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Deux émissaires, qui se disaient représenter les principales tribus des environs de Bougie, étaient aussi venus, dans les premiers jours du mois d’août, pour entrer en négociation. Ils étaient, soi-disant, chargés d’offrir la soumission de leurs compatriotes, à condition que le sultan de France respecterait leur religion et leurs propriétés. M. de Bourmont le leur promit; et, sur leur demande, les fit accompagner d’une corvette, la Bayonnaise, dont le commandant devait recevoir la soumission des habitants de Bougie et des chefs des tribus environnantes. Mais à peine la corvette eut-elle rangé l’atterrage de ce port et hissé le pavillon parlementaire, qu’à cette démonstration toute pacifique les batteries de la place répondirent par une vive canonnade. Il paraîtrait que durant le voyage des émissaires la disposition des esprits avait changé, et que l’on repoussait maintenant ce que l’on avait cru d’abord devoir solliciter. Le commandant de la Bayonnaise, qui n’avait pas de troupes à bord, jugea à propos de se retirer. Ce fut là le dernier essai d’occupation entrepris par M. de Bourmont au profit de la France.
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Depuis l'expédition de Blida aucune attaque sérieuse n avait été dirigée contre les divisions groupées autour d’Alger; mais, enhardis par le retour précipité des troupes, les Arabes devenaient chaque jour plus entreprenants; on les voyait s’approcher des positions, et des soldats imprudents tombaient sans cesse sous leurs coups ; quelques cavaliers pénétrèrent même jusqu’au Bouzaréah, et parvinrent a enlever un troupeau de bœufs qui appartenait au juif Bacri. Désabusé de l’opinion qu’il avait conçue du caractère arabe, le maréchal ordonna diverses mesures pour prévenir ces attaques. Il concentra près d’Alger les troupes de la première division; quatre redoutes furent construites dans les environs de la ville, on crénela plusieurs maisons de campagne, on abattit aussi des arbres, des haies, des buissons, qui permettaient aux Arabes de s’embusquer près des camps; enfin, à défaut d’un système agressif, le seul qui aurait pu imposer à l’ennemi, on ne négligea rien pour se mettre sur un pied de défensive respectable.
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Ce qui nous reste à retracer de cette période n’est plus que le tableau des vives inquiétudes qu’éprouva l’armée à la suite des événements de juillet. Le 4 août, on apprit à Alger que la chambre des députés était dissoute. Cette nouvelle, transmise de Paris à Toulon par le télégraphe, avait été apportée au maréchal par le contre-amiral Martineng, mais la dépêche ne faisait pas mention des ordonnances qui changeaient la loi électorale et suspendaient la liberté de la presse. Cependant il était difficile de supposer que la dissolution fut une mesure isolée; aussi attendait-on d’autres détails avec une vive anxiété. Ceux même qui montraient le plus de dévouement à la dynastie étaient convaincus que la cause royale serait compromise du moment où la charte cesserait d’être respectée. Quelques jours s’écoulèrent sans qu’un seul bâtiment venu de France parût dans la rade, on présuma dès lors que des troubles avaient éclaté à Paris; les rumeurs les plus alarmantes commencèrent à se répandre. M. de Bourmont chercha à rassurer les esprits par l’ordre du jour suivant « Des bruits étranges circulent dans l’armée. Le maréchal commandant en chef n’a reçu aucun avis officiel qui puisse les accréditer. Dans tous les cas, la ligne des devoirs de l’armée lui sera tracée par ses serments et la loi fondamentale de l’état. » Ces paroles calmèrent l’inquiétude, mais ne la dissipèrent pas; tous les regards étaient sans cesse dirigés vers la mer. Enfin le 10, au lever du soleil un navire du commerce qui venait de Marseille entra dans le port. Au moment de son départ on venait d’apprendre dans cette ville les principaux événements dont Paris avait été le théâtre. Un des passagers se présenta chez le maréchal, pour lequel il avait des lettres de recommandation il lui annonça qu’après trois jours de combats sanglants dans les rues de la capitale, le parti qui combattait pour Charles X avait succombé; que le duc d’Orléans était lieutenant général du royaume; enfin que la cocarde tricolore avait été substituée à la cocarde blanche. Le même jour, le maréchal reçut une dépêche télégraphique qui confirmait ce rapport. Quelques généraux sincèrement dévoués à la branche aînée des Bourbons exprimèrent encore des doutes sur la réalité d’un évènement si extraordinaire; ils supposaient ou feignaient de croire qu’un parti s’était rendu maître du télégraphe, et en avait profité pour répandre de fausses nouvelles. Mais les hommes calmes et réfléchis ne se faisaient pas illusion, et déjà ils prévoyaient le dernier résultat d’une crise trop violente pour que des actes transitoires pussent suffire à la terminer.
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Pendant la nuit du 10 au 11, une dépêche du nouveau ministre de la guerre parvint à M. de Bourmont; on l’informait en peu de mots des événements de Paris, du départ de Charles X, et des dispositions qui avaient été prises pour qu’il quittât le territoire français. Il n’y avait plus à en douter, la branche aînée des Bourbons était complètement déchue; mais la connaissance que l’on eut, le 12 août, de l’abdication de Charles X, de la renonciation du dauphin, et du discours prononcé à l’ouverture des chambres par le lieutenant général du royaume, fit supposer à M. de Bourmont que le duc de Bordeaux allait être proclamé roi de France. Plusieurs officiers, en effet, voyaient dans le maintien du principe de l’hérédité une garantie de tranquillité pour la France et de paix pour l’Europe; cependant ils se montrèrent moins soucieux de faire prévaloir leur opinion que de maintenir parmi les troupes l’ordre et la discipline, en attendant l’issue de ces rapides événements. Quant au projet de faire embarquer une partie de l’armée, quelques esprits exaltés purent seuls le concevoir; l’énergique volonté de l’amiral Duperré les empêcha d’y songer sérieusement.
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Enfin, le 17 août, à 8 heures du matin, le pavillon tricolore fut arboré sur la casbah et sur la flotte. L’artillerie des vaisseaux et celle des batteries de terre le saluèrent simultanément, et l’armée répondit à ces salves par des cris de joie unanimes. Le 18, l’amiral Duperré communiqua au maréchal deux dépêches télégraphiques qui lui annonçaient, l’une, que le duc d’Orléans avait été proclamé roi des Français, sous le nom de Louis-Philippe 1er; l’autre, qu’il venait d’être promit lui-même à la dignité d’amiral de France. Deux jours après, le Moniteur apporta la confirmation de ces nouvelles; mais ni l’avènement du nouveau roi, ni l’ordre de le faire reconnaître, ne furent signifiés directement au maréchal. En cessant de correspondre avec M. de Bourmont, on lui offrait un prétexte que sa position particulière et ses opinions bien arrêtées le disposaient à saisir. Cependant, quels qu’aient été les antécédents de M. de Bourmont, il nous semble qu’on ne devait voir en lui que le chef d’une brave armée qui venait de conquérir un royaume à la France et que sa loyauté avait maintenue soumise aux volontés de la patrie.
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A la première nouvelle de l’étonnante révolution qui venait de s’accomplir, presque toute l'armée avait pressenti que le général Clausel serait appelé au commandement en effet, des lettres reçues de Paris annoncèrent sa prochaine arrivée. Il était attendu avec d’autant plus d’impatience que le nouveau gouvernement n’ayant pu encore porter sa sollicitude sur l’armée, ses chefs étaient en proie aux anxiétés les plus vives. Toutefois le bon esprit des troupes ne se démentit pas un moment; officiers et soldats conservèrent le respect et les égards dus à ceux qui les avaient si dignement commandés. De leur côté les Turcs et les Arabes, regardant comme favorable à la conservation de leur indépendance notre inaction forcée, redoublèrent d’efforts contre nous. Malgré les difficultés de sa position, M. de Bourmont n’en continua pas moins de les tenir en respect.
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