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Aussitôt après l’évacuation d’Oran par les troupes tunisiennes, le général Berthézène avait fait occuper cette place par deux bataillons sous les ordres du général Faudoas. A l’arrivée de ces forces, plusieurs tribus firent leur soumission; les marchés furent approvisionnés et le calme parut renaître. Mais quelques actes de sévérité intempestive et la présence du Marocain Bilemri mirent encore une fois tout le pays en armes contre nous. Ce Bilemri, reçu d’abord avec enthousiasme, fut bientôt abandonné, et retourna dans le Maroc. C’est au milieu de tous ces troubles que le ministère se décida à confier au général Boyer le commandement des troupes et de la province d’Oran.
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Aucun des liens qui assuraient autrefois la dépendance des tribus n’avait survécu à la dissolution de l’ancien établissement politique. Les populations, abandonnées à elles-mêmes, ne cessaient de guerroyer entre elles. Parmi tant de chefs, nul ne se sentait assez fort pour s’imposer aux autres et rétablir une ombre d’autorité protectrice chacun d’eux réussissait à empêcher la suprématie de ses compétiteurs, sans pouvoir faire reconnaître la sienne. A Tlemcen, les Maures occupaient la ville, les Koulouglis le Mechouar ; les hostilités continuaient entre eux avec des avantages divers. Dans quelques villes, comme Mascara, les Maures et les Koulouglis se partageaient le gouvernement. Enfin, au milieu des tribus qui environnent Mascara, le marabout Mohhy-ed-Din faisait servir son influence religieuse à la fondation d’une puissance purement arabe, et préparait ainsi les voies à son fils Abd-el-Kader.
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Le général Boyer s’occupa d’abord d’ouvrir des relations avec les garnisons turques et koulouglies éparses dans la province. A la suite de l’occupation d’Alger et d’Oran, ces débris des vieilles milices, sentant le besoin de se réunir, s’étaient successivement concentrés dans les trois villes de Mostaganem, de Tlemcen, de Mascara, et s’y défendaient contre les Arabes des environs. La garnison de Mascara, serrée de près et dépourvue de vivres, en proie d’ailleurs à des tentatives de séduction si faciles dans les situations désespérées, se confia aux promesses qui lui étaient faites et livra la ville. Elle fut massacrée tout entière; et Mascara, désormais occupé par les Arabes, devint pour eux une place de guerre et un centre d’action très puissant contre les forces françaises.
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Le même sort menaçait les milices de Mostaganem et de Tlemcen. Pour les maintenir et les encourager dans leur résistance, on leur accorda une solde mensuelle. Cette sage mesure porta ses fruits. Les attaques des tribus armées et les intrigues du dehors furent également repoussées ; on établit ensuite des rapports avec Arzew, port situé à dix lieues à l’est d’Oran. Grâce au concours du cadi de cette ville et à la protection d’un bâtiment français en station dans le port, les garnisons d’Oran et de Mers El-Kébir purent se procurer des blés, des fourrages et des bestiaux, ressources d’autant plus précieuses que les communications avec l’intérieur étaient interceptées par les Garabas, qui ne cessaient de harceler la garnison et entraînaient souvent avec eux les belliqueuses tribus des Douers et des Zmelas.
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Après avoir mis Oran en état de défense et réparé en partie les fortifications, le général Boyer entama des négociations avec les Douers et les Zmelas, pour les attacher à la cause française. Ces négociations, plusieurs fois abandonnées et reprises, restèrent sans résultat; car la fatale politique adoptée par le général lui aliéna bientôt toutes les tribus. Il avait pris pour base de son administration la terreur; « il faut, disait-il dans un rapport adressé au ministère, civiliser ce pays par des moyens en dehors de la civilisation », système barbare qui n’est pas de notre époque, et qui en définitive ne produisit que des résultats désastreux (Dans sa position le général Boyer devait plutôt recourir a la diplomatie qu’à la force. Quoiqu’il eût fait la campagne d’Égypte, il n’avait appris qu’à combattre les Arabes et non à les gouverner; et durant ses longs services sous la république et l’empire, il fut toujours appelé au commandement des divisions actives, et jamais à l’administration des pays conquis. En 1795, il était aide de camp du général Kellermann ; en 1796, il lit la campagne d’Italie en qualité d’adjudant général, puis il suivit Napoléon sur les rives du Nil et en Syrie; en 1802 il prit part à l’expédition de Saint-Domingue ; puis on le voit assister avec gloire aux batailles d’Iéna, de Pultusk, de Friedland et de Wagram. En 1810, il passa à l’armée d’Espagne, où il commanda une division de ces intrépides dragons qui étaient devenus l’effroi des Espagnols. Le général Boyer trouva encore l’occasion de se distinguer dans les campagnes de France et des cent jours).
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A Bône, l’imprévoyance du commandant faillit aussi compromettre notre domination. Cette place avait été occupée le 13 septembre 1830 par un faible détachement de zouaves, placés sous les ordres d’officiers français. Les habitants virent avec plaisir l'arrivée des Français; seulement quelques familles influentes protestèrent en secret contre cette prise de possession, et se liguèrent . Le détachement des zouaves était caserné dans la Casbah, mais les officiers descendaient en ville pour y prendre leurs repas. Les conjurés, ayant à leur tête un ancien bey de Constantine, Ibrahim, gagnèrent les zouaves à prix d’argent, et profitèrent de l’absence des officiers pour s’emparer de la citadelle. Lorsque ceux-ci voulurent se rendre à leur poste ils furent repoussés à coups de canon. Deux bricks, le Cygne et le Voltigeur, qui étaient en rade, prêtèrent assistance aux officiers français, dont tous les efforts pour reconquérir la Casbah restèrent infructueux. Dès ce moment Bône fut abandonné, malgré les supplications des habitants qui sollicitaient toujours, comme en 1830, l’envoi d’une garnison française.
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L’administration du général Berthézène dans la province d’Alger n’était pas plus heureuse que ses entreprises militaires. Depuis sa retraite de Médéa, il n’aspirait plus qu’à obtenir la tranquillité; il y parvint en se faisant l’instrument d’une espèce de restauration musulmane conçue au profit de quelques Maures influents. On lui suggéra l’idée de nommer aux fonctions d’aga de la plaine Sidi-Mohamed-ben-M’Barak, marabout de Koleah, qui s’était, dès le principe, montré hostile à l’occupation française. De forts appointements (soixante-dix mille francs par an) et un pouvoir presque absolu le décidèrent à une conversion, et il accepta ce poste. Sous son autorité, il faut le reconnaître, la banlieue d’Alger cessa d’être inquiétée; mais c’était acheter bien cher un tel protectorat. Le général Berthézène s’appuya néanmoins de ce précédent pour battre en brèche tous les plans de colonisation européenne et tous les projets d’extension de la conquête. Selon lui, la plaine de la Metidja n’était qu’un cloaque destiné à devenir le tombeau de tous ceux qui tenteraient de l’exploiter, aucun établissement n’était possible au delà du massif d’Alger.
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