La Nouba des femmes du mont Chenoua
d’Assia Djebbar
avec Sawan Noweir
Algérie / 1977 couleur 1h55 (16 mm)
Ce film entremêle de façon originale le parcours individuel de Leïla, jeune architecte revenue dans la maison de son enfance, les souvenirs de six vieilles femmes, et les histoires ancestrales de la région.
La protagoniste, Lila est une femme algérienne qui revient également sur son passé puisqu'il s'agit pour elle de chercher à retrouver son frère disparu pendant la guerre de libération. La caméra la suit alors qu'elle circule de village en village à la rencontre de femmes, jeunes ou vieilles, qui lui font profiter de leur expérience de la guerre. A la fin du film, Lila, dont le passé est troublé par les horreurs de la guerre et dont le présent semble voilé par un mariage lui apportant peu de satisfaction, retrouve son équilibre dans l'apaisement de la mémoire recouvrée et de l'identité collective réapprise.
Si la majorité des plans sont tournés à l'extérieur, la caméra, notamment au début du film suit la protagoniste à l'intérieur de la maison où l'attend son mari immobilisé à la suite d'une chute de cheval. A plusieurs reprises la caméra le montre ainsi cloué dans sa chaise roulante, condamné à rester enfermé entre les quatre murs de la maison familiale. Les premières prises de vue le concernant se font de l'intérieur de la maison, plus tard la caméra occupe l'espace extérieur et laisse apercevoir l'infirme en train de regarder par la fenêtre au travers de barreaux. Son mutisme associé à son confinement est révélateur de la démarche de la cinéaste qui va s'attacher à renverser les rôles scopiques. L'homme est en effet condamné à voir la réalité à partir de l'espace intérieur tandis que la femme reprend peu à peu possession par le regard l'espace extérieur.
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Sommeil agité, habité par l'expérience de la prison (résistante, Lila a été libérée à la fin de la guerre), par la douleur de la perte de ses parents. Le silence est accablant dans la maison rustique où la famille réside. Lila entre et sort continuellement de la maison, part à la recherche de témoignages sur la disparition du frère pendant la guerre, questionne les paysannes, les travailleuses saisonnières des coopératives, les femmes qui furent engagées dans la résistance. Des allers et retours entre une maison et l'autre, entre tradition et modernité, entre histoire et présent, entre musique populaire traditionnelle et musique savante incarnée par des œuvres de Bêla Bartok, qui séjourna en Algérie en 1913, dans une «Algérie presque muette», écrit Djebar, pour étudier la musique populaire. Ce film lui est d’ailleurs aussi dédié.
Pendant deux mois, pour préparer le film, elle rencontre donc les femmes de la région de Chenoua, à une centaine de kilomètres à l’ouest d'Alger, paysannes, travailleuses des coopératives, gardiennes du foyer domestique.
Aissa Djebar voulait traduire, à travers le son du film, les voix, les cris, les chants des femmes qui se font écho dans les ruelles arabes, les chuchotements des femmes reléguées dans les campagnes: la mémoire dont elles sont les gardiennes...
Elle essaie de construire une architecture cinématographique où des sons et de la musique deviennent des éléments centraux et signifiants du film, qu'il est structuré comme une nouba, forme musicale traditionnelle andalouse, instrumentale et vocale, montée dans la colonne sonore du film, à laquelle elle ajoute les morceaux de Bela Bartok, jusqu'à la chanson finale du film, dont les textes sont écrits par Assia Djebar elle-même et interprétés par un musicien algérien.
Mais la «nouba des femmes» est aussi l'histoire quotidienne racontée par des femmes qui parlent à leur tour du présent et du passé. Comme dans presque tous ses livres, la musique et les termes musicaux – nouba, diwan, melopea...
Histoire et identité sont transposés dans le film grâce aux images d’archives de la résistance du peuple algérien à côté des «images» de l'histoire orale et de l'histoire des femmes: le film n’est-il pas aussi dédicacé à Yamina Oudaï, dite Zoulikha, qui, entre 1955 et 1956, à quarante ans, coordonne la résistance nationale dans les montagnes de Cherchell, puis est arrêtée et «disparaît». «Lila pourrait être sa fille», précise encore la dédicace. Les séquences d’archives sur la lutte de libération sont montés en parallèle avec les images de la fiction et rythment le film traversé de part en part par des plans de femmes. Dès la première scène, une séquence d’époque en noir et blanc montre les soldats français envahir les rues d'une ville (Alger?), puis la caméra se penche sur une femme voilée vêtue du blanc traditionnel qui, reprise en contre plongé, traverse la route, méfiante, pressée, le blanc de son costume contrastant violemment le noir de l’asphalte, le noir des soldats... Et, sans transition, des paysannes traversent las campagne, portant des faisceaux de bois sur la tête. Encore l'histoire, l'histoire niée à négocier avec l'oubli, l'exploration des territoires de la tradition et de la modernité dans une incessante comparaison qui sera présente dans toute son oeuvre.
Ainsi, le regard masculin, celui du mari de Lila, et par extension celui de tous hommes, est mis «entre parenthèse». Du point de vue cinématographique, il est placé «hors champ» pour laisser aux femmes la possibilité de percevoir l'espace d’une façon autonome. Cette neutralisation symbolique du «mâle» est peut-être unes des raisons des critiques qui enflamment la cinémathèque d'Alger lors de la première projection du film. «Ce que n'a pas supporté le public de la cinémathèque, c’est que j'ai écarté les hommes de mon film. Mais que répondre d’autre que de dire que je n'ai fait que montrer ce qui existe dans la réalité?»
Si la majorité des plans sont tournés à l'extérieur, la caméra, notamment au début du film suit la protagoniste à l'intérieur de la maison où l'attend son mari immobilisé à la suite d'une chute de cheval. A plusieurs reprises la caméra le montre ainsi cloué dans sa chaise roulante, condamné à rester enfermé entre les quatre murs de la maison familiale. Les premières prises de vue le concernant se font de l'intérieur de la maison, plus tard la caméra occupe l'espace extérieur et laisse apercevoir l'infirme en train de regarder par la fenêtre au travers de barreaux. Son mutisme associé à son confinement est révélateur de la démarche de la cinéaste qui va s'attacher à renverser les rôles scopiques. L'homme est en effet condamné à voir la réalité à partir de l'espace intérieur tandis que la femme reprend peu à peu possession par le regard l'espace extérieur.Ce rapport au réel, – montrer de nouveau ce qu’on a oublié en nettoyant le regard – s’offre aussi dans le traitement de la langue au cinéma qui permet à Assia Djebar d'utiliser non seulement un espace géographique mais aussi un espace sonore, donc d'amplifier ses capacités expressives par rapport à l’écrit. D'explorer la langue parlée, la musique. Assia Djebar s'est située souvent dans l'espace de l'inter - langue, l'entre-deux langues, entre deux pays, entre deux cultures. Le français est pour l’auteure «la langue du père», mais aussi la langue du colon, de l'ennemi, enfin la langue dans laquelle elle a choisi de s'exprimer en tant qu’artiste. L'arabe est la langue des émotions, de la mère, de l'histoire orale. Dans le film La Nouba des femmes du Mont Chenoua, l’emploi des deux langues est encore une fois parallèle: dans son long monologue off Lila emploie le français, mais elle parle arabe à sa fille et écoute les paysannes raconter en berbère les épisodes de la guerre.
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