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Pour les hommes politiques qui examinent avec calme et sans préventions de parti, l’état actuel de l’Algérie et son avenir, la question vitale est incontestablement la colonisation. Quels que soient les progrès des armes, quelque rassurante que puisse paraître, ultérieurement, la soumission des Arabes, aucune garantie ne sera réellement acquise à la métropole, qu’autant qu’une population française ou tout au moins européenne aura pris possession du sol de la conquête, et s’y sera définitivement créé une seconde patrie, en jouissant du produit des terres qu’elle aura fécondées, en peuplant les villes qu’elle aura élevées ou restaurées. Cette vérité, que les adversaires de l’occupation de l’Algérie ont combattue à outrance, n’en est pas moins acceptée généralement, parce que le bon sens des masses, l’esprit public, fait toujours prompte justice des opinions fausses ou égoïstes. Par l’Algérie, par la Sénégambie, comme par la côte occidentale, nous nous introduisons peu à peu sur le continent africain, que l’Angleterre occupe, elle aussi, par ce dernier littoral, par le Cap et par son comptoir de Port-Natal. Ainsi, de tous côtés se trouve envahi par des sociétés civilisées ce continent mystérieux, antique théâtre de la barbarie et de l’esclavage. Assez longtemps l’Europe lui a ravi, pour fonder ses possessions intertropicales, les bras et les sueurs de ses enfants, pour qu’aujourd’hui, revenue à de meilleurs sentiments, elle s’efforce d’y porter une initiation plus conforme à notre nouveau droit public, plus en harmonie avec les principes de liberté et de confraternité. Le rôle de la France est marqué dans cette intelligente et libérale intervention; les masses l’ont compris, et aujourd’hui il n’est pas un seul citoyen qui ne vît dans l’abandon de l’Algérie, si cet abandon était possible, une profonde atteinte portée à la dignité du pays et à ses intérêts. L’unanimité en faveur de la colonisation est donc un fait incontestable ; c’est au pouvoir maintenant à faire choix du système le plus propre à fonder une colonie durable et prospère. Reculer devant de nouveaux sacrifices, ce serait perdre volontairement tous les avantages qu'offre à la France une si riche contrée.
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Objectera-t-on que l’obligation de combattre incessamment les indigènes s’est opposée, dans les premiers temps, à la colonisation ? mais dès les premières années de l’occupation, des fermes furent créées, de vastes terrains furent cultivés; et si les résultats ne furent pas ce qu’ils auraient dû être, c’est parce que l’action administrative fit faute à ces créations, c’est parce que le gouvernement témoigna de continuelles hésitations; c’est parce que le sol fut livré à des spéculateurs peu soucieux de l’avenir de la colonie; c’est enfin parce que le colon, comme nous le démontrerons plus loin, ne fut pas suffisamment défendu contre la rapine et la vengeance des Arabes. Craignait-on que les éléments indispensables à la prospérité d’une colonie ne se trouvassent pas sur le territoire que la France occupait en Afrique? Ces craintes étaient sans fondement. « De temps immémorial, » disait naguère encore le rapporteur de la loi sur les crédits extraordinaires de l’Algérie (M. Vatout), « l’Afrique a été citée pour sa fertilité ; Pline la surnommait l’empire de Cérès ; les Romains, qui attachaient le plus grand prix à sa possession, la couvrirent de cités, de routes, de palais, de monuments dont les vestiges attestent la grandeur du peuple roi; le pays était cultivé, peuplé, civilisé. Cette antique fécondité n’est qu’endormie dans les entrailles de la terre ; le secret est de la ranimer et de faire revivre ses bienfaits. Le sol de l’Afrique ressemble, avec un soleil plus ardent, au sol de l’Espagne et de la Sicile. Indépendamment du blé qui y croît en abondance sous la charrue légère de l’Arabe, l’olivier, la vigne, le figuier, le mûrier, l’oranger y prospèrent ; le coton et le tabac s’y sont parfaitement acclimatés.
« Mais pour entreprendre toutes ces cultures, aurez-vous de l’eau, du bois et des bras, ces premiers éléments de toute colonisation ? Les rivières ne manquent pas en Afrique, et des travaux d’art peuvent en conserver les eaux ou en améliorer le cours. On n’a pas besoin du Nil ou du Gange pour assurer la fécondité d’une terre le Tibre et l’Arno sont de petites rivières, et pourtant l’Italie est fertile. Pour le bois, c’est une erreur accréditée qu’il manque en Algérie; il est vrai que chez un peuple pasteur plutôt qu’agriculteur, les forêts prospèrent difficilement; les troupeaux qui les parcourent nuisent à leur conservation; l’Arabe, d’ailleurs, brûle les bois pour couvrir la terre de cendres et lui donner une fertilité plus hâtive. Le chêne-liège, le chêne-vert, viennent à merveille en Algérie, et chaque jour on découvre de nouvelles forêts; sans parler de celles de l’Adough, de la Calle, des Portes-de-Fer, il en est d’autres encore qui, réunies à celles que l’on connaît déjà, formeraient, dit-on, huit cent mille hectares. Quant aux travailleurs, ils ne manqueront pas s’ils sont encouragés, soutenus, employés avec intelligence. De vastes espaces sont ouverts à l’agriculture, et de riches vallées, des plaines fertiles, de beaux jardins, les essais tentés par nos soldats autour des villes, attestent la docilité du sol à répondre au travail de l’homme. La plaine de la Mitidja a besoin d’être assainie; mais en Toscane et en Espagne, partout où une grande puissance de soleil agit sur un sol vigoureux, on fait des travaux pour rendre les terres à la salubrité et à la culture; ou, comme dans quelques parties de la campagne de Rome, on se contente de les cultiver sans y résider, entre le lever et le coucher du soleil. »
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La nécessité de faire marcher de front la soumission du pays par les armes, et d’assurer la durée de la conquête par la colonisation, a été reconnue par tous les généraux qui ont commandé en Afrique, et tous y ont travaillé plus ou moins’ activement. « La colonisation, soit civile, soit militaire, » dit M. le maréchal Bugeaud, « est un des grands moyens d’utiliser la conquête, et un moyen secondaire de la consolider ; on ne peut espérer de réduire graduellement l’armée que par l’établissement progressif d’une colonisation nombreuse et fortement constituée. »
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Parmi les Mémoires qui ont été publiés sur la colonisation de l’Algérie, il faut distinguer surtout celui de M. Enfantin, rédigé sur les lieux et après de longues études. Dans ce beau travail se trouvent des considérations si vraies, si bien justifiées par l’expérience et par l’observation rigoureuse des faits, que nous croyons nécessaire d’en consigner ici une partie, car elles éclairent parfaitement cette importante question et peuvent être utilisées par tous ceux qui s’occuperont de la solution de ce problème.
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« En traçant, dit-il, sur la carte, parallèlement à la mer, et à quinze ou vingt lieues de distance, une zone également de quinze à vingt lieues de large, on dessinerait, pour ainsi dire, le second gradin du seuil septentrional de l’Afrique. Cette zone serait un plateau coupé de temps à autre par les contreforts qui rejoignent les deux Atlas; elle comprendrait une ligne stratégique, depuis Tébessa, frontière de Tunis, jusqu’à Tlemcen, frontière de Maroc. Les principales rivières qui se jettent à la mer y prennent leur source le Medjerda, la Seybouse, le Rummel, la Summam (rivière de Bougie), le Chélif et la Tafna ; son élévation au-dessus de la mer, et entre deux chaînes de montagnes souvent assez hautes, lui donne une température agréable, un climat sain et une fertilité tout à fait supérieure.
Si les considérations géographiques déterminaient seules l’ordre dans lequel la colonisation agricole devrait se faire, ce serait par cette zone qu’on commencerait à la former. Aujourd’hui, en effet, et sous la domination des Turcs, elle est et elle a été occupée par les tribus les plus riches et les plus nombreuses, qui elles-mêmes s’y étaient fixées lors de l’invasion des Arabes, ou depuis cette époque; et la prodigieuse quantité de ruines romaines que l’on y rencontre, surtout dans la partie de cette zone qui dépend de la province de Constantine, annonce qu’à cette époque encore c’était là que se trouvait la richesse africaine, le bien-être des colonies.
C’est donc une nécessité politique, nécessité qui tient non-seulement à ce que la libre possession de l’Algérie nous est encore contestée par les armes, mais qui tient aussi à ce que, dans la partie de la zone littorale qui nous est soumise, il y a des droits de premier occupant que nous devons protéger; c’est parce que l’Algérie, possession française, a déjà une population indigène, ici notre ennemie et là notre sujette, qu’il deviendrait nécessaire d’établir notre colonisation militaire dans la zone intérieure, et la colonie civile dans celle du littoral.
Par ce moyen, la double population, indigène et européenne, se diviserait naturellement, peu à peu, de la manière suivante les plus pacifiques des indigènes seraient dans la zone du littoral, au milieu de la population civile européenne, et les plus militaires des colons européens vivraient dans la zone intérieure, à côté des tribus indigènes les plus belliqueuses; ou, en d’autres termes, les tribus les plus soumises, celles qui pourraient le mieux s’associer à nous, tendraient à se rapprocher de la côte; tandis qu’au contraire nous aurions toujours, près des tribus les plus indépendantes, les plus turbulentes, une population européenne militaire, composée de soldats colons, qui maintiendraient ces tribus dans l’ordre et la soumission.
Si donc c’est généralement de l’est à l’ouest que doit marcher la colonisation civile, c’est par l’ouest au contraire que doit commencer la colonisation militaire. »
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Maintenant que la France envoie chaque année un nombre considérable de colons, qu’ils soient répartis avec discernement dans les divers districts, et bientôt, sous les efforts de ces travailleurs, la conquête réalisera toutes les espérances que la France a conçues. On se réjouit à tort du grand nombre d’émigrants qui ont passé déjà en Algérie au janvier 1843 ils s’élevaient à peine à quarante-cinq mille. Qu’est-ce que quarante-cinq mille personnes sur un territoire qui est égal aux deux tiers de la France ? Quelle est l’influence que peut exercer ce petit nombre d’Européens, et sur la mise en rapport des terres, et sur le caractère des indigènes? Suivant les appréciations les plus dignes de foi, l’Algérie ne contient pas au delà de douze à quinze cent mille habitants indigènes, disséminés, éparpillés à l’infini; nos quarante-cinq mille émigrants ne peuvent donc pas les pénétrer, car sur ce nombre vingt mille au moins vivent dans un contact immédiat et absolu avec l’armée, au moyen de petites fournitures qu’ils font aux soldats ; vingt-cinq mille tout au plus peuvent être considérés comme colons cultivant la terre, ou exerçant des industries qui les mettent en rapport avec les indigènes. C’est une goutte d’eau dans l’Océan ; c’est un grain de sable dans le désert. Ce n’est donc pas quarante-cinq mille colons qu’il faudrait aujourd’hui en Afrique, mais quatre cent mille; assez, en un mot, pour qu’ils pussent absorber l’élément arabe, et le forcer à accepter complètement la civilisation.
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Nous nous sommes peu arrêtés aux projets et aux théories de colonisation, car leur application ne nous a paru possible qu’après de nombreuses modifications : nous allons dire avec quelque développement les différentes tentatives qui ont été faites pour tirer parti de la nouvelle possession.
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Les premiers essais de colonisation remontent à 1832, époque de la fondation des villages de Kouba et de Dely-Ibrahim. Les modiques sommes que l’on y employa d’abord allèrent s’affaiblissant d’année en année, et furent enfin effacées en entier du budget; d’un autre côté, les bras manquèrent, et l’avenir de l’Algérie paraissait encore trop peu assuré pour décider les cultivateurs sérieux à y former des établissements. Les efforts individuels ne s’arrêtèrent pourtant pas tout à fait, et, de 1835 à 1838 surtout, la culture s’agrandit dans le massif d’Alger; les maisons rurales se relevèrent, les plantations se multiplièrent; on vit enfin les colons s’étendre dans la plaine de la Mitidja et pousser quelques exploitations hardies jusqu’au voisinage des montagnes, au milieu même des tribus que la guerre n’avait pas alors dispersées. L’état de paix, qui suivit le traité conclu en mai 1837, quelque incertaine que pût paraître sa durée, exerça incontestablement une influence favorable, encouragea aux entreprises utiles et donna une activité jusque-là inconnue au mouvement des capitaux. La part de territoire dont l’autorité française avait gardé la libre et entière disposition était assez grande pour renfermer une population nombreuse et pour la nourrir; le département de la guerre crut devoir, en 1838, ouvrir plus largement l’entrée de l’Algérie aux ouvriers et aux cultivateurs français. Les défenses précédemment faites furent révoquées; la faveur du passage gratuit fut accordée à tout chef de famille ou homme valide ayant un métier qui pût le faire vivre, et le ministre prescrivit de tout préparer sur les lieux pour que le travail ne manquât pas aux émigrants, en attendant qu’ils trouvassent à s’établir pour leur compte. En même temps des instructions étaient données pour que des emplacements de villages fussent choisis, des enceintes défensives tracées à l’entour, des terres prêtes à être réparties. Toutefois, ces dispositions ne pouvaient produire leur fruit dès l’année suivante.
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Dans les premiers mois de 1839, se manifestèrent des signes précurseurs d’une reprise prochaine des hostilités; dès lors les préparatifs de colonisation se ressentirent de l’incertitude de la situation, et le mouvement de l’émigration lui-même, assez actif au commencement de l’année, se ralentit plus tard. Néanmoins, malgré l’absence de toute allocation législative, l’administration était parvenue à placer trois cent seize familles dans neuf villages, dont six de nouvelle fondation, et elle eût sans doute obtenu des résultats plus importants encore, si les colons eux-mêmes eussent apporté plus de méthode, plus de prudence dans leurs actes. Ils ne considéraient pas que l'agriculture, en France, repose sur le respect absolu de la propriété, sur l’inviolabilité des clôtures, sur la sécurité illimitée des personnes. Ils traitaient maintenant avec des Arabes accoutumés au régime du parcours et du libre pâture; ils allaient vivre exposés aux déprédations des Hadjoutes: au lieu de se serrer en masse les uns contre les autres, pour lutter contre tant d’ennemis, ils s’isolaient dans cette plaine immense de la Mitidja, où ils disparaissaient comme des atomes. Si toutes les fermes eussent été réunies, les chefs des camps ne se seraient pas trouvés dans la nécessité de diviser leurs forces, et les Arabes n’auraient pas eu si bon marché de tant de braves gens qui ne périrent que parce qu’on les avait laissés libres d’agir à leur gré. L’invasion de la plaine, en novembre 1839, détruisit, avec toutes les exploitations plus anciennes, les établissements naissants, trop faibles pour se défendre, et qu’aucune enceinte ne protégeait encore contre l’ennemi ; la colonisation rétrograda.
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Les années 1840 et 1841 furent en grande partie perdues pour la colonisation effective, mais non pour l’étude des moyens de la faire prospérer. Plusieurs actes administratifs, publiés comme préliminaires de travaux plus vastes, réussirent à porter les esprits vers les entreprises agricoles, et, si leur mise à exécution entraîna de nombreuses difficultés et de longs délais, du moins la tendance était marquée et l’opinion ne manqua pas de la suivre. D’un autre côté, les désordres, les déprédations que nous avons déjà eu l’occasion de signaler, furent détruits par le maréchal Valée; son mouvement de réaction le porta même jusqu’à défendre absolument la vente de la terre dans la province de Constantine. Plus tard, dans la province d’Alger, lorsque la guerre recommença, le gouverneur prévint même les colons aventureux dans la plaine, qu’ils ne devaient pas compter sur lui pour défendre leurs propriétés. Il fixa les points qu’il voulait coloniser, le nombre de familles qui y seraient appelées, et imposa quelques conditions d’appropriation individuelle et de services communs, qui annonçaient des principes d’ordre et de prévoyance. C’est à ces derniers actes du gouvernement du maréchal Valée que se termine réellement la période d’anarchie coloniale.
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Dans les derniers mois de 1841 deux villages furent commencés par le génie militaire, à Fouka, entre Koleah et la mer, et à Méred, entre Boufarik et Blida, pour y recevoir des militaires libérés, qui devaient concourir à la garde de l’obstacle continu, dont les travaux venaient d’être commences. Ce n’était encore là qu’un début; en 1842, l’œuvre s’est mieux dessinée, et des résultats positifs ont été obtenus, à l’aide d’un crédit spécial pour la colonisation civile et grâce à la cessation des hostilités sur divers points.
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Nous allons maintenant donner, comme complément de cet essai sur la colonisation, une esquisse de l’état de l’agriculture en Algérie, question qui se lie intimement à la première, car la culture des terres doit être l’âme de la colonisation, et la base de la civilisation des nombreuses tribus que nous avons conquises.
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Il est difficile d’établir d’une manière précise quel était, à l’époque de l’expédition de 1830, l’état réel de l’agriculture dans la régence. Mais, quoique les renseignements positifs manquent à cet égard, il est encore possible, par les souvenirs et les témoignages, de remonter jusqu’à ce passé qui est si voisin de nous. Le massif, et surtout les coteaux les plus rapprochés d’Alger, étaient couverts de maisons et de jardins ; la plus grande partie existe encore: chaque jour efface les traces de la dévastation que la guerre avait produites. Mais ces maisons et ces jardins n’étaient que des lieux de plaisance plus ou moins remarquables par leur élégance et leur, richesse, traditions affaiblies de l’ancienne architecture mauresque, pâle et dernier reflet des splendeurs de Cordoue et de l’Alhambra. Du reste, au temps des Turcs, il fallait considérer cette partie du territoire de la régence comme nulle pour l’agriculture. Partout, aux environs des villes, se trouvaient de nombreux jardins; ils étaient pour les citadins, non pas seulement un objet de luxe, mais presque une nécessité. Les eaux, les fruits y étaient entretenus avec un soin tout particulier. Dans les campagnes les plus rapprochées des lieux habités, les plantations abondaient encore, les terres produisaient quelques céréales; et néanmoins, autour des villes occupées par des garnisons turques, bien des champs restaient en friche, soit par l’indolence des Turcs, soit parce que le laboureur n’était pas toujours assuré de recueillir. Plus loin régnait la culture arabe, grossière, imparfaite, et pourtant payant largement le travail de l’homme qui, fendant le sol avec un soc de bois, confiait la semence à la terre sans s’occuper du champ jusqu’au jour de la moisson.
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Chaque tribu ne cultivait qu’une faible partie du territoire qui lui appartenait. Le paiement de l’impôt, les besoins de la consommation, quelques réserves pour les échanger dans les temps où les produits agricoles trouvaient des débouchés sur la côte, voilà tout ce que l’Arabe demandait à la terre. L’emploi des engrais lui était entièrement inconnu; tous les ans, la charrue était transportée sur une terre presque vierge, dont le repos plus ou moins long assurait la fertilité. La guerre, qu’une sorte de trêve suspendait assez généralement à ces époques de l’année, venait cependant quelquefois déranger les travaux de la saison, ou compromettre la moisson : c’était alors la disette. La multiplication des troupeaux complétait la subsistance du cultivateur arabe, comme elle était l’unique ressource de l’Arabe nomade. Sur les friches immenses que les pluies de l’hivernage ou le détournement des eaux courantes couvrent au printemps, et de fort bonne heure, d’une herbe abondante et substantielle, des bœufs, des moutons, d’autant plus nombreux que la tribu était elle-même plus puissante et plus respectée, paissaient sans autre soin qu’un garde armé. L’incendie des broussailles, qui s’étendait souvent aux forêts voisines, venait renouveler ou rajeunir les pâturages. Quand les ardeurs de l’été avaient brûlé toute végétation dans les plaines, les troupeaux dépérissaient, et leur race chétive était quelquefois cruellement décimée.
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Tel était, tel est encore, partout ou l’administration directe de la France ne s’est pas étendue, l’état de l’agriculture indigène, à laquelle la paix est certainement aussi nécessaire qu’elle peut l’être à la prospérité des établissements français.
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La culture française a changé en partie l’aspect général du sol; les plantations de toute espèce se multiplient; la plupart des légumes d’Europe sont aujourd’hui acclimatés, et la douceur du ciel donne à Alger, au cœur de l’hiver et à un prix peu élevé, ces primeurs que l’on n’obtient en France qu’avec tant de frais et d’industrie; les céréales croissent là où, de mémoire d’homme, jamais charrue n’était venue tracer un sillon. Dans le Sahel, les récoltes de fourrages tiennent le premier rang et présentent des résultats qui deviennent chaque jour plus importants. Les habitants de Douéra et de Boufarik ne cultivent encore que des jardins potagers et des plantations d’arbres; mais leurs travaux sont prospères, et préparent admirablement les avantages qu’on est en droit d’attendre de l’exploitation de la Mitidja, lorsque les circonstances permettront d’assainir cette immense plaine et d’y mettre en activité la charrue. Dans les différents centres de l'occupation, l’armée a opéré des défrichements et des cultures considérables. En 1841 le gouverneur général affecta 30 hectares de terre à chaque régiment : sur quelques points, comme à Oran et à Bône, ces exploitations sont dans une grande prospérité; dans la province de Constantine, l’armée cultive aujourd’hui près de 400 hectares, soit en jardins, soit en céréales.
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N’oublions pas, dans cette énumération des travaux agricoles, la belle création des condamnés militaires d’Alger, sous la direction éclairée et paternelle de M. le colonel Marengo : c’est un jardin qui peut rivaliser avec les plus magnifiques de nos villes d’Europe. Partout des rampes, des murs solides, des massifs d’arbres, des tapis de fleurs, de belles allées. Ce sont les condamnés qui ont tout fait, tout planté; c’est encore à leur travail que l’on doit la fondation de plusieurs villages, préparés pour installer de nouveaux colons. Ajoutons enfin à ces établissements celui que les trappistes ont fondé à Staoueli. La concession qui leur a été faite est de mille hectares, situés dans une plaine qui s’étend jusqu’aux bords de la mer, non loin de Sidi-Ferruch. La capacité bien reconnue qu’apportent les trappistes dans les exploitations agricoles, et l’excellente nature de la majeure partie des terres qui leur ont été livrées en Algérie, présagent à cette espèce de ferme-modèle une prospérité qui sera très-profitable au pays.
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Tous ces essais, tous ces établissements, et bien d’autres encore qui se préparent, donnent de belles espérances, et ils les réaliseront pour peu que la sollicitude du gouvernement et celle des particuliers leur viennent en aide.
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