L’un des quatre policiers mis en examen à Marseille pour des violences à l’encontre de Hedi est déjà apparu dans une information judiciaire relative au tabassage d’Angelina, en 2018. Cet agent, qui avait nié toute implication, n’a pas été poursuivi à l’issue d’investigations plombées par l’absence de vidéos exploitables et le mutisme de la hiérarchie. Mais l’enquête vient d’être rouverte.
Pascale Pascariello
31 juillet 2023 à 12h04
LeurLeur anonymat a jusqu’ici été préservé et toute une profession le protège, plus que jamais. Mais l’identité de l’un des quatre policiers mis en examen dans l’affaire Hedi, jeune homme de 22 ans touché par un tir de LBD à Marseille, puis tabassé et « laissé pour mort »(selon ses termes), mérite pourtant d’être examinée.
D’après nos informations, David B. est l’une des figures centrales d’une précédente information judiciaire ouverte pour des faits de violences assez similaires, commis en décembre 2018 à Marseille. Une jeune fille de 19 ans, Angelina (plus connue sous le pseudonyme de Maria), avait été gravement blessée par un tir de LBD en marge des manifestations des « gilets jaunes », puis passée à tabac par plusieurs policiers, à ce jour non identifiés par la justice.
Dans l’affaire Hedi, David B. a pu être identifié, comme ses collègues de la BAC, grâce à l’exploitation d’enregistrements de caméras de vidéosurveillance de la ville, de celles d’un commerce et d’un lieu de culte, et de vidéos d’un témoin, d’après les informations recueillies par Mediapart.
« Non, toute la police ne souhaite pas user impunément de la violence (...) Non, toute la police n’est pas solidaire du comportement de policiers qui se rendent coupables de crimes dans l’exercice de leur fonction » : à travers un témoignage courageux, un fonctionnaire s'élève contre les dysfonctionnements systémiques de l'institution, dont se rendent coupables les responsables hiérarchiques. Dans le Club, d'autres contributions pointent la pusillanimité du chef de l'Etat face aux syndicats qui demandent une justice d'exception. Une autre police « républicaine » et respectueuse de tous les citoyens est-elle possible? »
Un policier anonyme
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Non, toute la police ne souhaite pas user impunément de la violence.
Non, toute la police ne revendique pas le droit d’être jugée par des juridictions d’exception. Non, toute la police ne désire pas une fuite en avant toujours plus sécuritaire servie par des intelligences artificielles, des robots, des caméras, des drones et autres “techno-gadgets” sans considération du scénario dystopique qui se dessine..
Non, toute la police n’est pas solidaire du comportement de policiers qui se rendent coupables de crimes dans l’exercice de leur fonction.
Oui, il existe une police qui se conforme aux principes constitutionnels de la République. Oui, il existe une police républicaine dont l’objectif est de protéger ses concitoyens y compris des excès et des abus dans ses propres rangs.
Oui, il existe une police qui ne considère pas une partie de la population comme « nuisible ».
Aujourd’hui, ceux qui menacent l’ordre public et nos principes ne sont pas tant ces quelques collègues qui témoignent maladroitement et illégalement de leur colère. Ce sont les quelques hauts fonctionnaires, qui répandent des idées factieuses en réponse à leur malaise.
De nombreux policiers sont fatigués, déboussolés et ne comprennent pas la violence quotidienne dont ils sont parfois l’objet. Une violence dont notre président a dit vouloir chercher les causes profondes. Cette violence dont le premier commanditaire est le gouvernement, use les policiers et les place dans une situation intenable.
Oui, les policiers vont mal et souffrent dans leur travail. Ce mal-être les pousse parfois à se retrancher derrière des positions radicales, derrière des comportements inadaptés et les conduit parfois à retourner cette violence contre eux, au point de mettre fin à leurs jours. N’oublions pas, en effet, que la Police nationale connaît le plus fort taux de suicide toutes catégories socio-professionnelles confondues en France.
Tout cela reste ignoré de nos responsables administratifs et politiques.
Votre seule réponse à ce désarroi structurel et à cette colère est de proposer à la police d'être déresponsabilisée par la création d’une juridiction d’exception, par la remise en cause de l’article 144 du CPP et par la critique de la justice.
Aucune de vos réponses ne cherche à préserver les fonctionnaires autrement qu’en proposant des solutions dérogatoires aux dispositions législatives. L’égalité de tous devant la loi est un principe fondateur de notre société. La majorité des policiers ne souhaitent pas transiger sur ce principe et s’engager sur cette voie mortifère pour la démocratie.
Aucune de vos réponses ne cherche à enrayer les causes profondes de la violence sociale qui secoue notre société et à laquelle la police doit répondre par une violence encore plus grande.
Aujourd’hui, la police nationale fait entendre son mécontentement à votre encontre, elle le fait non pas pour obtenir le droit de mutiler, torturer ou tuer mais simplement pour ne pas être la meute des chiens de garde que l’on siffle pour mettre fin aux troubles sociaux : ces mouvements qui secouent notre société depuis des mois, des années, et pour lesquels vous n’avez pour seule réponse que la violence et la répression. Au-delà de la nécessaire subordination hiérarchique, la police n’est pas aux ordres du seul pouvoir mais au service de tous. Oui, il existe une police républicaine qui désire œuvrer pour la sécurité commune de ses concitoyens, et qui refuse de servir d’outil de répression. C’est à celle-ci que je souhaite appartenir.
Etienne Préau*
Policier depuis 1996 et brigadier-chef depuis 2013
Visé par un tir de LBD et tabassé le 1er juillet, Hedi n’a toujours pas reçu le moindre coup de fil du gouvernement. Les syndicats de police, eux, ont été accueillis avec les honneurs au ministère de l’intérieur. Ils font « pression » pour obtenir un statut juridique à part.
Ilyes Ramdani et Pascale Pascariello
28 juillet 2023 à 16h58
uiQui a dit que l’exécutif méprisait le dialogue social ? La rencontre entre le ministre de l’intérieur et les organisations professionnelles de la police, jeudi 27 juillet, avait de quoi faire pâlir de jalousie les autres membres du gouvernement. Gérald Darmanin a été « à l’écoute », « proche de ses troupes », « ouvert » et « conscient des attentes », ont salué à l’unisson les représentants des fonctionnaires de police, réunis place Beauvau. « Je veux assurer les policiers de toute ma reconnaissance et de toute ma confiance », a dit le ministre.
Une concorde qui ferait plaisir à voir si elle n’avait pas pour socle le soutien à des policiers accusés d’avoir tabassé et laissé pour mort Hedi, un jeune homme de 22 ans, après lui avoir tiré dessus au lanceur de balles de défense (LBD), à Marseille (Bouches-du-Rhône), dans la nuit du 1er au 2 juillet. Déjà applaudis à leur sortie de garde à vue, les quatre agents sont désormais mis en examen et l’un d’eux a été placé en détention provisoire. Soupçonné d’être l’auteur du tir, il a affirmé en audition ne se souvenir de rien, n’avoir rien vu et ne pas se reconnaître sur les images, comme l’a révélé BFMTV jeudi.
« Le savoir en prison m’empêche de dormir », a déclaré Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale (DGPN), dans Le Parisien dimanche 23 juillet. En guise de soutien à leur collègue, des policiers ont cessé de travailler à Marseille et ailleurs en France, arrêts maladie à l’appui ; d’autres se sont placés en « code 562 », une sorte de service minimum destiné à exprimer leur fronde. Un mouvement impossible à quantifier précisément, faute de communication gouvernementale. Gérald Darmanin a simplement indiqué qu’à ce jour « moins de 5 % » des policiers « se sont mis en arrêt maladie ou ont refusé d’aller au travail ».
Dans tous les cas, le mouvement de contestation a dégradé ou mis en pause l’activité de nombreux commissariats à travers le pays.
Jeudi, à Beauvau, les organisations syndicales n’étaient pas venues se contenter des déclarations d’amour du ministre. Leurs revendications étaient précises : élargissement de la protection fonctionnelle (le financement des frais de justice par l’État, y compris pour les policiers soupçonnés de violences), maintien des primes quand un agent est suspendu, anonymisation des procès-verbaux d’audition de policiers mais aussi – et surtout – exemption de la détention provisoire pour les policiers soupçonnés de violences en service.
À tout cela, Gérald Darmanin n'a pas fermé la porte. « Le ministre était plutôt d’accord avec nos propositions », a triomphé Fabien Vanhemelryck, secrétaire général d’Alliance, jeudi soir. « On a des garanties pour sécuriser le métier de policier », a embrayé Grégory Joron, chef de file d’Unité SGP Police-FO. « Le ministre a accueilli les propositions des syndicats et demandé au DGPN d’étudier leur faisabilité opérationnelle et juridique, fait savoir son entourage. Le temps était à l'écoute et au soutien, il n'a pas pris position, hormis sur la protection fonctionnelle qui fait consensus. »
Pendant ce temps-là, Hedi est chez lui, à Marseille. Il a perdu dix kilos et une partie de son crâne, il voit flou, il parle lentement, il est soumis à des migraines quotidiennes, il doit vivre avec un casque en attendant de nouvelles interventions chirurgicales. Mercredi, il a de nouveau témoigné devant la caméra de Konbini. La vidéo a été vue près de 30 millions de fois en deux jours.
Pas de quoi susciter la compassion de Gérald Darmanin, stoïque lorsqu’un journaliste lui a demandé une réaction à ce sujet. « Moi, je ne commente pas les affaires judiciaires en cours, a-t-il répondu. S’il y a eu faute, elle sera sanctionnée par la justice. Je veux apporter évidemment mon soutien à toute personne qui se sent blessée [sic]. Mais je veux aussi dire que les policiers réclament du respect, pas l’impunité. »
Plus étonnant encore, ni Élisabeth Borne ni Emmanuel Macron n’ont adressé le moindre mot d’empathie à l’égard du jeune homme. Contactés, les conseillers presse de la première ministre et du président de la République n’avaient pas répondu à l’heure de publication de cet article. En déplacement à Marseille jeudi et vendredi, la nouvelle secrétaire d’État à la ville, Sabrina Agresti-Roubache, n’en a pas profité pour aller voir Hedi ou sa famille, ni pour leur adresser le moindre message de soutien.
La justice s’inquiète, son ministre baisse la tête
Vendredi, lors d’un déplacement, Éric Dupond-Moretti a rappelé que la justice « a besoin, comme les policiers, de respect, elle a besoin d’indépendance, elle a besoin qu’on la laisse travailler ». « La justice ne se rend pas dans la rue et ne se rend pas sur les plateaux de télévision », a-t-il ajouté.
Mais le ministre de la justice n’a pas souhaité donner son avis sur la demande des policiers d’un statut spécifique en matière de détention provisoire. Il a même acté le principe d’une rencontre, en septembre, avec Gérald Darmanin et les syndicats de policiers, pour évoquer leurs desiderata législatifs. « Moi je dis merci [aux policiers], a enfin insisté, vendredi, le garde des Sceaux. Merci pour ce qu’ils ont fait, merci pour leur engagement, pour leur courage. »
Le ministre terminepar ailleurs la semaine affaibli par son renvoi, confirmé vendredi, devant la Cour de justice de la République pour prise illégale d’intérêts. Une situation que dénoncent, dans un communiqué commun, l’Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM) : « Nos organisations considèrent que cette situation décrédibilise le garde des Sceaux et, par ricochet, affaiblit l’institution judiciaire toute entière. »
Dans la matinée de vendredi, les conférences nationales des procureurs généraux et des premiers présidents de cours d’appel ont tiré, de leur côté, la sonnette d’alarme – fait rare. « Une nouvelle fois, la remise en cause par le ministre de l’intérieur de l’application de la loi pénale par les magistrats constitue une critique directe des décisions de justice et de la déontologie professionnelle des magistrats », regrettent les signataires.
À propos des récents placements en détention provisoire décidés dans les affaires du jeune Hedi et de Nahel M. à Nanterre, ils insistent : « La remise en cause publique de ces décisions par les plus hauts responsables de la police nationale et par le ministre de l’intérieur lui-même ne peut que renforcer l’inquiétude [...] quant à la dégradation de l’État de droit que de tels propos révèlent. » Une charge inédite, sans doute, contre le locataire de la Place Beauvau.
« Ce qui me désespère, ajoute un magistrat parisien, c’est la rhétorique de la première ministre et du président de la République, qui disent qu’ils ne peuvent pas commenter une décision de justice alors que la question qui leur est posée est plutôt : le chef de la police française le peut-il ? »
La tétanie du pouvoir
Au milieu du grand silence ministériel sur la situation de Hedi, l’interview du ministre de la fonction publique, Stanislas Guerini, sur BFMTV vendredi, a quelque peu détonné. « Cette vidéo restera gravée en moi, a expliqué l’ancien dirigeant du parti présidentiel. À ce jeune homme dont la vie sera irrémédiablement changée, on ne peut que souhaiter de la force, du courage, adresser des mots et des paroles à sa famille et souhaiter que la vérité et la justice soient faites. C’est ce que la République lui doit. Dire cela, ce n’est pas parler contre les policiers comme je l’ai trop entendu dans le débat public. »
Le même matin, dans Midi libre, Gabriel Attal a pris quelques distances avec l’offensive policière des derniers jours. « Je n’ai pas compris les mots que [Frédéric Veaux] a employés sur la détention provisoire », a indiqué le nouveau ministre de l’éducation nationale. « L’autorité, ce sont des règles, a-t-il aussi souligné. Je crois qu’il faut toujours faire attention à ne pas les fragiliser en donnant le sentiment que certains pourraient être au-dessus ou en dessous des lois. »
Ces deux sorties de fidèles du chef de l’État mettent paradoxalement en lumière l’état de tétanie d’un pouvoir incapable de prononcer des mots aussi simples depuis une semaine. En 2016, sur le plateau de Mediapart, Emmanuel Macron se faisait pourtant solennel. « Je serai intraitable, promettait-il. Il faut mettre en cause la hiérarchie policière quand il y a de manière évidente un problème. Il faut une responsabilité policière et administrative quand il y a des comportements déviants. »
En 2019, il s’emportait en conseil des ministres contre ces « hauts fonctionnaires qui font de la politique parce que leur ministre n’en fait pas », appelant à « ne pas surpolitiser la haute fonction publique ». Pas plus tard que la semaine dernière, il exhortait les membres de son gouvernement, en tapant du poing sur la table du conseil des ministres, à « diriger leur administration ».
Autant de grands concepts évaporés dans la fronde policière. Face à une corporation irascible et volontiers menaçante, qui se vante toujours d’avoir obtenu la tête du prédécesseur de Gérald Darmanin, Christophe Castaner, en 2020, l’exécutif courbe l’échine. Après les propos de Frédéric Veaux, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne se sont contentés d’une condamnation du bout des lèvres (« nul n’est au-dessus des lois »), précédée et suivie de mots de soutien et de considération à l’égard des forces de l’ordre.
L’escalade policière, le silence des gendarmes
Conscients que le rapport de force est à leur avantage, soutenus par leur hiérarchie et leur ministre, les syndicats de police ne comptent pas s’arrêter là. « Nous demandons que le policier soupçonné d’avoir commis une infraction dans l’exercice de ses fonctions reste en liberté et puisse percevoir l’intégralité de son salaire, primes comprises, tant qu’il n’a pas été jugé, formule Éric Henry, d’Alliance. Nous souhaitons aussi que l’interdiction d’exercer son métier ne s’applique qu’à la voie publique pendant la durée de la procédure judiciaire. »
Dans Le Figaro, Linda Kebbab (Unité SGP Police-FO) assume de « maintenir la pression ». « Nous voulons des magistrats spécialisés sur l’usage des armes par les forces de l’ordre, précise la syndicaliste. Nous travaillons à rencontrer les présidents des groupes parlementaires, de la majorité présidentielle au Rassemblement national, pour la création rapide d’un statut spécifique du policier mis en cause dans ses fonctions. Il faut légiférer rapidement. » Le RN, qui dispose d’une journée de « niche » parlementaire le 12 octobre, pourrait être tenté de saisir la balle au bond en déposant une proposition de loi.
En dehors de la droite et de l’extrême droite, le coup de pression trouve pour l’instant peu de soutiens. Mais la gendarmerie nationale, qui serait concernée au même titre que la police par une réforme législative, brille par son silence. Son patron, à l’inverse de Frédéric Veaux, n’a pas dit un mot.
« Il ne faut pas attendre de réaction, décrypte auprès de Mediapart un haut gradé de la gendarmerie. On garde et on se doit de garder une certaine mesure et un respect par rapport à la magistrature. » La même source dénonce « une dérive qui dure depuis plusieurs années », « une dégradation de la police, une hyperpolitisation, un poids démesuré des syndicats qui font du chantage », et juge que « l’instrumentalisation de la police par Darmanin et ses prédécesseurs mène droit dans le mur ».
« Les gendarmes ne sont pas des chevaliers blancs et certains sont mis en cause pour avoir fait un usage disproportionné de la force, poursuit ce responsable de la gendarmerie. Mais nous ne demandons pas à être au-dessus des lois et je pense que c’est évidemment dangereux de faire une nouvelle loi pour protéger davantage les forces de l’ordre de poursuites en cas de délit ou de crime. Il faut rester dans le cadre du droit commun. Que Darmanin réponde ainsi favorablement aux demandes les plus extrêmes des syndicats de police, ce sont les prémices de l’effondrement de notre État de droit. »
« La police est instrumentalisée comme jamais et ça va être dangereux, réagit de son côté un haut responsable du ministère de l’intérieur et spécialiste du maintien de l’ordre, qui a eu sous ses ordres plusieurs unités de police. Elle a trop été utilisée pour éteindre le feu et être en première ligne lorsque le gouvernement a voulu imposer des réformes par la force. » Une référence aux mouvements des « gilets jaunes » et contre la réforme des retraites.
« Les brebis galeuses n’ont pas leur place dans la police », ajoute-t-il, mais « le ministre de l’intérieur est obligé de répondre aux demandes les plus inquiétantes des syndicats pour garder le contrôle sur la base et éviter des mouvements comme celui des “policiers en colère” [né en 2016 à la suite de l’agression de policiers à Viry-Châtillon – ndlr]. De là à accepter de proposer une nouvelle loi... Ce serait franchir une nouvelle étape vers le déni des dérives au sein de la police et donner un blanc-seing aux policiers qui agissent comme des électrons libres, aux va-t-en-guerre ». Selon ce responsable, la « police n’est pas au-dessus des lois et pour retrouver une sérénité, il faut que les lois s’imposent pour tous en France ».
De son côté, un commandant ajoute : « Ils ne peuvent se passer de la police, il y a trop de risques de manifestations ou d’émeutes. Et l’exécutif ne peut se couper de la police à un an des Jeux olympiques. » Il regrette néanmoins que « depuis quelques années, la législation ait été revue pour répondre aux volontés des syndicats qui ne sont pas forcement justifiées ou peuvent avoir des effets pervers et faire prendre plus de risques, pour les citoyens comme pour les policiers... ». L’assouplissement du cadre légal de l’usage des armes lors des refus d’obtempérer (par une loi de 2017) en est un exemple. « Ces évolutions législatives inquiétantes en disent long sur la fébrilité de l’exécutif... »
Un haut fonctionnaire, spécialiste des questions de sécurité, ne partage toutefois pas ces avis. Interrogé sur l’impunité des policiers qui se voit renforcée, il préfère ne pas commenter, jugeant simplement que « le ministre a bien géré la sortie de crise avec les syndicats en évitant des frondes incontrôlables ».
Gérald Darmanin est persuadé que le soutien de la police lui est indispensable sur le plan politique, alors qu’il ambitionnait de remplacer la première ministre à Matignon. Vendredi, sur France 2, le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure a réclamé la démission du ministre, ainsi que celles du préfet de police de Paris et du DGPN. « Tous les trois défient la République, a accusé le député, malgré le risque de sédition. »
Dans la nuit du 1er au 2 juillet, le jeune homme a été touché par un tir de LBD qui lui a causé un grave traumatisme crânien. Il dit aussi avoir été « tabassé », avec plus de 60 jours d’arrêt de travail à la clef. Quatre policiers ont été mis en examen vendredi, et l'un d'entre eux incarcéré.
Nejma Brahim, Pascale Pascariello et Camille Polloni
19 juillet 2023 à 19h29
LeLe visage esquinté et la tête bandée, Hedi peine encore à réaliser ce qui lui est tombé dessus, dans la nuit du 1er au 2juillet dernier. « Ils m’ont tiré dessus et m’ont tabassé, puis ils m’ont laissé pour mort par terre », résume-t-il, attablé en terrasse du restaurant tenu par ses parents, dans les Bouches-du-Rhône.
Vendredi 14juillet, au lendemain de sa sortie de l’hôpital de la Timone, à Marseille, Hedi est un homme détruit. Pourtant, il affirme garder en mémoire les violences qu’il a subies. « C’était une équipe de la BAC, ils étaient au moins quatre, rembobine-t-il. On les a croisés au croisement d’une ruelle vers le cours Lieutaud. » L’endroit exact, le jeune homme de 22 ans ne l’a plus en tête.
Après que des agents de l’IGPN ont recueilli son témoignage durant son hospitalisation, huit policiers ont été placés en garde à vue mardi 18juillet. D’après La Provence, ils appartiennent à deux brigades anticriminalité (BAC). Les suspects ont reçu le soutien d'une partie de leurs collègues, qui les ont applaudis jeudi 20 juillet lors de leur transfert vers le palais de justice.
Vendredi 21 juillet au matin, le parquet de Marseille a annoncé que quatre de ces fonctionnaires ont été mis en examen par un juge d’instruction pour des violences volontaires en réunion, par personne dépositaire de l'autorité publique, avec arme, ayant entrainé une ITT supérieure à 8 jours. L’un d’eux a été placé en détention provisoire, une mesure rarissime, les trois autres sous contrôle judiciaire, avec interdiction d’exercer.
« Je suis contente qu’ils les aient arrêtés, ça va dans le bon sens » réagit Leila, la mère de Hedi. « J’imagine qu’ils ont dû avoir des éléments grâce aux caméras. On a confiance en la justice. Mais j’ai dit à Hedi et à son ami Lilian de se préparer à être attaqués, à ce que certains aillent chercher la moindre petite broutille. »
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Le 5 juillet, le parquet de Marseille avait ouvert une information judiciaire pour des « violences en réunion par personnes dépositaires de l’autorité publique » ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours. Il a confié l’enquête à la police judiciaire (PJ) de Marseille et à l’IGPN.
« La scène décrite est une scène de barbarie », commente Jacques-Antoine Preziosi, l’avocat de Hedi. « Deux gosses parfaitement socialisés, sans casier, qui travaillent, descendent à Marseille pour se distraire. Ils ne sont ni des manifestants ni des pilleurs. Ils tombent sur cinq ou six cinglés qui les agressent. Il se trouve que ce sont des fonctionnaires de l’État français. Nous attendons que l’enquête ait lieu et que justice se fasse, qu’on identifie ces gens-là et qu’on les juge. »
Un tir de LBD et un passage à tabac
Le soir des faits, Hedi donne « un coup de main » à ses parents à l’occasion de la « fête des terrasses ». Il quitte le restaurant seul en voiture, aux alentours de 1 h 15 ou 1 h 30 du matin. « Je suis descendu à Marseille pour rejoindre des camarades, on s’est retrouvés au Vieux-Port », se souvient-il.
Là, il découvre une « scène de film ». « Il y avait un hélicoptère, on a eu l’idée de le suivre, ce qui n’était pas très malin, concède Hedi. Mais bon, un hélicoptère qui survole le ciel à Marseille dans un tel chaos, on n’en voit pas tous les jours. » Lui et Lilian, son ami, arpentent les rues du centre-ville en suivant l’engin des yeux.
Hedi assure qu’ils n’ont pas pris part aux révoltes mais croisé la route d’autres jeunes qui y participaient, certains cagoulés, d’autres pas. Ils avancent dans l’obscurité de la nuit, sans lumière de la ville. Au croisement d’une ruelle située près du cours Lieutaud, ils tombent nez à nez avec les agents de la BAC.
« On leur a dit bonsoir, mais on a vite compris qu’ils étaient énervés et fermés à la discussion. » Selon le récit de Hedi, les policiers n’ont pas répondu. L’un d’eux aurait agrippé son lanceur de balle de défense (LBD), un autre se serait saisi de sa matraque pour asséner un coup au visage de Lilian. « Il s’est protégé avec son bras, puis il a réussi à partir en cavalant. » Hedi n’y parvient pas.
Il raconte avoir vu un policier lui tirer dans la tête avec son LBD, puis avoir été traîné au sol sur environ dix mètres. L’un des hommes se serait alors agenouillé sur ses jambes pour l’immobiliser, tout en lui donnant plusieurs coups, tandis que les autres le passaient à tabac. « Je me souviens de leur matraque, de leurs gants à coque et de leur arme de service à la taille. » Il revoit aussi le sang couler sur son visage, provenant de sa blessure à la tête, comme si on lui « renversait de l’eau dessus ». « Je sentais un truc énorme dans mon crâne qui me brûlait », poursuit Hedi, qui marque une pause dans son récit pour ravaler ses larmes.
« Il se montre fort, là, mais il pleure quand il est seul avec nous à la maison », commente sa mère.
Hedi estime que ce calvaire a duré cinq minutes. Il précise avoir supplié les policiers d’arrêter et ne se souvient d’aucune parole de leur part, en raison du « brouhaha ». « Je criais en disant que j’étais gentil, que j’avais mes papiers, qu’ils pouvaient me fouiller pour voir que je n’avais rien de dangereux sur moi. Mais ils n’ont pas voulu arrêter. »
Après avoir été abandonné, il aurait trouvé, avec l’adrénaline, la force de se relever et de courir, courir encore, sans vraiment savoir où il allait ; tentant d’appeler son ami Lilian par téléphone pour pouvoir le rejoindre quelque part. « J’essayais de lui envoyer ma localisation avec Snapchat, mais avec le stress, je n’y arrivais pas. On a fini par se retrouver par hasard devant une alimentation. »
Transporté à l’hôpital en urgence
Peu de temps après, le jeune homme s’écroule. Malgré le flou, il se souvient d’avoir perdu le contrôle de son corps, de s’être uriné et vomi dessus, et d’avoir vu « tout blanc » alors que le projectile était encore incrusté dans son crâne. Son ami, ainsi que les deux gérants de l’épicerie, le prend en charge et l’emmène à l’hôpital. « J’étais tout raide dans la voiture, Lilian n’a pas pu monter avec nous. L’un des gérants me tenait la tête, l’autre conduisait. Lilian a couru derrière nous jusqu’à l’hôpital. »
La suite, ce sont ses proches qui nous la confient. Hedi tombe dans le coma. Ses parents ne sont prévenus que le lendemain, dimanche, en fin de matinée. Mais avant même que les gendarmes ne viennent toquer à leur porte, Leila, sa mère, se doute de quelque chose : « D’habitude, quand mes fils sortent, ils me donnent toujours des nouvelles. Je l’ai appelé le matin car on devait aller à la piscine ensemble. Et c’est quand il n’a pas répondu que j’ai compris. »
Les gendarmes leur demandent d’appeler la police. « C’est très grave »est la seule précision qu’ils obtiennent à ce moment-là. « Quand on les a appelés, ils nous ont juste dit qu’il avait été déposé à la Timone après avoir reçu un coup sur la tête. Ils nous ont dit de nous y rendre le plus vite possible. »
Les parents du jeune homme, qui a fêté ses 22 ans à l’hôpital, ne peuvent le voir avant 15 heures. « Les médecins voulaient nous parler d’abord. Ils nous ont dit que c’était un miraculé et qu’il faudrait encore attendre 48 heures pour être sûr qu’il s’en sortirait », relate Leila, qui précise qu’il était intubé. Des sources hospitalières, interrogées par Mediapart, confirment que son pronostic vital a été un temps engagé.
Et pour cause. Les médecins ont dû retirer une partie de sa boîte crânienne pour évacuer le sang qui se trouvait entre le cerveau et le crâne. Hedi a aussi une fracture de la mâchoire – « c’est simple,commente-t-il, il n’y a plus d’os sur le côté gauche » –, l’œil gauche tuméfié et fermé, la joue creusée, des hématomes plein les jambes. « Les médecins pensaient qu’il ne pourrait plus marcher », ajoute Leila.
Cinquante agrafes sur le crâne
Au moment où nous le rencontrons, il n’a toujours pas recouvré la vue du côté gauche. Sur sa fiche médicale, qu’il nous montre, apparaît la mention « traumatisme crânien grave sur shoot de flash-ball ». Les violences subies lui valent plus de 60jours d’ITT et une invalidité temporaire.
Dans la même nuit du 1er au 2 juillet, toujours dans le centre-ville de Marseille, Mohamed B., 27 ans, est décédé d’une crise cardiaque après avoir été touché au thorax par « un projectile de type flash-ball ». Le parquet de Marseille a ouvert une information judiciaire pour « coups mortels » avec arme. Cette enquête, confiée à la PJ et à l’IGPN, vise à déterminer si un fonctionnaire de police est à l’origine du tir, et à l’identifier.
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« Ils t’ont pas épargné, hein !, lâche un ami des parents de Hedi, de passage au restaurant, en voyant l’ampleur de ses blessures. Le jeune homme prend soin de saluer toutes celles et ceux qui viennent prendre de ses nouvelles. « Comment ça va ? », interroge-t-il à plusieurs reprises. « C’est à toi qu’il faut demander ça », répondent un à un les visiteurs et visiteuses.
Sur la table en face de lui est posé le casque qu’il est supposé porter pour protéger sa tête d’un éventuel choc. « À ce jour, il lui manque toujours une partie de sa boîte crânienne, donc c’est très fragile », précise sa mère. En retirant ses bandages, Hedi laisse entrevoir une cicatrice formant un arc de cercle, depuis le front jusqu’à l’arrière de l’oreille. Il aura fallu 50 agrafes.
« La police est censée nous protéger »
Depuis le drame, le jeune homme est très affaibli. D’anciennes photos d’identité laissées sur la table montrent qu’il a perdu beaucoup de poids. « Je n’arrive plus à manger, j’ai encore de fortes douleurs », regrette cet assistant de direction dans l’hôtellerie-restauration. Il n’a qu’une crainte : ne plus pouvoir exercer son métier. « Mon employeur est très compréhensif pour l’instant, mais même si je reprends un jour, je refuse d’être un “poids” pour l’entreprise. »
À sa sortie de l’hôpital, il devait rejoindre une maison de rééducation à Avignon, mais la famille a refusé. « Avec tout ce qu’il a vécu, on refuse qu’il soit loin de nous », explique Leila, qui lui a trouvé une autre maison de repos tout près d’ici. Avant de l’intégrer, Hedi devait subir une opération de la mâchoire ce mercredi.
S’il témoigne aujourd’hui (après avoir livré son récit à La Provence, une semaine après les faits), c’est « pour les autres ». « On ne veut pas que ce genre de choses se reproduise. » Hedi, qui n’a pas de casier judiciaire, dit être déjà tombé sur des « cow-boys » par le passé, mais jamais sur des « gars aussi violents », capables de « te laisser pour mort dans une méchanceté gratuite ». Il y voit le signe d’un « problème dans la police ». « Quand il y en a un ou deux, OK. Mais quand sur une équipe de quatre ou cinq, tu vois qu’ils sont tous pourris, c’est grave. Ça veut dire que c’est clair et assumé. »
Et sa mère de compléter : « La police est censée nous protéger. Comment il va vivre avec ce traumatisme maintenant, lui ? S’il se fait contrôler en voiture demain, est-ce qu’ils ne vont pas lui en mettre une ? » La famille veut garder confiance en la justice. Elle est soutenue par l’Association d’aide aux victimes, qui leur signifie depuis le départ que les soins de Hedi sont pris en charge à 100 %. Mais le jeune homme n’a toujours pas récupéré ses effets personnels, placés sous scellés dans le cadre de l’enquête. « Il n’a donc pas de carte Vitale, et je dois avouer que l’aspect financier nous inquiète beaucoup », conclut sa mère.
Nejma Brahim, Pascale Pascariello et Camille Polloni
La police française exhibe une arrogance de caste supérieure intouchable. D. R.
Depuis plusieurs années, face à une crise profonde et multidimensionnelle, la bourgeoisie française, de plus en plus honnie et contestée, pour pérenniser son pouvoir fragilisé par les récurrents soulèvements populaires subversifs, s’appuie exclusivement sur la police afin de défendre l’ordre établi. Dans une société privée de structures de socialisation et de médiation traditionnelles dorénavant inopérantes, notamment la famille, l’éducation nationale, les organisations politiques et syndicales, pour assurer une factice cohésion sociale, autrement dit la reproduction des rapports sociaux d’exploitation et d’oppression, la police est devenue le dernier rempart de la bourgeoisie française en déclin.
Une police transformée progressivement en milice œuvrant au service exclusif de la classe dominante. Pis. Une police nationale métamorphosée en «sbires politiques privatisés» chargés de la répression de tous les mouvements de contestation sociale et du musellement de la dissidence à caractère politique, sociale ou écologique. Chargés de la protection des quartiers bourgeois. De là s’explique l’abandon des quartiers populaires, livrés à la violence et à la délinquance, faute de police, convertie en milice mobilisée dorénavant au service des classes dirigeantes pour réprimer brutalement les manifestations, protéger furieusement les institutions étatiques moribondes et les résidences des possédants.
En quelque sorte, une «milice Wagner» intérieure. Pour rappel, le groupe Wagner est une organisation paramilitaire russe qui œuvre dans le but d’assurer la défense des intérêts extérieurs de la Russie. La «milice Wagner» française peut être qualifiée d’une structure quasi militaire (vu son équipement et ses techniques d’intervention musclée) œuvrant dans le dessein d’assurer la défense des intérêts intérieurs de la classe dominante.
Au demeurant, en France, ces dernières années, dans cette ère du vide marquée par l’anomie, l’Etat, confronté à la perte d’autorité, ne cesse de demander à la police de pallier par la répression les carences de socialisation. Voire, faute d’instances de médiation, d’incarner l’Etat dans certains quartiers populaires. Aussi, la police, ce «détachement spécial d’hommes en arme», est devenue de facto un Eat dans l’Etat. Un «Etat» qui a acquis une telle prépondérance au sein de l’Exécutif qu’il a échappé à son autorité. Pis. Il lui dicte et lui impose dorénavant ses volontés. Il parasite et paralyse son action et sa souveraineté. De nos jours, c’est l’unique et dominant corps étatique que la population et les jeunes côtoient dans la violence. Ne détient-il pas le monopole de la violence légitime, comme l’a martelé brutalement Gérard Darmanin.
La police française exhibe une arrogance de caste supérieure intouchable
Cela étant, en France américanisée, par sa dégaine, le policier crâneur contemporain rappelle le cow-boy du Far West, ce franc-tireur qui faisait régner la terreur dans les villes avec son pistolet colt. Il avait surtout la gâchette facile. En France, de nos jours, à peine intégrés dans ce corps de métier surprotégé, les nouvelles recrues adoptent une prestance guindée doublée d’une arrogance de caste supérieure intouchable.
Conscients de la prééminence de leur fonction, renforcée par plusieurs privilèges pécuniaires et prérogatives juridiques, assortis d’une garantie d’impunité pénale, ces policiers sont dorénavant dans la toute-puissance. Voire, eu égard à la délégitimation et de la faiblesse de l’Etat, ils sont persuadés d’être l’unique puissance. Au-dessus de l’Etat. Donc au-dessus des lois.
Consciente que la légitimité et la pérennité du pouvoir reposent sur son unique force répressive, cette police, muée en milice, tend à s’autonomiser. A s’émanciper des règles communes. A s’affranchir de la tutelle étatique. A se soustraire à ses devoirs de fonctionnaires publics pour se comporter en factionnaires des intérêts privés. D’aucuns diront en factieux.
Le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, ne vient-il pas de contester une décision de justice, sans soulever la moindre protestation du gouvernement. Ni encourir la moindre sanction. Tant il représente une institution répressive qui terrorise non seulement la population mais également les ministres et le chef de l’Etat.
«L’exécutif craint-il de recadrer l’institution policière ?» s’interroge le journal Libération. Tout porte à le croire.
Dans une interview accordée au journal Le Parisien, ce chef de la police a estimé qu’un policier n’avait pas à faire l’objet d’une détention provisoire, pourtant mesure légale destinée à faciliter la manifestation de la vérité.
En effet, assuré de sa toute puissance et impunité conférées à sa corporation policière désormais intouchable, il a déclaré sans détour : «Un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a commis des fautes graves.» Il a ajouté qu’il est favorable à la libération de l’agent de la BAC détenu dans le cadre d’une enquête sur des violences policières à Marseille. Pour rappel, soupçonnés d’avoir roué de coups un jeune homme en marge de la révolte des jeunes début juillet, quatre policiers ont été mis en examen. L’un d’eux a été placé en détention provisoire. Une décision qui a suscité aussitôt la colère des syndicats et de la hiérarchie de la police. Suivie d’un mouvement de «mutinerie» au sein des commissariats marseillais pour exiger la libération de l’agent de la BAC. Plusieurs centaines de policiers marseillais se sont mis en arrêt maladie pour exiger sa libération. Quant au syndicat Unité SGP Police FO, il a appelé les policiers sur tout le territoire à se mettre en «code 562», c’est-à-dire à faire la grève du zèle, pour revendiquer des mesures d’impunité élargies. Notamment un «statut spécifique de policier mis en cause ou en examen», mais également «l’anonymisation totale des procédures en début de carrière, des magistrats spécialisés en usage des armes pour les forces de l’ordre».
«Les policiers (sont) entrés en sécession factieuse vis-à-vis de l’autorité républicaine»
En tout cas, depuis l’assassinat de Naël, les pressions et les menaces de mutinerie de la police se multiplient contre toute atteinte à l’impunité policière.
L'ONU a demandé vendredi à la France de se pencher sérieusement sur les problèmes de racisme et de discrimination raciale au sein de ses forces de l'ordre, trois jours après la mort d'un adolescent tué par un policier.
Publié le 30-06-2023 à 12h09 - Mis à jour le 30-06-2023 à 13h08
"C'est le moment pour le pays de s'attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l'ordre", a déclaré Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, lors du point de presse régulier de l'ONU à Genève (Suisse).Nahel, 17 ans, a été tué mardi au volant d'une voiture lors d'un contrôle routier mené par deux motards de la police près de Paris.
Après trois nuits d'émeutes un peu partout en France qui ont fait d'importants dégâts matériels, "nous appelons les autorités à garantir que le recours à la force par la police pour s'attaquer aux éléments violents lors des manifestations respecte toujours les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de non-discrimination, de précaution et de responsabilité", a souligné la porte-parole.
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Mme Shamdasani s'est également dite préoccupée par les violences qui ont éclaté après la mort de ce jeune homme.
"Nous comprenons qu'il y a eu beaucoup de pillages et de violences, par certains éléments qui utilisent les manifestations à ces fins, et qu'il y a eu un grand nombre de policiers qui ont également été blessés", a-t-elle dit.
Elle a souligné que c'est justement pour cette raison que "nous demandons à toutes les autorités de veiller à ce que, même s'il y a clairement des éléments violents dans les manifestations, il est crucial que la police respecte à tout moment les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de non-discrimination, de précaution et de responsabilité."
Les forces de l'ordre françaises ont procédé à 667 arrestations dans la nuit de jeudi à vendredi et au total, 249 policiers et gendarmes ont été blessés, selon les chiffres officiels.
Agence
Publié le 30-06-2023 à 12h09 - Mis à jour le 30-06-2023 à 13h08
Hedi, blessé par des policiers à Marseille, livre un témoignage bouleversant :
« Une partie de moi n’y croit toujours pas »
Un témoignage bouleversant. Touché par un tir de LBD à Marseille puis violemment frappé par des policiers dans la nuit du 1er au 2 juillet, Hedi, 21 ans, se retrouve aujourd’hui défiguré. Alors que quatre policiers de la brigade anticriminalité (BAC) de la cité phocéenne ont été mis en examen pour violences en réunion pour ces faits – l’un d’entre eux a été placé en détention provisoire, provoquant par la même occasion un mouvement de fronde au sein de la police –, le jeune homme s’est exprimé sur son traumatisme dans une interview diffusée par Konbini ce mercredi 26 juillet.
Lorsque Hedi fait la rencontre de ses agresseurs, il participe à la « fête des terrasses » à Marseille. Mais ce même soir, les émeutes liées à la mort du jeune Nahel à Nanterre battent leur plein. Des émeutes auxquelles il assure ne pas avoir participé. Au cours de la soirée, il raconte avoir croisé un équipage de la BAC et avoir été la cible d’un tir de LBD. « J’ai reçu un impact dans la tête, au début je savais pas ce que c’était, narre-t-il. Je suis tombé au sol et quand j’ai voulu me relever, on m’a traîné dans un petit coin où il faisait tout noir et de là on a commencé à me frapper ».
Un morceau de crâne en moins
Immobilisé, il est alors roué de coups de poing et de matraques et se fait « casser la mâchoire ». « À aucun moment on ne m’a demandé mes papiers, ni ce que je faisais là. J’essayais de leur dire qu’ils pouvaient me fouiller, que je n’avais rien de dangereux. Mais ils ne voulaient rien savoir », assure Hedi. Lorsqu’il parvient à se relever, le jeune homme se réfugie dans une épicerie. « J’ai voulu me toucher la tête mais je n’ai pas senti mon crâne. » Il est transporté à l’hôpital, où il restera « dans le coma jusqu’au lendemain, 17-18 heures ».
Victime d’un trauma crânien, Hedi passe alors une semaine en réanimation, puis deux dans un service de neurochirurgie. Après deux opérations, les médecins lui retirent un morceau de crâne, qu’ils referment ensuite à l’aide de « 65 agrafes ».
« Je sais que je n’aurai plus la même vie qu’avant »
À son réveil, son visage n’est plus le même : « Des fois, je me dis que je vais me réveiller, mais en fait je me réveille toujours avec la tête déformée, avec ces migraines, avec cet œil flou », raconte-t-il à Konbini. « Je me suis regardé une fois à l’hôpital par curiosité mais c’était trop, quand tu vois que ton crâne il est plus comme avant, c’est super dur à supporter », ajoute Hedi, qui indique se déplacer et s’exprimer plus lentement qu’auparavant.
« Je sais que je n’aurai plus la même vie qu’avant, mais ma vie d’avant elle était bien, par rapport à celle-ci », regrette-t-il. Le jeune homme espère pouvoir être opéré dans les semaines à venir pour voir son « volet crânien » restauré.
Sur les réseaux sociaux, de nombreuses personnalités politiques, principalement issues de la gauche, ont réagi au témoignage d’Hedi. « Le président n’avait plus assez d’émotion pour Nahel ou Hedi. Pourtant son visage et son témoignage ne devraient laisser personne indifférent », a ainsi dénoncé le Premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure. « Comment un Président, un ministre, un responsable de la police républicaine, peut rester indifférent à ce que dit Hedi, à ce qu’il a subi ? », s’est interrogé quant à lui le sénateur socialiste David Assouline. « Sidération. Consternation. Courage Hedi », a pour sa part écrit le député Insoumis François Ruffin, s’étonnant que le jeune homme n’ait reçu aucune excuse de l’État.
Les quatre fonctionnaires soupçonnés de l’agression, deux membres de la BAC sud et deux de la BAC centre, ont été mis en examen en fin de semaine dernière pour violences en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique avec usage ou menace d’une arme ayant entraîné une ITT (incapacité totale de travail) supérieure à 8 jours. La mise en examen de ces quatre policiers marseillais, mais surtout le placement en détention provisoire de l’un d’eux, comme le policier qui avait tué Nahel à Nanterre le 27 juin, a suscité l’ire des syndicats et provoqué un mouvement de fronde au sein de la police nationale.
Par micheldandelot1 dans le 27 Juillet 2023 à 11:53
Quand on est racisé·e dans ce pays, on naît en apnée, on vit en apnée et on risque de mourir étouffé·e. La violence des mots, de la répression, du rejet que l’on subit en France est devenue intenable.
Je ne vis plus tranquillement depuis qu’un policier a mis une balle dans le thorax de Nahel, un enfant de 17 ans, arabe et habitant dans un quartier populaire de Nanterre.
Quand on est arabes et noir·es, racisé·es dans ce pays, on naît en apnée, on vit en apnée et on risque de mourir étouffé·e. Je suis tellement en colère que même les gens heureux m’agacent ces jours-ci. Comment peux-tu vivre heureux dans un pays qui suinte le racisme par tous ses pores ? Qui tue, qui justifie, qui punit ses enfants qui osent se lever contre l’injustice ? Ce n’est pas le premier et pourtant cet homicide-là, et tout ce qui a suivi, nous marquera durablement.
Le policier qui a tué a été soutenu financièrement par le ministre de l’intérieur, qui lui a permis de maintenir son salaire. Des Français·es, comme celles et ceux qu’on croise tous les jours, et des bourgeois·es gêné·es par quelques milliers d’euros en trop sur leurs comptes, ont nourri une caisse de soutien de plus d’un million d’euros. Une fille avec qui j’étais au lycée et que j’aimais beaucoup a partagé la cagnotte pour le policier sur Facebook. Ceux qui pensent qu’on peut de cette manière ôter la vie d’un jeune homme de 17 ans sont partout autour de nous. C’est aussi des gens bien, comme cette poignée de profs de mon ancien lycée qui estiment que, quand même, ce petit Nahel l’avait peut-être un peu cherché.
Que faire avec toute cette colère ?
Quand de jeunes gens de quartiers populaires, qui auraient pu être Nahel, ont dit leur colère dans le feu et le fracas, ils ont été envoyés, fissa, en comparution immédiate. Prison, prison, prison.
Quand des familles de victimes de violences policières, comme la famille Traoré, ont voulu marcher et se recueillir, l’État les en a empêchées par deux fois. Le 8 juillet 2023, elles ont marché quand même, à Paris, et en hommage à Adama Traoré comme elles le font chaque année depuis sept ans. Cela a valu à la sœur Assa une procédure judiciaire par la préfecture de Paris. Cela a valu au frère Yssoufou une arrestation d’une violence inouïe, à tel point qu’une enquête pour « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique » a été ouverte. Peu importe les raisons pour lesquelles ils l’ont arrêté, la violence de l’arrestation m’a retourné le ventre.
J’étais dans le train, il y a deux jours, quand j’ai entendu le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, qui s’est si longtemps drapé dans son combat contre l’extrême droite, inviter le Rassemblement national à saisir la justice contre les élu·es de gauche qui avaient marché aux côtés de la famille Traoré, malgré l’interdiction préfectorale. Ce n’est pas que j’accorde un quelconque crédit politique à Éric Dupond-Moretti mais qu’on en soit rendus là m’a scotchée. Je ne pleure pas facilement (à part devant des films), mais j’ai eu subitement très envie de pleurer devant l’abîme. Que vais-je donc faire avec toute cette colère ? Peut-être me mettre enfin au sport, peut-être aller dehors crier, peut-être tout dire dans un billet de blog, et puis quoi après ? Peut-être quitter ce pays.
Je me suis dit, quelque part entre Nîmes-Gare et Nîmes-Centre, que le fascisme, on ne s’y rend pas, on y est déjà. Ils peuvent faire pire, ils ont de la marge dans l’ignoble, mais on y est.
À ce moment-là, tout s’est mélangé dans mon esprit : le contrôle des corps des jeunes lycéennes musulmanes, les petits qui jouent à la prière dans la cour et contre qui on lâche l’appareil d’État, tous ces jeunes gens morts de violences policières, ceux légitimement en colère qu’on envoie au trou, le RN qui passe pour timoré à côté de la droite classique, le sort réservé aux migrant·es en France, en Tunisie, en mer, ailleurs, la déliquescence d’une partie de la gauche sur ces questions… L’impression d’être toujours seul·es, face à une violence qui nous dépasse.
Pas avare en provocations, ce mercredi, le ministre de l’intérieur a annoncé qu’il demandait l’interdiction de la manifestation contre les violences policières qui doit se tenir en fin de semaine. Encore. Je compte m’y rendre pour crier avec les autres, mais je me demande si on n’a pas déjà perdu.
C’est qui, la racaille ?
Désormais, les habitant·es des quartiers populaires qui ont vu l’un de leurs enfants mourir en direct, qui ont vu leurs voitures et leurs mobiliers urbains partir en fumée, sont puni·es une troisième fois. Plus de transports le soir et tant pis pour les darons qui s’en servent pour revenir du travail. Plus d’activités estivales au Blanc-Mesnil : sur l’affiche de « Beach Mesnil », on peut lire : « Annulé, les économies réalisées permettront de repérer les dégâts commis par les émeutiers. » Le sénateur Les Républicains Thierry Meignen, maire du Blanc-Mesnil avant de céder sa place pour ne pas cumuler, a jugé nécessaire d’ajouter l’insulte à la punition collective : « J’en ai marre de cette poignée de petits connards qui ne sont pas tenus par leurs parents ! »
Par ailleurs, la punition collective n’est pas circonscrite au Blanc-Mesnil, elle devient règle nationale puisque l’extrême droite et la droite (dont Renaissance) réfléchissent à la manière de punir financièrement les familles des jeunes révolté·es. « Il faudrait qu’à la première infraction, on arrive à sanctionner financièrement et facilement les familles », a lancé, toute honte bue, le président de la République, qui s’enferme dans une pratique du pouvoir toujours plus autoritaire, méconnaissant l’individualisation des peines qui vaut dans la justice française.
Et de notre côté, on souffle, on s’inquiète, on ne parle plus que de ça, on s’imagine partir dans un autre pays quand on voit qu’un sénateur de droite – BRUNO RETAILLEAU – peut dire en tout décontraction que les « émeutes » procèdent d’une « régression vers les origines ethniques » sur un plateau de télévision sans être repris, sans être exclu de son groupe, sans qu’aucune conséquence d’aucune sorte ne punisse ce racisme décomplexé. C’est la ligne.
Il n’est pas le seul. Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice LR elle aussi, a versé dans le même registre, sans que cela ne lui soit reproché : « Vous allez me dire : la plupart des gens qui sont arrêtés sont français, d’accord, mais ça ne veut plus rien dire aujourd’hui. Ils sont comment français ? » Elle le répète, avec de grands gestes de politicienne pour appuyer ses inepties, arguant que ces « enfants d’immigrés » ont « la haine de la France ».
Effectivement, si j’étais une jeune fille de Saint-Gratien (Val-d’Oise), la ville dont elle a été maire et sur laquelle elle exerce toujours un pouvoir certain, j’aurais probablement la haine. La même a mené localement une guerre contre les quartiers populaires sans précédent, comme le racontait Streetpress en 2020. Le quartier des Raguenets s’était mobilisé tout entier contre la destruction du mini-stade de foot synthétique du coin… une destruction notamment portée par la sénatrice, la mairie, et soutenue par l’extrême droite. Ils ont détruit le mobilier urbain de leur propre ville, justifiant la chose par des « règles sanitaires non respectées », des tournois clandestins et des « nuisances pour les habitants car ce terrain synthétique est enclavé et n’a jamais été conçu pour y recevoir du public ».
La sénatrice n’avait pas supporté, l’année d’auparavant, l’organisation d’une grande CAN des quartiers qui prenait notamment place sur le petit terrain. De jeunes gens racisé·es et issu·es des quartiers populaires qui s’amusent dans sa commune, ça avait tellement agacé la mairie qu’elle avait posé des blocs de béton en plein milieu du tournoi. C’est toujours la même élue qui qualifiait les jeunes de Saint-Gratien de « racailles » et qui approuvait l’idée d’envoyer une milice « leur casser les dents ». C’est qui, la racaille ?
Les élus qui mettent de l’huile sur le feu ces derniers jours le font à dessein, dans un combat idéologique et civilisationnel qu’ils mènent contre nous depuis des années. Ils ne veulent plus de nos gueules de métèques ici, ils nous le font comprendre. Partir serait leur donner raison mais rester à quel prix ? Et puis pour partir où ?
Pendant que le cirque médiatique bat son plein, dépassant toujours les limites de la décence, que des élus nous piétinent de leur violence, des jeunes gens dorment en prison pour avoir usé du seul moyen d’expression qu’on leur laisse.
« [Les autorités] n’attendent de nous que le crachat, le crachat et la violence, car [elles] ne peuvent pas nous imaginer autrement »
On a vu, inquiet·ètes, l’avenir de ces centaines de jeunes gens être brisé par la volonté de mater la révolte par une violence nouvelle. J’ai 26 ans et je suis du côté des journalistes qui couvrent l’événement, mais dix ans plus tôt, j’aurais tout à fait pu être l’une de ces jeunes gens qui veulent rendre les coups… Peut-être qu’en cachette j’aurais pris un bus jusqu’à Perpignan pour lancer une pierre ou deux. Même bêtement, même par le feu, même si ce qui part en fumée se trouve juste en bas de chez moi. J’avais la même rage dans le ventre et j’aurais pu faire la même chose, obsédée par deux seules questions : que vaut une vitrine cassée, un abribus brûlé, à côté de la vie de l’un des nôtres ? Et puisqu’on ne nous prête de l’attention que quand on se montre violent·es, pourquoi rester sages et se condamner à rester inécouté·es ?
Tout cela me fait penser à un texte d’un metteur en scène un peu fou, Lazare, qui avait accepté de donner des cours à des élèves éloigné·es du théâtre sans qu’ils ou elles ne déboursent un euro. J’étais l’une d’entre eux. Dans ce texte, il disait à propos du rapport des autorités aux jeunes gens racisé·es qu’elles « n’attendent de nous que le crachat, le crachat et la violence, car [elles] ne peuvent pas nous imaginer autrement ». Je trouvais cette phrase si juste que je l’ai relue plusieurs fois depuis. Et je l’ai dite à un tas de gens. Elle me revient ces temps-ci. Il y a quelques jours, j’ai rencontré Farid lors d’un reportage, il me rapportait cette phrase que lui avait dite un jour un jeune qu’il suivait en tant qu’éducateur de rue : « On nous traite comme des animaux, on se révolte comme des sauvages. »
Dans le groupe Facebook de ma famille, après la mort de Nahel, ma tante a prédit des « émeutes », mon oncle a répondu « et c’est tant mieux ». Certains d’entre eux ont en mémoire des morts et des traumatismes anciens. C’est ça, la vie des Arabes en France, des Noirs, des racisé·es, de toutes celles et ceux qui retiennent leur respiration en passant à côté d’un policier.
Douce France, beau pays de mon enfance
Dix ans avant ma naissance, Malik Oussekine a été matraqué à mort par deux policiers. C’était en 1986, mon père vivait encore en Algérie, enseignait la langue des colons à des enfants encore traumatisé·es par la violence française. Il n’avait pas eu le choix : il était enfant de pauvres dans un village de pauvres, le nouvel État algérien avait choisi pour lui sa carrière. Mon père et ma mère connaissent le sort qui a été réservé à Malik Oussekine, et s’en souviennent. Mon père, qui ne regarde que des documentaires animaliers et des vidéos sur Facebook, m’a demandé récemment de le mettre devant la série qui a été consacrée au sort de ce jeune homme de 22 ans.
Ils savent que c’est notre histoire aussi. C’est la même police française qui, dans ses heures coloniales, a tenu mon grand-père en joug, l’a enfermé, a usé de la gégène sur le corps d’enfant de ma grand-tante, etc.
Mes parents se sont rencontrés dans les Pyrénées-Orientales, un an après qu’Aïssa Ihich est mort d’un malaise cardiaque en garde à vue, en 1991. Son nom a été oublié depuis, je ne pense pas que mes parents le connaissent. Sandrine Rousseau l’a fait vivre quelques instants à l’Assemblée nationale il y a deux jours, le ministre de l’intérieur a soufflé et détourné le regard. La violence s’ajoute à la violence, et la nausée revient.
En 1991, le maire de Perpignan, c’était Paul Alduy, un ancien résistant, un socialiste qui avait trahi en se rapprochant des gaullistes. Il est resté maire 34 ans, a enfanté et a fait de son fils, Jean-Paul Alduy, le maire d’après. De droite, bien bien de droite. La droite perpignanaise, déjà affreusement proche des idées d’extrême droite et nostalgique de l’Algérie française, a depuis laissé sa place au Front national, Louis Aliot ayant pris la tête de la ville depuis 2020. Ça fait trois ans que quand je rentre chez moi, j’évite le plus possible de mettre les pieds à Perpignan, ville où l’on fleurit chaque année une stèle en hommage aux terroristes de l’OAS. Le maire veut désormais installer une esplanade au nom de l’ancien chef de l’OAS après avoir inauguré, en 2022, un square au nom d’un député de l’Algérie française, proche de Jean-Marie Le Pen. Les gens de chez moi, qui partagent mon accent et l’amour des bunyettes, votent à l’extrême droite à presque chaque élection et n’hésitent plus à te cracher leur racisme au visage. Heureux comme des Algériens en France.
J’avais déjà six ans – et un tas de bêtises derrière moi – quand les deux policiers responsables de la mort d’Aïssa Ihich ont été reconnus coupables de violences aggravées. Quelques mois de sursis et puis s’en va. C’est à peu près à cet âge-là que mes parents ont fait comprendre à ma sœur et moi qu’il fallait qu’on soit des petites filles sages, plus sages que les autres parce qu’on est « chez eux ». Ils me le disent encore parfois quand je m’emporte dans des tirades antiracistes. Ma mère s’inquiète aussi du sort que les policiers pourraient réserver à une jeune journaliste venue couvrir les manifestations, puisqu’elle sait comme je sais que pour eux, nous ne sommes que des Arabes comme les autres.
Depuis le drame du 27 juin 2023, c’est sans se cacher que des confrères, des consœurs et des élu·es nous crachent tous les jours dessus. En plus de cette horde de gens anonymes sur les réseaux sociaux : on ne m’a jamais autant traitée de sale Arabe que ces derniers jours. Mon amoureux filtre mes notifications Twitter quand je dors, pour que je ne puisse voir que les interactions des gens que je suis, mais dans une démarche malsaine, je remets souvent les notifications parce que je veux savoir. Je n’écris pas pour me plaindre, j’écris parce qu’il fallait un lieu pour déverser un peu de ma colère, et je l’ai trouvé ici, à défaut de faire du sport. Avec autant de rancœur, on ne respire pas bien.
Dans un très juste billet du Bondy Blog, « Heureux comme un Arabe en France », mon confrère Ayoub Simour pose la question : « Comment se construit-on dans ce contexte où l’on se fait constamment cracher dessus ? » Il pense à son petit frère, 8 ans, qui reconnaît dans le visage de Zemmour celui d’un raciste, quand nos responsables politiques peinent encore à qualifier CNews pour la chaîne qu’elle est : d’extrême droite. Quand l’un, moins aveugle que les autres, se risque à mettre des mots sur la réalité, il est lâché par tous les autres.
J’ai honte de ce qu’est devenu ce pays pour le petit frère d’Ayoub et pour ma petite sœur à moi, Asma. Elle vient d’avoir son bac, brillamment. Elle est en colère, comme moi, mais ne se trimballe pas de manifestation en assemblée générale comme je le faisais à son âge. Il y a quelques mois, elle s’est levée contre l’injustice : elle a défendu l’une de ses camarades de classe venue en abaya et exclue de cours pour cela. Avec une autre de leurs copines, arborant une Vierge Marie autour du cou et dénonçant le deux poids deux mesures puisqu’elle n’avait jamais été inquiétée à ce sujet, elles ont toutes les trois atterri dans le bureau de la proviseure. Asma a défendu le droit de sa camarade de classe à venir avec une robe large, arguant que ce n’était pas un signe religieux et que la démarche du professeur était discriminante.
De son côté, la proviseure répétait les éléments de langage qu’on entend depuis des semaines sur les chaînes de télévision nourrissant la haine. Je connais ma sœur, elle devait trembler comme une feuille mais elle a tenu, et c’est peut-être la seule chose qui me réjouit dans toute cette affaire. Son portable a sonné au milieu de la brimade, c’était l’appel à la prière qu’elle avait oublié de mettre en silencieux. D’un geste d’autorité, la proviseure a exigé de ma petite sœur qu’elle supprime l’application de son portable. La laïcité appliquée à l’intime, jusqu’aux portables des jeunes filles musulmanes dont il ne faut pas seulement contrôler l’habit mais aussi l’iPhone. Elle s’est exécutée, de peur de représailles trop importantes sur sa scolarité. Quand elle m’a raconté tout ça, le feu de la haine a consumé ce qu’il me restait d’espoir dans ce pays.
J’ai cherché une issue positive à ce texte, mais je n’ai pas trouvé. Je ne vois, dans cet océan de racisme et d’autoritarisme, rien de positif. Comme le dit la rappeuse Casey,« des fois, c’est un crachat dans ta gueule que j’ai envie d’envoyer pour que tu comprennes ».
policières : la société française et son « trou de mémoire » postcolonial
Pendant la dizaine d’années qui a suivi la fin de la guerre d’Algérie, l’extrême droite et le racisme qui la caractérise se sont trouvés affaiblis et marginalisés. Mais, dès 1973, les difficultés économiques de la France leur ont donné l’occasion de réapparaître au grand jour et de croître. Le roman policier de Dominique Manotti, Marseille 73, porte sur ce moment de résurgence meurtrière, évacué de notre mémoire collective et qui n’a guère fait l’objet que du livre d’un journaliste italien, Fausto Giudice, Arabicides. Une chronique française 1970-1991 (1992). Ce polar est d’une étonnante actualité, après l’essor continu de l’extrême droite, souvent encouragé par les pouvoirs successifs dans les premières décennies du XXIe siècle, et alors que des pans entiers de la police et la gendarmerie françaises ont fait l’objet, dans cette période, d’une prise de contrôle croissante par la droite extrême.
Marseille 73. Une histoire française, de Dominique Manotti. (Les Arènes, 2020)
La France connaît une série d’assassinats ciblés sur des Arabes, surtout des Algériens. On les tire à vue, on leur fracasse le crâne. En six mois, plus de cinquante d’entre eux sont abattus, dont une vingtaine à Marseille, épicentre du terrorisme raciste. C’est l’histoire vraie.
Onze ans après la fin de la guerre d’Algérie, les nervis de l’OAS ont été amnistiés, beaucoup sont intégrés dans l’appareil d’État et dans la police, le Front national vient à peine d’éclore. Des revanchards appellent à plastiquer les mosquées, les bistrots, les commerces arabes.
C’est le décor.
Le jeune commissaire Daquin, vingt-sept ans, a été fraîchement nommé à l’Évêché, l’hôtel de police de Marseille, lieu de toutes les compromissions, où tout se sait et rien ne sort. C’est notre héros.
Tout est prêt pour la tragédie, menée de main de maître par Dominique Manotti, avec cette écriture sèche, documentée et implacable qui a fait sa renommée. Un roman noir d’anthologie à mettre entre toutes les mains, pour ne pas oublier.
Littérature. Dominique Manotti : «La guerre
d’Algérie hante la société française»
La porosité entre le légal et l’illégal passionne la romancière, qui poursuit la voie escarpée du polar politique en entraînant son héros récurrent, le commissaire Daquin, dans le Marseille de 1973 gangrené par l’influence de l’extrême droite. Entretien.
Credit: Ulf Andersen / Aurimages/afp
Pourquoi le fantôme de la guerre d’Algérie hante-t-il
continuellement le roman?
Dominique Manotti : La guerre d’Algérie correspond au début de mon militantisme et de ma prise de conscience. J’avais 17 ans et pendant ces deux premières années, j’ai milité autant que j’ai pu. Comme beaucoup d’historiens, je pense que la guerre d’Algérie a marqué plus profondément la société française que la guerre de 1940. Elle marque la fin de 130 ans d’histoire coloniale où s’est enracinée une mentalité profondément raciste dans ce qu’on appelle les valeurs républicaines. L’effondrement de la réalité de la domination coloniale a enlevé l’escabeau sur lequel nous étions assis. Le colonialisme n’est plus un système actif de richesse, mais un souvenir extrêmement marquant. Le racisme anti-arabe est aujourd’hui l’héritage de cela. Dans les années 1990, lorsque j’étais prof en Seine-Saint-Denis, les flics appelaient les jeunes Beurs les Fellaghas. Je n’y avais pas fait attention à l’époque de la guerre mais quand les Français parlaient des Algériens, puisque, pour eux, ils n’existaient pas en tant que peuple, ils disaient les musulmans. Notre République laïque les a confinés dans leur religion.
Que raconte votre roman de la collusion entre les différents
pouvoirs à Marseille, dans un agenda dicté
par l’extrême droite?
Dominique Manotti Au départ, Defferre (maire de la cité phocéenne de 1953 à 1986 – NDLR) n’était pas favorable à l’arrivée des pieds-noirs à Marseille. Il a tout fait pour les en empêcher. Si une certaine droite, comme celle de Giscard et de Poniatowski, sympathisait avec l’OAS et s’est clairement engagée sur les thèmes de l’Algérie française et de l’extrême droite, ce n’est pas son cas. Mais, une fois que les pieds-noirs ont été là, Defferre a pratiqué le clientélisme électoral en subventionnant leurs associations et en rachetant « le Méridional ». Le cas de la police marseillaise est complexe. J’ai utilisé un commissaire parisien pour avoir un regard extérieur. La fin de la guerre d’Algérie, c’est aussi le rapatriement de tous les soldats de métier et des policiers, réintégrés dans les corps de fonctionnaires en France. À Marseille, il y avait beaucoup de flics pieds-noirs qui ont voulu être en position de force. D’où une phase de liquidation des Corses dans la police. À l’époque, la police ne recherche pas les assassins d’Algériens parce qu’ils savent que la population est avec eux. Quant à la justice, elle n’en a rien à foutre. J’ai trouvé dans les archives un procureur qui essaie de faire un peu mieux que les autres. Mais, à l’époque, seule l’extrême gauche se battait contre les assassinats d’Algériens.
Marseille 73. La guerre d’après
Le Front national, qui vient d’être créé, n’est encore qu’un groupuscule. Et pourtant la lepénisation des esprits bat son plein à Marseille. Il ne fait pas bon être arabe lors de cet été 1973. La guerre d’Algérie n’est pas finie pour tout le monde. Lorsque Malek Khider, 16 ans, est assassiné, l’improbable et récurrente thèse du règlement de comptes est avancée pour étouffer le meurtre. Mais Daquin, jeune commissaire parisien de 27 ans dont c’est le premier poste, ne se satisfait pas de ce mensonge. Le frère de la victime non plus. Avec une écriture incisive, Dominique Manotti éclaire les coins inexplorés de notre histoire postcoloniale en convoquant les polices marseillaises, les pieds-noirs de l’union des Français repliés d’Algérie, proche de l’OAS, le syndicat des travailleurs algériens, la justice et les médias qui ne se privent pas d’attiser le racisme. Ce beau roman, en prise avec le réel, résonne puissamment, à l’heure où des millions de manifestants demandent à la police de faire peau neuve, afin que les forces de l’ordre deviennent enfin gardiens de la paix.
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