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Sur la foi de la première partie du traité, les négociants d’Alger s’empressèrent d’établir un comptoir à Arzew; mais quelle ne fut pas leur surprise lorsqu’ils se virent soumis au monopole qu’Abd-el-Kader prétendait exercer dans cette place. A l’exemple du pacha d’Égypte, dont il avait étudié la politique lors de son voyage à la Mecque, l’émir s’était constitué le seul négociant de ses états. Il était interdit aux Arabes de traiter directement avec les Européens; ils devaient livrer leurs denrées à l’oukil d’Abd-el-Kader, à des prix fixés par lui, et celui-ci revendait ensuite aux marchands européens à un taux exorbitant. Le commerce se trouvait donc entravé par le manque de libre concurrence. Un représentant des maisons françaises à Arzew porta plainte au général Desmichels, qui ne répondit que par des paroles évasives. Plus tard le sous-intendant civil d’Oran reproduisit tous ces griefs au point de vue de l’intérêt public; mais le mal était fait, et le général n’y opposait que des faux-fuyants.
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Pendant que les Français subissaient ainsi les conséquences de l’impéritie diplomatique du général Desmichels, l’émir était sur le point de voir s’écrouler l’édifice encore fragile de sa puissance. En effet, de toutes parts s’élevaient des compétiteurs, qui, jaloux de sa rapide prospérité, cherchaient à la ruiner Sidi-el-Aribi, chef de la tribu de ce nom, lui reprochait d’avoir traité avec les chrétiens; Mustapha Ben Ismaël, chef des Douers, et qui avait été aga sous la domination des Turcs, ne pouvait consentir à se soumettre à un pâtre, fils de pâtre; Kadouer-ben-el-Morfy, chef des Bordjia, accoutumé à une vie licencieuse et vagabonde, voyait avec peine l’ordre et la paix se consolider. Cédant aux instigations de ces hommes irrités, les Beni-Amer, tribu la plus populeuse de la province, se refusèrent à payer l’achour, sous le prétexte que la cessation de l’état de guerre rendait inutile cet impôt. Alors l’émir ordonna aux Douers et aux Zmélas de se tenir prêts à marcher contre eux; mais en homme qui ne veut recourir à la force que lorsque la raison est impuissante, il réunit quelques cheicks des Beni-Amer dans une des mosquées de Mascara, et leur fit comprendre l’impérieuse obligation imposée à tous les croyants de contribuer aux charges de l’état. Son éloquence ne fut pas perdue : les Beni-Amer promirent de payer l’achour; mais déjà les Douers et les Zmélas, habitués sous les Turcs à servir d’instrument au pouvoir par l’appât du pillage, avaient commencé les hostilités. Abd-el-Kader leur envoya l’ordre de s’arrêter; ils n’en tinrent aucun compte, et Mustapha Ben Ismaël, leur chef, les détermina à se mettre en pleine révolte contre l’émir.
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Voyant son autorité méconnue, Abd-el-Kader marcha contre les rebelles, et vint établir son camp sur leur propre territoire; mais, trop confiant peut-être dans ses forces, il ne s’entoura d’aucune précaution: surpris par Mustapha Ben Ismaël, il fut mis en pleine déroute et faillit tomber au pouvoir des insurgés. A cette nouvelle, Sidi-el-Aribi lève l’étendard de la révolte; les autres chefs mécontents imitent son exemple, et Abd-el-Kader se trouve aussitôt entouré d’ennemis. Pour s’assurer la victoire, ils proposèrent au général Voirol, puis au général Desmichels, de se reconnaître sujets de la France, et s’engageaient même, moyennant quelques subsides, à renverser Abd-el-Kader. C’était le cas d’effacer un traité si malencontreusement accordé; mais la loyauté française prévalut sur la vraie politique, et les offres des insurgés furent repoussées. Jaloux de conserver un état de choses qu’il avait créé, le général Desmichels fit plus encore; il alla établir son camp à Miserghin, afin d’imposer par sa présence à ceux qu’il aurait du appuyer de toutes ses forces.
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Se trouvant ainsi soutenu, l’émir n’eut qu’à se présenter pour vaincre les insurgés se dispersèrent à son approche; Tlemcen, qui avait un instant voulu les favoriser, reçut Abd-el-Kader avec de grandes démonstrations de joie; quant à Mustapha, le principal chef de l’insurrection, ne pouvant se résoudre à vivre sous la domination de son heureux rival, il se retira auprès des Turcs du Mechouar. Ainsi la France venait de relever presque de sa propres mains un homme dont la secrète ambition était de la chasser de l’Algérie.
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Maître de toute la partie de la province d’Oran qui s’étend depuis le Chélif jusqu’à l’empire de Maroc, Abd-el-Kader ne vit plus de bornes à son ambition, et conçut la pensée de soumettre à sa domination les provinces d’Alger et de Tittery. Dans une dépêche par laquelle il s’empressa d’annoncer au général Voirol la victoire qu’il venait de remporter, il disait que grâce à lui toute la partie occidentale de l’Algérie était maintenant calme et soumise; il engageait donc le général à ne faire de son côté aucune- tentative de répression sur les tribus de l’est, car lui-même se proposait de s’y rendre sous peu de jours, et se chargeait de mettre tout en ordre. C’était dire en d’autres termes: « Je veux incessamment devenir maître chez vous. » Le général Voirol comprit toute la portée de ces astucieuses propositions, et dissuada Abd-el-Kader de réaliser ses projets. « Votre limite à vous, lui dit-il, c’est le Chéliff; au delà vous n’avez aucune autorité; et je vous crois trop sage pour entreprendre un voyage qui changerait immédiatement la nature de nos rapports. » Cet avis suffit ; Abd-el-Kader renonça au rôle de pacificateur général, et mit en œuvre toutes les ressources de se diplomatie auprès du général Desmichels. Au moyen de faux rapports, il espérait parvenir à le brouiller avec le général Voirol et à s’en faire un appui pour l’accomplissement ses projets. Le général Desmichels écouta avec trop de complaisance peut-être les affidés d’Abd-el-Kader; mais déjoua tous ces artifices.
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