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Quelques jours plus tard, le général en chef se rendit à son tour chez le dey. Celui-ci avait changé d’avis sur le lieu de sa retraite; définitivement il s’était décidé pour Naples: ce nouveau projet ne donna lieu à aucune objection. Il renouvela ensuite la réclamation qu’il avait faite des trente mille sequins laissés à la Casbah; M. de Bourmont promit de les lui renvoyer le lendemain. Le général en chef lui ayant demandé si ce qu’il possédait suffirait pour assurer, en Italie, son existence et celle de sa famille: « Je suis tranquille pour mon avenir, répondit le dey, car je sais que le roi de France est trop généreux pour me laisser mourir de faim. » A quelques questions qui lui furent adressées sur sa position pécuniaire, il ne répondit que ce peu de mots : « Ma seule dette consiste dans les frais de construction d’un petit bâtiment que j’ai commandé à Gênes. Mes créances sont nombreuses mais peu sûres : la plus importante est celle du bey de Constantine, il me doit 60,000 piastres, depuis longtemps j’ai perdu l’espoir de les recouvrer. Le consulat espagnol me doit aussi 5,000 piastres, mais celles-ci seront payées, j’en ai l’assurance, et je les abandonne volontiers au gouvernement français, si le général en chef veut se charger de faire remettre 1,500 piastres à un brave médecin espagnol qui m’a donné des soins dans une maladie grave. » Son offre fut acceptée.
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Fidèle à sa promesse, M. de Bourmont fit envoyer à Hussein, le jour suivant, les trente mille sequins deux fois réclamés. (La restitution que l’on venait de faire à Hussein détermina Ibrabim-Aga, son gendre, à renouveler ses instances, il y avait quelque fondement à croire que la caisse par lui réclamée était bien celle que, le 5 juillet, on avait trouvée dans la cour principale de la Casbah, et qu’on avait ensuite déposée au trésor le payeur général eut ordre de lui compter cinq mille sequins. M. de Bourmont pensa que le sacrifice de cette somme serait largement compensé par l’opinion que les Algériens allaient concevoir de notre bonne fois).
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Celui qui fut chargé de les lui remettre, lui ayant demandé s’il avait existé des pierres précieuses dans le trésor d’Alger, il lui répondit que, longtemps avant son élévation, toutes les pierreries qui appartenaient à l’odjak avaient été converties en argent monnayé et en lingots ; que celles qu’il avait emportées de la Casbah étaient sa propriété; que toutefois, si on l’exigeait, il ne ferait aucune difficulté de les remettre. On lui donna l’assurance que sur ce point, comme pour tout le reste, la capitulation serait religieusement observée. Quelques lignes écrites de sa main confirmèrent ce qu’il avait dit; le mensonge est rare chez les Turcs, et tout porte à croire que sa déclaration était conforme à la vérité.
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Le 10juillet, jour fixé pour l’embarquement de Hussein, la frégate la Jeanne d’Arc avait été, dès le matin, mise à sa disposition; mais, par des motifs religieux, il désira ne partir qu’après le coucher du soleil. Cent dix personnes formaient toute sa suite, et parmi elles se trouvaient cinquante-cinq femmes, dont quatre seulement avaient le titre d’épouses. Son gendre, suivi de toute sa famille, l’accompagnait. Naples n’ayant point de lazaret, on décida que les passagers iraient préalablement purger leur quarantaine à Mahon. A huit heures du soir, Hussein sortit de sa maison à pied; ses femmes étaient dans des palanquins fermés; les esclaves suivaient sur deux rangs, et gardaient le plus profond silence. Dans ce moment solennel, les habitants d’Alger ne témoignèrent aucune sympathie pour leur ancien maître; personne ne vint le saluer sur son passage: à peine vit-on quelques Maures se montrer sur le seuil de leur porte, moins par attachement que par curiosité. Pendant tout le trajet de sa maison au port, la figure du pacha resta calme et sévère; sa contenance était noble et digne; il semblait supérieur à son infortune. Mais lorsqu’il fut à bord de la frégate qui devait le transporter à Naples; lorsqu’il se vit seul au milieu de sa famille, sans gardes, sans officiers, presque sans esclaves; lorsqu’il vit toutes les batteries rester muettes ; Oh ! Alors ce silence lui révéla l’immensité de sa chute; il se prit à verser d’abondantes larmes, et plusieurs fois il jeta de douloureux regards sur cette Casbah où pendant douze ans il avait commandé en maître absolu.
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Ainsi finit avec Hussein cette longue série de deys et de pachas qui depuis 1517 gouvernèrent l’Algérie. De tous ces chefs Hussein fut sans contredit l’un des plus capables; il fut aussi l’un de ceux qui se maintinrent au pouvoir le plus longtemps. La durée moyenne du règne de ses prédécesseurs ne dépasse pas trois ans neuf mois; Hussein gouverna pendant douze années (Hussein, après avoir résidé quelque temps à Naples, alla habiter Livourne; puis il vint à Paris, et se rendit à Alexandrie, où il mourut en 1838). Quelques deys, il est vrai, furent encore plus privilégiés que lui ainsi Mohamed règne vingt-cinq ans (1766-1791), Ali Aga, quatorze ans (1752-1766); Baba Ibrahim, treize ans (1732-1745); mais le plus grand nombre ne fit que passer. Pendant les trois siècles que dura la régence, on compte quatre-vingt-six pachas ou deys; durant la même période, la France n’a eu que seize rois.
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Le départ de Hussein fut suivi, le lendemain, de celui des janissaires. Cette milice si turbulente et si redoutée donna, dans cette circonstance, l’exemple de la soumission et de l’obéissance la plus parfaite. Au moment de la prise d’Alger, l’effectif de ce corps se composait de 5,092 hommes, dont 891 canonniers; la moitié environ étaient célibataires, les autres étaient mariés ou vivaient en concubinage avec des femmes maures. Les premiers résidaient dans des casernes; les seconds habitaient des maisons particulières. On jugea prudent de les désarmer tous ; ils n’opposèrent aucune résistance à cette mesure et s’empressèrent, sur la première injonction, d’apporter leurs fusils et leurs yatagans dans le lieu désigné pour les recevoir. On leur dit ensuite que les pères de famille seraient autorisés à rester dans la régence, mais que les célibataires seraient transportés par mer sur les points qu’ils indiqueraient. Cette décision ne parut produire sur eux aucune impression pénible. La plupart étaient nés dans l’Asie Mineure; ils demandèrent qu’on les y reconduisît, sans stipuler la moindre indemnité, sans élever aucune réclamation. Deux mille cinq cents d’entre eux furent embarqués, et lorsqu’au moment du départ on leur distribua deux mois de solde, afin de ne pas les renvoyer entièrement dépourvus, ils exprimèrent une vive reconnaissance pour ce généreux procédé. Ainsi, ce terrible odjak algérien qui pendant trois siècles avait épouvanté la Méditerranée de ses déprédations, se trouvait complètement dissous. Quelques jours avaient suffi pour le disperser.
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