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Le 11 mai au matin, l’embarquement de la première division commença les régiments arrivaient sur le quai des Marchands, où venaient les prendre les embarcations pour les conduire à bord. C’était un admirable coup d’œil, un spectacle ravissant, que ces innombrables chaloupes, hérissées de baïonnettes, s’avançant vers les majestueux vaisseaux restés en rade, au bruit d’une musique guerrière, et aux acclamations mille fois répétées de : Vive le roi ! Vive la France. Les première et deuxième brigades furent placées à bord des bâtiments de guerre composant la deuxième escadre; la troisième brigade ne put gagner ses vaisseaux que le 12. Le lendemain, malgré une pluie continue, on embarqua la deuxième division sur la première escadre, dite de bataille. La troisième division ne fut complètement à bord que le 17. M. le contre-amiral Mallet, major général de l’armée navale, dirigeait cette importante opération.
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Les bâtiments de guerre prirent le matériel de l’artillerie et une portion de celui du génie; le restant avait été embarqué à Marseille sur des navires de commerce. Les bagages, les effets de campement, les tentes, les chevaux de frise, les triples lances, les caissons, etc....furent placés sur les navires du convoi. Cinq bateaux avaient été installés en poudrières, et occupaient en rade des postes isolés.
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Le 17 mai, le brick l’Euryale, commandant en second le convoi, et la goélette l’Iris, appareillèrent de la rade de Toulon, escortant une division de la flottille de débarquement, composée des bateaux bœufs, et se dirigèrent vers les îles Baléares, où ils devaient attendre l’armée navale. Les trois escadres auraient pu partir le même jour; mais on attendait de Portsmouth des câbles en 1er, destinés aux vaisseaux de guerre pour leur mouillage sur la côte d’Afrique. Le 18 seulement, l’état-major de l’armée navale se rendit à bord de la Provence avec le général en chef de l’armée de terre, les généraux Desprez, Valazé, Lahitte, et l’intendant en chef Denniée. Le 19, la seconde division de la flottille appareilla sous l’escorte des gabares la Truite et la Garonne, et se dirigea sur Palma.
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Pendant la journée du 19, le temps se maintint au beau; les vents étaient favorables pour sortir; troupes, matériel, bagages, tout était à bord; chacun attendait impatiemment la journée du lendemain, qui devait être celle du départ. Une gaieté franche régnait sur tous les bâtiments; point de tumulte ni de confusion, malgré l’encombrement; les soldats et les marins chantaient en chœur des hymnes militaires, que répétaient les musiques des régiments. La rade offrait l’aspect d’une ville mouvante, ayant ses rues, ses palais et une population de 70,000 âmes! Les canots, qui circulaient dans tous les sens, donnaient à ce magnifique panorama une vie et un mouvement extraordinaires. Le 20, les vents contraires soufflèrent avec violence, et pendant cinq mortelles journées les navires restèrent enchaînés à leurs ancres, au grand mécontentement des soldats et des curieux.
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Enfin, dans l’après-midi du 25, la brise fléchit. L’amiral donna le signal du départ, et soudain tous les navires se couvrirent de voiles. Au même instant la proclamation suivante était lue à tous les équipages
« Officiers, sous-officiers et marins,
Appelés avec vos frères d’armes de l’armée expéditionnaire à prendre part aux chances d’une entreprise que l’honneur et l’humanité commandent, vous devez aussi en partager la gloire. C’est de nos efforts communs et de notre parfaite union que le roi et la France attendent la réparation de l’insulte faite au pavillon français. Recueillons les souvenirs qu’en pareille circonstance nous ont légués nos pères; imitons-les, et le succès est assuré. Partons! Vive le roi !
Le vice-amiral commandant l’armée navale, DUPERRE. »
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Ce jour-là même on apprenait à Toulon qu’une importante modification était survenue dans le ministère MM. Chabrol et Courvoisier, partisans d’une politique sage et modérée, se retiraient du cabinet pour faire place à MM. Chantelauze et Peyronnet. Cette nouvelle était de funeste présage; mais elle resta concentrée dans le cercle des officiers supérieurs. Quelques généraux en furent douloureusement affectés; le reste de l’armée continua ses rêves de gloire et de bonheur.
Que l’on se figure treize grands vaisseaux de ligne, vingt frégates, quatre-vingts bâtiments légers, avec leurs longues flammes de guerre, et une quantité prodigieuse de transports de toute grandeur, voguant majestueusement vers la pleine mer; que l’on se figure cinquante mille spectateurs qui, des hauteurs du fort Lamalgue, suivent du regard et accompagnent de leurs voeux cette flotte qui occupe une étendue de douze lieues; les musiques des dix-huit régiments embarqués répondant aux acclamations qui saluent leur départ; les soldats, montés sur les hunes, sur les haubans, sur les vergues, et faisant retentir l’air de leurs chants d’adieux, alors seulement on aura une idée du magnifique tableau qui s’étalait à tous les regards, et dont la plume ou le pinceau ne peuvent que difficilement esquisser les gigantesques proportions.
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Toute la flotte suivit l’ordre naturel sur colonne; la Provence marchait en tête de l’escadre de bataille; l’escadre de débarquement et celle de réserve s’avançaient sur deux colonnes parallèles; la première section du convoi, qu’escortaient plusieurs bâtiments de guerre, faisait voile à gauche de l’escadre de bataille. A trois heures, ces cent trente bâtiments avaient franchi le goulet et se formaient en deux divisions, ayant chacune trois colonnes. Les bateaux à vapeur circulaient dans tous les sens, soit pour porter des ordres, soit pour donner des secours aux navires qui pouvaient en avoir besoin. Un seul bâtiment du convoi brisa son mât de hune, et fut obligé de rentrer en rade. A huit heures du soir, on ne voyait plus dans le lointain que des points blancs formés par les voilures.
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Le 26, la seconde section du convoi mit à la voile, sous l’escorte du brick la Comète; le 27, une autre division des bateaux de transport quitta les îles d’Hyères pour se diriger vers les Baléares.
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Le lendemain de son départ de Toulon, l’armée navale continuant sa route, reconnut vers l’est deux frégates qui venaient du sud, l’une portant le pavillon français, l’autre le pavillon turc. Le vaisseau amiral leur fit des signaux, et bientôt elles manœuvrèrent pour se rapprocher. Le bateau à vapeur le Sphynx fut envoyé au devant d’elles pour prendre les dépêches tient on supposait que le commandant du bâtiment français était porteur. Après avoir exécuté cet ordre, le capitaine du Sphynx se rendit à bord de la Provence, et apprit à l’amiral que la frégate française qui était en vue (la Duchesse de Berry, capitaine Kerdrain,) avait quitté le 21 mai la station d’Afrique pour escorter la frégate turque, où se trouvait Tahir-Pacha, amiral de la flotte ottomane. Ce dernier, disait-on, avait reçu du grand seigneur l’ordre de faire voile vers Alger pour décider le dey à demander la paix. Voici une explication plus complète et plus vraie de cet événement.
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Grâce aux instigations pressantes de l’Angleterre, la Porte, usant de son droit de suzeraineté, s’était décidée à envoyer à Alger un pacha chargé de saisir le dey, de le faire étrangler, et d’offrir ensuite à la France les satisfactions qu’elle pouvait désirer. C’était enlever tout prétexte à l’expédition française; c’était taire triompher la secrète jalousie de l’Angleterre. Tahir-Pacha partit donc pour Alger sur une frégate fournie par les Anglais. Mais le ministre de la marine, prévenu à temps, avait ordonné à la croisière française d’interdire l’entrée du port à toute espèce de navires. La frégate que montait le plénipotentiaire turc, ayant rencontré un petit bâtiment commandé par l’enseigne Dubruel, cet intrépide officier déclara résolument qu’il ne la laisserait passer qu’après s’être fait couler bas. Tahir-Pacha, n’osant pas enfreindre un ordre si énergiquement exprimé, et que M. Massieu de Clerval, commandant supérieur du blocus, eût appuyé de toutes ses forces, manifesta le désir de se rendre à Toulon, dans l’espoir de faire accepter au gouvernement français la médiation de son souverain.
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Tahir-Pacha fut reçu à bord de la Provence avec tous les honneurs dus à son rang: l’équipage était en tenue, et la garde sous les armes; l’amiral Duperré en personne attendait sur le pont, précédé par son capitaine de pavillon, et accompagné de l’état major de l’armée expéditionnaire. Vingt et un coups de canon saluèrent la frégate turque, qui s’empressa de rendre le salut. Tahir-Pacha accepta le café que lui offrit l’amiral, et ne donna que peu de détails sur sa mission. L’aspect imposant de notre escadre le frappa vivement; son regard annonçait une sorte de préoccupation chagrine, et à deux ou trois reprises, on le vit jeter les yeux sur les fenêtres de la dunette, comme pour s’assurer que sa frégate ne quittait pas sa position. Après cette courte entrevue, Tahir-Pacha continua sa route vers Toulon, pour attendre, sans doute, l’issue du grand événement. Voilà où vinrent aboutir, grâce à une louable énergie, les menées de la diplomatie britannique.
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