Acteur de légende et première star noire d’Hollywood, Sidney Poitier est mort à 94 ans, a annoncé vendredi le vice-Premier ministre des Bahamas, où l’acteur a grandi.
« Nous avons perdu une icône, un héros, un mentor, un combattant, et un trésor national », a écrit le vice-Premier ministre Chester Cooper sur sa page Facebook à propos de l’acteur de La Chaîne ou encore de Dans la chaleur de la nuit, sans mentionner la cause de son décès.
Né prématuré à Miami, en Floride, le 20 février 1927, à l’occasion d’un déplacement de ses parents venus des Bahamas voisines, Sidney Poitier obtient ainsi la double nationalité américaine et bahaméenne.
En 1964, il est le premier Afro-Américain à remporter l’Oscar du meilleur acteur pour Le Lys des champs. « Le voyage a été long pour en arriver là », lançait-il très ému, en recevant la statuette dorée.
Grâce à ses rôles, le public a pu concevoir que des Afro-Américains pouvaient être médecin (« La porte s’ouvre » – 1950) , ingénieur, professeur (« Les anges aux poings serrés » – 1967), ou encore policier (« Dans la chaleur de la nuit » – 1967).
« Les espoirs de tout un peuple »
Mais à 37 ans, lorsque l’acteur au sourire incandescent reçoit son Oscar, il est la seule star de couleur à Hollywood. « L’industrie cinématographique n’était pas encore prête à élever plus d’une personnalité issue des minorités au rang de vedette », décryptait-il dans son autobiographie This Life.
« À l’époque,(…) j’endossais les espoirs de tout un peuple. Je n’avais aucun contrôle sur les contenus des films (…) mais je pouvais refuser un rôle, ce que je fis de nombreuses fois ».
Dans Devine qui vient dîner ? en 1967, il campe le fiancé d’une jeune bourgeoise blanche le présentant à ses parents, un couple d’intellectuels qui se croient ouverts d’esprit. La rencontre est un choc, et donne un film majeur sur le racisme de l’époque.
Les militants de la cause noire critiquent cependant âprement Sidney Poitier pour avoir accepté ce rôle de médecin de renommée internationale, aux antipodes des discriminations dont souffrent ses pairs. Il est désigné comme le « Nègre de service », « fantasme de blanc ». Ses qualités irréelles de gendre idéal masquent sa négritude et les problèmes racistes, estiment-ils.
En 2002 Sidney Poitier recevait un Oscar d’honneur pour « ses performances extraordinaires, sa dignité, son style et son intelligence ».
Comment racketter un empire entier, une grande puissance et lui soutirer d’énormes sommes d’argent avant de le faire fuir de la jungle indomptée ? Comme pour un personne : par le biais lent de ses croyances et mythes fondateurs. Aller dans le sens de ses désirs, les exciter, les rendre plausibles et réalisables, puis soutenir la conviction qu’il faut une petite participation à l’effort de la réalisation. Une participation de plus en plus grande, jusqu’à ce que le désir de lucidité soit impossible à envisager, douloureux et refusé par le pourvoyeur. On sait tous que l’espoir rend fou les joueurs addicts et les entraîne dans la surenchère contre l’abîme. Le lien à l’actualité ? En Afghanistan, les langues se délient sur la faramineuse facture financière pour “civiliser” un morceau de désert parsemé de mines et d’adversités : les journalistes arrondissent à 1 000 milliards de dollars en deux décennies. Une fable astronomique, un total composé de chiffres et de l’infini, une échelle entre galaxies. De quoi se payer un continent, une conquête de Mars, une invention contre la gravité ou même la semi-immortalité..., etc.
Mais quelles ont été les croyances de l’empire occidental qui l’ont mené au compromis avec la réalité lunaire de ce pays, à la faiblesse, puis au pari affolé et enfin au déni et à la débâcle ? En voici quelques-unes : la démocratie, la possibilité d’exporter la civilisation par conteneurs, l’illusion de la puissance, l’universalisme. L’Occident voulait croire en lui-même, encore plus, en croyant pouvoir rééditer la civilisation, et donc ses croyances ailleurs, sur le rocher du moment zéro, dans un désert absolu. La civilisation ayant besoin de céder (et nourrir) à l’universalisme pour ne pas perdre foi. Et l’empire le paya. Selon des comptes rendus médiatiques, depuis une décennie et plus, des voix alertaient inutilement sur la corruption titanesque qui siphonnait l’aide “civilisatrice” en Afghanistan mais en vain. La lucidité se heurtait, d’un côté, à la vanité du prêcheur et, de l’autre, à la ruse du “partenaire”, du guide indigène, sa méfiance ou, surtout, son profond rejet de la greffe. Des analystes désignent cet effet par l’expression le “Wishful thinking” (posture consistant à prendre ses désirs pour la réalité), lu dans un autre article. L’envie de croire, d’y croire et de payer les factures de l’effet spécial mental.
En d’autres termes ? On ne pouvait pas aller si loin pour revenir les mains vides et les cercueils pleins. Mais surtout, on ne voulait pas déchiffrer le sens réel de cette corruption colossale : plus qu’une envie de richesse facile pour des clients locaux, c’est le symptôme d’un refus profond, d’un rejet du projet, d’un rire sous cape d’une mentalité presque collective. Lire le compte-rendu Les brouillards de la guerre d’Anne Nivat, la journaliste canadienne sur le “front”, permet de tirer mille conclusions : même militarisée à l’extrême, la mission civilisatrice semble encore avoir des airs naïfs d’un touriste trop idiot et trop riche. Ce qui se jouait en Afghanistan, selon certaines conclusions, n’était pas la cupidité contre la naïveté d’ailleurs, mais deux univers dont l’un était une embuscade, une stratégie d’escamotage, une patience infinie devant la corne d’abondance.
On est tenté de croire qu’il ne s’agit même plus de corruption car celle-ci suppose de greffer le prix d’une chose qui existe. Là, il s’agit de racket pur, d’une dîme sur la présence, d’un cachet pour jouer le jeu. C’était un saignement. Et, au fond, de tous les acteurs de ce désert sanguinaire, peut-être seuls les talibans étaient “sincères” : ils voulaient le pays à leur image et non pas donner l’image d’un pays selon les désirs de l’empire.
Le pays, encore si inconnu, malgré les effets de loupe et de serre des médias, est difficile à comprendre et à extraire aux clichés, mais il illustre parfaitement le lien qui prévaut depuis des millénaires entre un empire et ses périphéries clientes ou récalcitrantes : d’un côté, la conversion d’une désir de puissance en désir de “civilisation”, de “romanisation”, de l’autre, un discours de jérémiades et de suppliques et de quémandeurs qui ont conclu que jouer aux convertis de la civilisation est plus rentable que l’effort de construire la civilisation chez soi. Une telle pratique (au-delà des bonnes volontés) est coutumière de l’histoire et des noces entre nations.
À une échelle plus réduite, loin des 1 000 milliards armés ou parachutés en Afghanistan, dans les pays du “Sud”, des pans entiers d’élites autochtones rêvent de recycler ce lien et de l’investir autour des ambassades des puissances, services culturels et autres antennes de fondations et d’ONG. Les donneurs d’ordres et financiers de l’argent occidental le savent, mais ont-ils d’autres choix pour entretenir le canal du dialogue et la fréquentabilité et l’espoir de voir les territoires de la marge se convertir à la civilisation ? Que faire d’autre, sinon payer ou guerroyer ? Un véritable engineering est même développé par des “militants pour la démocratie”, des journalistes, des experts “internationaux”, des “artistes” et des correspondants d’ONG pour vivre de cette “ceinture”, faire vivre leurs proches et descendants. On le sait tous.
Ceux qui payent et ceux qui jouent le jeu de ce versant rentier de la démocratisation. Bien sûr, il reste toujours quelque chose qui aide à croire qu’on va vers un monde meilleur, un effet qui aide à faire émerger des générations et des vocations dans les pays en difficulté, quelque chose qui percole au-delà des faux passeurs et des préleveurs sur cette aide à la civilisation, quelque chose qui donne des fruit, malgré la tendance à l’exil vers l’Occident de ceux qui ont bénéficié de son argent pour aider à recréer la “civilisation” en terres arides, et tout cela permet de garder espoir. Mais parfois, le coût est au-delà des bénéfices et les détournements prennent le dessus sur les buts. Alors, d’autres débâcles seront là à vivre et qui feront désespérer. Dix mille petites chutes de dix mille petits Kaboul ont été, et seront, vécues ça et là.
Des débâcles militaires, culturelles, économiques, de coopérations, d’aide internationales et de dopages de figurants locaux. Parce qu’on a cru trop naïvement, parce qu’on a cru que l’argent soulève des montagnes comme des manteaux légers, parce qu’on a confondu clients et convaincus, parce qu’on a fermé les yeux sur le racket au nom de l’adhésion, parce qu’on a cru aux croyances et parce qu’il le faut. C’est ainsi.
Des dialogues sanglants entre empires et barbaries, culpabilités et victimaires, histoires et héritages, fixeurs et prêcheurs, sang et sueurs, cupidité et arnaques, prêcheurs et saints. Une dialogue à moitié sourd, à moitié aveugle, mais profondément nécessaire entre la “civilisation” sous forme de projection freudienne, et la ruse ou la foi du guide indigène, les deux sous le parasol d’un projet de démocratisation naïve. Nécessaire malgré les échecs et les tarifs ? Oui. Car si le “Wishful thinking” est parfois indépassable ; son contraire, “la lucidité complète, c’est le néant”, écrivait Cioran le magnifique.
e 31 juillet 1972, cet ancien membre des Black Panthers a détourné un avion, et sa vie a basculé.
Extrait de « Libération » du 20 Novembre 1978.
PHOTOGRAPHIE DE DR
Melvin McNair, 73 ans, est une figure bien connue du quartier populaire de la Grâce de Dieu, à Caen. Voilà près de 30 ans que ce médiateur s’affaire à rendre la vie des jeunes du coin un peu moins difficile grâce au sport. Près de 30 ans aussi que ce passionné ne rate aucun match de baseball dans sa ville. Un engagement d’ailleurs si soutenu que le terrain de baseball local porte son nom ainsi que celui de sa femme Jean, depuis 2015.
Mais Melvin McNair a eu une autre vie, bien loin de la Normandie. À 23 ans, ce membre des Black Panthers, mouvement de libération afro-américaine, a détourné un avion reliant Detroit à Miami. Le but : s’évader d’une société américaine raciste, jugée étouffante. Entretien.
Vous avez grandi aux États-Unis pendant la ségrégation. Vous n’aviez pas accès aux mêmes fontaines à eau, écoles, universités, aux mêmes places dans le bus…Quelle est l’injustice la plus marquante de votre enfance ?
Il faut s’imaginer qu’à cette époque, nous vivions dans une sorte de « bulle Noire », avec finalement peu de contact avec les Blancs. Pour nous, leur monde était différent, de l’autre côté d’une barrière. Lorsque j’avais 10 ans, ma mère et ma sœur ont été arrêtées à cause de leur participation à une manifestation pour les droits civiques. Elles ont passé une nuit enfermées. J’ai donc été élevé par des femmes de caractère ! Ma mère, la dernière d’une fratrie de quatorze enfants, nous a éduqués dans les valeurs de solidarité et de partage de l’Église. Notre conscience socio-politique venait de la religion. En 1966, j’ai intégré la faculté de Caroline du Nord avec une bourse grâce à mes très bonnes performances sportives - je jouais au baseball et au football américain. C’est là que j’ai moi-même commencé à manifester. Je bénéficiais d’une certaine influence car j’étais capitaine d’équipe, donc j’avais la responsabilité d’amener les autres étudiants aux manifestations. Le mouvement des droits civiques battait alors son plein. En 1968, Martin Luther King a été assassiné. Nous qui vivions dans notre bulle séparée, nous l’avons vécu comme une agression directe du monde extérieur. J’ai pris part aux émeutes qui ont suivi.
Piscine réservée aux Noirs pendant la ségrégation raciale aux États-Unis.
PHOTOGRAPHIE DE MELVIN & JEAN : AN AMERICAN STORY, RÉALISÉ PAR MAIA WECHSLER
Ensuite, lors de votre service militaire à Berlin, vous continuez à subir le racisme…
Le premier soir de notre arrivée, nous avons vu un jeune militaire afro-américain sur le point d’être attaqué par cinq ou six militaires américains blancs, avant que nous intervenions. Nous avons tout de suite compris que nous n’étions pas les bienvenus. Plus largement, ce fut aussi la première fois de ma vie que j’étais dans un environnement où Noirs et Blancs étaient mêlés. J’ai subi les discriminations de plein fouet. Automatiquement, on me considérait comme inférieur. La ségrégation légale et physique avait pris fin, mais ce n’était pas la fin du racisme. Les mentalités n’ont pas magiquement changé d’une année à l’autre ! À l’armée, je n’avais pas la possibilité d’évoluer alors que j’avais d’excellents résultats. Mais s’il y avait eu une égalité des chances, je serais probablement resté. J’aimais l’action. Je pensais devenir tireur d’élite.
À quel moment vous rapprochez vous des Black Panthers ?
J’ai commencé à résister au sein de l’armée, de manière non violente. Avec d’autres camarades, nous refusions de saluer les officiers ou de se mettre debout lors de l’hymne national. Nous laissions pousser nos afros. Nous portions des bracelets noirs pour marquer notre appartenance au mouvement de libération des Black Panthers. Le tout pour protester à la fois contre le racisme dans l’armée, mais aussi contre une guerre raciste. Celle du Vietnam. Certes, c’était un enfer pour tout le monde, Noirs comme Blancs. Mais pour nous qui subissions le racisme, il y avait encore une autre dimension.C’était une guerre menée contre un autre peuple opprimé. Il fallait voir comment les dirigeants américains qualifiaient les Vietnamiens…Des mots qui étaient l’équivalent de « nègre » pour nous. Malcom X et Martin Luther King s’étaient d’ailleurs publiquement opposés à ce conflit. Quand j’ai appris que l’on allait m’envoyer là-bas, mon fils ainé venait de naître. J’ai refusé.
Manifestation des Black Panthers contre la guerre du Vietnam.
PHOTOGRAPHIE DE MELVIN & JEAN : AN AMERICAN STORY, RÉALISÉ PAR MAIA WECHSLER
Vous allez donc vivre dans la clandestinité..
Oui. Ce choix fut un vrai tournant dans ma vie. Au départ je souhaitais quitter l’armée légalement mais ce n’était pas possible. Si je m’étais rendu, on m’aurait fait un procès et je risquais la prison. Cela dit, j’aurais pu accepter cela. J’en aurais fait un événement politique. Et puis j’aurais ensuite pu continuer ma vie, sans détourner un avion. Car cette action nous condamnera à l’exil. Je regrette de ne pas avoir résisté légalement. Mais j’avais trop de rage en moi. Et je ne voulais pas abandonner ma femme, Jean, et mon fils, Johari. Donc nous sommes allés à Détroit rejoindre des amis de Jean. Nous avons trouvé du travail, mais notre situation était précaire. Nous ne pouvions pas nous joindre aux Black Panthers par crainte de se faire repérer par la police. Ils étaient sous haute surveillance, et nous étions recherchés. Nous ne pouvions pas non plus rester trop longtemps chez ces amis. Et nous vivions toujours dans une société raciste. Un soir, mon ami George Brown s’est fait tirer dessus par plusieurs policiers de la brigade « STRESS » (« Stop the Roberies, Enjoy Safe Street », soit « Arrêter les vols, profitez de rues sûres », ndlr) en sortant du cinéma. Il s’en est sorti, mais il aurait pu y passer. Aujourd’hui avec Black Lives Matter on parle des Noirs tués par la police. George est l’un des survivants. Il a finalement remporté son procès, soutenu par le mouvement des droits civiques, mais les policiers nous ont menacé en retour. Il fallait que l’on quitte l’Amérique. Et nous avions lu que l’Algérie accueillait les Black Panthers. Nous avons dû trouver un moyen d’y aller.
Le 31 juillet 1972, vous détournez un avion qui devait relier Detroit à Miami en compagnie de votre femme Jean, vos deux enfants, et quatre autres personnes (George Brown, George Wright et sa compagne Joyce Tillerson accompagnée sa fille), pour ensuite l’utiliser comme moyen de transport jusqu’à Alger. Comment vous y êtes-vous préparés ?
À l’époque, il faut s’imaginer qu’il y avait des détournements d’avion tout le temps. C’était à la mode. Nous avons inspecté l’aéroport, nous nous sommes assurés qu’il n’y avait pas de système élaboré de détecteurs de métaux, et nous avons fait des interviews d’employés. Nous avions étudié le type d’avion qui pouvait traverser l’Atlantique : celui qui reliait Detroit à Miami en était bien capable. Nous avions des armes, mais nous voulions que ce détournement se déroule sans violences. Nos enfants nous accompagnaient. Mais nous ne voulions pas montrer leur lien de parenté avec nous. Autrement, nous n’aurions rien pu négocier. Nous n’étions pas animés par la haine, mais par la rage. Nous voulions fuir l’enfer du racisme aux États-Unis.
Comment s’est déroulé le détournement ?
George s’est présenté avec une arme devant le pilote. Celui-ci est resté très calme. Il a annoncé aux passagers qu’il fallait rester zen et qu’il y avait un détournement en cours. Nous avions enregistré des musiques du top 50 pour les diffuser pendant le vol et détendre l’atmosphère. Arrivés à Miami, nous avons demandé une rançon d’un million de dollars en échange des passagers. Au départ les autorités ont refusé. Ils voulaient nous donner seulement la moitié. Nous avons répondu que dans ce cas-là, nous gardions les femmes et les enfants. C’était du bluff, mais ils ont finalement accepté. Nous avions aussi exigé que l’agent du FBI vienne en maillot de bain avec la valise pleine de billets, pour éviter qu’il soit armé. Ce qu’il a fait. Une fois les passagers descendus, la pression est descendue d’un cran. Avec l’équipe d’hôtesses ainsi que le pilote, nous avons volé jusqu’à Alger. Là nous avons pu discuter de l’antiracisme. Nous voulions simplement leur montrer que nous étions tous humains. Nous jouions avec nos enfants. Et le pilote nous a emmené à bon port. Pour moi c’est le héros de cette histoire. Il nous a menés dans la tempête. Par la suite, nous lui avons présenté nos excuses, ainsi qu’à sa fille qui a été extrêmement inquiète ce jour-là. Plus largement, nous avons toujours ce regret d’avoir mis des gens dans cette situation-là.
Lors du détournement de l’avion Delta, le 31 Juillet 1971, à l’arrivé à Miami ils ont exigé que l’agent FBI vienne consigner une rançon d’un million de dollar en maillot de bain pour éviter qu’il soit armé.
PHOTOGRAPHIE DE AP/MELVIN & JEAN: AN AMERICAN STORY, RÉALISÉ PAR MAIA WECHSLER
Comment s’est passée l’arrivée en Algérie ?
Quand nous sommes arrivés, les Black Panthers étaient en fait sur le départ. Ils n’avaient plus bonne presse. Les relations se tendaient avec le gouvernement algérien, qui commençait à se rapprocher du gouvernement américain. À notre arrivée les autorités algériennes ont renvoyé l’argent qu’ils ont trouvé de notre rançon aux États-Unis. Après un peu moins d’un an sur place, on voyait bien que ça n’allait pas être possible de faire nos racines ici. Et ainsi nous avons dû faire le choix le plus difficile de notre vie : nous séparer de nos enfants pour les renvoyer aux États Unis avec nos familles. Cela nous a déchiré le cœur. Nous savions qu’ils retournaient en enfer. Mais pour trouver une solution de long terme, nous n’avions pas le choix. L’exil aurait été trop dangereux pour eux. Ensuite nous nous sommes concentrés sur comment les récupérer.
Aidé par un réseau de solidarité internationale, vous arrivez en France. Vous êtes hébergé par des familles françaises jusqu’à votre arrestation en 1976.
Nous sommes partis d’Algérie grâce à des faux passeports, sous des faux noms que nous avons ensuite conservé en France. Nous avons bénéficié du soutien du réseau Solidarité, fondé par Henri Curiel (militant des luttes d’indépendance, ndlr). Rencontrer ces personnes qui nous aidaient nous a apporté la preuve que le monde n’était pas hostile. C’était une manière de guérir, de cicatriser nos blessures. Grâce à cette ouverture en France, on a vu l’avenir s’éclaircir. Auparavant, il y a avait toujours un mur en face de nous. Nous travaillions, Jean comme femme au pair et moi comme ouvrier. Mais nous étions surveillés et nous le savions. En mai 1976, nous avons finalement tous été arrêté en même temps: George, Joyce, Jean et moi-même (George Wright a poursuit sa cavale hors de l’Hexagone, ndlr). Ce fut un soulagement. À l’époque, nous pensions de toute façon à nous rendre car la clandestinité était éprouvante.
La France refuse de vous extrader vers les États-Unis, au nom de la valeur politique de vos actions. Comment avez-vous vécu cette décision?
Le refus de l’extradition fut un soulagement pour tout le monde. Nous risquions près de vingt ans de prison si nous étions renvoyés aux États-Unis. C’est toujours le cas d’ailleurs. C’était aussi une preuve que l’État français reconnaissait notre récit. Il prenait en considération le contexte de nos actions. L’opinion publique nous soutenait. Pour moi la France était réellement le pays des droits humains ! En 1978 se tint finalement notre procès aux assises. Les témoins ont dû faire le trajet depuis les États-Unis. C’était une première ! Les femmes ont été libérées presque immédiatement. Les enfants les ont rejointes. J’ai été condamné à cinq ans en tout mais ma peine a été réduite ensuite pour bonne conduite.
PHOTOGRAPHIE DE MELVIN & JEAN : AN AMERICAN STORY, RÉALISÉ PAR MAIA WECHSLER
Comment avez-vous vécu votre incarcération ?
Comme j’ai toujours été très sportif, je m’entraînais beaucoup. J’avais la visite d’éducateurs et d’aumôniers. Même là-bas, nous avions des sympathisants et de quoi lire. Nos corps étaient enfermés, mais nos esprits étaient libres. Les autres détenus me respectaient. En prison quand on a détourné un avion, on est au sommet de la hiérarchie ! On a même tenté de me recruter pour des braquages. Mais j’ai dit non. Cette fois-ci j’ai su éviter les pièges de la négativité. J’ai pu réfléchir. J’avais une richesse en moi, je viens d’une famille très éduquée. Mais lorsque j’étais jeune et plein de rage, je ne l’ai pas vu. Je n’avais pas de mentor pour me guider. C’est en France que j’ai appris comment bien résister. Comment ne pas alimenter l’engrenage de la violence, comment ne pas tomber dans la délinquance, comment ne pas se résigner non plus. C’est tout un art de savoir s’opposer à l’injustice. Il y a de nombreux pièges qui peuvent décourager. La prison fut encore une autre étape de mon éducation.
Comment s’est faite la transition vers votre emploi de médiateur dans le quartier populaire de la Grâce de Dieu à Caen ?
À ma sortie de prison, j’ai travaillé notamment à l’usine Steiner. Il y avait beaucoup de tensions, notamment avec les syndicats. À tel point que pendant une grève, un jeune s’est suicidé. Il y avait aussi du racisme et de l’antisémitisme. Moi qui étais pétri de théories révolutionnaires, je ne pouvais plus vivre dans un contexte comme celui-ci. Je voulais comprendre les relations humaines. Je suis tombé sur une offre pour être animateur. Et en parallèle je continuais à jouer au baseball et à entraîner des équipes. De fil en aiguille, de rencontre en rencontre, j’ai obtenu ce poste de médiateur au sein du quartier populaire de la Grâce de Dieu, à Caen. Mon rôle était d’accompagner les jeunes et de réduire les inégalités. Faire en sorte que la France ne devienne pas comme l’Amérique ! Pendant longtemps, personne là-bas n’a su que j’avais détourné un avion. Je n’en parlais pas. Jean a quant à elle créé une association de soutien scolaire « Espérance et Jeunesse » pour les enfants défavorisés.
Melvin McNair, ex Black Panther exilé en Normandie, dans le club de baseball « Les Phénix de Caen ».
PHOTOGRAPHIE DE LES PHÉNIX DE CAEN
Subissez-vous encore le racisme en France ?
Oui, mais quand certains me disent « rentre dans ton pays », je pense en rigolant « toi, attention, tu ne sais pas qui je suis ! Une vraie bombe nucléaire » (rires). Mais globalement j’y suis peu confronté directement. Cela n’a rien à voir avec ce que j’ai pu vivre aux États-Unis. Il est intéressant de voir comment on me perçoit. Au début, je suis un Noir. Ensuite, quand on comprend d’où je viens, je suis un Américain. Et puis je deviens le Black Panther qui a détourné un avion. Je tente de sortir des cases, mais on finit toujours par m’y remettre. Je voudrais que l’on me voit simplement comme Melvin McNair.
Quel regard portez-vous sur votre parcours ?
Disons que c’est quand même un peu rock’n’roll. Heureusement, il y a toujours eu quelqu’un pour nous aider, entre le comité de soutien pendant le procès, le réseau de solidarité, les différentes rencontres à Caen… Aux États-Unis, la mort nous guettait à chaque coin de rue. C’est encore le cas pour de nombreux Afro-Américains aujourd’hui, d’ailleurs. Je voulais mieux. J’ai pris le risque de partir. Ainsi j’étais plongé dans un tunnel, mais je suivais la lumière au bout. Qui aurait pu imaginer qu’à la fin de ce périple, je me retrouverais ici, à la Grâce de Dieu ?
Après avoir tout essayé pour se maintenir en poste, Donald Trump s’est résolu à partir. Heureusement pour la démocratie, rares sont les perdants cloîtrés à ce point dans le ressentiment. Mais pour les chefs d’État, partir est toujours difficile : comment fait-on le deuil du pouvoir ? Peut-on se réinventer ou reste-t-on un éternel « ex » ?
Donald Trump a quitté le pouvoir comme il a gouverné : avec fracas. Son appel à marcher sur le Capitole, le 6 janvier 2021, restera dans les annales. Tout comme ses supporteurs – putschistes et clownesques à la fois – errant dans les couloirs du Congrès, appelant à « pendre Mike Pence », le vice-président, ou taguant sur les murs « Assassinez les médias ».
Une attaque en règle des institutions démocratiques… dans la ville même de George Washington, lui qui avait organisé la première passation de pouvoir démocratique de l’histoire. C’était en 1797. Autre époque, autres mœurs.
Le 6 janvier 2021, pendant quelques heures, la démocratie américaine a tutoyé l’abîme. Elle a finalement tenu, dotée de puissants garde-fous. L’épisode nous rappelle une réalité presque oubliée dans nos républiques bicentenaires : un candidat peut accéder au pouvoir par les urnes et, ensuite, en refuser le verdict.
« Assurer une transition apaisée est fondamental : cela permet la continuité de l’État malgré l’alternance politique »
Vincent Martigny, professeur de science politique
La démocratie, comme tous les régimes politiques, est bel et bien mortelle. « Le vote et le fait de rendre des comptes, donc de quitter le pouvoir, sont les deux expériences démocratiques fondatrices. Si l’un des deux fait défaut, on ne peut plus à proprement parler de démocratie », rappelle Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences en philosophie à la Sorbonne.
Si quitter le pouvoir suppose de partir en fin de mandat, savoir quitter le pouvoir requiert beaucoup plus. Et, notamment, d’admettre la régularité du scrutin, de concéder ouvertement sa défaite, de reconnaître une pleine et entière légitimité à son successeur… tout ce à quoi s’est refusé Donald Trump ces deux derniers mois.
« Assurer une transition apaisée et une passation de pouvoir sans accroc est fondamental : cela permet la continuité de l’État malgré l’alternance politique », indique Vincent Martigny, professeur de science politique à l’université de Nice et à l’École polytechnique. Quitter le pouvoir avec la manière ne relève donc pas que de l’élégance républicaine, encore moins du savoir-vivre : c’est l’essence même du processus démocratique.
Qui pouvait imaginer que Donald Trump, qui avait avalisé le scrutin de 2016 (après avoir néanmoins déjà dénoncé une « fraude massive » l’ayant empêché de remporter le vote populaire), torpillerait à ce point, quatre ans plus tard, le processus électoral ? Qui pouvait imaginer qu’il jouerait autant la meute (les affidés de QAnon, les Proud Boys, les suprémacistes blancs…) contre le peuple ?
Sa démagogie assumée, son art consommé des infox, ses diatribes incendiaires sur Twitter et sa façon d’ériger ses détracteurs en « ennemis du peuple » avaient alerté certains avant même sa prise de fonction. Barack Obama était de ceux-là.
« Nous ne sommes que des occupants temporaires de ce poste »
Barack Obama
Adressant en 2016, comme le veut la tradition, un courrier à son successeur pour son arrivée à la Maison-Blanche, le démocrate avait écrit à Donald Trump : « Nous ne sommes que des occupants temporaires de ce poste. Cela fait de nous des gardiens des institutions et des traditions démocratiques telles que l’État de droit, la séparation des pouvoirs, la protection des droits civiques. (…) Quelles que soient les tensions politiques au jour le jour, il nous appartient de laisser ces instruments au moins aussi forts que dans l’état dans lequel nous les avons trouvés. » Des mots glaçants de prémonition.
Quitter le pouvoir n’est jamais aisé. Et plus encore lorsqu’on a occupé la fonction suprême. On préside aux destinées d’un pays et, du jour au lendemain, on appartient au passé. Exit la puissance, fini les honneurs, bienvenue chez les « ex ». Ex-président de la République, ex-chancelier, ex-premier ministre, ex-président du Conseil… Qu’importe le titre, votre place est désormais dans les livres d’histoire !
La plupart des sortants accusent pourtant le coup et font bonne figure. Conscients des enjeux, ils savent se hisser à la hauteur de l’événement. Certains veillent même, par quelques gestes symboliques, à asseoir la légitimité de leur successeur. Ainsi, George Bush père, sèchement battu par Bill Clinton en 1992, s’était montré magnanime dans la défaite.
S’adressant à son successeur dans le courrier qu’il lui a laissé pour sa prise de fonction, il écrivait ceci : « Votre succès est le succès de votre pays. (…) Je vous soutiens totalement. (…) Ne laissez pas les critiques vous décourager ou vous faire dévier de votre trajectoire. »
Le 8 mai 1995, François Mitterrand convie Jacques Chirac, élu la veille pour lui succéder, à la célébration du cinquantenaire de l’armistice de la Seconde Guerre mondiale. Depuis, chaque président sortant a invité son successeurs à ces commémorations, en symbole de la transition pacifique du pouvoir. / RINDOFF-FIZET/BESTIMAGE
Des destins hors normes
Autres latitudes, autre geste. François Mitterrand marque les consciences, le 8 mai 1995, en invitant Jacques Chirac, élu la veille, à participer à ses côtés aux commémorations de la victoire des Alliés. À l’époque, quelques esprits chagrins avaient raillé leur complicité (surjouée, à leurs yeux), ratant par là même la force du symbole : deux hommes – et, à travers eux, deux camps – faisaient fi des querelles partisanes au nom de l’intérêt supérieur du pays. La tradition s’est d’ailleurs perpétuée depuis.
Gare, toutefois. Ces leçons de dignité peuvent cacher une fausse sérénité. Souvent, le départ a des allures de deuil. « Il y a un vrai travail psychique à engager », insiste le psychanalyste Roland Gori, auteur de La Nudité du pouvoir (Les Liens qui libèrent, 2018).
« Quitter le pouvoir fut douloureux pour tous les présidents de la Ve République »
Jean Garrigues, professeur d’histoire politique
Reprenant à son compte la théorie des « deux corps du roi », il l’applique à la figure présidentielle : « Le président est doté d’un corps personnel, physique, mais aussi d’un corps symbolique, politique, voire quasi mystique. Ces deux corps s’unissent en lui le temps de son mandat mais, au moment de partir, il lui faut faire le deuil du corps politique pour se replier sur son seul corps de mortel. Il y a là quelque chose de l’ordre de… l’amputation. C’est forcément violent. »
Sur le perron, au moment du départ, les sourires de façade masquent de vrais tourments. « Quitter le pouvoir fut douloureux pour tous les présidents de la Ve République », considère Jean Garrigues, professeur d’histoire politique à l’université d’Orléans, auteur des Perdants magnifiques (Tallandier, 2020).
Charles de Gaulle, l’orgueil blessé
À commencer par le premier d’entre eux, le général de Gaulle. Jouant son destin à quitte ou double au référendum du 27 avril 1969, il perd et quitte l’Élysée dans la foulée. La nuit même des résultats, il envoie un communiqué à l’AFP : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la Ve République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi. » Deux lignes, pas une de plus. Plus laconique, on ne fait pas.
« Je ne suis plus concerné »
Général de Gaulle
« Je ne suis plus concerné », répète-t-il ensuite à ceux qui lui rendent visite à Colombey-les-Deux-Églises. Un détachement en guise d’armure. Car, derrière la bouderie somptueuse, l’homme est éprouvé, l’orgueil à jamais blessé. À sa mort l’année suivante, Yvonne, sa confidente de toujours, aura d’ailleurs ces mots devant la dépouille de son mari : « Il a tant souffert depuis deux ans… » (1).
Le 28 avril 1969, le général de Gaulle annonce sa démission au lendemain de<br/>la victoire du « non » au référendum sur la régionalisation et la réforme<br/>du Sénat. / Gamma/Keystone via Getty Images
Jacques Chirac, le sourire brisé
Ses successeurs tairont, eux aussi, la mélancolie de l’après-pouvoir. Elle affleure parfois dans leurs Mémoires. « Une formule de bon sens recommande de savoir quitter le pouvoir avant qu’il ne vous quitte’. (…) J’ai mis du temps à m’habituer à l’idée. (…) En fait, je ne crois pas m’y être réellement préparé », écrit Jacques Chirac dans les dernières pages des siens (voir ci-dessous).
« Savoir quitter le pouvoir avant qu’il ne vous quitte »
Jacques Chirac
Lui qui s’était si souvent répété en lorgnant sur l’Élysée « chaque pas est un but » quitte le palais présidentiel en mai 2007 le sourire brisé. Qu’il est loin ce jour de décembre 1994 quand il planifiait ses vieux jours avec Jean-Louis Debré : « Si je ne suis pas élu, on va ouvrir une agence de voyages. Tu vas la tenir et moi je vais voyager ! » Fini de blaguer, vingt ans plus tard, au moment de se mettre en retrait du pouvoir, absent aux autres et, certains jours, absent à lui-même.
François Hollande, la rude rupture
François Hollande ne s’épanche pas beaucoup plus sur son retrait. Mais, là encore, quelques lignes dans ses Mémoires (voir ci-dessous) trahissent la blessure que constitue son départ de l’Élysée et, plus encore, son choix de ne pas briguer de second mandat.
«D’un agenda surchargé à la page blanche, la rupture fut rude»
François Hollande
Revenant sur l’allocution dans laquelle il l’annonce aux Français, le socialiste précise qu’elle dure sept minutes et que ce sont là « sans doute les plus longues de (sa) vie ». Sur son retour à la vie civile, il dit sa difficulté à passer « d’un agenda surchargé » à « la page blanche » et finit par concéder : « la rupture fut rude ».
Le 14 mai 2017, François Hollande accueille Emmanuel Macron à l’Élysée pour la passation de pouvoir. / Denis Meyer/Hans Lucas
Valéry Giscard d’Estaing fut, au fond, le seul à assumer la douleur du départ. Et à dire combien son renvoi, en 1981, l’avait meurtri. Figé dans son geste d’adieu – un « Au revoir » se voulant simple mais qui, par ses accents tragiques, frisait le ridicule –, l’ancien président s’épancha à plusieurs reprises sur ses tourments d’après-défaite.
« Ce que je ressens n’est pas de l’humiliation, mais la frustration de l’œuvre inachevée. »
Valéry Giscard d’Estaing
« Ce que je ressens, ce n’est pas de l’humiliation mais quelque chose de plus sévère : la frustration de l’œuvre inachevée, écrit-il dans ses Mémoires (voir ci-dessous). J’en garderai une morsure d’une inguérissable nostalgie. » Revenu en politique, l’ancien président s’est longtemps rêvé en recours à droite. En vain. À chaque fois qu’une présidentielle approchait, ses espoirs de revanche s’éclipsaient.
Le 21 mai 1981, Valéry Giscard d’Estaing embrasse le drapeau brandi par la Garde nationale avant de quitter le palais présidentiel, où François Mitterrand lui succède après sept ans de mandat. / Rapho/Gamma
« Il faut une telle hybris, un tel narcissisme pour arriver jusqu’à la présidence qu’on ne peut pas bien vivre sa fin de mandat », affirme le chroniqueur Alain Duhamel. À l’entendre, la souffrance des « ex » serait à l’aune de leur ambition pour accéder au pouvoir suprême : démesurée.
En France comme ailleurs. On imagine l’amertume de Donald Trump après sa défaite en novembre, lui qui peut tweeter sans l’ombre d’un second degré : « Je ne suis pas intelligent, je suis un génie. » Céder sa place est toujours rude, mais sans doute l’est-ce plus encore lorsqu’on est doté d’un ego qu’aucun surmoi ne canalise.
« Tout le monde a son heure de gloire, mais certaines heures durent plus longtemps que d’autres »
Winston Churchill
La trace, fragile et éphémère, laissée dans l’Histoire ajoute encore à la frustration des sortants. Car, tous le savent, seule une poignée d’entre eux se fraie une place dans la mémoire collective. « Tout le monde a son heure de gloire, mais certaines heures durent plus longtemps que d’autres », s’amusait Winston Churchill, convaincu pour sa part d’avoir marqué le siècle. En France, le général de Gaulle pensait de même. « L’Histoire, c’est la rencontre d’une volonté et d’un événement », répétait l’homme du 18-Juin, en parlant de lui…
François Mitterrand
Voilà pour les destins hors norme. Mais quid de tous les autres ? La plupart des dirigeants ne croient pas à leur postérité. Ou feignent, par coquetterie peut-être, de ne pas y croire… C’était le cas de François Mitterrand.
« On se souvient tout juste de Toutankhamon. Que dira-t-on de moi dans quelques milliers d’années ?
François Mitterrand
Obsédé par l’idée de laisser sa trace dans l’Histoire, et ayant tenté de « griffer le temps » avec ses grands travaux, le socialiste n’en déclarait pas moins en avril 1995, à la veille de son départ : « On se souvient tout juste de Toutankhamon. Que dira-t-on même du général de Gaulle, de Pompidou, de Giscard, de moi et du prochain dans quelques milliers d’années ? »
Voilà qui rappelle Marguerite Yourcenar, sondeuse géniale des états d’âme de l’empereur romain Hadrien (2), qui définissait la postérité ainsi : des « siècles de gloire » précédant des « millénaires d’oubli ».
Faire son deuil du pouvoir est d’autant plus douloureux que chacun aurait souhaité faire plus, mieux, plus vite. « La marge d’action des politiques devient de plus en plus étroite du fait de la mondialisation et de l’hégémonie du marché, analyse Alain Duhamel. On assiste à une forme de dépossession du politique : les ressorts du pouvoir se brisent les uns après les autres et les hommes de gouvernement ont parfois le sentiment de n’être que des figurants. »
En 2020, François Hollande et Nicolas Sarkozy participent aux commémorations du 8 mai dans un format très restreint, en raison de la crise du coronavirus. / Jean-Claude Coutausse/Divergence
Rester en poste le plus longtemps possible
Grisés par la puissance au départ, tous ensuite se cognent au réel : le temps file, les réformes achoppent, l’impopularité gagne. D’où l’envie de la plupart d’entre eux de se maintenir en poste. Qu’importe l’âge ou la maladie !
Illustrations. À son retour en 1958, le général de Gaulle est presque septuagénaire. Il n’hésite d’ailleurs pas à jouer de son âge : « Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? »
De l’autre côté de la Manche, Winston Churchill a 77 ans lors de son come-back au 10 Downing Street, en 1951. Le président Pompidou est emporté par la maladie alors qu’il était en fonction, à l’instar de Franklin Roosevelt, décédé en poste après avoir été élu quatre fois à la tête des États-Unis. Une réforme, votée en 1947, limitera ensuite à deux le nombre de mandats présidentiels outre-Atlantique.
Tous les présidents américains ou presque se représenteront à l’issue de leur premier mandat, non sans succès (Eisenhower, Nixon, Reagan, Clinton, Bush Jr., Obama). Qu’on ne s’y trompe pas, rester en poste le plus longtemps possible n’est pas une manie propre aux régimes présidentiels.
Les grandes démocraties parlementaires n’échappent pas à la règle, comme en témoigne la longévité de Margaret Thatcher à la tête de l’Angleterre, les reconductions successives de Helmut Kohl ou d’Angela Merkel à la tête de l’Allemagne, ou encore les allers-retours successifs de Silvio Berlusconi au Palais Chigi…
« Pour certains, l’exercice du pouvoir relève quasiment de la raison d’être »
Jean Garrigues
Certains tentent un retour, mais en vain. Comme Nicolas Sarkozy, candidat malheureux des primaires de la droite en 2016. Son souhait de revenir aux affaires avait surpris jusque dans son propre camp, lui qui affirmait, les yeux dans les yeux, à Jean-Jacques Bourdin lors de la campagne présidentielle de 2012 : « Si je perds, j’arrête la politique. »
Peut-être, sur le coup, était-il sincère ? Présider aux destinées d’un pays est un immense honneur mais l’âpreté de la tâche, le poids des responsabilités, la solitude de celui qui a le dernier mot peuvent aussi, certains jours, relever du fardeau. Nicolas Sarkozy, alors président, s’en était d’ailleurs confié à Charles Jaigu, journaliste au Figaro, en 2010 : « Aujourd’hui, mon travail me passionne, mais cette vie ne me plaît pas. »
Pourquoi revenir alors ? « Parce que, pour certains, l’exercice du pouvoir relève quasiment de la raison d’être », décrypte Jean Garrigues. Peut-être y avait-il de cela chez Nicolas Sarkozy, lui qui avoue sans fard être « tenaillé » par l’ambition présidentielle depuis l’adolescence (3). « On peut voir, chez tous ces politiques attachés au pouvoir, une question d’ego, bien sûr. Mais il n’y a pas que cela : derrière cette ambition, il y a aussi la volonté d’aller jusqu’au bout d’un projet politique », nuance l’universitaire.
Jimmy Carter assiste comme observateur aux élections générales au Liberia, en octobre 2005. Depuis la fin de son mandat, l’ancien président des états-Unis milite pour la paix et les droits de l’homme au sein de son ONG, le Carter Center. / Chris Hondros/Getty Images
Ceux qui passent le cap
D’autres passent sans difficulté le cap de l’après-pouvoir. En intégrant, par exemple, les instances internationales : ce fut le cas de Tony Blair, l’ancien premier ministre britannique nommé ensuite émissaire du Quartet pour le Moyen-Orient, ou de son successeur, Gordon Brown, qui a depuis rejoint le Forum économique mondial.
Certains se reconvertissent plutôt dans le privé, comme les ex-chanceliers allemands Helmut Schmidt (devenu rédacteur en chef de l’hebdomadaire Die Zeit) ou Gerhard Schröder (recruté par le géant russe Gazprom).
La plupart de ces « ex » donnent des conférences aux quatre coins du globe, faisant fructifier leur carnet d’adresses. Au risque d’alimenter la polémique, comme ce fut le cas de l’ancien président de la Commission européenne José Manuel Barroso, recruté par la banque Goldman Sachs et soupçonné ensuite de faire du lobbying… auprès de l’Union européenne.
Le rajeunissement de la classe politique devrait banaliser encore ce type de reconversion. Emmanuel Macron, dépeint un temps comme un météore politique pour avoir accédé à l’Élysée à 39 ans, est désormais entouré de quadras en Europe.
Le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, a 35 ans. Son alter ego danoise, Mette Frederiksen, vient de fêter ses 42 ans. La première ministre finlandaise, Sanna Marin, a tout juste 35 ans. Leur homologue belge, Alexander De Croo, a 45 ans. Jacinda Ardern, à la tête de la Nouvelle-Zélande, vient de passer le cap de la quarantaine.
« Cette génération a accédé aux responsabilités en sachant pertinemment qu’elle se reconvertirait un jour », note Vincent Martigny, professeur de science politique à l’école polytechnique. Il y a une vingtaine d’années encore, prendre les rênes d’un pays signait la fin d’une longue ascension politique. C’est de moins en moins vrai. De quoi, sans doute, rendre moins douloureux le départ…
D’autres encore, comme Bill Clinton ou Nelson Mandela, choisissent de « servir autrement » leur pays, en créant une fondation. Mais, là encore, les pratiques évoluent : le couple Obama, convaincu du pouvoir de l’image, a créé une société de production, Higher Ground, promouvant les questions « de race, de classe, de démocratie et de droits civiques ». Des documentaires labellisés « Obama » sont aujourd’hui diffusés sur Netflix dans le monde entier.
« Une manière de continuer à façonner l’opinion et, quelque part, à gouverner les conduites », décrypte le psychanalyste Roland Gori. On repense alors à la célèbre formule de Carl von Clausewitz : « La guerre n’est rien d’autre que la continuation de la politique par d’autres moyens. » Deux siècles plus tard, on pourrait réécrire la fameuse maxime : la guerre de l’image n’est rien d’autre que la continuation de la politique par d’autres moyens…
« Ma foi exige que je fasse tout ce que je peux, où que je sois, chaque fois que je le peux, aussi longtemps que je le peux »
Jimmy Carter
Plus rare, certains « ex » se réinventent totalement. Jimmy Carter est de ceux-là. Élu à la Maison-Blanche à 52 ans, il est battu en 1980 par Ronald Reagan. Douze ans plus tard, le démocrate se voit décerner le prix Nobel de la paix pour ses médiations dans différents conflits internationaux.
« Ma foi exige que je fasse tout ce que je peux, où que je sois, chaque fois que je le peux, aussi longtemps que je le peux », expliquait-il. Son engagement témoigne aussi d’une certaine conception de la politique : la politique comme recherche insatiable du bien commun, et non comme recherche obstinée des honneurs.
Ainsi accueillit-il sans rancune cette remarque du comité Nobel lors de la remise de son prix : « L’Histoire ne retiendra peut-être pas Jimmy Carter comme le président le plus efficace des États-Unis. Mais il est assurément le meilleur ancien président que ce pays ait jamais eu. » Preuve qu’il y a une vie après la présidence ! Puisse Donald Trump, entre deux swings sur les greens de Floride, s’en convaincre…
Donald Trump et Melania, sur la base aérienne Andrews, dans le Maryland, pour la cérémonie de fin de mandat, le 20 janvier 2021. Contrairement à la tradition, il n’assistera pas à la cérémonie d’investiture de son successeur. / Stefani Reynolds/UPI/MAXPPP
Pour aller plus loin
► Un podcast
« Quitter le pouvoir »
Dans ce podcast en trois épisodes, « La Fabrique de l’histoire », sur France Culture, revient sur les départs de l’Élysée sous la Ve République. Que dire lorsque l’on quitte ses fonctions ? Quels souvenirs laisse-t-on dans la mémoire collective ? Pourquoi certains choisissent-ils de dresser leur bilan et de faire leurs adieux, quand certains décident de ne rien dire ? Autant de questions auxquelles journalistes et politiques répondent
L’ouvrage retrace les derniers jours des présidents de la Ve République. Il permet de toucher du doigt l’ambiance des fins de règne mais aussi la vérité de l’homme derrière le dirigeant. Le tout sans verser dans l’impudeur, ni le pathos.
Sous la dir. de Solenn de Royer et d’Alexis Brezet, Éd. Perrin-Le Figaro, 280 p., 17,90 €.
► Un film
Le Promeneur du Champs-de-Mars
Ce long-métrage, adaptation du roman de Georges-Marc Benamou (Le Dernier Mitterrand), retrace la fin de la vie et les dernières semaines à l’Élysée de l’ancien président, incarné à l’écran par un Michel Bouquet bluffant… et césarisé pour le rôle !
De Robert Guédiguian, 2005, 1 h 57.
► Un débat
« De Gaulle, l’homme derrière le mythe »
Diffusé sur Public Sénat à l’occasion des 50 ans de la mort du Général, ce documentaire suivi d’un passionnant débat revient sur les derniers mois de la vie du grand homme.
Un trumpisme sans Donald Trump
par Jerome Karabel
Après plusieurs jours de suspense, M. Joseph (« Joe ») Biden l’a finalement emporté sur M. Donald Trump dans l’élection présidentielle américaine. Mais cette victoire en demi-teinte ne vaut pas la répudiation définitive que les démocrates avaient ardemment désirée. En fait, les élections se sont même révélées pour eux assez désastreuses. Malgré l’impressionnant magot récolté pour financer leur campagne (1,5 milliard de dollars en seulement trois mois, de juillet à septembre (1)), ils ne sont pas parvenus à reprendre le Sénat (2), ils ont perdu des sièges à la Chambre des représentants et ils n’ont pas réussi à conquérir la majorité des législatures d’État, qui détiennent un pouvoir considérable dans le système fédéral américain.
La dérangeante vérité, c’est que, sans la pandémie de Covid-19 et la catastrophe économique qui s’est ensuivie — le taux de chômage a culminé à 14,7 % en avril, un niveau jamais atteint depuis les années 1930 —, M. Trump était bien parti pour être réélu. Exposé pendant quatre ans aux innombrables mensonges du président, à ses cafouillages pendant la crise sanitaire, à ses multiples provocations, le peuple américain a répondu en lui accordant au moins 73,7 millions de voix (3), soit plus qu’à tout autre candidat républicain dans l’histoire.
En février 2020, l’économie se portait bien. Le chômage était au plus bas (3,5 %), l’inflation ne dépassait pas 2,3 % et, au dernier trimestre 2019, le produit intérieur brut (PIB) avait progressé au rythme vigoureux de 2,4 % (en glissement annuel). Ce dynamisme, associé à l’absence de guerre d’envergure — à une époque où l’isolationnisme domine dans l’opinion publique — et à l’avantage que détient tout candidat en poste, conduisait alors de nombreux politistes et économistes à prédire une victoire de M. Trump (4). Et, si la dégradation de la situation sanitaire et économique a finalement compromis ses chances, le paysage politique américain n’est pas pour autant débarrassé du trumpisme.
Le personnage conserve le soutien de dizaines de millions de partisans fervents et dévoués, mais aussi de nombreuses organisations conservatrices telles que le Club for Growth (Club pour la croissance, hostile à la fiscalité et à la redistribution) ou le Family Research Council (un groupe de chrétiens évangéliques opposé à l’avortement, au divorce, aux droits des homosexuels…), ainsi que de plusieurs médias, comme Fox News ou Breitbart News. Par ailleurs, les ingrédients qui avaient permis le succès de M. Trump en 2016 sont toujours là : l’hostilité aux immigrés dans un pays qui connaît sa transformation démographique la plus profonde depuis un siècle, l’animosité raciale, la condescendance de l’élite diplômée envers les classes populaires et le sentiment désormais répandu que la mondialisation a servi les intérêts des multinationales et des classes supérieures au détriment du plus grand nombre.
Le trumpisme s’inscrit dans une révolte « populiste » mondiale contre les élites politiques, économiques et culturelles, en particulier chez ceux dont la vie a été bouleversée par la mondialisation et la désindustrialisation. Comme l’observe John Judis, le « populisme de droite » tend à prospérer quand les partis majoritaires ignorent ou minimisent les vrais problèmes (5). Les démocrates portent donc une responsabilité écrasante dans la naissance du trumpisme et dans sa consolidation. Le soutien de M. William Clinton à l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), entré en vigueur le 1er janvier 1994, et les pressions que l’ancien président a exercées pour faciliter l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont porté un rude coup au marché du travail américain. Selon une estimation de l’Economic Policy Institute, l’entrée de Pékin à l’OMC aurait coûté 2,4 millions d’emplois à l’industrie manufacturière des États-Unis (6).
M. Barack Obama n’a pas fait davantage pour montrer que le Parti démocrate se souciait du sort des classes populaires : il a nommé au poste de secrétaire au Trésor un proche de Wall Street (M. Timothy Geithner) ; il n’a pas voulu poursuivre en justice les banquiers responsables de la crise de 2008 et il n’a pas su protéger les millions d’Américains qui ont alors perdu leur logement et leur pension de retraite. Il y a quatre ans, les démocrates ont payé au prix fort leur frénésie de libre-échange. D’après une étude pilotée par David Autor (7), économiste au Massachusetts Institute of Technology (MIT), les pertes d’emplois liées au développement du commerce chinois pourraient avoir fourni à M. Trump les quelques points qui avaient assuré son succès dans les États industriels du Michigan, du Wisconsin et de Pennsylvanie, décisifs dans sa victoire de 2016.
Historiquement considéré comme le « parti des travailleurs », le Parti démocrate connaît depuis longtemps une érosion du soutien des classes populaires, en particulier parmi ceux qui se déclarent « blancs ». Cette tendance s’est confirmée en 2020. D’après les derniers sondages de sortie des urnes disponibles (lire « Pour qui ont-ils voté ? »), M. Trump aurait récolté les voix de 67 % des électeurs blancs non diplômés (contre 32 % pour M. Biden). Il serait en outre très populaire auprès des chrétiens évangéliques blancs (76 % des suffrages) et des habitants des zones rurales (57 %). Les circonscriptions les plus pauvres du pays, où les conservateurs ont commencé à s’ancrer en l’an 2000, sont désormais les plus enclines à voter républicain, tandis que quarante-quatre des cinquante circonscriptions les plus riches — et l’intégralité des dix plus riches — plébiscitent à présent les démocrates. Cette inversion des rapports entre classe sociale et préférences politiques offre un terrain fertile à une résurgence du trumpisme sans M. Trump. En l’absence d’un changement de cap radical des démocrates, les plus pauvres pourraient continuer à se tourner vers les républicains, qui disposent d’une liste de boucs émissaires pour expliquer leurs problèmes : les immigrés, les Noirs, les étrangers, les « élites »…
Qu’on ne s’y méprenne pas : le Parti républicain est devenu un parti d’extrême droite, à maints égards aussi virulent que les formations autocratiques qui gouvernent actuellement la Hongrie ou la Turquie. Les opposants ayant été mis au ban — le sénateur de l’Arizona Jeffrey Flake (2013-2019), le représentant de Caroline du Sud Marshall (« Mark ») Sanford (2013-2019)… —, il se trouve désormais entre les mains des trumpistes, et il y restera probablement dans un avenir proche. Le danger posé par le « populisme de droite » est plus important encore aux États-Unis que dans de nombreux pays européens, où le système de représentation proportionnel relègue souvent — même s’il existe des exceptions — les partis d’extrême droite aux marges du jeu politique, comme aux Pays-Bas (où le Parti pour la liberté n’a récolté que 13 % des voix aux élections parlementaires de 2017) ou en Espagne (où Vox plafonnait à 15 % lors des élections générales de 2019). Les partisans du président américain sortant, eux, contrôlent l’un des deux principaux partis, et le système de scrutin uninominal majoritaire à un tour demeure un formidable obstacle à l’émergence d’autres formations. Le cadre est donc en place pour l’avènement d’un démagogue plus dangereux encore que M. Trump. Imaginez le charisme d’un Ronald Reagan allié à l’intelligence et à la discipline d’un Barack Obama…
M. Biden arrive au pouvoir dans un pays polarisé, où le Covid-19 a exacerbé les disparités sociales. D’après le ministère du travail, les États-Unis traversent actuellement la crise économique la plus inégalitaire de leur histoire, le développement du télétravail favorisant nettement les plus diplômés. Au plus fort de la crise, le taux de destruction des emplois faiblement rémunérés était huit fois plus élevé que celui des postes bien payés. Les salariés et indépendants munis de diplômes universitaires étaient proportionnellement quatre fois plus nombreux à pouvoir exercer leur activité à domicile que les travailleurs sans diplôme du supérieur (8). Pendant ce temps, les Américains les plus aisés se sont encore davantage rempli les poches. Entre le 18 mars, date du début des confinements, et le 20 octobre, la fortune des 643 milliardaires que compte le pays a augmenté de 931 milliards de dollars, soit près du tiers de leur richesse totale. M. Biden est particulièrement redevable à ces ultrariches, qui, avec des donations de 100 000 dollars ou plus, ont levé pour sa campagne 200 millions de dollars en six mois. Les principaux centres du pouvoir financier aux États-Unis — Wall Street, la Silicon Valley, Hollywood, les fonds d’investissement — reconnaissent en lui un président qui ne risque pas de menacer leurs intérêts.
Cornaqué par la droite au Sénat, qui restera probablement présidé par l’impitoyable sénateur du Kentucky Mitchell McConnell, M. Biden aura le plus grand mal à mettre en œuvre une quelconque mesure de son programme. Il subira en outre les pressions de l’aile gauche de son parti, M. Bernie Sanders et Mme Elizabeth Warren en tête. Une telle situation donnerait du fil à retordre même aux dirigeants les plus déterminés. Alors, à « sleepy Joe » (9)… Sans compter que le nouveau président devra également se distinguer des politiques de M. Obama, qu’il a loyalement servi en tant que vice-président, et qui ont mené à l’émergence de M. Trump et de son mouvement. Il lui faudrait pour cela se départir du centrisme prudent qui a marqué toute sa carrière, en opérant, de même que son parti, un tournant radical.
Quelle forme pourrait prendre ce virage ? Une stratégie populaire consisterait à prôner un impôt sur les bénéfices excessifs, visant particulièrement ceux qui se sont enrichis pendant la pandémie — dans la veine de la fiscalité qui fut instaurée au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le plan de relance que l’administration Biden essaiera certainement de faire passer pourrait s’adresser non pas aux grandes entreprises (comme celui de M. Obama en 2009), mais à ceux qui sont les plus directement touchés par la crise : les travailleurs à faible revenu, les chômeurs et les petites entreprises. M. Biden pourrait également proposer un dispositif véritablement protecteur pour les millions de locataires et de petits propriétaires menacés d’expulsion en pleine pandémie.
Évidemment, un Sénat à majorité républicaine n’approuverait pas de telles mesures. Mais, en les défendant avec ténacité, les démocrates exprimeraient haut et fort leur engagement renouvelé auprès des classes populaires, dans l’esprit du New Deal de Franklin Delano Roosevelt. Cela leur permettrait de se poser, lors des élections de mi-mandat de 2022, en contre-modèle à l’immobilisme des républicains. Ce serait là le meilleur moyen d’empêcher le retour d’une nouvelle sorte de trumpisme, encore plus toxique que l’originale.
Felipe Jesus Consalvos. – « Hypnotic America » (L’Amérique hypnotique), 1920-1960
Lors de la visite effectuée jeudi dernier en Algérie par le Sous-secrétaire d’Etat américain en charge des questions du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord au département d’Etat, David Schenke, le ministre des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum, a indiqué à son hôte US que l’Algérie attend des Etats-Unis «l’impartialité qu’exigent les défis actuels» pour faire avancer les causes de la paix sur les plans régional et international. Selon un communiqué de presse rendu public par le ministère des Affaires étrangères, «M. Boukadoum a souligné la nature du rôle attendu des Etats-Unis pour faire avancer les causes de la paix sur les plans régional et international, dans l’impartialité qu’exigent les défis actuels».
M. Boukadoum et le responsable américain ont évoqué lors de leur échange les questions régionales et internationales d’intérêt commun, y compris le Sahara occidental, le Mali, la Libye et la situation prévalant dans la région du Sahel et au Moyen-Orient.
Concernant la question du Sahara occidental, Schenker a démenti les rapports faisant état de l’intention de Washington d’établir une base militaire au Sahara Occidental, lors d’une conférence de presse tenue, jeudi au siège de l’Ambassade américaine à Alger.
Il a indiqué que les Etats Unis n’envisageaient pas d’établir une base militaire au Sahara Occidental, tel que relayé récemment dans plusieurs rapports médiatiques marocains.
M. Schenker a déclaré : je tiens à être très clair : les Etats Unis ne sont pas en passe d’établir une base américaine au Sahara Occidental», précisant que le Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (Africom) n’a pas évoqué le transfert de son siège au Sahara Occidental» Il s’agit d’une information infondée » qui a suscité beaucoup de questions récemment, suite aux informations relayées par plusieurs médias, notamment marocains, a-t-il soutenu.
Quant à l’approche américaine pour le règlement de la crise en Libye, le responsable américain a souligné que Washington et l’Algérie avaient plusieurs intérêts communs à garantir une région plus sécurisée, rappelant que les deux parties étaient favorables à la solution politique en Libye et soutiennent le processus onusien pour le règlement de la crise.
Le processus onusien demeure le meilleur moyen de sortie de crise, notamment le dialogue militaire dans le cadre de la commission militaire (5+5), a précisé M. Schenker.
Et d’ajouter : l’Algérie est un pays leader sur la scène internationale et nos deux pays ont des intérêts communs à garantir une région plus sécurisée, plus stable et prospère».
Il est à signaler que l’année 2020 a été marquée, sur le plan international, par les actions menées par le président américain sortant, Donald Trump en vue de convaincre des pays arabes de normaliser leurs relations avec l’entité sioniste. Le 10 décembre dernier, Trump avait déclaré reconnaître officiellement la prétendue souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en contrepartie de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël. Une décision qui a été largement critiquée au niveau international mais aussi aux Etats-Unis et au sein même du parti du président sortant.
L’annonce faite par Trump a été condamnée principalement parce qu’elle va à l’encontre des résolutions de l’Organisation des Nations unies (ONU) en faveur d’un référendum d’autodétermination au profit du peuple sahraoui, mais également parce qu’elle contredit la position américaine par rapport à ce dossier. Cette décision parasite, d’autre part, le rôle que les Etats-Unis sont supposés jouer au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, puisqu’ils prennent en charge la fonction de porte-plume des résolutions sur le Sahara occidental, ce qui implique une neutralité de fait. Le 24 décembre dernier, la délégation allemande à l’ONU s’était précisément attardée sur ce point, rappelant aux Etats-Unis leur devoir d’impartialité en ce qui concerne cette question. «Etre porte-plume implique de la responsabilité. Cela s’accompagne d’un engagement fort pour résoudre un problème, il faut être juste, il faut être impartial, il faut avoir à l’esprit l’intérêt légitime de toutes les parties et il faut agir dans le cadre du droit international», avait déclaré l’ambassadeur allemand à l’ONU, Christoph Heusgen en s’adressant à la délégation américaine à l’ONU. Au niveau international, les regards sont d’ores et déjà tournés vers Joe Biden qui a les pleins pouvoirs pour annuler cette décision qui rompt avec trois décennies de politique américaine au Sahara Occidental.
Par ailleurs, le président Donald Trump a brillé en ce début d’année par son rejet des résultats des élections présidentielles américaines remportées, en novembre, par son rival démocrate, Joe Biden. Une résistance qui a donné lieu à des actes de violences à Washington par des partisans du président sortant qui devrait être remplacé officiellement le 20 du mois en cours. Des manifestants ont fait irruption dans la Chambre des représentants où a été confirmée la victoire de Joe Biden aux présidentielles. Une personne a été tuée dans ces violences qui ont duré plusieurs heures.
La politique américaine envers l’Algérie «constante et stable»
Au cours de la visite de l’hôte US, de nombreuses questions constituant les intérêts communs des deux pays ont été soulignées.
La coopération économique et commerciale, la sécurité dans la région nord africaine, la paix, les investissements américains en Algérie et les partenariats étaient, entre autres, au menu des discussions entre les responsables algériens et David Schenke.
Évoquant, lors d’une conférence de presse, la politique de l’Administration américaine, M. Schenke a indiqué qu’elle «est constante» concernant la région de l’Afrique du Nord, notamment l’Algérie qui joue un rôle «pionnier et fructueux» dans le continent.
Il a précisé qu»en dépit du fait que chaque administration américaine dispose de prérogatives différentes, mais cette dernière reste +constante et stable+ en ce qui concerne les approches relatives à l’Afrique du Nord, notamment l’Algérie».
Il a ajouté que les administrations américaines issues soit des camps des Républicains ou des Démocrates ont participé au renforcement des relations avec l’Algérie», relevant «le partenariat et la coopération stratégique avec l’Algérie notamment dans le domaine économique». «La profondeur des relations bilatérales historiques qui datent des années 1950 lorsque John Kennedy avait annoncé, dans son discours de 1957, le soutien à l’indépendance de l’Algérie», a rappelé M. Schenke.
Il a souligné aussi la profondeur de la coopération des diplomaties des deux pays, affirmant que «la diplomatie algérienne ayant contribué, il y a 40 ans, à la libération de 52 diplomates américains pris en otages par l’Iran pendant 444 jours».
Il a souligné que Washington, qui a œuvré de concert avec l’Algérie pour intervenir comme médiateur en vue de mettre terme à la guerre entre l’Ethiopie et l’Erythrée en 2000, a soutenu le rôle pionnier de l’Algérie dans la conclusion de l’accord de paix et de réconciliation au Mali, issu du processus de l’Algérie en 2015.
L’hôte US a qualifié les relations algéro-américaines dans le domaine économique de «fructueuses de part et d’autre».
«La nouvelle administration élue sous la direction de Joe Biden maintiendra «la même approche», à la faveur des changements survenus au niveau des lois économiques en Algérie pour attirer davantage l’investissement étranger. «Nous œuvrons aujourd’hui à aller de l’avant pour renforcer l’investissement américain direct en Algérie», a-t-il prédit.
Quant au domaine commercial, il a affirmé que l’Algérie dispose de potentiel pour jouer «un rôle important» en la matière tant en Afrique qu’en Europe, un critère essentiel que les Etats unis tiennent en compte. En ce qui concerne le volet sécuritaire, il a souligné l’engagement de Washington à le renforcer entre les deux pays notamment en matière de lutte antiterroriste.
Concernant les engagements des Etats unis avec l’Algérie, le sous-secrétaire d’Etat américain adjoint a évoqué, outre la visite de l’actuelle délégation américaine, celle effectuée en octobre dernier par l’ancien Secrétaire américain à la Défense, Mark Thomas Esper et en septembre par le chef du commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (Africom), le Général Stephen J. Townsend. Le sous-Secrétaire d’Etat américain a également mis en avant la place importante qu’occupe l’Algérie en Afrique en tant que «membre important et dirigeant au sein de l’Union africaine ainsi que son rôle fructueux dans la région et son poids au niveau continental», grâce à sa position géographique, sa superficie et sa composition sociale (70% de jeunes).
Le responsable a souligné que le partenariat américano-algérien «est beaucoup plus profond que la coopération politique et sécuritaire», annonçant que son pays participera en tant qu’invité d’honneur à la Foire internationale d’Alger prévue cette année, où les entreprises américaines exploreront des partenariats gagnant-gagnant avec leurs homologues algériens. «Il existe de nombreuses entreprises américaines en Algérie qui créent des opportunités d’emploi et une croissance économique dans plusieurs secteurs, tels que l’industrie pharmaceutique et le secteur de l’énergie». «Les Etats-Unis établissent quotidiennement des relations entre les deux peuples dans les domaines de l’éducation, de la culture et des arts, en sus de nombreux autres domaines», a-t-il rappelé. Et d’ajouter: «nous avons de nombreux points en commun et vouons un respect profond et durable pour le gouvernement et le peuple algériens. Nous espérons poursuivre notre précieux partenariat dans les années à venir».
Vers la consolidation de la coopération économique et commerciale Lors de sa visite en Algérie, le responsable US, M. Schenke, a été reçu par le ministre du Commerce, Kamel Rezig.
Les deux parties ont évoqué nombre de questions économiques d’intérêt commun et les voies de promotion de partenariats dans divers domaines, a indiqué un communiqué du ministère du Commerce.
Lors de cet entretien tenu au siège du ministère, en présence du ministre délégué auprès du ministre du Commerce chargé du Commerce extérieur, Aissa Bekkai, M. Rezig s’est félicité des relations politiques, historiques et commerciales entre les deux pays, précise la même source. A ce propos, M. Rezig a indiqué que le ministère visait à augmenter le volume des échanges avec les USA et à lancer des partenariats gagnant-gagnant dans divers domaines, à la faveur des réformes opérées par l’Algérie pour la relance de son économie, à travers la suppression de la règle 49/51 pour les secteurs non stratégiques, en sus de l’amélioration de son climat d’affaires pour attirer davantage de partenaires étrangers.
A cette occasion M. Rezig a appelé à l’activation du Conseil d’affaires algéro-américain devant orienter et encadrer les investisseurs des deux pays en matière de lois et de critères du commerce entre les deux pays, d’investissement et de concertation.
De son côté, M. Bekkai a affirmé que les relations algéro-américaines allaient être propulsées sur le plan commercial notamment en période post-covid et après l’activation de l’accord sur la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF).
Pour sa part, M. Schenker a indiqué que l’Algérie était un partenaire stratégique pour les Etats Unis d’Amérique en Afrique, en témoigne le nombre de conventions signées auparavant dans divers domaines, ajoutant que les opérateurs économiques américains sont au fait des avantages offerts par le marché algérien, ce qui constitue une véritable opportunité afin d’établir des partenariats actifs à l’avenir, conclut le communiqué. Par ailleurs, M. Schenker s’est entretenu aussi avec le ministre des Finances, Aymen Abderrahmane.
L’augmentation des investissements directs américains en Algérie a figuré parmi les questions abordées par les deux parties.
«Avec le ministre des Finances, nous avons abordé les questions du développement du commerce entre l’Algérie et les Etats-Unis, de l’assistance technique et des possibilités de l’augmentation du montant des investissements directs américains en Algérie», a déclaré M. Schenker. « En Algérie des développements incroyables sont en train de se produire (sur le plan économique) avec une fructueuse réforme sur le plan législatif et l’adoption de nouvelles lois qui font de l’Algérie un pays encore plus attractif pour les investisseurs «, a-t-il soutenu.
Concernant le partenariat économique existant entre les deux pays, le conférencier s’est dit satisfait, affirmant s’attendre à ce que les choses se poursuivent avec l’administration Biden.
D’autre part, David Schenker a estimé que les grandes potentialités de l’Algérie sur le plan économique pourraient lui permettre de jouer un rôle important en termes de commerce tout en représentant une voie d’accès à la fois à l’Afrique et à l’Europe.
Les forces spéciales américaines opèrent secrètement dans près de la moitié de l’Afrique, révèle un nouveau rapport, alors que l’armée US ne cesse de brandir la menace de la Chine et de la Russie
Source : Mail & Guardian (Afrique du Sud), le 11 août 2020
Traduction : lecridespeuples.fr
Cette enquête a été réalisée en partenariat avec le Pulitzer Center.
Les forces d’opérations spéciales des États-Unis (SOF) —y compris les Navy SEAL, les Bérets verts de l’armée et les Raiders du corps des Marines— sont les soldats les plus entraînés de l’armée américaine, spécialisés dans la [prétendue] lutte contre le terrorisme, la contre-insurrection et les raids de combat à « action directe », entre autres missions. Leurs opérations sont entourées de secret.
Bien que les commandos américains opèrent sur le continent africain avec l’accord des gouvernements hôtes, les citoyens des pays concernés sont rarement informés de l’étendue des activités américaines —et n’ont pas leur mot à dire sur la manière dont les Américains opèrent dans leur pays, ni même sur les raisons de leur présence. Même les informations de base, comme le lieu et l’étendue des déploiements des troupes d’élite américaines et les combats clandestins des commandos américains sur le continent, ne sont pour la plupart pas rapportées à travers l’Afrique.
Empreinte des forces spéciales américaines en Afrique
Mais une enquête Mail & Guardian peut, pour la première fois, révéler les pays où opérateurs spéciaux américains ont été actifs sur le continent africain, et offrir des détails exclusifs sur des missions discrètes qui ont été largement tenues secrètes.
En 2019, les forces d’opérations spéciales américaines étaient [officiellement] déployées dans 22 pays africains : Algérie, Botswana, Burkina Faso, Cameroun, Cap-Vert, Tchad, Côte d’Ivoire, Djibouti, Égypte, Éthiopie, Ghana, Kenya, Libye, Madagascar, Mali, Mauritanie , Niger, Nigeria, Sénégal, Somalie, Tanzanie et Tunisie.
Cela représente une part importante de l’activité mondiale des forces d’opérations spéciales américaines : plus de 14% des commandos américains déployés à l’étranger en 2019 ont été envoyés en Afrique, le pourcentage le plus élevé de toutes les régions du monde à l’exception du Moyen-Orient.
Ces chiffres proviennent d’informations fournies au Mail & Guardian (M&G) par le Commandement des Opérations Spéciales et le Commandement Africain (AFRICOM) de l’armée américaine.
Un entretien avec Donald Bolduc, Général de brigade à la retraite et chef du Commandement des opérations spéciales en Afrique (SOCAFRICA) jusqu’en 2017, a permis de mieux comprendre ces opérations. Il a déclaré qu’en 2017, les forces d’opérations spéciales américaines avaient participé à des combats dans 13 pays africains. Les troupes américaines les plus élitistes ont continué d’être actives dans 10 de ces pays —Burkina Faso, Cameroun, Tchad, Kenya, Libye, Mali, Mauritanie, Niger, Somalie et Tunisie— l’année dernière.
L’empreinte militaire des États-Unis en Afrique est considérable. Des rapports antérieurs ont révélé l’existence d’une série de bases militaires à travers le continent. Les documents de planification AFRICOM 2019 autrefois secrets montrent qu’il y avait 29 bases situées dans 15 pays ou territoires différents, avec les concentrations les plus élevées au Sahel et dans la corne de l’Afrique.
Les activités des opérateurs spéciaux américains sont encore plus secrètes. Leur présence dans les pays africains est rarement reconnue publiquement, que ce soit par les États-Unis ou par les pays hôtes ; les citoyens ne sont pas informés de la présence ou de l’action de ces troupes d’élite sur leur territoire.
L’armée américaine ne sait pas exactement ce que ses forces d’élite font dans chaque pays, mais des opérateurs spéciaux ont depuis longtemps mené des missions allant des raids commando de capture ou de mise à mort aux missions d’entraînement.
Le M&G s’est entretenu avec un large éventail de sources pour combler les vides, notamment des officiers militaires et des diplomates américains, des opérateurs spéciaux américains actifs et retraités, des gouvernements africains et des sources militaires, des bénéficiaires de la formation militaire américaine en Afrique et des témoins civils. Ce qui en ressort est une image globale des activités des forces spéciales américaines en Afrique.
Certaines opérations sont menées sous les auspices des soi-disant programmes de la Section 127e, du nom d’une autorité budgétaire qui permet aux forces d’opérations spéciales américaines d’utiliser des unités militaires locales comme substituts dans les missions de lutte contre le terrorisme. Pour des raisons de sécurité, le Special Operations Command ne publiera pas d’informations sur les programmes de la Section 127e, a déclaré le porte-parole Ken McGraw.
Cependant, le M&G a confirmé que ces dernières années, les États-Unis ont mené au moins huit programmes au titre de la Section 127e en Afrique, la plupart en Somalie. Ces activités en Somalie ont été menées sous les noms de code Exile Hunter, Kodiak Hunter, Mongoose Hunter, Paladin Hunter et Ultimate Hunter, et impliquaient des commandos américains entraînant et équipant des troupes d’Éthiopie, du Kenya, de Somalie et d’Ouganda dans le cadre de la lutte contre le groupe militant al-Shabab.
Actuellement, les États-Unis mènent deux programmes 127e en Somalie, selon un responsable d’AFRICOM.
Le nombre de missions terrestres effectuées par les commandos américains en Somalie n’a jamais été révélé auparavant, mais les documents de l’US Air Force obtenus par le M&G et corroborés par Bolduc indiquent l’ampleur de ces efforts. Les documents, du 449e Groupe expéditionnaire aérien basé au Camp Lemonnier à Djibouti montrent que les États-Unis et les pays partenaires ont mené plus de 200 missions terrestres contre al-Shabab entre juin 2017 et juin 2018.
Ce nombre n’est pas une anomalie. « C’est à peu près la moyenne, chaque année, pour le temps que j’y étais aussi », a déclaré Bolduc, qui a dirigé le Commandement des opérations spéciales en Afrique d’avril 2015 à juin 2017.
Le Commandement de l’Afrique caractérise les missions avec des forces partenaires comme des missions « de conseil, d’assistance et d’accompagnement » ou « AAA » (Advise, Assist and Accompany), mais ces opérations peuvent être indiscernables du combat. Au cours d’une mission AAA en 2017, par exemple, le Navy SEAL Kyle Milliken, un premier maître de 38 ans, a été tué, et deux autres Américains ont été blessés lors d’un raid sur un camp d’al-Shabab à environ 65 km à l’ouest de Mogadiscio, la capitale de la Somalie.
AFRICOM ne divulgue pas le nombre de missions de conseil, d’assistance et d’accompagnement par pays, mais dans un mail adressé au M&G, le commandement africain a reconnu 70 de ces missions en Afrique de l’Est en 2018, 46 en 2019 et 7 en 2020 début juin.
Parmi les autres efforts axés sur les opérations spéciales qui étaient toujours actifs dans la région en février 2020 figure « Oblique Pillar », une opération qui fournit un soutien par hélicoptère sous contrat privé aux Navy SEAL et aux unités de l’armée nationale somalienne qu’ils conseillent ; « Octave Anchor », une opération psychologique furtive axée sur la Somalie ; et « Rainmaker », un effort de renseignement électromagnétique hautement classifié.
L’Afrique du Nord-Ouest est un autre théâtre majeur des opérations spéciales américaines. Une grande partie du monde, par exemple, a pris connaissance des opérations militaires américaines en Afrique en octobre 2017, après que Daech a tendu une embuscade aux troupes américaines près de Tongo Tongo au Niger, tuant quatre soldats américains dont deux étaient des Bérets verts. Ces troupes appartenaient à l’équipe opérationnelle Détachement-Alpha 3212, une unité de 11 hommes travaillant avec une force nigérienne sous l’égide de l’opération Juniper Shield.
Juniper Shield est le principal effort de lutte contre le terrorisme des États-Unis en Afrique du Nord-Ouest, impliquant 11 pays : Algérie, Burkina Faso, Cameroun, Tchad, Mali, Mauritanie, Maroc, Niger, Nigéria, Sénégal et Tunisie. Sous Juniper Shield, les forces d’opérations spéciales américaines entraînent, conseillent, assistent et accompagnent depuis longtemps les forces partenaires locales menant des missions visant des groupes terroristes, y compris al-Qaïda et ses affiliés, Boko Haram et Daech. L’effort, selon les documents AFRICOM, était en cours depuis février.
Documentaire d’ABC sur une équipe de Bérets verts dans le Sahara algérien (date inconnue, mais antérieure à 2012).
L’autre activité clé dans la région est l’exercice Flintlock, un exercice annuel d’entraînement aux opérations spéciales, mené par le Commandement Africain des Opérations Spéciales, axé sur le renforcement de la capacité des pays d’Afrique de l’Ouest à planifier et à mener des missions de lutte contre le terrorisme. Les pays africains participants étaient le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Tchad, le Cap Vert, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée, le Mali, la Mauritanie, le Maroc, le Niger, le Nigeria, le Sénégal et le Togo.
La Libye a également été au centre des préoccupations. L’année dernière, les États-Unis ont retiré leurs commandos de la Libye alors que la guerre civile éclatait. « En raison de l’agitation accrue […] un contingent de forces américaines soutenant le Commandement américain pour l’Afrique a temporairement déménagé du pays en réponse aux conditions de sécurité sur le terrain », a annoncé l’AFRICOM en avril 2019. Ces troupes ne sont jamais revenues, selon le porte-parole d’AFRICOM, John Manley. Mais cela n’a apparemment pas arrêté les opérations américaines axées sur la Libye.
Selon les documents d’AFRICOM, l’opération Junction Serpent, un effort de surveillance en Libye qui a débuté dans le cadre de la campagne de frappes aériennes de 2016 contre des cibles de Daech dans la ville côtière de Syrte, est toujours active. Sous Junction Serpent, le Commandement Conjoint des Opérations Spéciales ou JSOC, l’organisation secrète qui contrôle l’équipe 6 des Navy SEAL et d’autres unités de mission spéciales, a reçu une autorité spéciale pour développer des informations de ciblage pour les frappes aériennes. Une opération sœur nommée Odyssey Resolve, impliquant des vols de renseignement, de surveillance et de reconnaissance au-dessus de la Libye, était une autre composante de la campagne d’opérations spéciales de frappes aériennes à Syrte et était également en cours depuis février.
Tous les endroits où les commandos américains opèrent en Afrique ne se trouvent pas dans des zones de guerre ou à proximité. Citons par exemple le Botswana, l’une des démocraties les plus établies et les plus pacifiques du continent.
En réponse aux questions du M&G, l’ambassade des États-Unis au Botswana a déclaré que les troupes d’élite américaines avaient participé à l’exercice Upward Minuteman, un événement de formation de trois semaines organisé en juin 2019 à la base aérienne de Thebephatshwa à Molepolole. La formation a impliqué 200 soldats de la Garde nationale de Caroline du Nord et un nombre indéterminé de soldats de la Force de défense du Botswana (BDF). Il comprend tout, de l’entraînement aux armes aux simulations d’assaut aérien et terrestre.
« L’armée américaine entretient une solide relation de coopération bilatérale en matière de sécurité avec le BDF depuis sa création. A ce titre, nous menons une variété d’engagement militaire à militaire qui inclut parfois des forces spéciales. Au cours des dernières années, nous avons mené des échanges d’expertise spécifiques aux forces spéciales en 2017 et 2019 », a déclaré la responsable des affaires publiques de l’ambassade, Ineke Margaret Stoneham.
Les forces armées du Botswana jouissent d’une réputation relativement propre. Ce n’est pas le cas de tous les pays avec lesquels les États-Unis se sont associés. Prenons le Burkina Faso, où des unités d’opérations spéciales américaines ont formé les forces de sécurité burkinabè à la lutte contre les engins explosifs improvisés et les ont conseillées avant les opérations de lutte contre le terrorisme. En juillet, un rapport de Human Rights Watch impliquait des soldats burkinabè dans des massacres dans la ville de Djibo, dans le nord du pays. Et ce n’est pas la première fois que ces forces sont accusées de graves violations des droits de l’homme.
Temi Ibirogba, associée de recherche du Programme Afrique au Centre pour la politique internationale, a averti que la formation, l’équipement et l’assistance aux militaires des nations accusées de violations des droits de l’homme les encourage et leur permet de justifier leurs abus. « Si la nation démocratique la plus puissante du monde soutient votre armée, vous croirez sûrement que les violations des droits de l’homme que vous avez commises sont excusables », a-t-elle déclaré au M&G.
Un porte-parole du département d’État américain a déclaré à M&G : « Les États-Unis sont profondément préoccupés par le nombre croissant d’allégations de violations des droits de l’homme et d’abus perpétrés par les forces de sécurité de l’État au Sahel, y compris celles documentées par Human Rights Watch [lol]. »
Le porte-parole a ajouté : « Nous excluons de l’assistance et de la formation les individus ou unités coupables de violations des droits de l’homme. Nous suivrons donc de près les enquêtes en cours afin de déterminer comment ces allégations affecteront nos obligations légales en vertu de la loi américaine. À ce jour, nous n’avons aucune information indiquant que des individus ou des unités formés ou équipés aux États-Unis ont été impliqués dans l’un des abus signalés. »
Andy Duhon, un ancien officier des forces d’opérations spéciales américaines avec plus d’une décennie d’expérience dans la région du Sahel, a remis en question l’efficacité de l’implication de l’armée américaine en Afrique. Il a déclaré que les États-Unis ne comprennent pas ce que veulent les pays africains et, par conséquent, ne savent pas comment intervenir au mieux.
« Les États-Unis n’en font pas assez. Ils prétendent vouloir aider, mais ils doivent faire un meilleur travail de compréhension des organisations de base, des gouvernements et des militaires, au lieu de simplement envoyer de l’argent pour des programmes de formation et d’équipement à long terme », a déclaré Duhon.
Comfort Ero, directeur du programme Afrique d’International Crisis Group, a déclaré que l’étendue des forces d’opérations spéciales américaines en Afrique illustre la « montée en puissance » de l’armée américaine sur le continent. Même si, a-t-elle ajouté, le message est mitigé : « Il y a une accumulation d’une part et une retenue de l’autre. Il est clair que les États-Unis ne veulent pas être en première ligne. »
Ero a déclaré que le manque de transparence de la part des gouvernements américains et africains sur la présence militaire américaine en Afrique est une source de préoccupation, tout comme la volonté de Washington de travailler avec des gouvernements autoritaires. « Cela alimente cette inquiétude plus large que certains États soient soutenus […] Les États-Unis sont considérés comme légitimant et prolongeant davantage les tendances autoritaires, ou les États [dont les dirigeants] ne sont pas considérés comme ayant une légitimité. »
* * *
Les États-Unis ont-ils déployé des soldats en Algérie ?
Source : North Africa Post, 11 mars 2018
Traduction : lecridespeuples.fr
Le Washington Post et le New York Times ont révélé dans des articles récents que des troupes américaines sont présentes en Algérie, un pays qui a longtemps rejeté la présence de troupes étrangères, revendiquant une doctrine interdisant le déploiement de troupes étrangères sur son territoire.
Selon le Washington Post, l’Algérie a été incluse dans la liste des pays où les troupes américaines reçoivent une prime de danger imminent pendant leur déploiement, « une décision qui reflète l’évolution des dangers en Afrique de l’Ouest et fait suite à la mort de quatre soldats américains au Niger l’année dernière. »
Le New York Times, qui a confirmé la présence militaire américaine en Algérie, a rapporté les déclarations de Joe Courtney, un député démocrate du Connecticut, qui a rappelé que les troupes américaines en Algérie, au Tchad, en Egypte et au Kenya recevaient déjà ce bonus.
Joe Courtney a fait ces remarques lors d’une audition du Général Thomas D. Waldhauser, le commandant qui supervise les missions militaires en Afrique, tenue le 6 mars devant le comité des forces armées. L’audience portait sur la décision d’inclure le Niger dans la liste des zones de combat où les troupes reçoivent un supplément de salaire.
Le Washington Post a déclaré que les troupes américaines déployées en Algérie, au Burundi, au Tchad, au Congo, à Djibouti, en Égypte, en Érythrée, en Éthiopie, au Kenya, en Libye, en Somalie, au Soudan, au Soudan du Sud, en Tunisie et en Ouganda étaient déjà qualifiées pour recevoir la prime de danger.
Les pays ont été ajoutés à la liste alors que l’Afrique de l’Ouest est aux prises avec des militants qui se sont rebaptisés Daech en Afrique de l’Ouest. Al-Qaïda au Maghreb (AQMI) a également eu une présence dans des pays comme le Mali, le Niger, le Nigéria et la Mauritanie, selon l’article.
De même, le portail d’information algérien TSA a affirmé, se référant à un document du Pentagone, que les soldats américains sur le territoire algérien reçoivent le supplément de salaire « depuis le 7 mars 1995 ».
Les révélations des deux médias américains et algériens semblent démentir les affirmations algériennes de plusieurs décennies selon lesquelles aucune présence militaire étrangère n’est tolérée en Algérie.
Notons que selon El Watan, « Le porte-parole de l’ambassade américaine à Alger a démenti toute présence de troupes de son pays sur le sol algérien, et que la prime de risque octroyée aux militaires US concerne ‘le personnel chargé de la sécurité de la chancellerie’. LaSean Knox-Brown, porte-parole de l’ambassade américaine à Alger, évoque un ‘malentendu’ et dément toute présence militaire en Algérie. ‘Il y a eu une mauvaise interprétation des propos. Les personnes concernées par cette prime de risque en Algérie, sont les militaires affectés à la sécurité des diplomates. Moi-même, lorsque j’ai lu les comptes rendus de la presse, j’ai été un peu étonné’, déclare le diplomate. Il est catégorique en ce qui concerne le déploiement sur le territoire national d’une quelconque troupe de son pays. ‘Nous n’avons pas de troupes militaires en Algérie. Nous avons un personnel chargé de la sécurité sur place dans l’enceinte de l’ambassade, ou d’autres qui viennent occasionnellement, lors des visites de responsables américains de l’Africom pour une durée limitée’, révèle LaSean Knox-Browm.’ »
Les révélations rappellent également des rapports antérieurs indiquant que les États-Unis auraient une base secrète au Tassili, dans le sud-est de l’Algérie, depuis le début des années 2000.
Dans son édition du 22 septembre 2010, le journal satirique français Le Canard Enchainé a repris ces allégations, déjà formulées une décennie plus tôt, et divers médias algériens lui ont emboité le pas, faisant état d’une présence américaine à Tamanrasset, où une société américaine (BRC, filiale d’Halliburton) avait construit une base militaire selon les normes américaines. Officiellement, la base aurait été algérienne, mais selon Le Canard enchaîné, la base abritait une antenne sophistiquée de la CIA :
Sous le contrôle de la célèbre National Security Agency,400 experts barbouzards y pratiquent l’enregistrement des téléphones cellulaires et satellitaires, très utilisés par les groupes terroristes.
Les démentis répétés des autorités algériennes sont à nouveau remis en cause par les dernières révélations des médias.
par Le Cri des Peuples (son site) samedi 2 janvier 2021
The Washington Post and the New York Times revealed in recent stories that US troops are present in Algeria, a country that has for long rejected the presence of foreign troops while claiming a doctrine prohibiting the deployment of foreign troops on its territory.
According to the Washington Post, Algeria was included in the list of countries where US troops receive imminent danger pay while deployed, “a move that reflects the evolving dangers in West Africa and follows the deaths of four US soldiers in Niger last year.”
The New York Times, in what confirmed the US military presence in Algeria, reported Joe Courtney, a Democratic deputy from Connecticut, recalled that US troops in Algeria, Chad, Egypt and Kenya were already receiving this bonus.
Joe Courtney made the remarks during a hearing of General Thomas D. Waldhauser, the commander who oversees military missions in Africa, on March 6 before the Armed Forces Committee. The hearing was about the decision to include Niger in the list of combat zones where troops receive extra pay.
The Washington Post said that US troops deployed in Algeria, Burundi, Chad, Congo, Djibouti, Egypt, Eritrea, Ethiopia, Kenya, Libya, Somalia, Sudan, South Sudan, Tunisia and Uganda already qualified to receive the danger pay.
The countries were added to the list as West Africa grapples with militants who have re-branded themselves as Islamic State-West Africa. Al-Qaeda in the Islamic Maghreb (AQIM) also has had a presence in nations including Mali, Niger, Nigeria and Mauritania, the article said.
Relatedly, the Algerian news portal TSA affirmed, referring to a Pentagon document, that US soldiers on Algerian territory receive the extra pay “since March 7, 1995”.
The revelations of the two US and Algerian media came to deflate the decades-long Algerian claims that no foreign military presence is tolerated in Algeria. The revelations also bring back to mind earlier reports stating that the United States has a secret base in Tassili, in southeastern Algeria, since the early 2000s.
At the time, French satiric paper Le Canard Enchainé and various Algerian media had reported an American presence in Tamanrasset, where an US company (BRC, a subsidiary of Halliburton) had built a military base according to American standards. Officially, the base was said to be Algerian, but according to reports, the base was housing a sophisticated CIA antenna.
Algerian authorities’ repeated denials are again debunked by the latest media revelations.
Les thèmes de propagande US le plus souvent à usage interne en vue des élections mais aussi pour inviter leurs alliés à soutenir leurs croisades n’en finissent pas d’étonner ceux qui sont victimes de ces affabulations. Ici la réaction russe face à l’accusation de financer les attentats contre l’armée américaine (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop).
Par Sergey Kozlov, Vétéran des forces spéciales
6 juillet 2020
Un nouveau scandale antirusse éclate aux États-Unis – les services de renseignements militaires russes sont accusés de financer les talibans pour le meurtre de l’armée américaine. Sans discuter de spéculations aussi bon marché et non prouvées, je voudrais rappeler les véritables opérations de la CIA dans un passé pas si lointain. Les opérations que les Américains ont directement conçues et exécutées pour tuer les troupes soviétiques. Il s’agira de la guerre en Afghanistan.
Un cas qui semblait désespéré
Après une série d’échecs des services de renseignement américains, le Congrès américain a approuvé fin 1979 un nouvel ensemble de règles interdisant à la CIA de s’engager dans des «opérations sales». En décembre de la même année, la CIA a volontairement réduit toutes les opérations qui pouvaient entrer dans cette définition.
Par conséquent, quand en même temps les troupes soviétiques sont entrées en Afghanistan, les services de renseignement américains ne se sont pas fait d’illusions sur l’efficacité de leurs actions possibles pour soutenir les opposants à l’URSS. Certes, le président américain Carter a donné son feu vert au soutien des rebelles afghans. Les États-Unis étaient prêts (comme le Pakistan, l’Arabie saoudite, la Chine et un certain nombre de pays musulmans) à fournir des armes aux moudjahidines. Mais personne de la CIA n’a pensé qu’il était possible de remporter une victoire dans cette lutte.
Suivant l’ancienne règle, la CIA a tenté d’exclure la fourniture à l’Afghanistan (comme à d’autres pays) d’armes fabriquées aux États-Unis. À cette époque, le caractère secret de l’opération était extrêmement important pour la CIA; tout était fait pour éviter d’être accusés de ce qui se passait directement. Par conséquent, le premier lot (environ 1 000 unités), livré au Pakistan à partir de la base secrète de San Antonio, était composé d’armes et de munitions soviétiques préparées par la CIA spécifiquement à cet effet. Par la suite, les Américains ont acheté pour les Afghans des fusils britanniques Lee-Enfield de la Première Guerre mondiale et des munitions stockées en grandes quantités dans des entrepôts.
Mais l’essentiel n’est pas là. Le budget alloué pour soutenir les bandits afghans en 1980 n’était que de 5 millions de dollars par an. En 1981, ce montant a été doublé, mais restait toujours misérable – moins que le coût d’un seul avion de combat.
Le rôle des individus
Et c’est à ce moment-là qu’un ardent anti-communiste, membre du Congrès du Texas, Charles Wilson, s’est très vivement intéressé à la guerre en Afghanistan. Il estimait que l’Afghanistan pouvait devenir pour les Soviétiques ce que le Vietnam avait été pour les États-Unis. Entré dans le sous-comité des crédits, il a eu la possibilité de rechercher un financement accru pour cette guerre, qu’il a bientôt commencé à considérer comme la sienne. Mais pour que l’argent qu’il gagnait soit dépensé correctement, il avait besoin de liens avec la CIA. Cependant, l’agence de renseignement n’est pas habituée à travailler en étroite collaboration avec des gens du Congrès, craignant à juste titre une forte probabilité de fuite d’informations et un nouveau scandale.
Le nouveau chef du centre d’opérations de la CIA à Islamabad, Howard Hart, considérait que les Américains, soutenant les Afghans, visaient plusieurs objectifs. Premièrement, forcer l’URSS à détourner l’équipement militaire moderne de la direction occidentale, où les forces du Traité de Varsovie étaient opposées aux forces de l’OTAN. Deuxièmement, les dommages causés au budget soviétique. À son avis, il fallait dépenser moins, mais plus efficacement. Son opinion était partagée par le président du Pakistan, Ziya-ul-Haq. “Nous devons faire bouillir le breuvage pour les Russes, mais pour qu’il ne déborde pas sur le Pakistan”, a-t-il dit. Les Américains comme les Pakistanais craignaient qu’avec une augmentation de leur intervention dans les événements afghans, l’URSS ne puisse envoyer ses troupes au Pakistan.
L’opinion de Hart différait de celle de Wilson, qui voulait la victoire dans cette guerre – une idée extravagante pour l’époque. Cependant, sa conviction et sa volonté de trouver des fonds pour intensifier la guerre a plu au chef du département du Moyen-Orient de la CIA Chuck Kogan. En conséquence, en 1983, le montant de l’aide américaine aux moudjahidin est passé à 30 millions de dollars par an. Mais même cet argent était ridicule pour soutenir la guerre contre une formation aussi puissante que la 40e armée interarmes des forces armées de l’URSS.
En outre, Gast Avrakotos a été nommé au poste de chef du point opérationnel de la CIA en Afghanistan. Cet officier avait une vaste expérience dans la conduite d’opérations secrètes et en est rapidement venu à partager les vues de Wilson. Sa nomination a sérieusement changé l’attitude de la CIA (et donc des États-Unis) face à cette guerre. En outre, en 1983, Wilson a réussi à attirer Doc Long, président de la Commission des crédits du Congrès, à ses côtés. De plus, Wilson a convenu avec l’Arabie saoudite que pour chaque dollar dépensé par les États-Unis dans la guerre, l’Arabie saoudite en investirait autant. Ainsi, le montant du financement des moudjahidines en 1984 a considérablement augmenté. Et tous ces gens ont cherché à tuer les soldats soviétiques – et les ont tués.
Accent sur les systèmes de missiles antiaériens
À cette époque, Charles Wilson a appris l’existence d’armes contre lesquelles les Moudjahidines n’avaient pas de défense – les hélicoptères soviétiques Mi-24. Les moudjahidines utilisaient des mitrailleuses DShK de fabrication chinoise pour les combattre, mais elles étaient inefficaces – les balles ne faisaient que rebondir sur le blindage de l’hélicoptère. Par conséquent, Wilson a commencé à chercher d’autres armes.
Deux systèmes ont été présentés au choix de Wilson: le canon antiaérien automatique suisse Oerlikon et les canons antiaériens automatiques jumeaux ZU-23×2 soviétiques stockés dans les entrepôts des forces armées égyptiennes. Ces systèmes permettaient d’atteindre les hélicoptères soviétiques à une altitude de 5000 mètres. Mais les Égyptiens n’ont pas pu faire la preuve de l’efficacité des canons antiaériens dans les montagnes et la possibilité de les faire transporter par des bêtes de somme. En conséquence, un petit lot d’Oerlikon a été acheté. Et le financement de l’achat d’armes pour les moudjahidines a augmenté dans son ensemble de 100 millions de dollars.
La CIA également cherchait des armes contre le Mi-24. Avrakotos a réussi à organiser un achat secret de systèmes de défense aérienne portables (MANPADS) de fabrication soviétique, produits dans des usines polonaises. Cela a été facilité par l’un des généraux polonais qui détestait l’URSS – il a livré aux Américains des dépôts de l’armée polonaise un grand lot de MANPADS “Strela”. Des missiles similaires ont été fournis par les Chinois. Une tentative a été faite d’acheter les mêmes missiles aux Égyptiens, mais ils étaient stockés dans des conditions déplorables et se sont révélés hors d’usage. Grâce à son expérience et à sa connaissance du marché noirdes armes, Avrakotos a pu réduire considérablement le coût des armes et des munitions achetées pour les moudjahidin, augmentant ainsi le volume des fournitures.
En 1984, Gast Avrakotos a reçu le capitaine Vickers, un ancien “béret vert”, dans le cadre du point opérationnel de la CIA en Afghanistan. Ce type était plus que quiconque dans les secrets de la guérilla. C’est lui qui a réussi à calculer correctement la meilleure façon de gérer l’argent alloué. Vickers a calculé le nombre nécessaire de détachements partisans des moudjahidin afghans, les quantités d’armes, le nombre requis de munitions et d’autres éléments logistiques qui devaient être envoyés en Afghanistan. En particulier, il pensait que l’unité tactique principale des Moudjahidines devrait être un détachement d’une centaine de personnes armées de fusils d’assaut AK-47 et de trois mitrailleuses.
L’une des principales exigences de Vickers était une augmentation du nombre de MANPADS achetés pour les Afghans de 20 à 30 fois. Il estimait inutile de rechercher un seule type d’arme de défense aérienne contre les hélicoptères et qu’une combinaison de divers types d’armes pouvait également être efficace.
Selon les calculs de Vickers, les moudjahidin avaient besoin d’un budget de 1,2 milliard de dollars par an pour mener avec succès la guerre contre les troupes soviétiques. Après que Vickers a présenté avec succès son programme non seulement à la CIA, mais aussi à Wilson, le montant alloué au programme afghan est passé à 500 millions de dollars, dont la moitié provenait du Congrès américain et l’autre de l’Arabie saoudite.
Aide chinoise contre l’URSS
Cependant, trouver autant d’armes soviétiques sur le marché noir n’était pas si facile. C’est alors que les communistes chinois ont fait avancer l’affaire de la CIA, livrant des armes soviétiques à la fois sous licence soviétique et sans. En fait, la majeure partie des armes entrant en Afghanistan à partir de la fin de l’automne 1984 était de fabrication chinoise. En conséquence, les prix d’un fusil d’assaut Kalachnikov sont tombés à moins de 100 dollars, tandis que les prix des mines d’infanterie sont tombés à 75 dollars chacune.
Cependant, en équipant les Moudjahidines de MANPADS, les Chinois ne pouvaient offrir que des Strela de leur propre production. Ce complexe était obsolète et les hélicoptères soviétiques ont réussi à les éviter en utilisant des pièges à chaleur et le dispositif Lipa. La question s’est posée de l’acquisition pour les Afghans du dernier MANPADS britannique «Blow Pipe».
En 1985, des roquettes chinoises ont commencé à arriver en Afghanistan, que les Moudjahidines ont lancées en utilisant des sacs de sable et d’autres moyens artisanaux comme guides. De plus, des PU RS fabriqués en Chine ont été livrés aux moudjahidin. Cependant, la CIA cherchait des missiles avec une portée de tir de plus de 10 km et … elle a trouvé les Katiouchas soviétiques dans les entrepôts des forces armées égyptiennes, livrés à l’époque de l’URSS. Ils ont également été achetés, livrés en Afghanistan et utilisés pour bombarder Kaboul.
Sans plus de complexes
1985 a été un tournant dans cette guerre. Les Américains pensaient qu’à ce moment-là, l’URSS pouvait encore gagner si elle avait augmenté la taille de son groupe d’intervention à un demi-million de personnes. Les commandants de campagne qui ont combattu contre l’armée soviétique adhèrent désormais à cette idée. Ils admettent que si cela avait duré un peu plus, leur résistance aurait été brisée. Mais cela ne s’est pas produit. Gorbatchev est arrivé au pouvoir en URSS.
Fin 1985 – début 1986, il a été décidé de fournir à l’Afghanistan les derniers MANPADS américains Stinger. Cela marque un véritable tournant dans la lutte des moudjahidin contre les hélicoptères et les avions soviétiques. Les États-Unis ont tellement augmenté le montant du financement et des achats d’armes aux moudjahidines qu’il était impossible de le cacher davantage. De plus, maintenant que le budget de la CIA pour cette guerre s’élevait à 750 millions de dollars, les Américains n’avaient plus peur que l’URSS soit au courant de leur aide aux Moudjahidines. Comme l’a dit un membre de la CIA: «Et si le KGB apprenait notre aide aux Afghans? Vont-ils nous poursuivre en justice? »
En 1985, la CIA a consacré plus de 50% du budget alloué par le Congrès à l’Afghanistan, et en 1986 plus de 70%. En 1987, le financement total américano-saoudien pour les moudjahidines afghans a atteint 1 milliard de dollars. Et les pertes des troupes soviétiques en Afghanistan se sont élevées à des milliers de soldats et d’officiers. Ils ont en fait été tués avec l’argent des États-Unis d’Amérique.
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Que dire dans ce cas des médias et des politiciens américains qui accusent aujourd’hui la Russie d’avoir financé le meurtre de trois soldats américains seulement? Que c’est techniquement, politiquement et même idéologiquement absurde? Et que même si les services spéciaux russes avaient voulu payer pour cela, ils n’auraient laissé aucune trace d’un tel financement?
Leur fantastique hypocrisie n’a d’égal que leur fanatisme politique et leur aveuglement.
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