.
Les fonctions du sacerdoce et l’administration de la justice étant réunies chez les musulmans dans un seul et même corps, le collège des oulémas, à la tête desquels le muphti se trouve placé, nous allons simultanément indiquer la situation respective de ces deux institutions à l’époque de la conquête.
.
L’islamisme, nous le rappelons ici, se partage en deux grandes sectes les chiites et les sunnites. Les sunnites admettent l’autorité des trois premiers califes, et ne reconnaissent au quatrième, Ali, d’autres droits que la libre élection que firent de lui les compagnons de Mahomet. Les chiites, au contraire, refusent d’admettre comme légitime l’autorité des trois premiers califes, Abou-Beckr, Omar et Osman, et prétendent qu’Ali, cousin et gendre du Prophète, et ses descendants, étaient seuls appelés à lui succéder.
.
La doctrine sunnite est celle qui prévaut aujourd’hui en Afrique; elle est divisée en quatre rites également orthodoxes qui ne diffèrent que sur quelques points très peu importants. Ils sont désignés d’après le nom des imams qui leur ont donné naissance.
Le rite hanifite (de l’iman Hanifi), que suivent les Turcs ;
Le rite malékite (de l’iman Maleck), que suivent les Arabes.
La différence qui existe entre ces deux rites porte sur diverses interprétations du Sidi-Kretil (le livre de la loi). Les marques apparentes de cette différence consistent dans la manière de poser les mains en priant. Les malékites portent les mains ouvertes à la hauteur de la tête, et les hanifites les croisent sur la poitrine. Les deux autres rites de la doctrine sunnite sont : l’hanbalite, principalement suivi en Égypte, et celui de Chafei, qui prédomine à Bagdad.
Les oulémas consacrés au service du culte sont divisés en quatre classes :
1° Les scheiks. Ce titre correspond au mot latin senior, et représente l’idée des anciens dans la loi juive; il se donne habituellement aux prédicateurs des mosquées. Les muphtis et les kadis même prennent ce titre, parce qu'ils en peuvent remplir et cri remplissent sans doute les fonctions. Les Cheiks dans leurs exhortations du vendredi, ne se bornent pas toujours au dogme ou à la morale; souvent leur zèle fougueux s’en prend aux hommes puissants et même au souverain.
2° Les khatebs. Ce sont ceux qui président à la prière solennelle du vendredi, et récitent la khosba.
3° Les imams, qui assistent aux cinq prières, et font la lecture quotidienne du Coran, à l’exception du vendredi. Le premier des imams remplit en quelque sorte les fonctions d’officier de l’état civil, car il n’assiste aux différents actes de la vie civile que pour faire des prières et appeler les bénédictions du ciel sur la famille. C’est à ce titre qu’il est présent à la circoncision, au mariage et à la sépulture des croyants.
4° Enfin, les moeddins (vulgairement muezzins), chantres des mosquées. Ce sont eux qui, du haut des minarets, appellent les fidèles aux cinq prières de la journée.
.
En Algérie, comme dans tous les pays musulmans, les frais du culte, qui comprennent le traitement des ministres, sont acquittés sur les revenus des biens immeubles qui appartiennent aux mosquées ou oratoires, cri vertu de libéralités ou d’institutions à titre de wakf ou habous, faites par les fondateurs des mosquées ou par d’autres donateurs. Les imams reçoivent aussi les dons des fidèles pour les actes qui intéressent l’état civil des familles: c’est le casuel de nos églises.
.
Au dehors des villes, le culte musulman n’existe pas, du moins publiquement; l’absence des mosquées exclut naturellement le concours des ministres du culte. Les populations sont abandonnées à des marabouts (morabethin, liés ou dévoués), personnages qui participent de l’ermite et du religieux, sans autre caractère que celui que leur prête la multitude. Quelques-uns de ces hommes méritent la vénération qu’ils inspirent par leur piété et leurs vertus; le plus grand nombre ne doivent leur autorité usurpée qu’à l’hypocrisie et à la superstition. Les marabouts d’ailleurs n’appartiennent à aucun titre à la hiérarchie musulmane.
.
« La justice est sœur de la piété » a dit le Prophète; aussi les khalifes, ses successeurs, s’empressèrent-ils, en vertu de cette sentence, de réunir le pouvoir temporel au pouvoir spirituel; ils étaient à la fois pontifes, juges, et docteurs de la loi. Dans l’impossibilité d’exercer eux-mêmes ces prérogatives dans toute t’étendue de leur vaste empire, ils établirent des vicaires que devaient recommander aux peuples leur science et leur piété. Cet ordre prit le nom de corps ou collège des oulémas (savants lettrés), et se divisa en trois classes : les imams (ministres du culte), les muphtis (docteurs de la loi), les kadis (juges).
.
Le muphti obtint à la longue la première place parmi les oulémas, et il en est demeuré le chef à Constantinople, ou on lui donne le titre de scheik-el-islam (l’ancien de l’islamisme). Le muphti d’Alger jouissait du môme privilège, mais sa suprématie lui était contestée. Il avait la prééminence spirituelle sur ceux qui pouvaient être appelés à des fonctions analogues dans les provinces de l’Afrique septentrionale; il était le supérieur reconnu de tous les kadis.
.
Toutefois, pendant la durée de la domination des Turcs en Algérie, il y eut dans la capitale deux muphtis, qui représentaient les deux rites, mais le muphti hanifite avait la prééminence. Depuis l’occupation française, elle a passé aux mains du muphti malékite, la côte septentrionale de l’Afrique ayant exclusivement adopté la doctrine de Maleck. Il y avait également deux kadis, un pour chaque rite; des kadis spéciaux étaient en outre attachés à l’institution du Beit-el-Mahl et à la fondation de la Mecque et Médine, pour juger seulement les contestations dans lesquelles ces deux établissements étaient intéressés.
.
Dans chacune des villes principales, la justice comptait, selon leur importance, un ou plusieurs kadis, dont la juridiction s’étendait soit sur la généralité de la population, soit seulement sur les fidèles de leur secte ou les intérêts particuliers confiés à leur vigilance. Chaque centre de population auquel un hakem (gouverneur) était préposé avait son kadi. La simple tribu avait pour juge son scheik (ancien) dans les affaires ordinaires; mais sitôt qu’il s’élevait des contestations importantes, il en était référé au kadi de l’outhan.
.
Dans cette organisation, si simple et cependant complète, le juge ne manquait jamais au justiciable. Les kadis ne relevaient pas les uns des autres; il n’y avait qu’un seul degré de juridiction, mais dans l’ordre hiérarchique ces magistrats n’étaient point égaux entre eux. Le kadi d’Alger était reconnu supérieur à ceux des principales villes de la régence; ceux-ci à leur tour dominaient les kadis des villes du dernier ordre, au-dessous desquels venaient encore se placer les kadis des outhans. Quand les lumières manquaient à ces derniers ils avaient recours à leurs supérieurs.
.
La compétence des kadis s’étendait sur toutes les matières civiles ou criminelles qui sont réglées par la loi, c’est-à-dire par le Coran, les traditions authentiques et les commentaires qui ont reçu dans chaque ville la consécration du temps trois éléments qui forment en réalité le code musulman. Les chefs temporels connaissaient autrefois de tout le reste. Les kadis prononçaient encore sur tout ce qui était relatif au dogme, au rite, à la morale, à la discipline religieuse et aux fondations ou substitutions qui intéressaient les établissements pieux et de bienfaisance (wakfs ou habous) ; ils remplissaient l’office de notaires, et rédigeaient en forme authentique toutes les conventions civiles; enfin ils étaient les tuteurs légaux des orphelins, des insensés, des absents, et nommaient des oukils pour prendre soin de leurs intérêts.
.
La juridiction des kadis n’était point limitée au territoire pour lequel ils avaient été institués; le juge le plus voisin pouvait être saisi, quels que fussent d’ailleurs le domicile des contestants ou la situation de l’objet contesté; seulement il fallait que les parties pussent être toutes présentes, amenées ou représentées devant le tribunal; les contendants pouvaient soumettre leurs différends à un kadi de leur choix, et cela non-seulement dans toute l’étendue de la régence, mais en tout pays musulman, à Fez ou à Tunis par exemple : c'est que les seuls étrangers sont, dans les idées musulmanes, ceux qui ne professent par l’islamisme; c’est que la justice est rendue moins au nom du prince qu’au nom de Dieu, qui a des organes également respectables partout où règne sa parole, formulée dans le saint livre.
.
La peine capitale ne pouvait être infligée qu’avec l’approbation du dey. Le meurtre, le vol simple, le vol par effraction, étaient punis de mort. Quand il s’agissait d’un crime politique, le Turc était étranglé, mais en secret; l’indigène était empalé, pendu, décapité, mutilé, ou précipité sur les crochets des murs de Bab-Azoun, où il n’expirait qu’après de longs tourments; néanmoins le bourreau, si la victime le payait généreusement, n’hésitait pas à prendre sur lui de l’étrangler avant de la précipiter. Les Juifs condamnés à mort étaient brûlés vifs. De fortes amendes, la bastonnade, les travaux forcés punissaient les fautes légères. La dernière de ces peines était le plus en usage depuis l’abolition de l’esclavage des chrétiens.
.
Bien que les musulmans, plus qu’aucun autre peuple, soient naturellement disposés à se soumettre aux décrets de la justice, qu’ils regardent comme une émanation de Dieu, il ne faudrait pas en conclure qu’il n’existât absolument aucun recours contre une sentence inique et manifestement contraire à la loi. Deux sortes de recours étaient cependant ouverts contre les jugements des kadis: le premier était en certains cas porté au tribunal supérieur, nomme Medgelès; le second, infiniment plus rare, s’adressait au dey lui-même. L’appelant gravissait lentement la rue qui conduit à la Casbah; parvenu au seuil de l’entrée principale, il frappait trois coups « Que demandes-tu ? Lui disait l’officier de garde. — Je viens demander justice. » A ces mots, il était introduit devant le chef de l’état; il exposait son affaire, et si la plainte était accueillie, le jugement prononcé devenait nul; mais si elle était rejetée, il recevait immédiatement la bastonnade. Quand un juge était convaincu de prévarication, le dey lui faisait trancher la tête sur-le-champ.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
Les commentaires récents