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Depuis quelque temps, le bey de Tittery avait cessé ses relations avec le quartier général, et on avait lieu de le croire peu disposé à tenir ses engagements. Voulant le forcer à s’expliquer, M. de Bourmont lui écrivit pour l’inviter à venir rendre compte de l’état de sa province. Dans sa réponse datée de Médéa, il jeta le masque et se déclara l’ennemi des Français. Son principal grief était l’expulsion des Turcs : « Dans peu de jours, disait-il, je serai sous les murs d’Alger avec deux cent mille hommes; et c’est sur la plage orientale que j’attaquerai l’armée française, si elle ose m’attendre.» Il lui fut répondu que l’armée française l’attendait avec une vive impatience, lui et ses deux cent mille hommes; que pour peu qu’il tardait à se présenter, on irait le chercher jusque dans le lieu de sa résidence, et qu’il recevrait le prix de son parjure.
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Déjà le maréchal de camp Berthier de Sauvigny, l’intendant en chef et le général Valazé avaient été forcés, par l’altération de leur santé, de retourner en France; les généraux Poret de Morvan, Clouet et Montlivault, partirent vers la fin du mois d’août le premier était malade depuis longtemps; de vives souffrances mettaient les deux autres hors d’état de faire un service actif. Le duc d’Escars avait fait voile vers l’Angleterre, où il présumait que Charles X et le dauphin chercheraient un asile il voulait, avant de revenir en France, offrir un dernier hommage aux princes qui lui avaient donné des marques particulières de leur affection.
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Le départ d’un si grand nombre d’officiers généraux et l’extrême affaiblissement du 3e de ligne et du premier régiment de marche, donnèrent lieu à quelques changements dans l’organisation de l’armée; on réduisit à deux brigades la première division. L’une, composée du premier régiment de marche, des 14e et 37e de ligne, couvrait Alger en avant du front sud-ouest; l’autre, sous les ordres du général Achard, comprenait le 3e le 20e et le 28e de ligne; elle campait en avant du fort de l’Empereur. La division Loverdo occupait les casernes, les bâtiments de la Marine, et des maisons particulières que le départ des Turcs avait laissées disponibles. Quelques corps de cette division couchaient encore sous la tente: pour leur donner de meilleurs abris, le maréchal affecta les bâtiments de la Casbah au logement des troupes, et y plaça une partie de la brigade Damrémont. Le grand quartier général s’établit, le 19 août, dans la partie basse de la ville. Les six régiments de la troisième division continuèrent d’occuper les nombreuses maisons de campagne qui se trouvent du côté de l’est; les plus avancées étaient crénelées et renfermaient des approvisionnements de toute espèce; elles se trouvaient donc à l’abri des insultes de l’ennemi. Manquant d’artillerie, les Arabes se bornaient à tuer en détail les imprudents qui s’éloignaient de leurs quartiers. A moins de trois cents mètres de nos avant-postes, le colonel Frescheville, étant allé, accompagné d’un seul officier, reconnaître les bords de l’Harrach, ils furent tués de deux coups de feu, et le lendemain on trouva leurs cadavres horriblement mutilés. Aussitôt le maréchal, redoublant de précautions contre ces trop fréquents assassinats, fit désarmer les batteries de Matifou et de la pointe Pescade où les Arabes venaient s’embusquer, et songea même à jeter en avant de nos positions un corps d’éclaireurs recruté parmi les gens du pays. Il voyait dans cet enrôlement d’indigènes le double avantage de connaître d’avance les mouvements de l’ennemi, et d’établir des relations entre l’armée et les peuplades de l’intérieur. Quelques messages adressés à diverses tribus suffirent pour lui amener cinq cents hommes; mais il dut léguer à son successeur le soin de mettre son plan à exécution.
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Le 2 septembre, dans la matinée, les vigies signalèrent un vaisseau français qui, toutes voiles dehors, gouvernait directement sur Alger. On sut bientôt que c’était l’Algésiras ayant à bord le général Clausel. Lorsqu’il fut entré en rade, le bâtiment salua la ville de vingt coups de canon. A ce signal, répété par les batteries du Môle, un concours prodigieux d’officiers, de soldats, de Maures, d’Arabes, se précipita vers le fort pour assister au débarquement du nouveau général en chef, dont la haute réputation militaire justifiait cet empressement.
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Il fut salué par un grand nombre d’officiers qui se souvenant avec orgueil d’avoir servi sous ses ordres, serraient affectueusement la main à d’anciens camarades qui formaient son état-major: scène rapide et pleine d’émotion. Le général Clausel se rendit immédiatement auprès de M. de Bourmont, et deux heures après on connut le résultat de leur entrevue, par la proclamation suivante :
« Officiers, sous-officiers et soldats,
Monsieur le général Clausel vient prendre le commandement en chef de l’armée. En s’éloignant des troupes dont le commandement lui a été confié, le maréchal éprouve des regrets qu’il a besoin d’exprimer: la confiance dont elles lui ont donné tant de preuves le pénètre d’une vive reconnaissance. Il eût été bien doux pour lui qu’avant son départ, ceux dont il signala le dévouement en eussent reçu le prix ; mais cette dette ne tardera pas à être acquittée; le maréchal en trouve la garantie dans le choix de son successeur: les titres qu’ont acquis les militaires de l’armée d’Afrique, auront désormais un défenseur de plus.
Le maréchal de France,
COMTE DE BOURMONT. »
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Le lendemain, le maréchal fit ses apprêts de départ. Il avait eu d’abord l'intention de se rendre directement à Marseille; mais des lettres que lui apporta l’Algésiras, et ou sa famille lui conseillait de différer soit retour en France le firent changer de résolution. Son successeur lui-même paraissait croire que le parti le plus sage était de faire quarantaine à Mahon, et d’attendre, soit dans les Baléares, soit en Espagne, que le temps eût calmé les esprits et assoupi les haines Le maréchal se rendit à cet avis, et pria l’amiral Duperré de mettre à sa disposition un navire de l’état. Cette faveur ne lui fut pas accordée. On avait fourni une frégate au dey, cet ennemi implacable de la France; et un général assez heureux pour avoir réalisé ce que Charles-Quint, André Doria et tant d’autres avant lui avaient tenté vainement, se voyait refuser un simple bâtiment! M. de Bourmont fut contraint de s’éloigner en proscrit de la terre d’Afrique, de ce théâtre d’une gloire qui aurait dû peut-être atténuer d’anciens souvenirs. Deux de ses fils l’accompagnèrent dans son exil le plus jeune avait succombé à Staouëli ; l’aîné avait été chargé d’apporter en France les drapeaux conquis sur l’ennemi !
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