.
C'est au milieu de conjonctures que le général Clausel reçut et s’empressa d’accueillir des propositions que le consul général de France à Tunis avait été chargé de lui présenter de la part du souverain de cette régence; elles tendaient à obtenir pour un prince tunisien l’investiture du beylik de Constantine, moyennant une contribution annuelle d’un million de francs et l’obligation expresse de tenir cette province aux mêmes conditions et droits que s’il l’eût reçue du dey d’Alger; on promettait en outre de se conformer à tout ce que le commandant en chef jugerait à propos de prescrire dans l’intérêt du pays en général, du beylick en particulier, mais principalement dans celui de la France; on s’engageait à accorder pleine et entière protection aux Européens qui viendraient, comme commerçants ou agriculteurs, s’établir dans le territoire, et enfin à admettre des garnisons françaises dans les places de Bône, Stora et Bougie.
.
Le 6 février 1831 suivant, une convention à peu près semblable eut lieu pour le beylick d’Oran, dont l’investiture fut donnée à un autre prince de la famille du bey de Tunis. La France se réservait le fort Mers El-Kébir pour y tenir garnison à sa volonté; enfin, le nouveau bey s’obligeait à payer un tribut annuel d’un million.
.
Le résultat de ces deux conventions, disent les défenseurs de ces étranges traités, eût été d’assurer à la France la souveraineté immédiate de la régence; le territoire d’Alger et la totalité du beylick de Tittery nous restaient et étaient réservés à notre administration directe. Cette importante possession, placée entre les deux provinces concédées, séparait ces deux grands vassaux des établissements militaires fondés sur leurs limites, et l’occupation permanente de Médéa couvrait et garantissait de toute incursion et de toute attaque sérieuse nos établissements. Nous interceptions ainsi tout moyen de correspondance hostile entre les tribus de l’ouest et celles de l’est; nous possédions un littoral de plus de cinquante lieues, comprenant des ports et des mouillages utiles à notre marine et nécessaires à notre commerce. Oran, Arzew, Bougie, Stora, Bône, La Calle, nous étaient ouverts, et les prérogatives que nous nous étions réservées équivalaient aux avantages de leur possession. Un revenu fixe de deux millions payables à Alger par trimestre, égalait, surpassait même toutes les dépenses intérieures de la colonie et subvenait aux améliorations progressives du territoire. Enfin, nous pouvions opérer à l’instant la réduction de nos forces militaires, ce qui, dans un temps fort rapproché, eût produit sur nos dépenses une diminution de plusieurs millions.
.
Tels auraient été sans doute les fruits de cette concession si elle eût été faite à des hommes capables de tirer parti du territoire qu’on leur livrait, et si elle n’eût pas contribué à élever, aux dépens de notre influence, un état qui avait été toujours, relativement à Alger, dans une condition d’infériorité des plus marquées. En effet, dans les différentes luttes entre Alger et Tunis, cette dernière avait presque toujours été battue. Enfin, un traité conclu sous le règne de Mehemed-Bey (1756) était venu mettre le comble à son abaissement.
Ce traité indique :
1° Que le bey de Tunis ne pourra faire aucun armement dans le fort de Keff ;
2° Que le pavillon tunisien ne pourra y être arboré qu’a mi-mât ;
3° Qu’à l’arrivée d’un navire de guerre algérien dans un des ports de la régence de Tunis, le commandement du port sera immédiatement confié au capitaine de ce navire pour toute la durée de son séjour ;
4° Que les oukils (représentants) d’Alger et de Constantine, à Tunis, jouiront de la même considération que les consuls des puissances européennes les plus privilégiées ;
5° Que la régence de Tunis enverra annuellement à Alger de la cire et une cargaison d’huile d’olive pour l’éclairage de tous les marabouts et mosquées).
Et c’était à une puissance ainsi déchue que la France, résignant les droits que lui donnait la conquête, aurait confié l’administration des deux portions les plus importantes de l’Algérie ?
.
Mais, à cette époque, on ignorait en France toutes les choses d’Afrique et, plus que tout le reste, la nature des rapports politiques qui avaient existé entre les divers états barbaresques. La convention du général Clausel fut rejetée par le cabinet, non à cause des motifs que nous venons d’exposer, mais « parce que le général en chef avait outrepassé ses pouvoirs; parce que ce traité préjugeait la question de savoir si nous garderions indéfiniment Alger ; parce qu’il était peu favorable à nos anciennes possessions d’Afrique; enfin, parce que le tribut imposé parut insuffisant. De toutes ces considérations, la plus impérieuse était celle qui eût mis le gouvernement dans la nécessité de faire connaître ses vues ultérieures sur l’Algérie; il préférait louvoyer, ne s’enchaîner par aucun engagement, et laisser au temps le soin de consacrer ses droits.
.
Au reste, le général Clausel, sans attendre la sanction du cabinet, se crut investi de pouvoirs suffisants pour installer les nouveaux dominateurs. Au lieu d’un corps d’armée imposant, le lieutenant du bey de Tunis n’amena à Oran qu’une poignée de soldats mal équipés, sans discipline, sans habitude du service, et dont la vue réveilla les vieilles haines chez les anciens sujets d’Alger. Dépourvu d’intelligence et de moyens d’action, ce gouverneur ne fit rien pour s’établir d’une manière durable, et lorsque arriva le refus de ratification, il s’en retourna sans la moindre résistance, ne laissant après lui d’autres souvenirs que celui de ses cruautés et de ses honteuses exactions.
.
Rappelé en France, le général Clausel essaya de défendre et son traité et la conduite de ses alliés; mais ses allégations furent impuissantes contre les faits. Il avait été dupe d’une intrigue ourdie par le premier ministre du bey de Tunis, qui, se voyant investi de la confiance de ce vieillard, voulait éloigner du trône les princes qui lui portaient ombrage : il eût fait de Bône et d’Oran l’apanage de ces princes indociles, et, conservant à Tunis, comme héritier présomptif, un jeune efféminé, aurait perpétué sa souveraine influence. Sidi-Chakir, c’est le nom de ce ministre, paya de sa tête cet excès d’ambition. Quant au général Clausel, l’élection de Rethel vint adoucir sa disgrâce.
.
.
.
.
.
Les commentaires récents