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La première brigade sortit de Bône le 8 novembre 1836 et se dirige a sur le camp de Dréan; du 9 au 12, les autres brigades effectuèrent l’une après l’autre leur mouvement; et, le 15, toute l’armée se trouva réunie à Guelma, l’ancienne Calama des Romains. On établit au milieu des ruines de cette antique cité un camp retranché qui depuis est devenu un poste militaire assez important. Le 21 l’armée prit position sous les murs de Constantine. Ces huit journées de marche furent des plus pénibles: les chemins étaient défoncés ou rompus par les pluies, les ruisseaux changés en torrents; l’hiver, qu’on avait jusque-là trouvé si doux en Afrique, s’était annoncé tout à coup avec des rigueurs inaccoutumées; chaque jour un froid humide et vif éclaircissait le nombre des combattants, chaque jour voyait aussi diminuer les moyens matériels d’exécution. Après d’incroyables fatigues et des souffrances inouïes, l’armée arrivait affaiblie, avec un matériel de guerre et des approvisionnements insuffisants ou avariés, ayant en quelque sorte moins à compter sur sa force réelle que sur son courage et sa fortune!
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Lorsqu'on eut gravi les hauteurs du Mansourah, le maréchal chercha vainement des yeux les députations qui, d’après les assertions de Youssouf, devaient accourir sur ses pas, soit pour lui offrir la soumission des tribus, soit pour lui apporter les clefs de Constantine. Personne ne se présenta, et le feu subit d’une batterie vint détruire ses dernières illusions: Suivons attentivement toutes les péripéties du drame qui va se dérouler à nos yeux.
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Constantine est assise sur un plateau entouré de trois côtés par l’Oued-el-Rhummel, ravin extrêmement profond et à berges escarpées, souvent même verticales. Ce plateau la rattache, du côté du sud, par l’isthme de Coudiat-Aty, aux collines de la rive gauche du Rummel; à son angle N.-E. est jeté sur la rivière un pont gigantesque, à arches superposées, ouvrage des Romains, restauré dans ces derniers temps par des ingénieurs espagnols. Ce pont joint la ville au plateau de Mansourah sur lequel nous débouchions, en sorte que nos têtes de colonnes furent à la fois aperçues de tous les quartiers. A leur apparition, un silence profond régna parmi les habitants ; mais bientôt on entendit des voix en chœur élever vers le ciel une majestueuse prière, puis un drapeau rouge fut bissé sur la Casbah, et appuyé de deux coups de canon. Ce prélude annonçait que la résistance serait opiniâtre. La défense de la place était confiée aux Turcs ou Koulouglis et aux Kabyles sous les ordres de Ben-Aïssa, l’un des plus fermes soutiens du bey; les troupes arabes et les contingents des tribus, qui ne se battent jamais derrière des remparts, se tenaient en dehors de la place, disposés à nous prendre en queue pendant les opérations du siége. Ahmed Bey les commandait en personne.
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Constantine à quatre portes dont trois se trouvent au sud-ouest. Le chemin d’Alger aboutit à la première, nommée Bab-el-Djedid, celle du centre s’appelle Bab-el-Oued; la troisième, nommée El-Rabbia, communique avec le Rummel; ces trois issues sont reliées entre elles par une muraille antique haute de neuf à dix mètres; la quatrième, dite d' El-Kantara, est à l’angle N.-E. de la ville qui se trouve en face du vallon compris entre le mont Mansourah et le Mecid; le pont d’où elle tire son nom se trouve vis-à-vis.
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Il s’offrait donc deux points d’attaque l’un par Coudiat-Aty, dominant une porte à laquelle on arrive de plain-pied; l’autre par Mansourah, prenant la place par le bas et dominé par les assiégés. Le premier était évidemment préférable; aussi, dès que les troupes furent réunies à Mansourah, le maréchal envoya la brigade de Rigny s’emparer du plateau de Coudiat-Aty; mais le terrain qui y conduisait était si mauvais et le passage de l’Oued Rummel si difficile, qu’il fut impossible d’y transporter les pièces de 8; le général de Rigny se trouva donc réduit à ses obusiers de montagne, évidemment inutiles contre des remparts. L’avant-garde de cette brigade fut d’abord repoussée par une masse d’Arabes qui gardaient le Coudiat-Aty ; mais ceux-ci, vivement abordés à la baïonnette par les chasseurs d’Afrique, cédèrent le terrain et rentrèrent dans la ville.
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Dans la journée du 22, le maréchal fit canonner la porte d’El-Kantara à une distance de quatre cents mètres. N’ayant plus de vivres et très peu de munitions, il songeait plutôt à un coup de main qu’à une attaque régulière; il espérait qu’après avoir endommagé la porte à coups de canon, il pourrait la faire ouvrir entièrement dans la nuit par les troupes du génie. On bat aussitôt en brèche; le soir, la galerie crénelée et les pieds droits de la porte sont à peu près détruits. Le capitaine Hackett et quelques hommes d’élite se glissent jusqu’au milieu des ouvrages attaqués, à la faveur des ténèbres et en essuyant une décharge de l’ennemi. La première porte était, en effet, à demi abattue; mais derrière il s’en trouvait une seconde complètement intacte c’était ce passage qu’il s’agissait d’ouvrir au moyen de pétards; cette opération exigeant quelques préparatifs, elle fut remise au lendemain.
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Le 23, les batteries de Mansourah reprirent leur feu toujours contre la porte du pont; mais, vers le milieu de la journée, elles furent obligées de le suspendre pour répondre à une attaque que les Arabes, campés au dehors de la ville, dirigèrent simultanément sur Coudiat-Aty et Mansourah; des charges brillantes de cavalerie et les feux à ricochet de nos obusiers dispersèrent facilement ces hordes tumultueuses. Le soir, les munitions de l’artillerie étant presque épuisées, le génie s’apprête à faire sauter les deux portes. Les sapeurs, à qui cette opération était confiée, s’avancent intrépidement sur le pont d’El-Kantara; mais un rayon de lune les signale à l’ennemi, et ils sont reçus par un feu de mousqueterie à bout portant qui leur tue plusieurs hommes. Le général Trézel, chargé de les soutenir avec des détachements des 59e et 63e de ligne, s’avance aussitôt; lui aussi est accueilli par une vigoureuse fusillade. Entassés dans cet étroit passage, les soldats reçoivent sans en perdre une seule toutes les balles de l’ennemi; le général lui-même tombe grièvement blessé. Alors le désordre se répand parmi eux; on ne retrouve plus les mineurs chargés des fougasses; ceux qui portaient les divers instruments de sape manquent aussi, tant le feu des remparts est meurtrier. Au milieu de ce pêle-mêle d’hommes appartenant à deux armes différentes, règne encore une douloureuse hésitation la blessure du général Trézel l’a forcé d’abandonner le commandement. Alors le colonel Hecquet, du 63e reconnaissant l’impossibilité de donner suite à l’attaque, fait rebrousser chemin.
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Afin de partager l’attention de l’ennemi, le maréchal avait ordonné une seconde attaque sur Coudiat-Aty; elle ne réussit pas mieux que celle d’El-Kantara il s’agissait aussi d’enfoncer une des portes qui débouchent vers ce plateau. Le lieutenant-colonel Duvivier avait été chargé de diriger cette opération. Ici, comme de l’autre côté, les mineurs qui portaient les fougasses furent frappés à mort par les balles de l’ennemi, et les sacs à poudre disparurent sous leurs cadavres. Le bataillon d’Algérie, qui les protégeait, courut rapidement à leur secours et augmenta l’encombrement. On chercha vainement à enfoncer la porte à coups d’obusier, puis avec la hache; mais la colonne d’attaque perdant beaucoup de monde dans ces essais infructueux, le colonel Duvivier ordonna la retraite. Là périrent le capitaine Grand, de l’arme du génie, et le commandant Richepanse, fils de l’illustre général républicain de ce nom, qui faisait la campagne en qualité de simple volontaire.
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