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La perception d’un Autre violent, autoritaire et soumis au sublime et
aux dieux s’est renforcée ces dernières années avec le développement de
la terreur et de la violence d’inspiration islamiste. Les attentats du
11 septembre 2001 et le déchaînement de la violence et du terrorisme
islamiste ont réconforté les nouveaux orientalistes et la perception
d’un Autre englué dans la violence et la terreur. Un Oriental qui ne
peut se libérer de la domination des mythes et des cieux et qui en veut
à l’Occident et à sa civilisation. Un Autre qui déverse sa haine sur
l’universel occidental et qui cherche à trouver dans son âge d’or une
alternative au modèle occidental. Cet Autre refuse les valeurs de
liberté et de démocratie pour trouver dans la quête de l’au-delà et du
sublime les principes d’un nouveau modèle politique. L’Oriental devient
dans l’inconscient collectif cet Autre qui récuse le modèle de la
modernité occidentale et des Droits de l’Homme et exprime ce refus et
cette haine dans la violence aveugle et dans le sang !
Mais la figure type de l’Oriental ne se limite pas à la violence et à
la barbarie. Elle est aussi celle du Roi Shahrayar, figure mystérieuse
et violente du conte des Mille et une Nuit. Trahi par sa femme, il
décide de se marier tous les soirs avec une nouvelle et de l’égorger à
l’aube pour effacer le déshonneur subi. Cet épisode effroyable et
monstrueux se poursuit jusqu’au jour où le Roi se marie à Shéhérazade
la fille de son Vizir. Celle-ci le tiendra en haleine en lui racontant
tous les soirs une histoire jusqu’à ce que le Roi guérisse et se libère
de ce tourment. Ces contes vont introduire l’Occident dans l’univers
merveilleux et sublime des harems des émirs arabes. Ils vont éveiller
chez lui un imaginaire fabuleux sur ces endroits mythiques où le sens,
la jouissance et la grâce sont les signes du raffinement et du désir
dans ces empires lointains. Les “ Mille et une Nuits ” ont également
construit dans l’imaginaire collectif l’image de ces concubines et
odalisques qui musent toute la journée et se préparent à assouvir les
désirs charnels de leurs maîtres. Ces contes ont laissé ces impressions
sur ces endroits troubles de jouissance et de plaisir, d’érotisme et de
désir. Ils ont fait de la sensualité, de la volupté et de l’érotisme
une autre dimension dans le rapport trouble et controversé à l’Autre.
Mais la dimension érotique et sensuelle dans le rapport à l’Autre va
perdre son caractère poétique avec l’Orientalisme colonial du 19ième
siècle pour prendre la forme d’une sexualité endiablée censée être une
des caractéristiques essentielles et fondatrices de l’Autre. Dans cette
image de l’Autre la performance sexuelle physique et la vigueur
charnelle prennent le pas sur la sensibilité, le charme et l’érotisme
de ce moment unique de ravissement et d’enchantement. Les récits des
voyageurs coloniaux et des orientalistes des 19ième et 20ième siècles
sont remplis de cette orgie de sexe où l’Autre est décrit comme une
bête sexuelle aux désirs et aux appétits inassouvis et à jamais
satisfaits. Ces récits ont décrit un Autre dont la sexualité et la
jouissance obéissent aux lois de la nature et sont satisfaites jusqu’à
l’épuisement physique. Le désir, la sensualité et le ravissement n’ont
pas de place dans cet univers régi par l’appétit, la prouesse et la
boulimie. Ces images n’ont pas disparu avec la fin des colonies et ont
continué à nourrir l’imaginaire de l’Autre. La perception d’une
sexualité brute et libérée de tout érotisme et sensualité n’a jamais
quitté la perception de l’Autre dans l’univers occidental et continue à
identifier cet Autre si proche et oh combien éloigné !
Ainsi, la figure de l’Autre est partagée dans l’univers occidental et
orientaliste entre bestialité et violence et orgie de sexe et plaisirs
naturels. D’un côté, la violence, la bestialité et la haine n’ont
jamais quitté l’univers occidental depuis les Croisades. Ces figures
ont été profondément ancrées depuis les Croisades par les différentes
expressions de l’Orientalisme et ont contribué à construire cette
rupture dans la manifestation concrète de l’humain entre eux et nous.
Nous, c’est l’univers de la modernité et de la fin de l’altérité
radicale du sujet. Nous, c’est aussi ce rôle déterminant de la raison
dans le fondement de notre entendement et de notre raisonnement. Nous,
c’est également cette liberté nouvelle acquise par le sujet dans son
attitude politique et sociale et sa libération de tous les
autoritarismes et de toutes les formes de conformisme social ! Nous
c’est enfin la libération du moi des lois de la nature et son entrée
dans l’ère du désir, du raffinement et de la sensibilité. Eux, c’est la
domination du divin et la soumission de l’humain dans son raisonnement
aux différentes formes de divinité et de l’altérité. Eux, c’est aussi
la permanence des temps des dieux et des empires des cieux ! Eux, c’est
également cette soumission à la nature et à ses forces et où le désir
ne se manifeste qu’à travers la volonté d’assouvir des besoins et des
appétits. Eux, c’est enfin cette haine contre le monde de la civilité
qui s’est exprimée à travers l’Histoire par un déchaînement de la
violence et de la terreur.
Ainsi, la perception de l’Autre est prisonnière de ces deux figures de
Ben Laden et du Roi Shahrayar. Violence et terreur aveugle d’un côté et
sexe et orgie de plaisirs de l’autre. Voici les deux figures auxquelles
l’Oriental ou l’Autre en général s’en trouve réduit aujourd’hui. Qu’il
s’agisse des analyses des nouveaux orientalistes, des différentes
formes de l’expression du conservatisme politique et intellectuel à
l’inconscient collectif du monde de la civilité et de la modernité,
l’Autre est renvoyé à cette double figure du terroriste ou de la bête
de sexe qui n’attend que d’être libérée pour assouvir sa soif de sang
et sa quête d’accouplement jusqu’à l’épuisement. L’Oriental est renvoyé
à ces deux idéaux types qui ont été progressivement construit dans
l’histoire tourmentée de son rapport à l’Autre. Ces deux figures ont
été nourries par les différents courants de l’Orientalisme et les
convulsions de l’Histoire et constituent aujourd’hui le fondement du
rapport à l’Autre. Les crises de l’universel de la modernité à travers
l’Histoire n’ont fait que renforcer ce regard et la crispation et la
frilosité dans notre rapport à l’Autre. Une crispation et une angoisse
qui se sont renforcées après les attentats du 11 septembre 2001 et qui
réduisent définitivement l’horizon du regard et de la perception de
l’Autre à cette dualité de la terreur et du sexe !
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Hakim Ben hamouda
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