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Depuis plusieurs siècles, les produits manufacturés de l’Europe étaient presque entièrement exclus de la régence d’Alger, et les ports de la Méditerranée étaient privés des ressources que leur offrent maintenant et le transit de ces marchandises et le fret de leurs navires. D’un autre côté, les exportations des produits de l’Afrique diminuaient d’année en année; car, indépendamment de la misère qui régnait dans l’intérieur des terres, les acheteurs manquaient dans les ports dont les éloignait la piraterie. Cet état de choses a totalement changé depuis l’occupation, et l'Agérie semble destinée à devenir un des plus grands débouchés des Français, surtout que les Anglais et les Italiens les avaient, pour ainsi dire, expulsés des marchés de Tanger, de Tunis, Tripoli, Smyrne, Beyrouth et Alexandrie.
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En Algérie le commerce se fait encore dans des proportions restreintes, et les Arabes ne se livrent guère, pour le moment, qu’à des échanges dans les marchés forains, ou quelquefois dans les villes; néanmoins, nous trouvons que les denrées du pays, arrivées de l’intérieur dans les ports, ont été, pour la période des années 1838, 1839, 1840 de 16,539,968 fr., et celles venues des ports non occupés, par la voie de mer, de 2,086,911 fr en tout 18,626,879 fr.; ce total ne comprend que les denrées apportées dans les villes que les Français occupaient sur le littoral. Les objets principaux exposés sur les marchés consistent en céréales, légumes secs, huiles, bestiaux, chevaux, mulets et ânes, bois, charbon et fourrages.
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Les exportations des produits du pays, en France ou à l’étranger, ont eu quelques variations en hausse ou en baisse; en 1837, elles étaient de 2,220,697 fr.; en 1839, elles s’élevèrent à 4,250,995 fr., et en 1841 elles ne présentaient qu’un total de 2 431 307 fr. Les peaux et le corail figurent en première ligne dans le commerce d’exportation; puis viennent les laines, les cires, les sangsues, etc.
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La pêche du corail, qui a été jusqu’à ce jour l’une des branches les plus importantes du commerce de l’Algérie, est faite par des balancelles, espèces de bateaux pontés, du port de quinze à vingt-cinq tonneaux, ayant de huit à douze hommes d’équipage. Cette pêche n’est exploitée que par des Sardes et des Napolitains. Les navires français ont tout à fait abandonné ce genre d’industrie. L’établissement de la Calle, qui avait été formé pour la pêcherie du corail, fut anéanti en 1799, par suite de la guerre maritime et de la saisie des propriétés de la compagnie d’Afrique. Les habitants se trouvèrent forcés de quitter la colonie, et tout ce qu’ils laissèrent sur les lieux fut livré au pillage et à la destruction. En 1801, l’Angleterre se fit céder les anciennes possessions françaises moyennant une redevance annuelle de 267,500 fr.; ils furent repris en 1816 par les Français, après la conclusion de la paix générale; niais abandonnés de nouveau en 1827, lorsque la guerre éclata entre la France et Alger.
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La France absorbe les 71 % des produits de l’Algérie, qui se composent des matières premières recu des Arabes, en attendant que la population européenne soit assez nombreuse pour les suppléer entièrement. Le territoire fournit, à Gibraltar et à Malte, des grains, de la cire brute et des bestiaux; ces besoins sont constants. L’Espagne demande également des grains, des tabacs et autres produits qui peuvent lui être expédiés de Mers-el-Kébir, avec une extrême facilité. Les laines, qui commencent à entrer dans les cargaisons de retour pour des quantités assez considérables, sont expédiées d’Oran, de Bône et de Philippeville, et vont jusqu’à New York. Les huiles de l’est, les grains du Chélif, les cires, les peaux et le kermès de la province d’Oran, donneront au commerce d’exportation une extension d’autant plus intéressante qu’un bénéfice fait par les Arabes les décide toujours à renouveler les mêmes opérations.
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Dans les importations générales des produits de l’Europe en Algérie, les Arabes ont acheté, en 1837, pour 3,073,588 fr.; en 1838, pour 5,511,210 fr.; en 1839, pour 3,376,080 fr.; en 1840 pour 3,065,713 fr. Les tissus de coton entrent dans ces ventes pour plus des quatre cinquièmes; toutefois, cette évaluation est plutôt au-dessous de la vérité qu’exagérée, car il est à peu près certain aujourd’hui que les Arabes emploient à ces achats la plus forte partie du prix des denrées qu’ils vendent; or, la moyenne de leurs ventes, de 1838 à 1840 a été de 6,205,626 fr., et celle de leurs achats, ne serait que de 3 984 334 fr. Dans ce chiffre, les produits des fabriques françaises figurent pour des quantités considérables. Les tissus de soie et de coton fabriqués en France, à Alger et en Angleterre, les tissus de fil sortis des fabriques françaises, les denrées coloniales, les drogueries, les teintures, les fers et aciers, les ouvrages en fer et en cuivre, des instruments aratoires, des objets communs de quincaillerie et de mercerie, et quelques petits objets de luxe, telles sont les marchandises que les Arabes achètent en échange de leurs produits, et dont la valeur, d’après les courtiers juifs, s’élève à des sommes considérables. A ces ventes faites aux Arabes de la campagne, il faut ajouter la consommation des Maures et des juifs, qui, plus avancés que les campagnards, commencent à faire usage de draps français, de chapeaux, de bas, de gants, de meubles, d’horlogerie, d’argenterie, de porcelaine et de cristaux.
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Si le corail est encore l’article le plus important des produits du pays exportés à l’étranger, les tissus de coton forment seuls une branche considérable parmi les articles manufacturés qui sont nécessaires aux indigènes. Dans l’année 1832, l’importation de tissus fabriqués en France a été de 184 088 fr., et pour celles de l’étranger, 1,168,363 fr., en tout, 1,352,451 fr. En 1840 la proportion est devenue plus avantageuse pour la métropole; les fabriques françaises fournirent I 421,027 fr.; celles de l’étranger, 2 400 684.
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Les indigènes confectionnent dans quelques tribus une partie des vêtements de laine dont ils sont généralement couverts; mais le reste est en coton; leurs morts sont ensevelis dans des linceuls de cette étoffe, grossière, il est vrai mais manufacturée en Europe. Les Arabes font une consommation très considérable d’étoffes de coton, et elle doit nécessairement s’accroître. L’importation des tissus de coton, qui avait été toujours en progressant jusqu’en 1838, éprouva, en 1839, une baisse d’un quart ; cette diminution fut même plus forte en 1840 La politique et les prohibitions d’Abd-el-Kader, ainsi que la guerre générale, en furent cause. En 1840 la province de Constantine a presque seule consommé les tissus importés d’Europe; le port d’Alger en a dirigé sur Bône et Philippeville pour 2 143 625 fr., et ces ports en avaient reçu directement de France et d’Angleterre; en sorte que l’importation dans l’est doit être évaluée â plus de trois millions. On peut donc prédire que l’Algérie consommera bientôt pour sept ou huit millions de tissus de coton. Depuis longtemps l’Angleterre était en possession, pour ainsi dire, d’approvisionner exclusivement l’Algérie de tissus de coton, lorsque la France est venue lui faire une concurrence active. L’ordonnance du 11 novembre 1835, qui avait imposé à certaines marchandises étrangères importées en Algérie le quart ou le cinquième des droits portés au tarif français, lorsqu’elles ne sont pas prohibées en France, et un droit de 15 % de leur valeur quand elles sont prohibées, a donné à la France sur l’Angleterre un avantage qui s’est maintenu jusqu’à ce jour. D’un autre côté, M. David parvint en 1831, à faire fabriquer en France des étoffes de coton semblables à celles que fournit l’Angleterre, et qui sont d’une espèce toute particulière. Plus de quinze cents pièces de ces tissus de fabrique française furent rapidement vendues aux Arabes, soit à Alger, soit à Medea et Miliana, cette même année, et les acheteurs n’y trouvèrent aucune différence avec celles auxquelles ils sont accoutumés de temps immémorial. Malgré l’apathie très blâmable des manufacturiers, la part que la France a prise dans l’importation des tissus de coton, qui n’était en 1835 que du douzième, a été presque des deux cinquièmes en 1840, Rouen, Montpellier et Lyon s’occupent de cet objet important. Les tissus imprimés, préparés à Rouen, dans le département du Tarn et clans les départements voisins, ne sont pas inférieurs à ceux que l’on fabrique en Suisse et en Angleterre. Des étoffes écrues, sortant des manufactures françaises, trouvent aussi un débouché facile et sont souvent préférées aux produits étrangers.
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Si le commerce d’importation ne représente pas pour la métropole une augmentation d’affaires égale à la somme des valeurs importées, c’est que l’armée et la population civile consomment en Afrique ce qu’elles auraient consommé en France; mais, déduction faite du chiffre des importations qui ne sont qu’un simple déplacement, il reste encore une somme d’affaires très considérable. D'ailleurs le déplacement de la consommation, par les échanges, les transports, la circulation des capitaux qu’il entraîne et le travail qu’il procure, est un véritable accroissement de richesse. C’est ce qui explique pourquoi le commerce de l’Algérie offre tant d’intérêt à la France et surtout à ses départements méridionaux.
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En 184O, la France a expédié en Algérie pour 32 millions de marchandises, dont le quart était en entrepôt et les trois autres quarts étaient le produit du sol et de l’industrie. Si les ports étrangers ont pris une part importante au mouvement commercial, c’est que, par leur rapprochement des lieux de consommation ou par leurs ressources locales, ils étaient plus à portée de fournir des denrées d’un transport difficile. Les marchandises importées en plus grande quantité par l’étranger dans les ports d’Algérie, sont, outre les grains et les légumes secs, des bestiaux et des volailles, des huiles d’olive, des oeufs, du beurre, des graisses, du miel et des fruits frais, des viandes salées, du tabac et de la houille. Tous ces objets, la houille exceptée, sont du nombre de ceux que l’Algérie produit ou est appelée à produire un jour, et que la France n’a pas ou n’a que peu d’intérêt à lui expédier.
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En 1837, la France a tiré de ses entrepôts la majeure partie des farines et des denrées coloniales vendues dans la possession; elle a fourni les viandes salées destinées à l’armée, les autres provenaient de l’étranger. Elle est entrée pour moitié dans les importations de poissons secs et salés, de brai et goudron, de bois de construction, dans celle des métaux, pour une faible portion dans celle des briques, tuiles et meules. Elle a approvisionné exclusivement ses possessions en produits chimiques, parfumeries, épices préparées, savon et chandelles, peaux ouvrées, instruments aratoires, outils, mercerie, orfèvrerie, coutellerie, ouvrages en tôle et en bois, armes blanches et à feu, sellerie et meubles. Ces consommations sont une augmentation très réelle de son commerce, et ce sont celles qui touchent de plus près à l’industrie. Les Français ont fourni également les miroirs, la verrerie et la faïence; lutté avec peine contre les faïences anglaises, mais l’ordonnance du Il novembre 1835leur a donné l’avantage. L’effet de cette ordonnance a été plus sensible encore, nous l’avons déjà dit, en ce qui concerne les tissus; car en 1836 il y eut pour la France une augmentation de 50 % sur 1835. Les tissus de fil, dont la consommation n’était en 1832 que de 74 000 fr., s’éleva en 1837 à 326,000 fr., dont la France fournit près de la moitié. La consommation des tissus de laine fut, pendant la môme période, de 248,000 fr. à un million, et la part de la France, qui avait été de 33 % en 1832, fut trois fois plus forte que celle de l’étranger en 1837. Celle des tissus de soie s’éleva de 166,000 fr. à 803,000 fr., et les exportations de France, qui n’étaient d’abord à celles de l’étranger que de 40 % dépassèrent 80 en 1837. Nous avons déjà fait connaître les avantages obtenus par la France sur la vente des tissus de coton.
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En 1838,les Français ont fourni la presque totalité des sucres raffinés, du sel marin et autres produits chimiques, des meubles, des vins, eaux-de-vie et liqueurs, des peaux préparées, des objets de mode, de la mercerie, horlogerie, coutellerie et quincaillerie. La France est entrée pour trois quarts environ dans la vente des verres et dans celle des matériaux à bâtir. Les métaux, qui se sont accrus de 355,000 fr. à 850,000 fr., ont été fournis moitié par la France et moitié par l’Angleterre, la Suède et l’Autriche. Les boissons, dont la consommation intéresse si essentiellement les vignobles du midi de la France, et les tissus dont la vente importe aux villes manufacturières françaises, ont été aussi en progrès. L’importation des boissons, qui n’avait été que de 4,ooo,ooo en 1837, s’est élevée, en 1838, à 5,300,000 fr., et l’étranger n’y figure que pour 215,000 fr.
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En 1839, l’agriculture coloniale s’est enrichie des sommes que l’on payait aux Deux-Siciles et aux états Romains pour les fourrages; mais la Toscane et la Sardaigne ont su profiter de la rupture des relations avec les Arabes; et la Russie, le Danemark et la Suède ont vu leur commerce augmenter par l’extension donnée aux travaux publics et aux constructions particulières.
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En 1840 les possessions anglaises de la Méditerranée ont fait des envois considérables de grains et de tabacs déposés dans leurs entrepôts; l’Angleterre a expédié directement des fers, des tissus et de la houille; la Toscane, l’Espagne et la Sardaigne, en raison de leur proximité, ont principalement accru leurs relations avec l’Algérie; leurs envois, au reste, consistent presque tous en denrées de consommation. La Russie et la Grèce ont fourni de fortes parties de grains; l’Autriche, la Suède et la Norvège ont expédié des bois de construction; des huiles ont été envoyées par la Turquie; l’Égypte a trouvé un placement pour ses orges, et les états barbaresques ont fourni des vêtements que l’Algérie ne confectionne plus, des grains, des fruits, et des lichens pour la teinture.?
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En 1841, le chiffre des importations s’est élevé à 66 millions, non compris 7 millions d’objets divers expédiés des magasins du gouvernement aux corps de l’armée.
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La législation des douanes n’a pas varié quant à ses principes fondamentaux depuis 1835. L’expérience semble démontrer, par les progrès toujours croissants du commerce colonial et de celui de la métropole comparés au commerce étranger en Algérie, la sagesse du système mixte consacré par l’ordonnance de cette année. La douane a perçu, sur les importations du 1er janvier 1831 au 31 décembre 1840 une somme de 6,537,631 fr.; mais il résulte d’un calcul fait sur les produits de l’année 1840 que les marchandises qui ont payé 407 000 fr., auraient acquitté 1,805,000 fr. si on leur avait appliqué le tarif français, et que celles qui sont affranchies dans la colonie auraient payé 11,696,000 fr.; total, 13,501,000 fr. Ainsi, grâce à ce sage système de pondération, la France pourra prendre au commerce de l’Algérie toute la part que lui assureront ses moyens de production, sans nuire sensiblement aux échanges des puissances étrangères avec les produits de la colonie.
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