L'organisation :
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La France s’empressa de substituer sa puissance àcelle des Turcs, sans avoir fait aucune étude du pays que la victoire l’appelait à régir.
Ce fut là, une faute grave. Cette brusque succession, ce renvoi immédiat des anciens administrateurs, cette perturbation générale apportée dans les rapports de tout un pays furent d’autant plus funestes que les habitants de la régence ne pouvaient pas être considérés par nous comme des vaincus, qu’ils avaient droit à quelques égards, et qu’en définitive nous agissions dans une contrée ou l’habitude exerce une influence souveraine. Toutefois, cette faute n’appartient pas en propre au général en chef; elle provient surtout de l’indécision où était le gouvernement français sur le parti qu’il devait tirer de la conquête. Une dépêche avait prescrit à M. de Bourmont de se porter, aussitôt après la prise d’Alger, sur Tripoli, d’occuper Bône et de soumettre à l’autorité de la France tout le littoral depuis l’Harrach jusqu’à la frontière de Tunis. Le port d’Alger aurait été comblé, et on aurait livré à la Porte tous les districts occidentaux de la régence, ainsi qu’une grande partie du beylick de Constantine. Projet absurde, qui eût dévoré les fruits de la victoire !
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Quoi qu’il en soit, aussitôt après l’entrée des troupes à Alger, le général en chef organisa une commission, chargée, sous son autorité immédiate, de pourvoir aux besoins du moment et de prévenir les désordres. Cette commission était composée de M. Denniée, intendant de l’armée, du maréchal de camp Tholozé, du payeur général, d’un capitaine d’état-major, faisant fonctions de lieutenant de police, du consul et d’un secrétaire. Elle proposa et fit décider la formation d’un conseil municipal composé d’indigènes et présidé par l’un d’eux; ce conseil remplaça pour les habitants l’ancien scheikh-el-belad (chef de la ville) dans une partie de ses attributions. La surveillance de la sûreté publique fut réservée au lieutenant de police. Du reste on laissa subsister les différentes institutions urbaines, telles qu’on les avait trouvées: la communauté juive avec son chef, les corporations des Mozabites, des Biskris, etc., avec leurs amins. Quant à l’organisation politique, l’expulsion des Turcs en avait dispersé tous les rouages.
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C’est donc ici le lieu de donner une idée du gouvernement de l’Algérie sous les Turcs. Cette esquisse rapide leur rendra plus facile l’intelligence des événements qui vont suivre. Nous avons déjà défini les attributions du dey, il nous reste à faire connaître celles des officiers principaux qui étaient chargés de le seconder; nous exposerons ensuite l’ensemble du système administratif adopté par l’odjak.
Les principaux fonctionnaires de l’état étaient:
L’oukil-el-hardj (ministre de la marine), chargé de la comptabilité des munitions de guerre et du contrôle des travaux de l’arsenal.
Le kasnadji (trésorier), qui réunissait tous les services financiers et surveillait la levée et la rentrée des impôts.
L’agha (commandant des troupes), qui avait dans son département les affaires des outhans (districts de la plaine), et dont l’autorité s’étendait sur la province d’Alger tout entière. Sous ses ordres étaient placés les caïds; il disposait de toutes les milices régulières, Spahis, Abids, etc., pour percevoir les impôts et maintenir les populations dans l’obéissance.
Le kodja-el-khiel (inspecteur des haras), chargé de la régie des haouchs (biens ruraux appartenant au domaine), des locations, ventes, échanges, etc., auxquels cette régie donnait lieu.
Le mecktoubdji (chef des secrétaires), directeur de la correspondance politique. Il tenait le registre de la comptabilité de l’état, celui des règlements militaires et celui des milices, le plus important de tous.
Le beit-el-malhdji (curateur aux successions vacantes), représentant né de tous les héritiers absents. il était chargé de l’ouverture des testaments et de tous les litiges que pouvait entraîner leur exécution dans les successions où le beit-el-math était intéressé; il devait faire rentrer au domaine les successions vacantes, ou la partie des biens qui revenait à l’état dans les cas prévus par la loi musulmane.
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A Alger, le chef de l’administration civile et municipale était le scheikh-el-belad, appelé aussi scheikh-el-medinah (chef ou gouverneur de la ville). Il était seul chargé de la justice municipale et de la police: sous ses ordres étaient des naibs (lieutenants) et des amins (chefs de corporations). il y avait en outre un second gouverneur, choisi parmi les premières familles, et descendant d’un marabout; ce personnage était investi du titre de naid-el-aschraf (chef des notables), et devait, dans toutes les circonstances importantes, réunir chez lui le scheikh-el-belad et tous les amins qui dépendaient de lui, afin de délibérer sur les mesures à prendre. Ces divers fonctionnaires réglaient les affaires de la ville, pourvoyaient aux dépenses, maintenaient l’ordre dans les différentes classes industrielles, surveillaient la police locale, la salubrité, les aqueducs, les établissements publics.
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Les environs d’Alger, le fahs était divisé en sept outhans. L’outhan était formé de plusieurs tribus qui, elles-mêmes, se subdivisaient en douars (réunion de plusieurs tentes). Toutes les affaires des outhans étaient du ressort de l’aga, qui, pour les plus importantes, prenait les ordres du dey. Les principaux chefs étaient les caïds et les kadis : les caïds (praefecti) étaient chargés de l’administration et des affaires politiques; les kadis (juges), de la justice. Au-dessous des caïds se trouvaient les scheiks (chefs), nommés par un ou plusieurs douars : la police de la tribu leur était confiée; ils en commandaient les hommes armés, sous l’autorité des caïds. Entre le caïd et le sheikh venait se placer généralement un autre fonctionnaire appelé scheikh-el-schion (scheikh des scheikhs), il était aux scheikhs ce que sont en France les maires aux adjoints. L’aga nommait ce scheikh supérieur; mais avant de le proclamer, il devait consulter les scheikhs de l’outhan et en référer au pacha. Il en était de môme pour les fonctions de caïd: l’aga désignait les candidats, le pacha seul donnait l’investiture.
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La régence était divisée en trois provinces ou beylicks, savoir: Constantine, à l’est ; Oran, à l’ouest ;Titery, au midi . Ces provinces étaient administrées par des beys (gouverneurs), nommés par le dey, et révocables à sa volonté. Ces fonctionnaires recevaient une délégation fort large de la puissance souveraine, et en usaient avec assez de liberté. Ils commandaient les milices régulières et irrégulières de la province, et répondaient du recouvrement des impôts. Les beylicks avaient une organisation complètement analogue à celle de la province d’Alger; les villes, les outhans y étaient régis de la môme manière. Seulement les emplois qui, dans la province d’Alger, étaient soumis à l’approbation du pacha, relevaient dans les beylicks de l’autorité du bey. Ainsi, en remontant du scheikh de quelques tentes ou d’une tribu entière au caïd de l’outhan ou district, de celui-ci au bey de la province ou à l’aga, et de ces derniers au dey lui-même, la hiérarchie et l’obéissance marchaient dans des limites rigoureusement tracées. De délégué en délégué, le pouvoir descendait jusque dans le plus humble hameau, et par les mêmes voies, le paiement de l’impôt remontait jusqu’au souverain.
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La milice turque, seule force sur laquelle l’odjak, étranger lui-même sur la côte africaine, pût compter pour se maintenir, se subdivisait en compagnies ou ortas. L’orta, composée d’un nombre presque indéterminé de janissaires, se partageait en sofra (chambrées, ou plus littéralement tables); le sofra comportait, avec dix-huit simples soldats, un oda-bachi (chef de chambrée) et un oukil-el-hardj (trésorier), chargé de la comptabilité et de la dépense. Quelques jours avant la prise d’Alger, les registres d’inscription signalaient cent ortas au moins; mais un grand nombre d’entre elles n’étaient que des cadres fort incomplets, dans lesquels figuraient des enfants, que leurs pères, membres (le la milice, avaient le privilège d’y faire inscrire. Voici, an reste, l’effectif réel de cette milice pour toute la régence: à Alger, et dans les trois beylicks, il y avait alors 8,767 enrôlés turcs ou renégats, dont 1,200 enfants hors d’état de porter les armes; les Koulouglis venaient augmenter ce nombre de 7,427 hommes. Ainsi, en 1830, les troupes régulières de la régence ne présentaient qu’un total de 14,994 combattants.
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Outre la ration de vivres, pain, viande, huile, et une part dans les produits de la course, la paie du simple janissaire équivalait à environ 360 francs par an. On accordait au boulouck-bachi deux rations et à peu près 450 francs, avec quelques autres privilèges. Le dey, inscrit en tête du registre de la milice, ne recevait que la paie du soldat. Les janissaires étaient tous fantassins. La cavalerie, placée à Alger sous le commandement de l’aga, et dans les provinces sous les ordres des beys, se recrutait parmi les Arabes. Quelques corps spéciaux étaient composés d’hommes appartenant seulement à certaines tribus ou à certaines classes : les Zouaoua, les Douairs, les Zenati, en offraient des exemples ; des Nègres affranchis formaient les abids (serviteurs ou esclaves). Enfin, les caïds étaient tenus de marcher avec les contingents de leur canton quand ils en recevaient l’ordre. Les levées qu’ils amenaient servaient, sans indemnité et à leurs frais, un certain nombre de jours; elles se retiraient ensuite s’il n’était pourvu à leurs besoins: c’est le service militaire tel qu’il était organisé en France à l’époque de la féodalité. L’ensemble de ces troupes, régulières ou irrégulières, recevait le nom d’asker-el-magzen ou magzeniach (troupes du gouvernement).
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Les deys, ainsi que tous les officiers de la régence, n’avaient d’autre traitement que leur simple paie de janissaire; mais tous exploitaient à qui mieux mieux leur position. Outre les parts de prises, et certains droits qu’ils s’étaient successivement attribués, les deys vendaient au plus offrant les places et les privilèges industriels ou commerciaux. Tous les marchés se faisaient moyennant des pots-de-vin considérables, dont la majeure partie leur revenait: le reste était distribué entre les officiers; ils vendaient également les teskeras, licences pour l’exportation ou la vente des produits dont le gouvernement avait le monopole. Les amendes, et surtout les présents des consuls, des beys, des grands fonctionnaires de la régence, de tous ceux qui avaient à craindre ou à espérer, formaient une partie importante de leurs revenus.
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