Franc-Maçonnerie opérative et secret maçonnique.
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“Les constructeurs détenant des connaissances spéciales constituaient depuis la plus haute antiquité une sorte d’aristocratie au milieu des autres corps de métier. Au Moyen-âge, ces bâtisseurs de cathédrales et de palais bénéficiaient de la part des autorités ecclésiastiques et séculières de nombreux privilèges, d’où le nom de francs-maçons (littéralement : “maçons affranchis”) par lequel ils étaient désignés. L’Ordre du Temple, tout spécialement, sera leur grand bienfaiteur”.
(Serge Hutin)
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“La Franc-Maçonnerie de métier ne fut jamais purement opérative. Aux buts professionnels s’ajoutaient des préoccupations “spéculatives”. La principale était d’ordre religieux”. . . .
(Paul Naudon)
“Quand nous sommes devenus maçons, nous sommes tous les deux passés par le processus dont tout initié à l’ART Royal fait l’expérience depuis au moins deux cent cinquante ans. Dans le cadre de ces cérémonies, on nous demanda de jurer sur notre honneur de ne divulguer aucun des secrets de la Franc-Maçonnerie au monde extérieur”. (Knight et Lomas
Dans un article intitulé “La vraie histoire des rapports entre l’Emir Abdelkader et la Franc-maçonnerie” (paru dans Réalités N°1072 du 13/7/2006) nous avons promis à nos lecteurs de revenir plus longuement sur cette organisation qui, malgré l’influence certaine qu’elle n’a cessé d’exercer sur les plus hautes sphères du monde de la culture de l’art ainsi que sur les rouages de la politique dans beaucoup de pays occidentaux (lire à ce propos l’hebdomadaire Le Point du 18/1/2007 : “Les Présidentielles et les Franc-maçons), elle n’a paradoxalement à cela suscité que peu d’intérêt de la part de nos historiens, nos analystes politiques et autres intellectuels… L’absence de publication de fond dans nos revues et journaux en témoigne. Nous entendons par publications de fond toute sorte d’écrits se rapportant aux origines de la Franc-maçonnerie, ou aux raisons de la loi interne obligeant tout adhérent de respecter scrupuleusement le secret de tout ce qui se déroule dans le temple ou encore à son extrème prudence —ou plutôt méfiance— dans le choix de tout futur candidat désireux de devenir franc-maçon etc… Ce n’est là qu’un échantillon d’une multitude de questions qui auraient dû être traitées et débattues depuis longtemps. Dans ce cadre d’idée on peut toujours se demander pourquoi la Franc-maçonnerie est chez nous un sujet mystérieux que beaucoup essayent d’éviter …
En tenant compte de l’existence d’un lobby franc-maçon influent dans la plupart des hautes sphères politiques dans un grand nombre de pays occidentaux —essentiellement aux Etats-Unis— il nous semble qu’il n’est plus permis de méconnaitre une partie importante de la pensée occidentale, celle qui se rapporte à l’irrationnel dans la pensée des intellectuels, des artistes et des hommes politiques.
Ainsi, en abordant la question de la Franc-maçonnerie, nous ouvrons le dossier d’une certaine pensée occidentale qui est dans le prolongement direct du gnosticisme, l’ésotérisme et l’hermétisme du Moyen-âge.
Après notre série d’articles sur le sionisme chrétien (Réalités n°968, 969, 970-971, 972, 973, 974 et 975), la publication d’une série d’articles sur la Franc-maçonnerie constitue un élément important dans la compréhension de l’homme occidental.
La Franc-maçonnerie opérative
D’après les Francs-maçons, la date du 24 juin 1717 constitue une date importante dans l’histoire de la Franc-maçonnerie. Elle est conçue par toutes les obédiences de la Franc-maçonnerie comme étant une date charnière entre la Franc-maçonnerie opérative et la Franc-maçonnerie spéculative.
Que s’est-il passé à ce jour ?
Le 24 juin qui correspond, dans le calendrier chrétien, à la Saint Jean d’été, quatre loges maçonniques aux noms pittoresques tirés de ceux des Tavernes où elles se réunissaient —“l’Oie et le Grill” (the Goose and Gridiron), la “Couronne” (the CROWN), “le Pommier” (the Apple) et “le Gobelet et les raisons” (the rummer and grapes)— constituèrent une organisation unifiée sous le nom de “Grande Loge de Londres” et élirent un grand Maître, Anthony Sayer, ayant autorité sur tous les frères. Fait capital dans la naissance de la Grande Loge londonienne, c’est qu’elle est pour la première fois dépouillée de tout caractère professionnel. La subrogation est donc totale. Depuis, il n’est plus question de membres opératifs. C’est ainsi, dans ce contexte, qu’est née la Franc-maçonnerie spéculative, telle que nous la connaissons. Tôt, la Franc-maçonnerie spéculative s’est dotée d’une Constitution, celle du révérend Anderson (en 1723). Comme son nom l’indique, ce texte est une véritable Constitution pour tout Franc-maçon quels que soient son rite et son obédience.
La Franc-maçonnerie, telle qu’elle est qualifiée par ses adeptes de “spéculative”, emploie les symboles du Métier de maçon pour alimenter la réflexion intellectuelle de ses membres mais n’exige d’aucune manière l’exercice réel de ce métier de Maçon. Prenons un exemple : la pierre brute c’est l’apprenti, le nouveau venu à la loge. Après une phase de silence qui peut durer d’une à trois années, on dit qu’il se dégrossit et cette pierre brute acquiert les faces unies. L’apprenti passe au stade de compagnon. Lorsque cette pierre cubique perdra peu à peu sa rugosité et que ses faces se poliront, à ce moment le compagnon deviendra Maître. C’est ce maître qui est la Pierre parfaite indispensable à l’existence de la dite loge. A travers cet exemple nous voyons comment les Francs-maçons spéculatifs utilisent le vocabulaire des maçons opératifs.
Par opposition au terme «spéculatif», le terme «opératif» est d’utilisation récente. Il a été employé par les historiens pour désigner la Franc-maçonnerie d’avant l’époque moderne —c’est-à-dire avant 1717— et qui est constituée de véritables tailleurs de pierre, de maçons, de serruriers, de charpentiers et d’architectes. Mais depuis longtemps, la présence d’individus en dehors de ces professions dans les loges maçonniques étaient tolérée. C’étaient les frères dits «acceptés» (ils feront l’objet de notre prochain article).
Sur la nature et les origines de la Franc-maçonnerie opérative, les historiens de cette société ont toujours été partagés. Alors que certains défendent l’idée que la Franc-maçonnerie opérative constitue une simple organisation —ou plutôt corporation— de métier, dont les membres n’auraient peut-être pas été véritablement conscients de la portée de ses textes fondateurs (les OLD CHARGES) et de ses symboles hérités depuis le Moyen-Âge, époque d’or des constructions des cathédrales —thèse à laquelle nous sommes loin d’adhérer (comme on va le voir dans notre prochain article)— d’autres historiens réfutent ce point de vue, le considèrent simpliste et réducteur et soutiennent une autre thèse.
Le secret maçonnique : mythe ou réalité ?
La divergence des points de vue sur la nature de la Franc-maçonnerie opérative a conduit à la même divergence sur les raisons de l’obligation infligée à tous les frères maçons de garder secret tout ce qui est dit et fait au sein de la loge.
Les adeptes des bâtisseurs des cathédrales argumentent les raisons du secret par l’inébranlable détermination des professionnels de la construction afin de garder le monopole de la profession. En se transformant en maçonnerie dite spéculative, cette dernière a hérité les coutumes de la Franc-maçonnerie opérative. Beaucoup d’historiens sont, par contre, loin de se contenter de cet argument et le considèrent caduc, surtout qu’il n’y a plus de constructions. En ce qui nous concerne, on ne voit aucune raison de le garder du moment que la construction des Lieux Saints chrétiens est pratiquement terminée avec la Renaissance.
Si la Franc-maçonnerie spéculative est exigeante sur le maintien du secret, c’est qu’elle tient à ce que le profane soit à jamais dans l’ignorance totale de ses plans et ses visées. “Quand nous sommes devenus maçons, écrivent Knight et Lomas, nous sommes tous les deux passés par le processus dont tout initié à l’ART Royal fait l’expérience depuis au moins deux cent cinquante ans. Dans le cadre de ces cérémonies, on nous demanda de jurer sur notre honneur de ne divulguer aucun des secrets de la Franc-maçonnerie au monde extérieur” (4).
Le témoignage de ces deux historiens, pourtant francs-maçons, est clair sur l’existence réelle du secret maçonnique.
L’autre témoignage est de nature politique et sécuritaire. C’est Jean-Emile Vié, directeur des Renseignements Généraux de 1955 à 1968, qui l’a reconnu : “Les Renseignements Généraux pratiquent eux aussi l’entrisme. Ma plus grande réussite en ce domaine fut la surveillance du Grand Orient de France par le truchement de Michel Baroin. Sur la suggestion de mon secretaire Boucoiron, j’avais accepté son affectation à la direction des Renseignements Généraux et lui avait assigné comme mission la surveillance du Grand Orient” (5).
Dans le même texte où furent publiées les révélations de Jean-Emile Vié, qui était aussi ancien président de l’association du corps préfectoral de France, il n’hésite pas à affirmer qu’à l’époque le gouvernement se plaignait de ne pas disposer d’informations fiables sur les activités des loges et qu’il a lui-même demandé à Baroin, au cours d’un entretien, de s’y infiltrer. Il a ajouté que jusqu’à son départ des Renseignements Généraux en 1968, Michel Barouin rédigeait des «blancs», c’est-à-dire des rapports sans en-tête dans le jargon des Renseignements Généraux sur ses collègues en maçonnerie (6). Même si le nom du général De Gaulle n’a pas été cité et ses directives dans ce sens n’ont pas été évoquées, il serait difficile de croire que les Renseignements Généraux aient entrepris tout cela pendant dix ans à son insu et sans son aval.
Les choses sont claires, surtout lorsqu’on sait que le Général De Gaulle n’a jamais fait confiance aux francs-maçons et que sa décennie au pouvoir (1958-1968), au cours de laquelle Jean-Emile Vié était le patron des Renseignements Généraux, n’a comporté aucun ministre franc-maçon. Décision politique exceptionnelle dans l’Hexagone depuis l’avènement de la Révolution de 1789.
De tout cela on conclut que le secret maçonnique est une réalité qui a dérangé le plus grand homme politique français de tous les temps. Il a aussi été reconnu par l’un des grands historiens de la Franc-maçonnerie, Roger Peyrefitte. Voilà ce qu’il écrit à ce propos : “Pour ma part, cette société secrète me semblait un mouvement anachronique” (7).
Prétendre que la Franc-maçonnerie est uniquement discrète comme certains veulent le faire croire est une prise de position de la part de certains francs-maçons qui vise à atténuer les critiques mais surtout les méfiances à leur encontre.
A propos du secret maçonnique, force nous est de reconnaître que la question est beaucoup plus complexe que certains peuvent l’imaginer. D’ailleurs, au sein même de la fraternité maçonnique, on ne révèle jamais au franc-maçon tous les secrets —tout ce qu’on a à cacher aux profanes— en une seule fois. Au fur et à mesure que ce franc-maçon s’élève dans les grades (qui sont au nombre de trente-trois du rite écossais observé par le Grand Orient de France), il reçoit les nouvelles informations qu’il doit garder pour lui-même.
Si la découverte en Jordanie (1947) des manuscrits de la secte juive des Esséniens (ayant vécu entre 150 av.JC à 90 ap.JC) —appelés manuscrits de la Mer Morte— a permis de confirmer une des pistes sur les origines de la Franc-maçonnerie, qui est celle des Templiers (voir nos prochains articles) et de lever le voile sur l’un des secrets de cette société, d’autres restent par contre à découvrir. Ils concernent ses moyens d’action et ses projets d’avenir.
Les guildes maçonniques
Revenons à la Franc-maçonnerie opérative pour dire qu’au Moyen-Age, parmi les multiples associations que comptait la société, figuraient au premier plan les guildes (ou GHILDES); c’étaient les corporations de métier. Leur existence constituait le meilleur garant pour protéger les intérêts de beaucoup de professions dans une société féodale que dominaient la seigneurie et le clergé.
Parmi les plus savantes de ces guildes figurait celle des maçons —de l’architecte au tailleur de pierre en passant par le charpentier, le serrurier etc— qu’on qualifiait depuis cette époque par l’ART Royal, en allusion au récit biblique de la construction du Temple de Jérusalem par SOLOMON. (Le terme d’ART Royal a été maintenu jusqu’à nos jours par la Franc-maçonnerie spéculative et utilisé dans sa littérature).
En 1268, Etienne Boileau, prévôt des marchands de Paris, fit rédiger son fameux «Livre des métiers» (8). Il constitue pour les historiens une source précieuse pour l’histoire sociale et économique de la France du 13ème siècle. Le livre est divisé en plusieurs statuts. C’est son 48ème statut qui comporte les maçons, les tailleurs de pierre, les platriers et les morteliers…
Au départ les guildes maçonniques ne regroupaient que les architectes des cathédrales. Ils étaient considérés comme étant les dépositaires d’antiques secrets transmis dès l’aube des temps d’une société à une autre, impliquant aussi la civilisation sumérienne et ses agourat, la civilisation pharaonienne et ses pyramides, grecque et ses acropoles, romaine et byzantine et leurs belles bâtisses etc… Jusqu’à nos jours on trouve encore dans la Franc-maçonnerie des symboles et des grades qui nous rappellent ces anciennes civilisations. D’où la polémique autour de sa vraie origine. Membre du Conseil de l’Ordre du Grand Orient de France et du Grand Collège des rites, Charles Bernardin a recensé les prétendues origines de la Franc-maçonnerie telles qu’elles sont présentées dans 206 ouvrages différents. Il a obtenu une gamme très variée sur ses origines. Des bâtisseurs des cathédrales à la fondation de l’Angleterre, aux partisans des Stuart, à l’Ecosse, aux Templiers, aux Albigeois, à l’Egypte ancienne, aux Babyloniens etc (9).
Parmi toutes ces suppositions, le récit biblique de la construction du Temple de SOLOMON est, certes, de loin de plus évoqué dans la littérature franc-maçonne. En plus de ce récit, les constitutions d’ANDERSON (1723) ont créé de toutes pièces une légende, celle de l’Architecte de ce temple, Hiram Abif, qui a été envoyé par le roi de Tyr, Hiram, à SOLOMON pour l’édification de ce temple. Grâce à cette histoire mythique, Hiram Abif est devenu un personnage central dans la Franc-maçonnerie (en évoquant la Franc-maçonnerie et le Temple de Jérusalem, on fera allusion à Hiram Abif, à sa mort et à sa résurrection).
Dès leur formation, les guildes maçonniques ont vite assisté à l’adhésion de beaucoup de professionnels de la maçonnerie, tel que les tailleurs de pierre, les charpentiers, les serruriers et les menuisiers. La caractéristique des guildes maçonniques depuis leur formation a toujours été la préservation du secret de la profession et sa transmission d’une génération à une autre, seulement aux initiés.
Initié à quoi, peut-on se demander ?
L’initiation ne concerne pas uniquement la capacité ou la réceptivité dans les domaines de la maçonnerie. Du moment que l’ART Royal tient ses origines de la construction du Temple de SOLOMON, l’ésotérisme, le gnosticisme et même la magie font partie de l’initiation. “C’est à bon droit, écrit Serge Hutin, qu’il est permis d’affirmer que la géométrie ésotérique pythagorienne s’est transmise depuis l’Antiquité jusqu’au 18ème siècle, d’un côté par les confréries des bâtisseurs, et de l’autre, par la magie, par les rosaces des cathédrales et les pentacles des magiciens” (10).
En revenant à la fameuse date du 14 juin 1717 —que beaucoup d’historiens de la Franc-maçonnerie considèrent comme étant celle de la naissance de la Franc-maçonnerie spéculative— pouvons-nous nous permettre de repenser cette séparation et croire que la Franc-maçonnerie est, dès son origine, spéculative ? Et que les guildes maçonniques ainsi que l’ensemble des professions de la maçonnerie n’ont été qu’un support aux diverses pensées gnostiques, ésotériques et hermétiques ?
C’est ce que nous allons essayer de découvrir dans notre prochain article.
(à suivre)
Bibliographie
1- “Les sociétés secrètes”, Serge Hutin, Que sais-je ? Ed. PUF p60.
2- “La Franc-Maçonnerie”, Paul Naudon, Ed PUF p22.
3- “La Clé d’Hiram”, C. Knight et R. Lomas, Ed J’ai lu, P.17.
4- “La Clé d’Hiram”, C. Knight et R. Lomas, Ed. J’ai lu, P.17.
5- Le Canard Enchaîné du 5/10/1988 : “L’étonnante histoire d’un sous-marin policier parvenu au sommet de la Franc-maçonnerie”.
6- Même référence
7- “Les fils de la lumière”. Roger Peyreffite, cité par Paul Naudon dans la Franc-maçonnerie ; Ed. PUF n°1064) P3.
8- “La Franc-maçonnerie” –Jean Palon Ed Payot p43.
9- Le Crapouillot n°49 p12
10- “Les Sociétés secrètes”, Serge Hutin, Que sais-je. Ed. Delta p37.
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Par Dr. Ali Menjour In Réalites tunisie
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