit du Moyen-Orient et sa pierre angulaire, l’épineuse question du statut de Jérusalem et des Lieux Saints musulmans, nous demandons au lecteur de ne jamais perdre de vue les références bibliographiques sur lesquelles nous nous basons à chaque fois.
Sur invitation de l’Institut Supérieur de l’Histoire du Mouvement national (ISHMN), M. Denis Lefebvre, secrétaire général de l’Office Universitaire de Recherches Socialites (ONRS), a tenu lundi 17 avril 2006 à la Maison de la Culture de Tunis (ex-Maison du Parti à la Kasbah) une conférence sur les loges maçonniques en Afrique du Nord à la fin du 19ème et le début du 20ème siècles.
Pour ma part, il était impensable de rater une pareille occasion, même si la nouvelle ne m’est parvenue qu’au dernier moment de la part d’un ami historien. Devant un auditoire composé d’anciens ministres, d’ex-hauts cadres de l’administration et d’universitaires ainsi que beaucoup d’historiens, de journalistes et d’écrivains, toutes générations confondues et… d’un petit nombre d’étudiants ayant peut-être une idée sur la Franc-maçonnerie ou venus la découvrir. Bref, devant un parterre d’intellectuels et d’anciens politiciens, M. Lefebvre a tenu sa conférence.
Après avoir énuméré les différentes loges nord-africaines en résumant ce qui se trouvait dans la rubrique Algérie, Maroc et Tunisie du Dictionnaire de la Franc-maçonnerie et pas plus, le conférencier est revenu aux loges tunisiennes pour exprimer son admiration quant au rôle positif des Francs-maçons au cours de la période que couvrait la conférence et qui allait jusqu’à la fin de la première guerre mondiale. Dans son éloge de la Franc-maçonnerie, il n’était malheureusement pas le seul. Le film de toute la séance est là pour témoigner. En principe, l’Institut d’Histoire du Mouvement National devrait le mettre à la disposition de tous ceux qui le demandent comme tout document récent, revue ou livre, moyennant paiement. Au total, sur aucun point évoqué par le conférencier, je n’étais d’accord avec lui. Et surtout pas sur ce prétendu rôle positif des Francs-maçons. A ce propos, lors de mon intervention, ma position a été catégorique : “Y a-t-il eu une seule dénonciation solennelle émamant de l’importe quelle loge maçonnique à la suite du massacre du cimetière d’El Jellaz, perpétré par l’armée française contre la population tunisienne ?”.
Afin de se déculpabiliser de tout crime de ce genre , la réponse de tout Franc-maçon est toujours univoque : “Le rôle de la Franc-maçonnerie n’est pas de s’occuper de la politique. C’est, plutôt, de parfaire l’Homme”.
En réalité, le rôle éminemment politique des Franc-maçons n’est un secret pour personne. La question sera traitée, comme tant d’autres, ultérieurement.
L’autre question que beaucoup de Francs-maçons —surtout français— ne cessent de nous rappeler est celle qui se rapporte à l’adhésion de l’Emir Abdelkader à cette société secrète.
Connaissant l’estime et la considération que voue tout le peuple d’Afrique du Nord à cet illustre homme de foi, homme de lettres et militant, les Franc-maçons veulent par leur geste rappeler, comme l’a fait M. Denis Lefebore, insinuer que si le plus populaire des Maghrébins était maçon , il n’y a pas de quoi rougir pour le devenir ou pour critiquer n’importe quel Musulman après lui pour son adhésion à la Franc-maçonnerie.
Afin de lever toute équivoque sur cette affaire et dans le but d’enrayer une des multiples tromperies de l’Histoire, nous tenons à la traiter en priorité. Dans ce contexte, il devient impérieux d’expliquer aux lecteurs comment on devient Franc-maçon.
L’initiation, étape obligatoire pour devenir Franc-maçon
Comme pour toute société secrète, l’adhésion à la Franc-maçonnerie n’est pas un geste anodin. Pour tout rite maconnique, l’initiation demeure jusqu’à nos jours une étape obligatoire, incontournable, pour devenir Franc-maçon. Vu son importance, nous allons lui consacrer un article. Mais sachons d’emblée que l’initiation vise un double but. C’est d’abord un test minutieux pour tout candidat afin d’écarter tout éventuel intrus ou curieux, mu par des motivations inavouées d’hostilité ou autre à l’encontre de la Franc-maçonnerie. Et ensuite, permettre aux candidats réellement désireux de devenir Franc-maçons de commencer, par le biais de certains gestes rituels, à découvrir le sens de certains symboles qui constituent les balises d’un long parcours compliqué, à suivre pour atteindre les plus hauts grades. Sans entrer dans les détails, disons seulement que cette étape initiatique comporte deux phases. Avant de les décrire, nous devons aussi retenir qu’elles sont précédées par une étape non moins importante : c’est celle de la candidature à l’adhésion, formulée par l’intéressé lui-même.
Il existe deux types de candidatures, celles qui sont cooptées ou parrainées et celles qui sont indépendantes, où le candidat s’adresse directement par écrit à la loge. Dans les deux cas, le désir du candidat pour adhérer est indispensable.
Revenons aux étapes de l’initiation. La première consiste à rédiger une enquête détaillée sur le candidat de la part de trois Francs-maçons choisis par l’obédience à laquelle il désire appartenir. Cette enquête est totale. Elle concerne autant ses idées que son comportement dans son milieu social, professionnel (avec présentation de son bulletin n°3) et familial. D’où un long entretien avec sa femme (2) ; la deuxième étape est l’étape initiatique proprement dite pour qu’elle concrétise la soumission totale du candidat aux directives de sa loge et qui doit se terminer par le fameux serment” Je m’engage à garder le secret maçonnique” (3). Même brièvement, décrivons une partie de cette étape fondamentale.
Dès l’admission du candidat au temple, il est enfermé dans une pièce obscure, dite cabinet de réflexion, où il reste un moment à réfléchir sur la vie et la mort au milieu d’un décor chargé de symboles, dont un crâne. A la lumière d’un cierge, il peut lire sur le mur peint en noir “Si ta curisiosité t’a conduit ici, va-t-en” (4). C’est donc dans cette pièce qu’il doit enlever la veste et la cravate, être dépouillé de tout objet métallique, ouvrir la chemise pour mettre à nu la poitine et l’épaule gauche, hausser le pantalon de la jambe droite jusqu’au genou, pour qu’en fin de parcours, il puisse le mettre au sol devant le Vénérable de la loge et prononcer le serment déjà cité. Tout au long de cette étape, le candidat doit avoir un bandeau sur les yeux et doit être guidé par le surveillant de la loge en répondant à chaque séquence de cette initiation aux questions des “Frères” par des réponses rituelles. En plus du bandeau, l’obscurité est totale. Après le serment, on enlève le bandeau noir et tout d’un coup on allume les feux. Ainsi le candidat est passé de la situation d’un profane à celle d’un apprenti maçon en passant des ténèbres vers la lumière.
La “Franc-maçonnerie de l’Emir Abdelkader”, une des plus grandes duperies de l’Histoire
L’étape initiatique que nous venons de décrire est donc obligatoire à tout individu désireux d’adhérer à la Franc-maçonnerie. La demande écrite à la loge de son choix est la condition sine qua non pour que son dossier soit étudié. Ecoutons ce qu’écrit le dictionnaire de la Franc-maçonnerie à ce propos : “C’est un profane libre et de bonnes mœurs qui demande volontairement l’entrée du Temple, un profane déjà instruit des principes généraux de la Franc-maçonnerie et qui agit donc en pleine conscience. Il doit rédiger lui-même sa demande et l’adresser au Vénérable Maitre” (5).
Dans le cas d’Abdelkader, y a-t-il un seul document exprimant la volonté de l’Emir pour adhérer à la Franc-maçonnerie ?
Aucun historien ne répond par l’affirmative. Pour son initiation aussi. A propos des rites d’initiation, voilà, ce que le dictionnaire de la Franc-maçonnerie mentionne : “leur présence ajoute son double poids de mystère et de solennité à l’entrée en Maçonnerie d’un profane. Sous quelque forme qu’on les conçoive, ils sont et resteront indispensables à la bonne marche de la Franc-maçonnerie en général et d’une loge en particulier” (6).
Sachant que l’Emir Abdelkader (1808-1883) n’a jamais présenté de demande pour adhérer à la Franc-maçonnerie et sachant aussi qu’il n’a jamais été initié, la question qui se pose est de savoir quelle est la vraie histoire de ses relations avec le Grand-Orient, principale obédience maçonnique française ? L’étonnement de l’analyste atteint son comble lorsqu’il découvre que l’essence même de la pensée maçonnique n’est autre que l’ésotérisme judéo-chrétien.
La prétendue adhésion de l’Emir Abdelkader à la Franc-maçonnerie est une grande manipulation qu’il est du devoir de tout intellectuel arabe et musulman de connaître.
Homme de foi et chef militaire, Abdelkader n’a commis, tout au long de ses quinze années (1832-1847) de combat contre les armées coloniales françaises, aucune faute. Tant sur le terrain des batailles qu’avec les prisonniers, son comportement, ainsi que celui de ses soldats étaient exemplaires et même inhabituels pour des troupes occidentales qui s’attendaient à des massacres et à un esprit de haine et de vengeance.
Son attitude chevaleresque lui a valu un accueil respectueux en France de la part de ses ennemis après sa défaite. On lui a même permis de quitter ce pays pour aller vivre librement sous la bannière d’un Etat musulman. Il a alors choisi la Syrie. En 1860, des troubles ont éclaté entre Musulmans et Chrétiens dans ce pays. Alors qu’une guerre civile et un massacre de ces derniers se profilaient à l’horizon, leurs réprésentants ont décidé de demander la protection d’Abdelkader. Sans hésiter, le prestigieux émir, malgré sa situation d’exilé, a pu convaincre toutes les parties et essentiellement ses correligionnaires pour éviter un bain de sang. La France, considérée à cette époque comme étant “la fille ainée de l’Eglise”, qui avait donc sous sa protection les Chrétiens et les Lieux Saints de la Chrétienté au Moyen-Orient, a vu l’attitude d’Abdelkader avec beaucoup de considération.
Alors que Napoléon III a conféré à l’Emir le grand cordon de la Légion d’Honneur, le peuple français n’a pas manqué de manifester son admiration sous les formes les plus diverses (fourneaux de pipe, chenets, assiettes à l’effigie d’Abdelkader etc).
Quant aux loges maçonniques, la plupart d’entre elles lui ont adressé leurs félicitations et exprimé leur considération. La loge Henri IV —d’obédience Grand-Orient de France— est allée très loin en prenant l’initiative d’accorder à l’Emir le titre de Franc-maçon, en provoquant en son sein une crise sans précédent ayant entraîné la destitution du Grand-Maitre de la loge et la nomination à sa place du Maréchal Magnan. En effet, c’était pour la première fois dans l’histoire de la Franc-maçonnerie que la demande du candidat ainsi que son initiation ont été mis de côté pour les besoins d’une certaine cause, Ainsi, la loge Henri IV a adresé le 16 novembre 1860 une lettre à l’Emir Abdelkader dans laquelle elle a insisté sur le caractère déiste et humanitaire des objectifs de la Franc-maçonnerie, lui demandant de répondre à trois questions relatives aux devoirs de l’Homme envers Dieu, envers ses semblables, envers lui-même, et d’exposer ses idées sur l’immortalité de l’âme, l’égalité des races humaines et la manière dont il entendait la tolérance et la fraternité (7). Trois mois après, en février 1861, l’Emir leur a répondu.
Tout Musulman et tout non-musulman inmpartial peut imaginer la réponse de ce grand soufi qui avait choisi l’exil syrien pour être enterré près d’un grand soufi qu’il considérait comme étant son Maître et qu’il n’a bien sûr pas connu, puisqu’il s’agissait de Moheddine Ibn Arabi (l’Andalous enterré à Damas). Pour nous en tenir aux références occidentales, le Dictionnaire de la Franc-maçonnerie qualifie la pensée d’Abdelkader “de hautement philosophique” (8).
La réponse par l’affirmative de l’Emir à la loge Henri IV doit être comprise dans le cadre de l’acception d’un Homme de foi à une société chrétienne humanitaire comme elle s’est présentée à lui.
A cette époque, les intellectuels musulmans ne connaissaient rien derrière ce masque. Le vrai rôle de la Franc-maçonnerie n’a commencé a être découvert qu’avec le dépeçage de l’Empire musulman. Si l’on peut dire qu’ils ont parfaitement manipulé pour cacher la vérité de la Franc-maçonnerie à l’Emir en le comptant parmi eux sans l’initier et sans qu’ils ne découvrent leur temple, pour instrumentaliser après lui son titre de Franc-maçon, qu’ils sachent que cette adhésion n’était pas le résultat de l’allégeance de ce prestigieux homme de foi à cette société secrète mais plutôt l’inverse : c’est la plus grande obédience de France, le Grand-Orient, par le biais de sa loge Henri IV qui est allée s’agenouiller aux pieds de notre Emir.
D’autres vérités sur cette société secrete seront découvertes…
(A suivre)
BIBLIOGRAPHIE
1) “Un Pouvoir invisible”, article de Jean-Marc Guérin (Revue Historia N°30 Hors série “Les Franc-maçons”).
2) “L’initiation d’un profane, des ténèbres vers la lumière maconnique” (p 76-80 Historia “Les Francs-Maçons N°48 juillet août 1997).
3) “Les trois voyages d’un enfant de la veuve” p72-79 Historia Hors Série N°30).
4)Historia N°48.
5) “Dictionnaire de la Franc-maçonnerie”. Daniel Ligou (Ed Puf P611).
7) “Dictionnaire de la Franc-maçonnerie” rubrique “Abdelkader” (p2).
8) “Dictionnaire de la Franc-maçonnerie” (p2)
.
.
.
.
.
Réalites Tunisie
Les commentaires récents