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L'aspect du pays que l’armée découvrait en se portant en avant était bien différent de celui qu’elle avait vu d’abord. Ce n’étaient plus, comme à Sidi Ferruch et à Staouëli, des terres incultes et sans habitations. Ici, le sol était couvert d’oliviers, de figuiers, d’arbres fruitiers de toute espèce; les orangers répandaient dans l’air le suave parfum de leurs fleurs; de jolies maisons, abritées par un vert feuillage contre les rayons brûlants du soleil, offraient çà et là des lieux de repos charmants. Aussi, officiers et soldats, après la cessation du combat, se mirent-ils à visiter les lieux voisins du camp. Mais un ennemi implacable épiait tous leurs mouvements, et, au détour d’un sentier, du milieu d’une touffe d’orangers, partait une balle meurtrière qui faisait repentir l’explorateur de son imprudente curiosité. Au nombre des victimes de cesguet-apens se trouva un jeune officier d’artillerie, M. Amoros, fils du fondateur des établissements gymnastiques en France. Il se promenait, à une très petite distance du camp, avec un de ses amis, employé aux subsistances, lorsqu’il fut tout à coup assailli par un groupe d’Arabes. Le commis aux vivres se jeta dans les broussailles et parvint, par cette retraite, à échapper à la mort ; le lieutenant Amoros voulut, au contraire, résister aux assaillants; inutile courage ! Les Arabes l’entourent, le pressent de toutes parts, le déchirent de leurs poignards, jusqu’à ce qu’enfin l’un d’eux, l’attirant par les cheveux vers le pommeau de sa selle, lui eut tranché la tête. Un instant après et au même endroit, deux canonniers subissaient le même sort ; quatre gendarmes furent aussi trouvés sans tête, et le baron Hugon ainsi que M. Villaret-Joyeuse ne durent leur salut qu’à la vitesse de leurs
chevaux.
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Pendant que l’armée combattait et s’avançait dans l’intérieur, les vents d’ouest qui retenaient au large le convoi, parti le 18 de la baie de Palma, vinrent à cesser. On signala l’escadre en vue de Sidi Ferruch dans la journée du 24, et le 25 le débarquement commença. Malgré quelques coups de vent de l’ouest, qui firent échouer plusieurs bâtiments, cette difficile opération put être entièrement terminée le 28. Les chevaux d’artillerie, les caissons, les approvisionnements de siège, tout était à terre; rien ne devait donc plus retarder ni la marche sur Alger, ni les travaux du siège. La presqu’île de Sidi Ferruch, véritable arsenal de notre armée, était parfaitement retranchée. Une ligue bastionnée, armée de vingt-quatre pièces de canon, la séparait du continent, et la mettait en état de braver toutes les forces de la régence. Quinze cents hommes de la marine, un bataillon d’infanterie et divers détachements d’artillerie et du génie, formaient la garnison de cette importante place d’armes. La route qui avait été primitivement établie de Sidi Ferruch à Staouëli fut poussée jusqu’à Sidi-Abderrahman ou Fontaine Chapelle, aux confins des premiers échelons du mont Bouzaréah, où nos divisions avaient établi leur campement après le combat de Sidi-Khalef. Toute la ligne de communication entre ce point et Sidi Ferruch fut fortifiée par huit redoutes, qui servaient à protéger les convois contre les attaques des Arabes. Il ne s’agissait plus que de faire arriver l’artillerie de siège et d’investir la place. Pendant les quatre jours employés au débarquement, voici quelle fut la situation de nos troupes.
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En face du plateau qu’occupait l’armée française, se trouvait un des contreforts du Bouzaréah, sur lequel les Algériens, après le combat de Sidi-Khalef, concentrèrent toutes leurs, en s’appuyant de plusieurs bouches à feu de gros calibre. De ce point, ils dirigeaient contre nos lignes des nuées de tirailleurs, qui, profitant de tous les ravins, de toutes les ondulations de terrain, nous faisaient un mal affreux par leurs feux d’embuscade. Il était impossible de déplacer le moindre détachement sans qu’il fût aussitôt enveloppé par les Bédouins, harcelé et décimé par leur mousqueterie; d’un autre côté, les retards que le mauvais temps apportait au débarquement du matériel nous forçaient à rester dans l’inaction. Les 17e et 30e régiments de ligne eurent particulièrement à souffrir de cette guerre d’avant-postes.
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C’est à repousser ces misérables escarmouches que s’écoulèrent les journées du 25 au 28; dix-sept cents hommes se trouvaient hors de combat, depuis l’ouverture de la campagne, et dans ce nombre, outre les officiers que nous avons déjà cités, on comptait M. Borne, chef d’escadron, aide de camp du duc d’Escars ; les capitaines Rachepelle et Limoges du 9e de ligne, atteints tous les deux d’une balle au front; enfin le jeune lieutenant Bigot de Morogues, frappé d’une balle à la gorge au moment où il s’emparait d’un drapeau ennemi. Ces pertes et les malades qui se trouvaient aux ambulances, firent sentir au général en chef la nécessité d’appeler la quatrième division de l’armée, qui était restée en réserve à Toulon. L’ordre fut donné; mais les succès ultérieurs de la campagne, aussi prompts que décisifs, rendirent cette précaution inutile.
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Pendant la journée du 28, le feu s’engagea de nouveau sur tout le développement de notre front. Un mouvement, effectuée par la division du duc d’Escars, pour se porter en première ligne, fut la cause de cette attaque. Le bataillon du 2e léger, l’un de ceux qui composaient le 1er régiment de marche (division Berthezène), était campé à l’extrême droite de Fontaine Chapelle. En avant, et sur la droite, le terrain était fortement accidenté ; l’ennemi le franchit. Surpris par une attaque aussi vive qu’inattendue, ce bataillon ne put se former qu’après avoir exécuté un mouvement rétrograde. Cette manœuvre s’opéra avec quelque désordre, et causa la perte de soixante hommes. Mais le succès des Arabes ne fut pas de longue durée; les trois autres bataillons de la brigade Poret de Morvan courent aux armes, chargent l’ennemi avec vigueur, en font un grand carnage, et le mettent en déroute. A la gauche, la compagnie de grenadiers du premier bataillon du 35e avait été détachée, comme poste d’observation, en avant des deux brigades de la division d’Escars. Le tracé vicieux d’un retranchement dans lequel elle s’était logée, la laissant en prise au feu des tirailleurs ennemis, elle se vit forcée de l’abandonner. Pendant cette retraite, elle fut vivement attaquée, mais les autres compagnies du bataillon à la tête desquelles marchait le brave colonel Rulhière, vinrent aussitôt à son secours, et après un combat opiniâtre, elles repoussèrent l’ennemi et sauvèrent leurs grenadiers. Le 35e acheta chèrement ce succès; il eut quatre-vingts hommes mis hors de combat.
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La nouvelle de l’entier débarquement du matériel de siège, décida le général en chef à faire cesser ces engagements partiels, et à prendre énergiquement l’offensive. Le 28 au soir, le quartier général fut transféré à Fontaine Chapelle, et on résolut d’escalader, dès le lendemain à la pointe du jour, les hauteurs occupées par l’ennemi, de les enlever, et d’investir aussitôt après Alger et le fort de l’Empereur. Le général Monk d’Uzer reçut l’ordre d’occuper le camp de Staouëli avec sa brigade, et d’assurer les communications entre la presqu’île et ce camp; la brigade Poret de Morvan fut chargée de garder dans la position de Fontaine Chapelle le parc d’artillerie de siège; les et 34e de ligne furent disposés par échelons entre cette position et le camp de Staouëli.
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Le 29, au lever de l’aurore, l’armée se mit en mouvement sur trois colonnes marchant à la même hauteur; elle franchit d’abord le vallon intermédiaire qui la séparait de l’ennemi, puis, sans perdre un instant, elle gravit la colline élevée que couronnait l’artillerie des Algériens. L’aile droite était aux ordres du général Loverdo; au centre se trouvait la division Berthezène; la division d’Escars formait l’aile gauche. Une brigade de la deuxième division était placée en seconde ligne, formant la réserve; l’artillerie de montagne et les obusiers s’intercalaient entre tous ces corps.
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Ainsi qu’on l’avait prévu, les brigades de la troisième division ne tardèrent pas à rencontrer l’ennemi; elles l’abordèrent aux cris répétés de Vive le Roi ! Sans tirer un seul coup de fusil. L’immobilité à laquelle nos troupes avaient été condamnées pendant plusieurs jours, rendait leur ardeur encore plus vive. Quelques moments leur suffirent pour s’emparer de toutes les positions.
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Aucune résistance sérieuse n’arrêta la marche des divisions Berthezène et Loverdo. La direction que suivait la première l’aurait conduite par une pente rapide vers la rade d’Alger, et loin du fort de l’Empereur elle aurait eu, en outre, à parcourir un terrain sillonné par des ravins profonds, et hérissé d’obstacles de toute espèce. Le général en chef donna au général Berthezène l’ordre de suspendre sa marche. La brigade Achard fut dirigée vers le Bouzaréah, qui commande tout le pays environnant l’occupation de ce point stratégique était de la plus haute importance.
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Cependant les deux brigades de la deuxième division avaient continué de marcher vers le château de l’Empereur; mais les arbres et les plis du terrain ne leur permettaient pas de le découvrir. Craignant qu’elles ne s’égarassent, M. de Bourmont prit le parti d’arrêter leur mouvement jusqu’à ce que, s’étant porté lui-même vers la gauche, il eût pris une connaissance exacte, et de ce qui s’y passait, et de la position du fort. Les brigades de la division d’Escars venaient de faire halte, lorsqu’il les rencontra. Ayant, du lieu qu’elles occupaient, aperçu le château de l’Empereur, le général en chef pensa que le moment était venu de diriger vers cette forteresse les troupes des deuxième et troisième divisions. A cet effet, le général Tholozé fut envoyé auprès du général Loverdo, pour lui porter l’ordre d’avancer rapidement. Mais ici, la confusion était extrême, et ce ne fut qu’après des contremarches accablantes que cette division put reprendre son rang.
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Au reste, pendant toute cette journée du 29, l'armée fut exposée aux plus grands dangers. Obligées de s’avancer sans guide, sans cartes stratégiques, à travers un pays hérissé de monticules, sillonné par des ravins et des anfractuosités sans nombre, les divisions et les brigades s’égarèrent plusieurs fois dans ce vaste labyrinthe. On faisait deux, trois fois la même route; le mirage produit par les vapeurs de la Mitidja fit supposer à plusieurs chefs de corps qu’ils se trouvaient en face de la mer, et que par conséquent ils suivaient une route contraire à celle qu’ils devaient tenir. Les régiments se confondaient, leurs drapeaux marchaient pêle-mêle dans le même peloton, et de toutes parts on entendait les tambours battre le rappel pour rallier les détachements, comme il arrive après une violente mêlée. La chaleur excessive qu’il faisait au milieu de ces gorges et de ces vallons rétrécis, rendait encore plus pénibles ces contremarches et ces déconvenues; l’eau manquait partout, et le soldat tombait accablé de fatigue, ou exténué de besoin. Si, dans cette journée de désordre et d’imprudence, Hussein eût fait garder les principaux passages et couronner quelques hauteurs par ses miliciens et ses Arabes, c’en était fait de l'armée; une poignée d’hommes eût suffi pour l’anéantir ou la forcer à rendre les armes sans avoir combattu.
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