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Il était environ huit heures du matin; la journée promettait d’être belle; le soleil se levait radieux à l’horizon, et dissipait toutes les inquiétudes que le mauvais temps avait fait naître. Dans peu d’heures, la brèche, ouverte depuis la veille, allait être rendue praticable. L’allégresse se peignait sur tous les visages. heureux de la certitude du triomphe, le comte Damrémont mit pied à terre, un peu en arrière des ouvrages et s’arrêta à un point très découvert, d’où il se mit à observer la brèche. Le général Rulhières, jugeant cet endroit trop périlleux, courut à lui, pour l’engager à se retirer : « Laissez ! Laissez ! » Lui dit le gouverneur avec une froide impassibilité ; et presque au même instant, un boulet, parti de la place, le renversa sans vie. Le général Perrégaux voulut le retenir dans sa chute; mais une balle l’atteignit au-dessous du front, entre les deux yeux, et il tomba à son tour, grièvement blessé. Plongés dans une morne stupeur, officiers et soldats se pressaient autour de ces deux généraux si cruellement atteints, et s’épuisaient en efforts impuissants pour les secourir.
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Instruit du triste événement qui venait de priver l’armée de son chef, le général Valée, qui était à la batterie de brèche, accourut aussitôt. Il fit éloigner les spectateurs, et le corps du comte Damrémont, couvert d’un manteau, fut silencieusement transporté sur les derrières. Cette nouvelle se répandit rapidement parmi les troupes; mais alors le succès de l’expédition était trop assuré pour qu’elle pût faire naître d’autres sentiments que des regrets, et le vif désir d’une glorieuse vengeance. Le commandement en chef revenait de droit au général Valée, qui était le plus ancien en grade.
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Sans connaître la vie militaire du vieux guerrier, les jeunes soldats savaient vaguement que c’était un des meilleurs généraux que eût légués l’empire; ils attendirent ses ordres avec confiance Le comte Valée (Silvain-Charles), lieutenant général d’artillerie, est né à Brienne-le-Château (Aube), le 17 décembre 1773; il entra au service comme sous-lieutenant à l’école d’artillerie de Chalons, le 1er septembre 1792. Ses talents militaires qui se développèrent de bonne heure, et sa bravoure lui firent rapidement franchir les premiers grades. Promu à celui de lieutenant le 1er juin 1793, il assista aux siéges de Charleroi, de Landrecies, du Quesnoy, de Valenciennes, de Condé, de Maëstricht et au passage du Rhin à Neuwied, où il se distingua d’une manière particulière. Il était capitaine depuis le 29 avili 1795, lorsque, l’année suivante, il se fit remarquer à la bataille de Wurtz Bourg par son courage et par son habileté dans la manœuvre des batteries qui lui furent confiées. La campagne de 1800 allait offrir au capitaine Valée de nouveaux moyens de se signaler. On le vit, aux batailles de Moeskirche et de Hohenlinden, déployer le même sang-froid et la même ardeur. Ses services furent récompensés: l’empereur le nomma en même temps lieutenant-colonel et chevalier de la légion d’honneur en 1804. Il fit avec distinction la campagne de 1806, à la grande armée, en qualité de sous-chef d’état-major général d’artillerie, se fit remarquer à la bataille d’Iéna, et fut promu au grade de colonel du 1er régiment d’artillerie, le 12 janvier 1807. Sa belle conduite à la bataille d’Eylau, lui mérita la décoration d’officier de la légion d’honneur, et il acquit, à celle de Friedland, de nouveaux litres à la reconnaissance de son pays. Après avoir servi avec le même zèle et la même distinction pendant la campagne de 1808, à la grande armée, il reçut le commandement de l’artillerie du troisième corps de l’armée d’Espagne. Napoléon, satisfait de ses nouveaux services, le nomma général de brigade le 22 août 1810. Le général Valée cueillit sa part de gloire aux sièges de Lérida, de Mequinenza, de Tarragone, de Tortose et de Valence. Le 6 août 1811, l’empereur récompensa sa valeur et ses talents militaires en lui conférant le grade de général de division. Il se fit remarquer pendant toute la campagne de 1812, et se signala particulièrement à l’affaire de Castalla, le 13 avril 1813. Rentré en France après l’abdication de Napoléon, il remplit les fonctions d’inspecteur général d’artillerie. Dans les cent jours, l’empereur lui confia le commandement de l’artillerie du cinquième corps. Au second retour de Louis XVIII, il fut nommé inspecteur général, rapporteur, puis président du comité central d’artillerie. Homme de science et de progrès, il se montra l’énergique partisan des réformes et des améliorations que son expérience lui avait fait juger utile d’introduire dans l’arme de l’artillerie).
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A neuf heures du matin, toutes les batteries recommencèrent à tirer. Pendant la nuit les assiégés avaient cherché à réparer la brèche au moyen de sacs de laine et de débris d’affûts. Ces faibles obstacles furent facilement renversés bientôt les terres du rempart jaillirent, le talus fut formé, et vers le soir on put fixer l’assaut pour le lendemain matin. Cette décision venait d’être prise, lorsqu’un parlementaire apporta au général en chef un message de la part d’Ahmed. Le bey proposait de suspendre les hostilités et de reprendre les négociations. Le général Valée ne voyant là qu’un de ces moyens dilatoires si souvent employés par la diplomatie arabe, fit répondre qu’il n’écouterait aucune proposition que la place ne fût livrée. Confiant encore dans sa fortune, Ahmed refusa de se soumettre à cette condition, et les travaux du siége lurent continués.
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Enfin le 13, à trois heures et demie du matin, le capitaine du génie Boutault et le capitaine de zouaves Garderens furent chargés de reconnaître la brèche mission périlleuse dont ils s’acquittèrent avec un sang-froid admirable, malgré les fréquentes fusillades de l’ennemi. A leur retour, ils déclarèrent qu’elle était praticable. On n’eut plus à s’occuper que de l’assaut. Les troupes destinées à y monter furent divisées en trois colonnes la première, commandée par le lieutenant-colonel Lamoricière, fut composée de quarante sapeurs du génie, trois cents zouaves et deux compagnies d’élite du 2e léger; la deuxième, conduite par le colonel Combes, comprenait la compagnie franche du deuxième bataillon d’Afrique, quatre-vingts sapeurs du génie, cent hommes du troisième bataillon d’Afrique, cent de la légion étrangère et trois cents du 47e de ligne; la troisième, aux ordres du colonel Corbin, fut formée de deux bataillons composés de détachements pris dans les quatre brigades; car tous les corps avaient hautement manifesté le désir d’être représentés dans cette action décisive.
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Deux heures avant le jour, les première et deuxième colonnes d’attaque furent placées dans la place d’armes et le ravin y attenant; la troisième se trouvait derrière le Bardo, grand bâtiment en ruines sur les bords de la rivière. A sept heures, toutes les dispositions étaient prises, et le colonel Lamoricière, à la tête de ses zouaves, attendait avec impatience le signal de l’assaut: le duc de Nemours le lui donne. Stimulés par la voix de leur chef, ces braves se précipitent aussitôt sur la brèche, à travers une grêle de balles; et, renversant tous les obstacles, ils couronnent les remparts de leurs baïonnettes, au-dessus desquelles flotte le drapeau tricolore, soutenu par le capitaine Garderens. De vives acclamations saluent ce premier succès. Dans le trajet plusieurs zouaves tombent mortellement atteints; mais le nombre de ceux qui arrivent au sommet des murailles est plus que suffisant pour comprimer les efforts des assiégés. Cherchant partout un passage pour pénétrer dans la ville, ils ne rencontrent partout que des obstacles ou des entrées sans issue, et partout un feu meurtrier de mousqueterie. Alors un combat acharné, terrible, s’engage de maison en maison. En faisant brèche, le canon avait créé un terrain factice composé de terres remuées et de décombres, qui, se superposant au sol primitif, avait fermé les passages, obstrué les portes, défiguré entièrement les localités : on escarmouchait sur les toits; on tiraillait aux croisées, on chargeait à la baïonnette dans les boutiques et les allées. Après avoir sondé plusieurs couloirs qui paraissaient des entrées de rues, mais qui n’aboutissaient nulle part, on en rencontra un qui, s’élargissant à distance, semblait promettre un débouché; les zouaves s’y précipitent. Il serait impossible de dire avec détail les attaques partielles, les luttes, les assauts qu’il fallut livrer et soutenir avant de pénétrer dans l’intérieur de la ville : les lignes tortueuses des rues, la construction des maisons, le caractère opiniâtre des Arabes, n’en donnent qu’une idée imparfaite.
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Cependant, à mesure que la première colonne gagnait du terrain, le général en chef, qui se tenait à la batterie de brèche avec le duc de Nemours, lançait de nouvelles troupes prises dans les deux autres colonnes. Ces troupes n’arrivaient que par détachements de deux compagnies, disposition sage et prudente qui prévint l’encombrement, et qui rendit moins considérable le chiffre des morts et des blessés. Cependant un grand nombre de braves, et parmi eux beaucoup d’officiers, furent mortellement frappés. La chute d’un mur en écrasa quelques-uns, entre autres le commandant Serigny, du 2e léger. Ils eurent surtout à souffrir d’une explosion terrible, que l’on crut d’abord être l’effet d’une mine creusée par les assiégés, mais qui provenait de l’incendie d’un magasin à poudre. Le colonel Lamoricière se trouva parmi ceux qu’elle mit hors de combat. Cet habile et intrépide officier était horriblement brûlé; on craignit même pour sa vie, ou au moins pour su vue, mais heureusement il conserva l’une et l’autre. Le colonel Combes, qui l’avait suivi de près sur la brèche, fut moins heureux: il reçut deux blessures mortelles, au moment où un mouvement qu’il dirigeait livrait l’intérieur de la ville à nos troupes. Il eut pourtant encore la force de s’assurer du succès, et vint en rendre compte au duc de Nemours, avec un calme stoïque : « Heureux, dit-il en terminant, ceux qui ne sont pas blessés mortellement, ils jouiront du triomphe ! » Après ces dernières paroles, il chancelle et s’affaisse on s’aperçut alors qu’une balle lui avait traversé la poitrine; le surlendemain il n’était plus ! Ceux qui l’ont vu dans ce moment suprême ne parlent encore qu’avec un religieux enthousiasme de son admirable sang-froid.
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Privées de leurs chefs, les troupes montraient quelque hésitation; le colonel Corbin, du 17e, commandant la troisième colonne, arriva à temps pour relever leur courage et diriger leurs efforts. Il les répandit à droite et à gauche, en ordonnant à chaque détachement d’opérer un mouvement concentrique vers le cœur de la place. Bientôt les zouaves rencontrèrent les premiers une des grandes voies de communication, la vraie route stratégique à travers ce dédale de rues et d’impasses. Dès ce moment, la défense devint timide et incertaine. Quelques grands édifices, des magasins publics, opposèrent pourtant encore une opiniâtre résistance. Dès que les colonnes d’attaque eurent pénétré assez avant pour être maîtresses de la ville, le général Rulhières en prit le commandement supérieur. On se battait encore, il est vrai; mais les autorités faisaient leur soumission, et imploraient la clémence du vainqueur. Le général fit cesser le feu, et se dirigea sur la Casbah, où il entra sans difficulté.
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Pendant l’assaut, une partie de la population avait tenté de fuir par les côtés de la ville non exposés à nos coups; mais un grand nombre de ces malheureux se brisèrent sur les rochers escarpés qui ceignent Constantine, et d’où ils ne pouvaient descendre qu’au moyen de longues cordes que leur poids faisait rompre. Nos soldats furent saisis d’horreur et de compassion lorsque, plongeant leurs regards dans le fond de ces abîmes, ils virent cette multitude d’hommes, de femmes et d’enfants écrasés, mutilés, entassés les uns sur les autres, et se débattant encore dans les angoisses d’une douloureuse agonie. Ben Aïssa, le lieutenant du bey, fut du petit nombre de ceux qui parvinrent à s’échapper; le kaïd-el-dar (intendant du palais), blessé la veille, était mort pendant l’assaut; un des cadis avait suivi le bey; l’autre, quoique blessé, s’était enfui dès qu’il avait été en état de supporter la fatigue. Il ne restait dans Constantine, à l’exception du cheik El-Belad, aucune des autorités principales. Ce vieillard vénérable, affaibli par l’âge, n’avait pas assez d’énergie pour faire face à toutes les nécessites de la situation. Heureusement, son fils se chargea d’organiser une espèce de pouvoir, une municipalité composée d’hommes dévoués, à l’aide desquels on parvint à connaître et à classer les ressources que la ville offrait, ainsi qu’à faire rentrer la contribution de guerre imposée aux habitants pour subvenir aux besoins de l’armée. Parmi les principaux édifices, on choisit d’abord ceux qui devaient être affectés aux ambulances, aux magasins de vivres et fourrages, à la manutention du pain. Le duc de Nemours et le général Valée prirent ensuite possession du palais d’Ahmed, vaste construction, composée de quatre cours inégales, plantées d’orangers, de citronniers, de jasmins et de vignes, et entourées de galeries soutenues par des colonnes de marbre. Il ne faut pas cependant chercher ici la symétrie, l’élégance d’ornementation et la richesse de détails qui se font remarquer dans les palais de Séville et de Grenade; mais dans cet ensemble on trouve encore un effet prestigieux, sous l’impression duquel l’esprit rêve de plus grandes magnificences.
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A part ce palais et quelques autres de moindre apparence, Constantine est un vaste et triste assemblage de maisons, coupé de ruelles tortueuses et infectes, vrai labyrinthe de cloaques et d’égouts. Les habitations, entassées les unes sur les autres, sont construites en briques mal cuites, et dans la partie supérieure en matériaux de terre séchée au soleil, ayant toutes des étages en saillie, qui envahissent la voie publique et l’attristent de la teinte sombre de leurs parois. Les seules parties sur lesquelles les yeux fatigués peuvent se reposer, ce sont les ruines; là, du moins, circule un peu d’air et de lumière. La plupart des maisons n’ont qu’un simple rez-de-chaussée et une petite cour sombre et humide, de forme carrée ou triangulaire. D’autres, en plus petit nombre, ont deux et même trois étages, des colonnes en marbre et quelques ornements d’architecture. Constantine n’offre pas, comme Alger, un type unique de constructions servilement calqué d’un bout à l’autre de la ville: ici, la colonne s’assied gravement sur de larges bases; là, elle se contourne de la manière la plus bizarre; ailleurs, elle s’élance, svelte et gracieuse comme la tige d’un palmier; d’une maison à l’autre souvent même d’un étage à l’autre, dans la même maison, l’ogive s’allonge, se déprime, ou se marie au plein cintre et à la plate-bande. Plusieurs mosquées, quoique sans marbres et sans décorations brillantes, se font remarquer par la multiplicité de leurs nefs, que séparent des rangées d’arcades ogivales.
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Mais, parmi ces spécimens d’architecture, les plus remarquables, sans contredit, sont ceux qui appartiennent à l’art antique. La puissance de leur structure, la hardiesse de leur jet, la majesté calme avec laquelle ils abritent, sous leurs grandes ombres, les masures modernes, les font ressembler aux chênes majestueux des forêts, qui protégent de leurs branches séculaires, mais toujours vigoureuses, les arbustes et les buissons qui végètent auprès d’eux. Quelques pans de murs de la Casbah paraissent être de construction romaine : on y distingue çà et là des matériaux antiques; le pont d’El-Kantara réunit aussi de nombreux vestiges de la domination romaine.
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Cinq rues principales traversent Constantine dans un sens à peu près parallèle au cours du Rummel. La plus élevée conduit de la porte supérieure à la Casbah, qui suit assez exactement la crête du terrain sur lequel la ville est assise. Deux autres partent des abords, l’une de la porte inférieure, l’autre d’une porte intermédiaire, auxquelles elles se rattachent, par de tortueux embranchements. Une troisième prend naissance à la porte intérieure, auprès de laquelle eut lieu la grande explosion. A leurs extrémités opposées, ces grandes voies se transforment en un réseau inextricable de petites rues dont le nœud est auprès de la porte du pont. Les autres rues, pour la plupart perpendiculaires à celles-ci, sont en pente rapide; elles se joignent et se séparent, se perdent et se retrouvent, et semblent disposées tout exprès pour faire le désespoir de celui qui est forcé de les parcourir. Le seul côté pittoresque de ces voies immondes, ce sont les passages voûtés, au moyen desquels les rues se prolongent à travers des massifs de bâtiments : le jour y meurt et renaît tour à tour, les passants glissent comme des ombres dans le clair-obscur, et dessinent de bizarres silhouettes sur le fond lumineux qu’encadrent les derniers arceaux.
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Nous avons dit ailleurs l’origine de Cirta (Constantine); elle fut d’abord appelée par les Romains Colonia Sittianorum, du nom d’un partisan qui rendit de grands services à César dans la guerre d’Afrique; Appien assure même qu’elle fut donnée en dotation à ce Sittius. Micipsa y avait mené une peuplade grecque, et, suivant Strabon, l’avait rendue tellement puissante qu’elle pouvait mettre sur pied vingt mille fantassins et dix mille cavaliers. Lorsque les Vandales, dans le Ve siècle, envahirent la Numidie et les trois Mauritanies, ils détruisirent toutes les villes florissantes, mais Cirta fut du petit nombre de celles qui résistèrent au torrent dévastateur. Les victoires de Bélisaire la retrouvèrent debout ; Constantin l’embellit de riches édifices, et lui donna son nom; l’empereur Justinien y fit aussi faire de grandes réparations, et reçut à ce titre, dit Procope, le nom de second fondateur de Constantine.
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Au XIIe siècle, un écrivain arabe (Edris) s’exprimait ainsi sur l’état de Constantine « Cette ville, disait-il, est peuplée et commerçante; ses habitants sont riches; ils s’associent entre eux pour la culture des terres et pour la conservation des récoltes ; le blé, qu’ils enferment dans des souterrains, y reste souvent un siècle sans éprouver aucune altération. Entourée presque entièrement par une rivière profondément encaissée, et par une enceinte de hautes murailles, cette ville est considérée comme une des places les plus fortes du monde. » Au commencement du XVIe siècle, lorsque Kheïr-ed-Din s’en empara, Constantine contenait environ huit mille maisons, ce qui suppose une population de trente à quarante mille âmes. C’était, après Tunis, dont elle dépendait encore, la ville, de toute cette partie de l’Algérie, où l’industrie était le plus florissante. Le tissage de la laine, la mise en œuvre des cuirs, occupaient un très grand nombre d’artisans; ces produits étaient dirigés sur les marchés du littoral et des villes intérieures, principalement sur ceux de Msila et de Nikouz. Cette dernière ville faisait d’abondantes récoltes de noix et de figues, fort estimées dans le pays, et que ses marchands transportaient à Constantine; mais le commerce le plus important avait lieu avec le désert, d’où les caravanes apportaient de la poudre d’or, des esclaves, des plumes d’autruche, des tapis, des haïks en soie et en laine de diverses qualités.
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Les pertes occasionnées par la guerre et les émigrations considérables qui eurent lieu pendant le siège, avaient réduit la population de Constantine à seize ou dix-huit mille âmes; cependant les habitants, revenus de leur stupeur, ne tardèrent pas à rentrer; mais ils abandonnèrent aux français presque exclusivement les parties hautes de la ville, ainsi que les grandes rues. Ils se tinrent d’abord loin de la lumière, dans les ruelles détournées et dans les bas quartiers qui longent le Rummel; puis, enhardis par la conduite pacifique, ils regagnèrent insensiblement leurs maisons. Les autorités françaises les y engageaient par tous les moyens possibles; elles tirent à respecter les propriétés; partout elles assurèrent le libre exercice des diverses industries; aussi Constantine reprit-il bientôt son aspect accoutumé; les transactions se rétablirent, et les soldats, privés depuis longtemps des douceurs de la civilisation, achetaient avec une ardeur sans égale tout ce qui était exposé.
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Le fils du cheik El-Belad, Sidi-Hamouda, qui avait offert son concours avec tant d’empressement aux Français, fut nommé caïd de la ville. La sollicitude qu’il mit à s’acquitter de ses fonctions et à prévenir les causes de désordre, affranchit la prise de possession de tout acte de violence. Cette attitude permit d’utiliser toutes les ressources, de conserver tous les documents administratifs et de suivre toutes les traditions. Bientôt, sous l’influence de ce sage système, un grand nombre des tribus voisines vinrent faire leur soumission, et la puissance d’Ahmed Bey fut complètement ruinée au dedans et au dehors. Il errait en fugitif dans les monts Aurès.
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Quelques jours après l'installation à Constantine, on vit arriver, non sans quelque surprise, le 12e régiment de ligne ayant le duc de Joinville à sa tète. Le jeune prince, monté sur l’Hercule, avait fait relâche à Bône, le 4 octobre. Instruit de l’ouverture de la campagne, il voulut courir les mêmes périls que son frère; mais il dut différer son départ jusqu’à la quarantaine prescrite. Cette arrivée soudaine jeta une espèce de panique dans l’armée le régiment traînait à sa suite un grand nombre de fiévreux, et comme, durant la traversée de France en Algérie, plusieurs de ses hommes avaient été atteints du choléra, on prétendit qu’il apportait avec lui ce fatal fléau. En effet, soit qu’il fût réellement atteint, soit que la peur eût contribué au développement de la maladie, la mortalité devint très grande dans les hôpitaux ; les décès s’y succédaient avec une effrayante rapidité, non seulement chez les soldats, mais encore chez les officiers; un général, le marquis de Caraman, succomba même à cette affection.
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Pour arrêter la progrèssion de l’épidémie, le général Valée résolut d’évacuer Constantine; l’approche de la mauvaise saison lui en faisait d’ailleurs un devoir rigoureux. La première colonne, composée du parc de siége et de plusieurs bataillons d’infanterie, se mit en marche le 20 octobre, accompagnant les dépouilles mortelles du général comte Damrémont qui reposent aujourd’hui sous le dôme des Invalides. La seconde colonne partit le 26, sous les ordres du général Trézel, avec un convoi de malades. Enfin, le 29 octobre, le général Valée quitta lui-même Constantine avec la troisième, laissant dans la place une garnison de deux mille cinq cents hommes, sous les ordres du général Bernelle. En cas d’attaque, il avait fait préparer pour elle un réduit dans la Casbah. De Constantine à Bône, la marche de nos troupes ne fut pas un seul instant interrompue; on voyait de toutes parts les Arabes et les Kabyles se retirer dans leurs douars, tristes et abattus. Par précaution néanmoins, les points intermédiaires Medjez-Amar, Guelma, Nech-Maya et Dréan furent occupés, et devinrent des places fortes. En arrivant à Bône le 6 novembre, le général Valée y reçut des mains de M. de Lasalle, officier d’ordonnance du roi, le bâton de maréchal et le titre de gouverneur général des possessions françaises en Afrique.
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