Ce titre pourra paraitre étrange, voire hermétique, mais je n'ai pas trouvé mieux pour indiquer la tentative de ce texte de montrer que le sophisme, en tant que procédé de rhétorique, est à la base du discours politique et médiatique prédominant actuellement en Occident. Si le lecteur a la patience de nous accompagner dans ce raisonnement, peut-être celui-ci va-t-il s'éclaircir au fur et à mesure à ses yeux et que ce texte lui sera alors utile.
Dès que la société s'est complexifiée, il s'est développé en son sein, des groupes aux intérêts contradictoires. Il est alors devenu nécessaire pour le groupe dominant de soumettre les autres groupes, pas seulement par la force mais aussi, bien mieux, pacifiquement, par l'idéologie, par l'adhésion à l'ordre établi. La pensée politique et sociale, s'est donc, parallèlement, elle aussi différenciée. Elle a produit deux camps intellectuels, celui de la Rhétorique et celui de la Philosophie, au sens grecs des termes. Le camp de la Rhétorique partait de l'idée qu'il n'y avait pas de vérité, puisqu'elle était toute relative. Au service du groupe dominant, il n'avait pas le souci du vrai, mais du vraisemblable, de présenter comme vérités les intérêts des dominants, avec comme arme privilégiée le sophisme, en tant qu'art consommé, en tant que technique, pour emporter la conviction de l'opinion, au besoin la manipuler, le soft power comme on dirait aujourd'hui. Le camp de la Philosophie, faisant de la vérité, des méthodes et moyens de l'atteindre, le but et la légitimation de l'activité intellectuelle.
Ce combat se poursuit jusqu'à nos jours. Il trouve son illustration parfaite dans les conflits mondialisés qui secouent actuellement notre planète, Ukraine, Palestine, Iran. La Rhétorique utilise, dans son récit à leur propos, son instrument préféré, le sophisme sous toutes ses formes pour construire une vérité alternative, et donner à un raisonnement erroné ou trompeur les apparences de la vérité: hypothèses et prémisses du raisonnement fausses, généralisations abusives, caricatures de la position adverse, demi vérités, fausses analogies, omission, diversion par rapport au vrai sujet, non démonstration de l'hypothèse de départ, laquelle est simplement affirmée etc.. Ce qui fait le caractère redoutable du sophisme c'est qu'il est difficile à débusquer, aussi bien dans un débat, dans un ouvrage ou dans les confrontations médiatiques. La raison en est bien simple: le but même du sophisme est de se cacher grâce aux techniques qu'il utilise.
On trouve toute la panoplie de ces techniques du sophisme dans la rhétorique occidentaliste, politique et médiatique actuelle. C'est d'elle dont nous parlerons même si, évidemment, l'Occident n'en a pas le monopole et qu'on pourrait faire la chasse aux sophismes dans d'autres régions du monde.
Quelques exemples rapides.
Des sophismes dans toutes leurs splendeurs
8 avril 2024, une vingtaine de soldats allemands arrivent en Lituanie, pour préparer la venue, à cette frontière avec la Russie, d'une brigade de 4800 soldats qui seront déployés en permanence, progressivement jusqu'à 2027. Il s'agit, version officielle, d'affronter «la menace russe». Ici, c'est un sophisme patent d'inversion, de substitution, d'une prémisse, d'une hypothèse de base affirmée sans aucune démonstration. Elle est doublée d'une analogie abusive, technique courante du sophisme, puisqu'il est sous-entendu que la Russie «peut agresser les pays baltes puisqu'elle a déjà agressé l'Ukraine».
Question: qui se déploie à la frontière de l'autre, l'Allemagne ou la Russie ? La Lituanie et la Russie ont une frontière commune. On ne peut changer la géographie. Ce thème de «la Russie aux frontières» est aussi utilisé pour la Finlande, la Norvège, la Géorgie, C'est donc l'existence même de la Russie qui pose problème. On se trouve, au final d'un raisonnement apparemment banal, devant une conclusion monstrueuse, celle de l'effacement souhaité, rêvé de la Russie, une sorte de génocide géopolitique. Le sophisme, on le voit, peut conduire loin, très loin. Il n'est d'ailleurs pas sans intérêt que cela vienne de l'Allemagne qui a déjà tenté cet effacement de la Russie avec Hitler pendant la deuxième guerre mondiale. Y aurait-il des relents de revanche ? L'Allemagne ne regrette-t-elle pas maintenant, d'avoir fait alors de mauvais calculs en combattant l'Occident au lieu de s'allier avec lui contre l'URSS. Simple hypothèse d'école mais... Comment comprendre, en effet, que l'Allemagne se soit tue devant un évènement aussi énorme que la destruction d'un ouvrage aussi colossal que son gazoduc, Nord Stream, en dépit des graves soupçons pesant sur les dirigeants des États-Unis et de l'Ukraine, et du coût quasiment suicidaire pour son économie de l'utilisation d'un gaz liquéfié américain quatre fois plus cher que le gaz russe
Même logique d'inversion concernant la menace, dite « islamiste» du Hamas, à partir de Gaza. Israel se trouve à la frontière de Gaza, en tant que force d'occupation et il est, d'ailleurs, considéré officiellement par l'ONU comme tel. Qui menace qui ? Le sophisme réside, ici, dans l'omission du fait que les territoires palestiniens sont occupés par Israel. L'omission est l'une des techniques du sophisme, Elle permet, dans cet exemple, d'inverser en acte d'agression, un acte de légitime défense du pays occupé.
Le conflit irano-israélien
Même procédé, même omission, même inversion, même sophisme, concernant le récent conflit irano-israélien. Le 1er Avril, Israël a attaqué de façon soudaine et délibérée la section consulaire iranienne, adjacente à l'ambassade d'Iran à Damas. L'attaque est sanglante. Elle fait treize morts, 6 syriens, 8 officiers supérieurs iraniens dont 2 généraux. Le viol du droit international est sans précèdent. Aucune condamnation occidentale.
L'affaire est cousue de fils blancs. L'attaque n'a été qu'une provocation destinée à obliger l'Iran à riposter, pour pouvoir réaliser le vieux projet, israélo-étatsunien de détruire les installations nucléaires iraniennes. Cette attaque ne pouvait avoir été faite sans l'accord des États-Unis, mais ceux-ci appellent ostensiblement l'Iran à ne pas se livrer à une escalade. Lorsque l'Iran riposte, l'axe occidental exprime son appui indéfectible à Israel et son droit «à se défendre». Et c'est l'ambassadeur iranien qui est convoqué, par les principaux pays occidentaux. Le parti pris est trop évident.
Il est aussi clair, qu'un autre but de l'opération, était de permettre à Israel, «une réconciliation» avec les États- Unis, et de poursuivre le massacre des populations civiles à Gaza, sans n'avoir plus, désormais, à supporter les remontrances de son grand allié. D'autres pays occidentaux, l'Angleterre et la France, comme d'habitude, suivent. Ils y trouvent eux aussi une occasion pour se réconcilier avec Israel et reporter sine die leurs timides protestations contre la boucherie de Gaza.
Mais voilà comme toujours, il y a un grain de sable. On ne joue jamais seul et l'Histoire ne s'écrit jamais sous la dictée. Méfiant, flairant le piège de la provocation, l'Iran a limité son attaque tout en montrant sa maitrise de la guerre moderne de drones et de missiles, et il précise, quelques heures à peine après, que son opération est terminée et «le dossier clos». Pas une seule victime israélienne. Inattendu. Et surtout, depuis le temps que l'Iran s'attend à une attaque israélo-étatsunienne contre ses sites nucléaires, peut-être les a-t-ils protégés efficacement, en les enfouissant à des dizaines de mètres sous terre et en les défendant par des batteries de missiles. Le coup semble raté ou très aventureux. Car s'il se fait, il révèlera du coup les intentions réelles du duo étatsunien-israélien. De plus, un pays arabe, comme la Jordanie, a abattu des drones iraniens survolant son sol et s'est gravement compromis vis-à-vis de l'opinion arabe, révélant qu'il était, en fait, un allié direct d'Israel.
Tout cela n'empêche pas le monde médiatico-politique occidental de continuer de tordre les faits et de qualifier «d'attaque de l'Iran» sa riposte du 13 avril à l'attaque d'Israel. C'est hallucinant, pas un mot, pas un seul, n'est dit sur le déclencheur du conflit. Pour le 7 Octobre, il n'y avait rien, ni avant, ni après. Pour le 13 avril, de même, rien avant, rien après. Pour le 24 février 2022 en Ukraine, de même. Ainsi va la rhétorique du récit occidentaliste.
Mossoul et Gaza
Cette question de «qui attaque qui», «qui agresse qui», est d'ailleurs le terrain favori du sophiste occidental. L'attaque est qualifiée de défense. La riposte qualifiée d'attaque. Cette inversion est l'une des techniques du sophiste. Mais la perle, en la matière, revient comme souvent à Mr Bernard Henry Lévy. C'est un intellectuel français, chantre de toutes les interventions occidentales: en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, y compris celles qui n'ont pas eu (encore) lieu et qu'il appelle de ses vœux comme en Iran. Il est d'évidence un soutien inconditionnel d'Israel. Il s'est autoproclamé philosophe mais il est en fait un rhétoricien dans la pure tradition de ceux qui ont toujours été du côté du manche, du côté des puissants, aussi bien au niveau de la France qu'à l'échelle internationale, à travers son soutien inconditionnel à l'hégémonie occidentale. C'est un expert en sophisme, sous toutes ses formes. Sa principale spécialité est le sophisme par analogie, analogie entre Hitler et tous les dirigeants supposés antioccidentaux de Poutine à Kadhafi, analogie entre les accords de Munich et ceux de Minsk, analogie entre Daesh et Hamas, analogie entre le 7 octobre et les pogroms contre les juifs, analogie entre les massacres perpétrés à Mossoul par la coalition occidentale et ceux de Gaza, pour en conclure qu'il y a un nombre bien moindre de victimes à Gaza. Le sang coulé à Mossoul vient donc justifier celui à Gaza, merveille de sophisme et cynisme du raisonnement.. Et ce n'est pas tout ? Sur le même sujet de Mossoul et Gaza, son dernier sophisme, est un véritable chef d'œuvre en la matière. Le 13 avril, sur une chaine d'information continue, il explique que pour Mossoul, il n'y a pas eu de dénonciations en Occident de la même ampleur que pour Gaza, et que c'est bien la preuve qu'»Israel est toujours le mal aimé, la victime», y compris en Occident. Il faut le faire.
Bref, on pourrait continuer à donner, à l'infini, des exemples de sophismes. L'agression contre la Libye en 2011, justifiée par les puissances occidentales pour «éviter un bain de sang» à Benghazi, ce qui représentait l'avantage de ne pas avoir à être démontrée puisque l'intervention était supposée l'avoir empêchée.
Il y aussi ce thème favori du sophisme qui est celui de la violence. Il permet de rejeter dos à dos agresseur et agressé, chacun ayant recours à la violence, qu'il agresse ou se défende. La violence d'où qu'elle vienne, étant intrinsèquement inhumaine, ses causes et ses effets se mélangent, se nourrissent ce qui permet d'obscurcir les esprits et de faire ainsi silence sur les causes profondes des conflits etc.
Chacun devrait d'ailleurs se livrer à la chasse du sophisme sous toutes ses formes que ce soit dans la pensée dominante occidentale que dans la politique des gouvernements dans le monde. Il ne faudrait pas en effet tout mettre sur le dos de l'Occident.
Quelques lecteurs s'en souviennent peut-être, j'avais dans de nombreux textes précédents, aborder cette question de la déformation de la vérité et de la réalité dans les moyens d'information lourds occidentaux. J'avais donné des exemples, de ce qu'on avait appelé aux États-Unis, de façon tout à fait assumée, «le mensonge utile», le mensonge vrai», «la vérité parallèle», la vérité virtuelle», en tant qu' «armes légitimes» de combat dans la guerre impitoyable de l'information. Parler ici de sophismes, c'est dire au fond la même chose, ou plus exactement, ça n'est qu'une tentative de généraliser théoriquement les méthodes utilisées par l'information, ou la désinformation, de mettre un mot sur elles et de les rattacher à une longue tradition de la bataille intellectuelle dans l'Histoire politique et sociale, depuis la nuit des temps.
Emmanuel Macron n'a "pas exclu" ces derniers jours l'envoi de troupes en Ukraine, une déclaration qui inquiète l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin, qui y voit un "risque". "La logique de la force, quand elle n'est pas maîtrisée, conduit à une escalade qui peut être mortelle", a-t-il prévenu sur LCI.
Depuis février 2022 et l'entrée des troupes russes sur le territoire de l'Ukraine, une question lancinante accompagne le soutien occidental à ce pays et revient régulièrement dans les débats :Jusqu'où l'aide occidentale peut-elle aller sans que le conflit provoque une conflagration mondiale ?
Les Occidentaux affirment régulièrement qu'ils ne sont pas en guerre contre la Russie. Leur objectif est purement défensif. L'aide multiforme qu'ils apportent à l'Ukraine vise d'abord à empêcher la Russie d'occuper tout le territoire ukrainien et ensuite à permettre à Kiev de récupérer les territoires occupés et annexés par son voisin, à savoir la Crimée (février 2014) et les oblast du Dombass (2022), et cela conformément au droit international et à ce qui fut convenu au début des années 1990.
Le plan en dix points énoncé par le président ukrainien en novembre 2022, au cours du G20 à Bali (Indonésie) résume cette position. Cependant que la Russie s'en tient à la neutralisation géopolitique de l'Ukraine et refuse son intégration à l'OTAN et à l'arrêt de l'extension sans limite de l'Alliance vers l'est.
Les militaires russes et américains suivent attentivement les opérations et tentent à chaque fois que nécessaire de lever le doute sur les faits et les intentions des uns et des autres pour éviter... l'irréparable.
Toutefois, les politiques, eux, préoccupés par d'autres impératifs, sont infiniment plus ambiguës et aujourd'hui franchement bellicistes.
C'est ainsi que le président américain ne s'interdit aucune attaque ad hominem depuis le début du conflit et se permet d'insulter son homologue russe en termes crus1. Les présidents américains de R. Nixon à D. Trump en passant par R. Reagan se sont illustrés par leur vulgarité même s'ils évitaient de le manifester publiquement.
Il est vrai que J. Biden a une espérance de vie électorale très courte, même si D. Trump est juridiquement empêché de se présenter.
L'année 2024 est une année électorale cruciale dans de nombreux pays, de l'Union Européenne aux Etats-Unis en passant par l'Inde, le Brésil, le Mexique, le Pakistan, le Bangladesh, l'Indonésie, la Russie, huit des dix Etats les plus peuplés au monde, soit plus de la moitié de l'humanité en âge de voter est appelée aux urnes.
Certains scrutins sont plus cruciaux, plus critiques que d'autres.
Au reste, les buts de guerre occidentaux sont à géométrie variable et tournent tous autour de l'idée que désormais la Russie ne doit pas gagner, c'est-à-dire qu'il est impératif qu'elle doive perdre. Peu à peu, on passe de la défense de l'Ukraine à la défense de l'Occident.
«La défaite de la Russie est indispensable à la sécurité et à la stabilité en Europe» déclare le président français. C'est ce qu'il ne cesse de répéter ces derniers mois après avoir à l'envi défendu l'idée que la Russie ne devait à aucun prix être humiliée. Ce qui lui a attiré les foudres des Ukrainiens et de nombreux pays appartenant à l'OTAN, résolus à en finir avec la Russie poutinienne.
C'est le même E. Macron, à l'issue d'une Conférence internationale pour le soutien à l'Ukraine organisée hâtivement à Paris qui se présente devant les caméras et annonce sa disposition à déployer des troupes en Ukraine.2
La co-belligérance, quelle limite ?
Une armée d'experts en chambres réunis régulièrement sur les plateaux de télévision d'information continue, s'épuisent à tenter de trouver une réponse à cette question.
La raison et le bon sens l'ont traditionnellement résumée en une formule simple : «l'ami de mon ennemi est mon ennemi». Avec une inférence logique : «l'ennemi de mon ami est mon ennemi» ou encore, «l'ennemi de mon ennemi est mon ami».
Les pays qui apportent leur soutien à l'Ukraine sont ipso facto des ennemis de la Russie.
Toutefois, la question est plus complexe qu'il n'y paraît. Elle ne renvoie pas à un état mais à une dynamique, un processus dont la qualification évolue selon les rapports de force sur le terrain.
En sorte que la question de savoir s'il y a ou non co-belligérance ne peut pas obtenir une réponse binaire. Elle est sans objet hors contexte.
Nous y reviendrons plus loin.
La Conférence de Paris qui s'est tenue ce 26 février s'est achevée dans la confusion.
Contrairement à l'habitude, E. Macron s'est présenté seul face aux journalistes.
La déclaration du président français va provoquer des remous auxquels personne ne s'attendait.
L'envoi de troupes occidentales au sol en Ukraine ne doit pas «être exclu» à l'avenir, affirme-t-il, reconnaissant néanmoins qu'«il n'y a pas de consensus aujourd'hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu'il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre».
E. Macron n'a pas souhaité apporter plus de précision, évoquant une «ambiguïté stratégique que j'assume». Mais «je n'ai absolument pas dit que la France n'y était pas favorable», a-t-il prévenu. «Je ne lèverai pas l'ambiguïté des débats de ce soir en donnant des noms. Je dis que ça a été évoqué parmi les options».
On ne sait pas au juste ce que recouvre cette «ambiguïté» («créatrice») dont s'était servi S. Perez naguère pour éluder les questions qui lui étaient posées au cours des négociations d'Oslo. Les Palestiniens de Ghaza en connaissent la signification aujourd'hui...
En revanche, on sait ce que pensent les homologues de E. Macron de son idée de déployer des troupes alliées en Ukraine. D'abord la parole à l'acteur principal.
«La Russie a adopté une agressivité non seulement contre l'Ukraine, mais contre nous en général», déclare le président français qui passe de «la Russie ne peut ni ne doit gagner» à (...) «nous avons la conviction que la défaite de la Russie est indispensable à la sécurité et à la stabilité en Europe»
«Beaucoup de gens qui disent Jamais, jamais' aujourd'hui étaient les mêmes qui disaient Jamais des tanks, jamais des avions, jamais des missiles à longue portée' il y a deux ans». «Ayons l'humilité de constater qu'on a souvent eu six à douze mois de retard. C'était l'objectif de la discussion de ce soir : tout est possible si c'est utile pour atteindre notre objectif».
Le président français a néanmoins versé dans l'acrobatique tour de passe-passe que les alliés de l'Ukraine n'étaient «pas en guerre avec le peuple russe», mais qu'ils ne voulaient «simplement pas les laisser gagner en Ukraine».
E. Macron reconnaît cependant que qu'«il n'y a pas de consensus aujourd'hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol».
Et ce n'est pas peu dire.
Solitude française.
E. Macron semble avoir pris de court la plupart de ses homologues, chacun d'eux a aussitôt rétropédalé et pris distance avec les propos du président français, tenant compte sans doute de leurs opinions publiques. N'oublions pas que la conduite occidentale de la guerre en Ukraine est tenue médiatiquement à l'écart comme si elle se déroulait sur une autre planète. Un mur étanche est érigé entre les effets des décisions des pays coalisés (inflation, érosion des pouvoirs d'achat, chute de la croissance, manifestations des agriculteurs européens...) et les causes, notamment à travers la politique de sanctions infligées à la Russie.
- Suède. Le premier ministre suédois, Ulf Kristersson: «La question n'est pas d'actualité». «La tradition française n'est pas la tradition suédoise».
- Slovaquie. Pour le premier ministre slovaque Robert Fico, aucun soldat slovaque ne sera envoyé en Ukraine. Il a qualifié la rencontre de Paris de «réunion de combat», dénonçant l'absence de plan de paix. «Tout ce qu'ils veulent, c'est que la tuerie continue», a déclaré le populiste, élu en octobre 2023. «Comme nous l'avions supposé lors de plusieurs réunions ce matin à Bratislava, il régnait à Paris une atmosphère purement combative favorable à la guerre. Il n'y avait pas un mot sur la paix, ce que je regrette personnellement». «Je peux confirmer qu'il y a des pays qui sont prêts à envoyer leurs soldats en Ukraine, il y a des pays qui disent jamais, la Slovaquie en fait partie, et des pays pour lesquels cette proposition devrait être prise en considération».
Dans son discours à la conférence, il a répété les positions de son gouvernement. «Notre gouvernement rejette la poursuite de la guerre, nous n'enverrons pas d'armes en Ukraine, nous nous concentrons uniquement sur des projets civils, et le plus important est l'accord au sein de la coalition gouvernementale selon lequel nous n'accepterons jamais qu'un soldat slovaque parte en Ukraine pour cette guerre», a ajouté celui qui, par le passé a remis en question la souveraineté de l'Ukraine et s'oppose aux sanctions dirigées contre la Russie.
- Pologne. Donald Tusk n'envisage pas d'envoyer des troupes en Ukraine. «La Pologne n'envisage pas d'envoyer ses troupes en Ukraine. Nous avons ici une position commune [avec Robert Fico, le premier ministre slovaque]», a déclaré Donald Tusk, au sommet du Groupe de Visegrad, à Prague. «Je crois qu'il ne faut pas spéculer aujourd'hui sur l'avenir, ni sur la question de savoir s'il y aura des circonstances qui modifieront cette position. Aujourd'hui, nous devons soutenir autant que possible l'Ukraine dans son effort militaire. Si tous les pays de l'UE étaient autant impliqués dans l'aide que la Pologne et la République tchèque, il ne serait peut-être pas nécessaire de discuter d'autres formes de soutien à l'Ukraine».
- Croatie. Le président croate Zoran Milanovic a affirmé mardi que son pays ne commettrait pas «l'acte de folie» d'envoyer des soldats en Ukraine, au lendemain d'une déclaration du président français Emmanuel Macron qui a évoqué l'éventualité d'un tel scénario. Le chef de l'Etat croate, dont les pouvoirs sont limités mais qui est le commandant en chef de l'armée, a assuré qu'«aucun soldat croate n'(irait) faire la guerre en Ukraine» tant qu'il serait président. La Croatie est membre de l'Otan et de l'Union européenne. «La seule solution pour la guerre en Ukraine est de parvenir à un accord de paix qui va prévenir de nouvelles victimes et sauver des milliers de vies», a déclaré Zoran Milanovic dans un communiqué de presse. Selon lui, le déploiement de troupes croates en Ukraine serait un «acte de folie».
- Les États-Unis non plus «n'enverront pas de soldats combattre en Ukraine», affirme la Maison-Blanche. J. Biden sait que s'il soutenait une telle idée, il mettrait un point final à sa carrière politique.
Et par le chancelier allemand.
- Allemagne. Contrairement à la France et au Royaume Uni, l'Allemagne refuse d'être impliquée directement dans le conflit. C'est la raison pour laquelle après avoir cédé aux pressions américaines pour fournir des armes et des munitions et cela contrairement traditions de ce pays en vigueur depuis 1945, le chancelier Scholtz a refusé de fournir à l'Ukraine des missiles longue portée Taurus (500 km) qui l'y entraînerait.
«C'est une arme de très grande portée, et ce qui est fait en ciblage et en accompagnement du ciblage de la part des Britanniques et des Français ne peut pas être fait en Allemagne», a déclaré Olaf Scholz à l'agence de presse allemande DPA, dans un entretien diffusé ensuite par son service de presse à l'ensemble des médias, en réponse à la demande de l'Ukraine de lui livrer des missiles Taurus.
«De mon point de vue, ce serait quelque chose qui ne serait pas responsable si nous participions de la même manière à la gestion du ciblage» de ces missiles, a-t-il ajouté, en pointant le risque que l'Allemagne se retrouve «d'une certaine manière impliquée dans la guerre» directement. «Les soldats allemands ne doivent en aucun cas et en aucun endroit être reliés aux objectifs atteints par ces systèmes», a encore expliqué Olaf Scholz, en précisant que cela concernait aussi l'implication de militaires allemands restant sur leur territoire national.
«Ce que d'autres pays font, qui ont d'autres traditions et d'autres institutions constitutionnelles, est quelque chose que nous ne pouvons pas faire dans la même ampleur», a encore argué le chancelier social-démocrate. Et d'ajouter : «Ce qui manque à l'Ukraine, ce sont des munitions pour toutes les distances possibles» de tir, «mais pas de manière décisive, cette chose venant d'Allemagne». (Le Monde, L. 26 février 2024)
- Italie. L'aide à l'Ukraine «ne prévoit» pas l'envoi de troupes, déclare le gouvernement italien. Le gouvernement italien a rappelé que l'aide occidentale à l'Ukraine «ne prévoit» pas le déploiement de troupes européennes ou de l'Otan, évoqué la veille par le président français Emmanuel Macron. «Depuis le début de l'agression russe, il y a deux ans, il y a eu une pleine cohésion de tous les alliés concernant le soutien à offrir à Kiev. Ce soutien ne prévoit pas la présence sur le territoire ukrainien de troupes d'États européens ou de l'Otan», a souligné le gouvernement dans un communiqué. En visite à Zagreb, le chef de la diplomatie italienne Antonio Tajani a appelé à «être très prudent» sur ce sujet, car «nous ne devons pas apparaître comme étant en guerre avec la Russie». «Personnellement, je ne suis pas favorable à l'envoi de troupes italiennes au combat en Ukraine», a-t-il déclaré mardi à des médias italiens.
- Otan. L'Otan n'a «aucun projet» d'envoi de troupes de combat en Ukraine, a indiqué mardi en début d'après-midi à l'AFP un responsable de l'Alliance. «L'Otan et les Alliés apportent une aide militaire sans précédent à l'Ukraine. Nous l'avons fait depuis 2014 et nous sommes passés à la vitesse supérieure après l'invasion russe à grande échelle. Mais il n'y a aucun projet de troupes de combat de l'Otan sur le terrain en Ukraine», a souligné ce responsable de l'Alliance.
Or, dans l'OTAN, n'y a-t-il pas la France ?... O. Scholtz confirme. Comprenne qui pourra.
Le chancelier allemand affirme au lendemain des propos du président français n'excluant pas cette perspective, qu'«aucun soldat» ne serait envoyé en Ukraine par des pays d'Europe ou de l'Otan. Il juge lors d'une conférence de presse que «ce qui a été décidé entre nous dès le début continue à être valide pour l'avenir», à savoir «qu'il n'y aura aucune troupe au sol, aucun soldat envoyé ni par les Etats européens, ni par les Etats de l'Otan sur le sol ukrainien».
Un désaveu total des déclaration du président français. Ces réactions montrent à l'évidence plus qu'une divergence entre alliés. La Conférence et la déclaration de E. Macron ont donné l'occasion de constater à quel point la coalition anti-russe est profondément divisée. Et c'est la France qui semble en faire les frais.
Critiqué à l'étranger, le président français l'est aussi dans son pays.
- «L'envoi de troupes en Ukraine ferait de nous des belligérants (...) Cette escalade verbale belliqueuse d'une puissance nucléaire contre une autre puissance nucléaire majeure est déjà un acte irresponsable» Jean-Luc Mélenchon
- Marine Le Pen à l'Assemblée Nationale ne s'est pas retenue : «Le premier devoir d'un pays c'est de ne disposer de la vie de ses soldats que pour défendre son indépendance ou pour préserver son intégrité ou alors s'engager, si, dans le cadre d'une alliance des obligations ont été contractées. Mais là sur un terrain extérieur, il faudrait intervenir militairement avec nos soldats ?», a critiqué la chef de file des députés RN ajoutant : «En affirmant que l'envoi de troupes au sol n'était pas exclu, Emmanuel Macron a franchi une étape supplémentaire vers la cobelligérance, faisant planer un risque existentiel sur 70 millions de Français et plus particulièrement sur nos forces armées».
Il en est de même des autres représentants du paysage politique français : les socialistes, les Républicains... et une multitude d'«alliés» qui désapprouvent en silence.
Chacun sait combien la légalité du président ne coïncide plus depuis longtemps avec sa légitimité. E. Macron aurait été inspiré de la tester si l'esprit de la Constitution avait été respecté. Mais le suicide politique n'est pas dans les moeurs de la «classe politique» française. La France n'est plus en 1969. Mais cela est une autre affaire...
Un exemple suffit pour le montrer.
Quelques heures après une polémique suscitée par ses déclarations E. Macron a demandé au gouvernement de faire devant le Parlement une déclaration «relative à l'accord bilatéral de sécurité conclu avec l'Ukraine» le 16 février. Un débat avec vote au Parlement sur l'accord de sécurité avec l'Ukraine a été décidé, conformément à l'article 50-1 de la Constitution.
1.- Ce débat n'a rien à voir avec la cause qui l'a provoqué. Ce n'est pas l'accord de sécurité avec l'Ukraine qui fait débat, mais l'annonce de l'envoi de soldats français en Ukraine.
2.- Le président français décide, signe un accord et demande après coup un débat à une Assemblée qui aurait du être préalablement consultée, comme dans n'importe quelle «démocratie». N'est-ce pas à cette situation que se trouve confrontée la Maison Blanche face au Sénat ?
Rétrospectivement, cette conférence était plutôt mal partie, rien qu'à constater la qualité des participants.
La communication élyséenne se félicitait de l'accueil de dizaine de chefs d'Etat.
Mais, Ni V. Zelensky (occupé à préparer sa visite en Arabie Saoudite et dans les Balkans), ni J. Biden (tout à sa campagne électorale dans le Michigan), ni R. Sunak (en fin de cycle difficile)... en somme les principaux acteurs de l'Occident en guerre, n'étaient présents.
Washington a délégué un anonyme sous-secrétaire d'Etat chargé de l'Europe.
C'est dire à quel point cette rencontre était stratégique. E. Macron va lui donner une dimension médiatique de première grandeur. Cela ne signifie pas que les questions abordées par le président français étaient sans importance.
Un peu d'histoire.
Commençons par noter qu'en réalité, le pavé qu'il a lancé est sans objet.
Le président français «prévoit» le passé en regardant l'Ukraine dans le rétroviseur. En effet, les soldats occidentaux sont déjà en Ukraine et cela depuis bien avant le 22 février 2022.
Ils le sont dans le cadre stratégique général de l'extension de l'OTAN vers l'est et cela depuis les premières années 2000 lorsque Washington s'est aperçu que le remplaçant de B. Eltsine à la tête de la Russie ne «consentait» plus.
La confirmation est venue lors du discours de V. Poutine à la Conférence de Munich en février 2007.
A l'évidence, un partenariat d'égal à égal n'est plus d'actualité pour l'«hyperpuissance» américaine dès 1991. Le ver était dans le fruit et la crise actuelle en est l'aboutissement inévitable. Toutes les autres explications n'ont pus qu'une valeur polémique, par ailleurs parfaitement compréhensible : la communication est un autre espace de la guerre.
La présence militaire occidentale en Ukraine est un secret de Polichinelle. Et les soldats de Macron (qui en a une exacte connaissance) ont été précédés par des légions armées jusqu'aux dents.
Cela commence par le «coup d'Etat de Maïdan» auquel les services occidentaux ont apporté un concours décisif.3
Cela n'a pas cessé depuis.
La CIA est présente en Ukraine contre la Russie.
A la veille de la Conférence de Paris et du pavé dans la mare macronien, le NY Times en a jeté un autre.4
Un reportage qui a nécessité plus de 200 entretiens en Ukraine, en Europe et aux États-Unis. En quoi consistent les révélations croustillantes du NYT ?
La Centrale américaine possède 12 bases secrètes en Ukraine, au plus proche du front ainsi que deux bases spécialisées dans l'interception des communications russes. La CIA fournit des renseignements opérationnels et aide les Ukrainiens à identifier les cibles russes. Elle communique toutes données nécessaires au suivi des mouvements des troupes russes et contribue à la formation et au soutien d'espions.
Les journalistes du NYT ont visité «un centre nerveux secret de l'armée ukrainienne». Ils y ont été accueillis par l'un des principaux responsables des services de renseignement. Ce général ne s'en cache pas : «la base est presque entièrement financée, et en partie équipée, par la C.I.A». À «Cent dix pour cent» précise-t-il. Le New York Times souligne que «ce partenariat en matière de renseignement entre Washington et Kiev est l'un des piliers de la capacité de l'Ukraine à se défendre».
Selon un responsable européen (qui a gardé l'anonymat), il ne s'agissait pas seulement d'aider, mais de «contrôler» l'Ukraine. (LCI, L. 26 février 2024)
Deux personnages joueraient un rôle essentiel. William Burns et Kyrylo Budanov (RFI, L. 26/02/2024).
W. Burns (directeur de la CIA) qui en est, depuis 2022, à sa 10ème visite en Ukraine le J 22 février 2024. Diplomate, polyglotte, ancien ambassadeur en Russie et en Israël, W. Burns est un acteur majeur dans le conflit.
K. Budanov, le chef de renseignement militaire ukrainien. Le NY Times révèle qu'il a été formé par la CIA, membre de l'unité 2245 encadrée par l'Agence.
Les seules questions qui vaillent et sur laquelle le NYT, ni d'ailleurs les médias qui le relaient, ne s'attarde pas est celle-ci : sachant que les informations sensibles sur les opérations militaires en Ukraine sont frappées du secret le plus hermétique, qui a fait fuiter les informations sur la participation de la CIA au conflit ukrainien et quels sont les réels objectifs de cette publication ?
La présence en Ukraine de combattants étrangers n'est pas révélée officiellement mais elle n'est niée par personne.
La Légion internationale pour la défense territoriale de l'Ukraine est une unité militaire de la légion étrangère volontaire de la force de défense territoriale ukrainienne créée par Kiev à la demande du président Volodymyr Zelensky pour combattre lors de l'invasion russe de l'Ukraine.
Le 6 mars 2022, selon le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kouleba, plus de 20 000 personnes de 52 pays se sont portés volontaires pour se battre pour l'Ukraine ; plusieurs milliers d'autres auraient rejoint les rangs après cette annonce. Il n'a pas mentionné le nom des pays d'origine des volontaires, affirmant que certains pays interdisent à leurs citoyens de se battre pour d'autres pays.
Conçue sur le modèle des «brigades internationales» qui avaient en 1936 combattues pour la République en Espagne, la formation de la Légion internationale prend racine sur les bataillons de volontaires ukrainiens utilisés au début de la guerre du Donbass en 2014.
Bien que ces unités aient été officiellement intégrées à l'Armée ukrainienne, certaines unités telles que la Légion géorgienne jouirent d'une certaine autonomie au sein des forces armées. Naturellement, aucun pays, ni la France, ni l'Allemagne, ne reconnaîtrait ces combattants comme missionnés par eux.
Londres vient de concéder que des opérateurs britanniques sont sur le terrain pour assister et non pour combattre.
On devine que les armements concédés à l'Ukraine sont suivis avec une attention particulière à la fois pour aider les Ukrainiens à bien s'en servir mais surtout pour éviter de voir des armements disparaître dans la nature, dans un pays connu pour sa corruption «exemplaire».5
Le contexte explique le texte.
Deux séries de raisons expliquent l'intervention du président français.
1.- La fin de la «contre-offensive» ukrainienne.
L'état des rapports de forces sur le terrain n'est pas favorable à l'Ukraine et à ses soutiens.
Cogitée à la fin de l'année 2022, elle devait bouter l'armée russe d'Ukraine et aboutir in fine à la chute du régime poutinien à Moscou.
Un armement considérable a été fourni à l'Ukraine. La réalisation devait débuter au printemps 2023 mais ne commencera réellement qu'au début de l'été. Mais, très vite, le constat de l'échec est avéré.
Le Sommet de Vilnius sera le théâtre de controverses violentes entre alliés. Les Ukrainiens accusent leurs alliés de leur avoir chichement comptés leur soutien.
Les Occidentaux accusent les Ukrainiens d'incompétence militaire et stratégique pour avoir dispersé leurs efforts et concentré leurs actions sur des cibles mineures loin de ce qui avait été convenu.
L'échec ne sera reconnu officiellement qu'à l'automne 2023.
Le président ukrainien explique benoîtement à ceux qui veulent bien écouter un homme qui tient la scène sans s'épuiser depuis deux ans, que la cause de l'échec vient de ce que les services secrets russes ont subtilisé les plans d'attaque avant le début des opérations.
La polémique est aujourd'hui atténuée par l'urgence.
Et l'urgence c'est l'endiguement de l'avancée irrésistible des armées russes sur tout le front, de Zaporijia à Kharkov.
Les petits hameaux, villages et petites villes, autant de fortins imprenables construits depuis 2014, tombent les uns après les autres.
1.1.- L'échec des opérations militaires occidentales en Ukraine est désormais reconnu de toutes les parties. La crise ukrainienne visait un échec militaire russe relativement rapide suivi d'une chute du régime à Moscou. Un collapsus envisagé similaire à celui qui entraîna la chute de l'Union Soviétique.
1.2.- Ni le soutien militaire multiforme intense, ni l'avalanche de sanctions qu'aucun pays dans l'histoire n'a subi n'ont produit d'effet.
1.3.- Mieux : en deux ans de ce traitement la Russie n'a subi que des effets mineurs. A l'évidence, ce pays s'était préparé aux réactions de ses ennemis : réorganisation de son commerce extérieur, réaffectation de ses ressources intérieures...
Le «poison long» régulièrement rappelé par les médias occidentaux, bien qu'il soit difficile d'anticiper l'état futur de l'économie et de la société russe, fait de plus en plus figure de mythe.
1.4.- Malgré les alertes sur l'état de la «démocratie» en Russie, tous les observateurs conviennent que la réélection de V. Poutine dans quelques semaines est chose acquise. Ses indices de popularité font pâlir de jalousie la plupart des chefs occidentaux aux affaires.
Les stocks occidentaux sont en voie d'épuisement. La production d'armes et de munitions est bloquée à la fois par des contraintes industrielles et logistiques mais aussi par des questions de financement. Les question demeurent les mêmes : qui va payer et comment payer ?
Le lancement d'une «économie de guerre» que des politiques superficiels appellent de leurs voeux, fait face à un endettement mondial considérable (déjà creusé par une financiarisation accrue d'une économie ultralibérale) et à des déficits publics aggravés à la fois par les normes des traités et des banques centrales et les hausses successives des taux d'intérêt. Tout cela, consécutivement à une crise pandémique qui a considérablement affaibli les ressources publiques et privées.
1.5.- Une enveloppe d'aide pour l'Ukraine de quelque 60 milliards de dollars est pour l'heure bloquée par des élus républicains de la Chambre des représentants dont le président Mike Johnson, s'est refusé à la soumettre au vote.
Les déboires de l'actuel locataire de la Maison Blanche expliquent que les Etats-Unis, paralysés politiquement, ne sont plus capables d'apporter leur aide à l'Ukraine.
1.6.- Ceci expliquerait la multiplication d'accords bilatéraux pour des partenariats de sécurité sur le long terme.
Ces accords font suite aux engagements qui avaient été pris en format G7 en marge du Sommet de l'OTAN à Vilnius en juillet 2023.
- Le Royaume-Uni a été le premier à conclure un tel accord lors d'une visite du premier ministre Rishi Sunak à Kiev le 12 janvier.
- Allemagne et France : vendredi 16 février 2024. Déplacement de V. Zelensky à Berlin puis à Paris.
- Canada : 24 février Premier ministre canadien Justin Trudeau, en visite à Kiev.
- Italie : 24 février Première ministre Giorgia Meloni est également en déplacement en Ukraine.
2.- La tactique du «chat mort».
Les professionnels de la diversion politico-médiatique s'en donnent à coeur joie.
On s'est beaucoup gaussé du comédien que l'Ukraine a élevé à la plus haute des fonctions. Pas un jour, depuis deux ans, ne passe sans que V. Zelensky n'escamote de ses apparitions médiatiques, de sa voix monocorde et nasillarde, la réalité des abominations que subissent son pays et ses habitants.
La dimension médiatique de l'action politique est un fait, surtout depuis l'intrusion de la technologie qui en démultiplie les effets. Mais, contrairement à ce qui en est attendu, la performation des discours est inversement proportionnelle à leur efficacité.
La parole ne porte plus l'action politique. Elle en révèle l'impuissance.
La France est en tête des pays qui parlent le plus, mais au premier rang de ceux qui aident le moins.
Rien de neuf depuis au moins trois législature. Avant E. Macron, Nicolas Sarkozy avait usé et abusé du «carpet bombing», multipliant ses apparitions pour cacher ce que les tribunaux révèleront des années après devant lesquels il a passé le plus clair de son temps. Cela ne l'a pas empêché de continuer dans les coulisses à agir sur la politique de son pays.
Face au naufrage médiatique de sa visite chaotique du samedi 25 février au Salon de l'agriculture, chahuté, sous les sifflets et les appels à la démission, E. Macron aurait-il cru opportun d'ouvrir un autre front lundi pour faire oublier celui du samedi ? A-t-il été bien conseillé ? Il lui est si souvent arriver de jouer la scène internationale (qui ne lui a pas toujours réussie) contre son impopularité chronique sur le plan national.
A ce jeu E. Macron a un autre prédécesseur, l'ancien premier ministre anglais.
L'inénarrable Boris Johnson, ancien premier ministre britannique a remis au goût du jour un vieux procédé à l'usage des politiques inutiles sous le sobriquet «dead cat strategy».6
Depuis des décennies, les Zelensky sont partout au pouvoir en Europe.7
Tout cela devrait rassurer les hommes politiques français alarmés des déclarations bruyantes de leur président.
E. Macron n'a aucunement l'intention d'envoyer qui que ce soit en Ukraine. Il n'en a ni les moyens ni la volonté. Certes, la Constitution de la Vème République lui confère un pouvoir virtuel qu'aucun chef d'Etat occidental ne possède, mais cela ne suffit pas à déclencher une guerre mondiale.
Ni la situation économique et sociale, budgétaire, financière française, ni même sa puissance militaire.
1.- La France n'a pas les moyens d'intervenir. Il en est des soldats français comme des obus qu'ils fabriquent pour l'Ukraine : autour de 3 000 obus de 155 mm par mois alors que les Ukrainiens en consomment 5 000 par jour et les Russes entre 10 000 et 20 000.
Fin 2024 «J'ai bon espoir qu'on soit capable de faire 4000 à 5000 par mois», a déclaré Sébastien Lecornu, le ministre français des Armées lors d'une audition devant l'Assemblée nationale. Il a rappelé qu'au début de la guerre en Ukraine, la France en produisait un millier par mois avant de passer à 2.000 l'an passé. «Depuis ce mois de février, nous en sommes à 3.000 par mois. La pente est bonne, mais objectivement, c'est encore trop faible», a-t-il reconnu, pointant du doigt le problème de la disponibilité de la poudre et l'organisation des lignes de production.
3 000 obus français par mois, quelques heures de combat, une peccadille.
Le vrai «patron» et ses vassaux.
Le conflit ukrainien est une propriété exclusive des Etats-Unis. Ils sont seuls aux commandes. Les dirigeants européens donnent le change à leurs citoyens en leur faisant croire qu'ils participent d'un forum qui n'existe pas. Même les Britanniques jouent à se croire proches de Dieu à rappeler depuis W. Churchill des «special relationship» imaginaires.
De la co-décision le général de Gaulle a fait son deuil très tôt, lorsque MacMillan lui a transmis les propositions de Kennedy à propos des missiles Polaris (décembre 1962) que les Etats-Unis se proposaient de céder comme une cage pour enfermer ses alliés et leur souveraineté.
La France n'a plus les moyens politique d'une décision de cette nature. A partir du moment où elle est entrée dans l'OTAN et placé ses forces armées sous commandement américain, la France a rejoint la situation de la Grande Bretagne de MacMillan dont le Général a tout fait pour l'en préserver.
Il s'ensuit que le pouvoir de décider de la guerre et de la paix n'est pas entre les mains de l'Elysée, ni d'ailleurs dans les mains d'aucun pays européen. le sort de l'Europe échappe aux Européens, sans volonté, ni moyens.
Le problème est que si demain le conflit ukrainien dégénérait, ils seraient aux premières loges.
Les atlantistes européens n'osent pas en débattre publiquement mais ils doutent tous secrètement du caractère automatique et protecteur de l'article V de l'Alliance.
Tous les Européens savent ce qu'il en est réellement des dispositions de sécurité collective inscrite dans leurs traités.
Leur subordination au Traité de l'Atlantique Nord les réduits à des formules rhétoriques sans portée ni protection réelle. Il est un fait que la défense européenne n'existe pas. Il est un fait que la protection de l'Europe est exclusivement et unilatéralement une affaire américaine.
Ces réflexions débouchent sur une question essentielle.
La «vraie» question et sa réponse.
Si les Etats-Unis domine sa «coalition», la Russie est seule maîtresse de la belligérance qui lui est opposée. Explications :
De notoriété publique, il y a bel et bien belligérance étrangère contre la Russie dans le conflit ukrainien et cela depuis bien avant le «coup d'Etat de Maidan».
La question cependant doit être approchée autrement. Ce ne sont pas les Etats-Unis, et encore moins les Européens, qui décideront de savoir s'il y a ou non ingérence mais bien la Russie qui agira en conséquence si la sécurité du régime est menacée.
Le «seuil de belligérance» avancé par le ministre français des affaires étrangère est artéfact lexicologique qui renvoie à un pouvoir de définition et de décision qui ne lui appartient pas.
C'est à cette question que faisait allusion avec légèreté le président français à l'issue de la Conférence de Paris.
«Beaucoup de gens qui disent Jamais, jamais' aujourd'hui étaient les mêmes qui disaient Jamais des tanks, jamais des avions, jamais des missiles à longue portée' il y a deux ans». «Ayons l'humilité de constater qu'on a souvent eu six à douze mois de retard. C'était l'objectif de la discussion de ce soir : tout est possible si c'est utile pour atteindre notre objectif».
C'est cela que redoutent les Etats-Unis qui avancent au coup par coup en mesurant le danger de ce que leurs interventions produisent chez l'ennemi et à partir de quand un seuil, une limite, un bord sera franchi et dont ils ne seront peut-être pas avertis...
Les Européens sont très intéressés par cette réponse. Ils le sont pour une raison très simple. Ils seront au premier rang des conséquences d'une décision qui ne leur appartient pas.
Encore des questions.
1.- L'Amérique prendrait-elle le risque d'attaquer la Russie si celle-ci décidait d'envoyer une bombe atomique sur Kiev ? Sur Varsovie ? Sur Paris ?...
A partir de quel moment, les Etats-Unis prendraient-ils le risque voir annihilé NY ou Washington ?
Le déchirement nationaliste entre Européens est notoire. La Russie le sait. Les Etats-Unis le savent. Les Européens le savent aussi.
2.- Qu'en serait-il de la Chine, de l'Inde, du Pakistan... et des autres pays du monde ?
C'est pourquoi toute cette affaire est une histoire de chat crevé.
Notes:
1- Cf. Abdelhak Benelhadj : « Tuer Poutine. » Le Quotidien d'Oran, 05 octobre 2023.
2- https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2024/02/27/conference-de-soutien-a-lukraine. La Conférence a réuni les représentants de 27 Etats avec 21 chefs d'Etat et de gouvernements.
3- O. Techynskyi, A. Solodounv et D. Stoykov ont consacré un documentaire instructif au coeur des événements en 2014. « Kiev en feu. Maïdan se soulève », 80 mn. Diffusé par ARTE le lundi 16 février 2015.
4- Adam Entous et Mickael Schwirtz : « La guerre des espions : comment la CIA aide secrètement l'Ukraine à combattre Poutine. » https://www.nytimes.com/2024/02/25/world/europe/cia-ukraine-intelligence-russia-war.html
5- En 2005, le film « Lord of war » dont l'action -ce qui n'est pas un hasard- se déroule en Ukraine, fait une description d'entomologiste d'une économie de la guerre et de la corruption qui n'est guère éloignée de la réalité. A recommander aux victimes des guerres médiatiques entreprises pour la défense de la « liberté », de la « démocratie » et des « valeurs morales ».
6- « BoJo » avait exposé cette stratégie dans une tribune publiée dans le Telegraph (D. 03 mars2013). Généralisée, « c'est une stratégie de communication qui a recours aux techniques d'indexation du SEO (Search engine optimization). De l'e-reputation », explique Théophile Ordinas, un expert consultant en SEO. « B. Johnson utilise la stratégie bien connue de l'enfouissement'. L'objectif est de faire désindexer certains résultats que l'on trouve en haut de page sur Google. Plus il y a de contenus sur un sujet, mieux on peut les ranker (positionner) ». https://www.20minutes.fr (V. 26 juillet 2019).
7- Cf. A. Benelhadj : « LA NATION INDISPENSABLE'. D. Trump rappelle aux vassaux de l'Amérique qui est le patron du monde libre' ». Le Quotidien d'Oran, 15 février 2023.
Pour se défaire du Nazisme le monde a offert la Palestine à Israël Pour parfaire le sionisme le monde permet à Israël de s’offrir Gaza En reconnaissant de facto que la distinction de l’un ne peut avoir lieu sans l’extinction de l’autre Pauvre Palestine !
A la fin 2021, après une pandémie qui a surpris le monde, le « Jour d'après » a été le jour de la veille. Ce fut difficile mais gérable. Ce fut même l'occasion pour la science et la technologie occidentale, c'est-à-dire américaine, de faire la démonstration de sa créative réactivité.(1)
Les oiseaux de mauvais augure attendront pour proclamer le déclin de l'Occident. Tout semblait aller pour le mieux. Il devait en être bientôt fini de la Russie de Poutine. Cahin-caha, les Israéliens continuaient de tisser et d'approfondir des liens avec leurs « amis » arabes. Le « problème palestinien » disparaissait peu à peu de l'actualité.
Hélas, les projets solitaires coïncident rarement avec le monde. Le réel existe parce qu'il résiste aux calculs et la seule loi de l'histoire, rappelait Max Gallo, c'est la surprise.
Ce serait un truisme que de regarder le conflit entre la Russie et l'Ukraine comme la manifestation d'un conflit mondialisé impliquant une infinité de théâtres d'opérations en mer de Chine, au Sahel africain, en Amérique Latine et évidemment aussi au Proche-Orient.
C'en est un autre que de rapprocher les événements du 07 octobre 2023 et ceux du 22 février 2022.
Dans les deux cas les Russes et les Palestiniens étaient poussés dans leurs derniers retranchements. Fin 2021 l'affaire semblait bien ficelée.
- En Ukraine, bien avant le coup de force de Maïdan (février 2014) les Etats-Unis avaient préparé les Ukrainiens à la guerre et contraints leurs adversaires à l'intervention militaire en élargissant sans cesse l'espace de l'OTAN.
Ce n'est pas la première fois que Washington a recours à ce genre de procédé un peu partout dans le monde.2 A savoir gagner une bataille sans avoir à la livrer.
Ils ne s'en cachent d'ailleurs pas et réaffirment régulièrement leur véritable objectif. Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'OTAN en visite à Washington le confirme ce lundi 29 janvier lors d'une réunion avec le chef du Pentagone, Lloyd Austin. « Notre soutien [à l'Ukraine] n'est pas de la charité ; c'est un investissement pour notre propre sécurité. » (Le Monde, mardi 30 janvier 2024).
- Les Palestiniens subissent une insupportable oppression, exercée à la fois par l'Etat sioniste et par les colons qui jouissent d'une totale impunité.
* L'autorité palestinienne en Cisjordanie est bafouée, dégradée, isolée, réduite en ses prérogatives et en ses décisions précisément pour éroder sa représentativité locale et internationale.
* La « bande » de Ghaza est devenue une vaste prison à ciel ouvert, privée des ressources et denrées essentielles, soumise à un impitoyable embargo et au bon vouloir de geôliers indifférents. Des populations miséreuses entassées en un réduit inhumain. On est très loin des Accords d'Oslo et même du respect élémentaire des Institutions internationales qu'Israël et ses alliés bafouent régulièrement depuis des décennies.
Les Palestiniens n'avaient le choix qu'entre deux destins tragiques :
* soit mourir à petits feux avec la bénédiction de leurs frères arabes qui signent des accords (diplomatiques, économiques, touristiques...) de plus en plus publics et officiels avec un Etat qui n'est plus « hébreux » mais ouvertement, publiquement, exclusivement juif.
* soit mourir debout, les armes à la main, bousculant les légendes d'invincibilité factices d'une machine de guerre et d'un Etat sous perfusion occidentale. Avec le 07 octobre, la Palestine a montré qu'elle est toujours là. Tant pis pour ceux qui croyaient facilement la solder en pertes et profits dans d'obscures tractations « abrahamiques ». Cette opération va avoir des conséquences variables et, dans une certaine mesure surprenantes.
La violence de la réaction des Israéliens est proportionnelle à leur désappointement. Les autres parties contractuelles rasent les murs. Emirs, rois, sultans et autres agioteurs de droits divins font comme s'ils n'étaient pas là et font le gros dos. Jamais, ils n'avaient imaginé les Palestiniens capables d'audace et de courage.
La rue arabe exulte et les régimes fragiles redoutent des ruptures imprévisibles. Qui avait pu imaginer que le suicide par le feu d'un vendeur à la sauvette tunisien allait entraîner en 2011 la chute de Ben Ali et, par ricochet, celle H. Moubarak en Egypte ? La guerre a servi nombre de dirigeants par le passé dans les pays où la démocratie est travestie par d'habiles communicateurs.3 Aujourd'hui, la survie politique de Netanyahu est intimement associée à la guerre. Il a sans doute résisté à la forte envie d'embrasser les leaders de Hamas et de leur envoyer un mot de gratitude.
L'opération menée le 07 octobre lui a offert en effet sur un plateau l'occasion de se maintenir au pouvoir, de consolider le mouvement sioniste radical au sein de son gouvernement, de mobiliser les foules autour d'une utopie mortifère, d'étouffer l'opposition et d'échapper à la justice (au demeurant très accommodante de son pays).
Les Palestiniens, ainsi que nous le notions plus haut, n'avaient aucun autre choix.
L'objectif sioniste est clair : après avoir déclaré constitutionnellement l'Etat d'Israël, pays réservé exclusivement aux Juifs (sans qu'aucune conscience dans le monde ne se lève pour crier à l'abomination)4, les plus « radicaux » veulent achever la colonisation entamée en 1948 et faire disparaître d'une manière ou d'une autre une population palestinienne qui n'aurait pas vocation à habiter en Eretz Israël. Il y a tant de pays arabes voisins où elle trouverait un accueil naturel.5
Les lobbys sionistes américains ont immédiatement embrayé avec les deux « flottes US » (la Vème et la VIème) qui tiennent la région en tenailles. Portes avions, munitions, informations, image de puissances étaient là pour avertir que personne ne viendrait en aide au Ghazaouis sans coups férir.
Iran, Hezbollah, Syrie... ont reçu le message. Mais la palette des coups tordus est vaste.
Le 07 octobre est à multiples détentes. Cela commence par les attaques houthis à partir du Yémen qui vont avec des moyens limités troubler le commerce Asie-Europe, un axe majeur des échanges internationaux. L'attaque dimanche 28 janvier d'une base militaire américaine en Jordanie à la frontière avec l'Irak et la Syrie qui a fait trois morts et des dizaines de blessés parmi les soldats américains, perturbe les calculs de nombreux acteurs des confrontations en cours.
La cohorte des perdants
Zelensky en perdition
L'assistance occidentale à l'Ukraine n'est pas un appoint mineur. Elle représente une condition d'existence. Sans l'aide américaine, l'Ukraine de Zelensky n'existe plus. Le combat de son pays perdrait sa légitime résistance à une agression extérieure et ne serait plus que ce qu'il est : une guerre par délégation dont l'objectif et les enjeux dépassent très largement la défense de l'Ukraine. Ils dépassent aussi les Européens qui font figure ici de preneurs d'ordres.
La fourniture d'armes occidentales de plus en plus coûteuses, nombreuses et puissantes, réclamées de manière incessante à grands cris : Himars, missiles à longue portée (type ATACSMS, « scalps » ou « Storm Shadow »), chars lourds de combat (Leopard, Challenger, Abrams)... n'a pas cessé. La Pologne et la Roumanie y jouent un rôle essentiel. On peut y ajouter des aides plus discrètes mais tout aussi efficaces : la conduite des opérations militaires sur le terrain par exemple via les informations par satellites (publiques et privées) et par de nombreux autres canaux et, sur le terrain, des techniciens expérimentés pour assister les servants ukrainiens et se prémunir contre le trafic d'armes dans un pays connu pour l'avoir élevé au rang de culture nationale.
La destruction et la neutralisation de ces armes expliquent pour une large part l'échec de la « contre-offensive » ukrainienne reconnu comme tel dès l'automne 2023. L'ouverture du front palestinien n'est pas faite pour arranger ses affaires. Une guerre généralisée au Proche-Orient, c'est moins d'armes et de munitions pour l'Ukraine et surtout un affaiblissement médiatique pour une cause qui a déjà beaucoup perdu de sa popularité en Occident. Moins de journalistes, moins de temps d'antenne, moins d'images de l'Ukraine sur tous les écrans et les unes, signifie une catastrophique baisse d'audience pour un président, saltimbanque professionnel, qui organise la guerre de son pays comme un spectacle quotidien. V. Zelensky est aux abois.
Dès le Sommet de l'OTAN à Vilnius, à la mi-juillet, il est mis hors champ. Son aura est ternie. Il n'est plus reçu que dans des enceintes discrètes. Fini les grandes pompes, les grands discours... égards et cérémonies... piédestal d'où il admonestait avec autorité institutions internationales, chefs d'Etat, chefs d'entreprises...
J. Biden n'a le choix qu'entre de mauvaises solutions
Les mésententes dans l'Union Européenne désunie Europe et aux Etats-Unis où les supporters de D. Trump ont le vent électoral en poupe et bloquent au Congrès le paquet d'aide que J. Biden a prévu pour Kiev, réduisent les moyens militaires, mais aussi économiques de l'Ukraine.
L'Europe est la cinquième roue de la charrue. Un vaste marché ouvert aux quatre vents, un bric-à-brac à la Prévert, qui ne possède ni défense, ni diplomatie, ni volonté politique commune pour s'en doter. Lorsque Washington déclenche une opération militaire quelque part dans le monde, il est rare qu'il en informe ses « alliés » (sauf en cas de besoin) alors que ce sont souvent les Européens qui essuient les plâtres.
« Frappez l'Iran maintenant. Frappez fort », a lancé le sénateur républicain Lindsey Graham pour enfoncer la Maison Blanche dans un choix impossible au lendemain de l'attaque du 28 janvier.
La campagne électorale du candidat démocrate se trouve coincée entre le déclenchement d'un conflit immaîtrisable que personne ne veut et l'image d'un « vieillard sénile » incapable de prendre des « décisions courageuses », nécessaires au prestige et à la défense de son pays.
Pourtant, il ne peut pas intervenir, d'autant moins que, jusqu'à lors, aucune preuve n'implique l'Iran dans l'attaque de la base américaine.
Il ne peut pas non plus ne pas intervenir à moins de renoncer à sa réélection.
Bien sûr, J. Biden pourra doser et trouver une cible « consensuelle » qui conviendrait à tous sans conséquences périlleuses pour la paix du monde. Mais ce choix sera difficile. Comment, par exemple, convaincre l'Iran de consentir sagement à un bombardement pour une action militaire dont elle ne reconnaît pas la responsabilité ?
Tous les cow-boys du Congrès, y compris dans son camp, sont sur le pied de guerre. Ils se sont coiffés de leur stetson et armés de leurs Walker Colt ou de leurs Smith&Wesson comme à la belle époque. Quel que soit le choix de J Biden, D. Trump se frotte les mains et pourra commencer à préparer son second mandat.
Une conflagration proche-orientale généralisée, c'est-à-dire impossible à maîtriser, ouvrira une boîte de Pandore et fera exploser le prix des hydrocarbures et des marchandises transitant par l'Océan Indien, la mer Rouge et le Canal de Suez.
Cela ferait plaisir aux producteurs américaines de gaz et de pétrole de schistes qui font fortune depuis l'embargo sur les hydrocarbures russes et l'accroissement des importations européennes de produits américains. Mais cela aura des conséquences fâcheuses : augmentation mécanique des recettes russes avec le contournement par l'Arctique du trafic marchand asiatique et notamment chinois. C'est plus court, moins cher et sécurisé. Le réchauffement climatique n'a pas que des inconvénients.
Le plus préoccupant est la relance de l'inflation alors que les marchés attendent avec impatience depuis plusieurs mois la baisse des taux d'intérêt attendue. Cela n'est favorable ni à l'investissement, ni à la consommation, ni à l'emploi ni à la croissance.
On aura beau le cacher l'économie européenne, contrairement à l'américaine, souffre des sanctions infligées à la Russie et de l'ouverture des frontières de l'Union aux produits ukrainiens.
Les marchands, les intermédiaires et les spéculateurs y trouvent leur compte. Mais ni les producteurs (notamment les agriculteurs) ni les consommateurs n'y retrouvent les leurs.
Les manifestations se succèdent en Europe, les régimes politiques basculent les uns après les autres en faveur de partis « populistes », nationalistes anti-européens. Les préoccupations locales économiques et sociales dominent des débats de plus en plus politiques.
Elargir l'espace de l'OTAN, étouffer à petits feux la Russie de Poutine et produire un collapsus similaire à celui qui mit fin à l'URSS, est loin de se réaliser. L'idée du « poison lent » qui finira par produire ses effets est-ce plus qu'un mythe. La Russie s'est préparée à ce conflit et à ses différentes dimensions. Se serait-elle trompée ? Peut-être.
En attendant, c'est la défense ukrainienne qui menace de flancher. Des pertes humaines et matériels considérables minent l'effort de guerre et le moral de l'« arrière ».
Les aides promises sont bloquées aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis.
Le conflit a vidé les stocks des arsenaux des pays « alliés ». Gagner du temps pour donner à l'Ukraine les moyens de reprendre son combat dans de meilleures conditions dans quelques mois, entreprendre une « économie de guerre » généralisée relève plus de la rhétorique que de la réalité, malgré la pression des « complexes » militaro-industriels qui ont jusque-là largement profité du conflit.
La popularité de la cause ukrainienne est au plus bas à l'intérieur et à l'extérieur. Militairement, politiquement, économiquement, financièrement on atteint des limites.
A près de 30 000 morts et des dizaines de milliers de blessés, et bientôt quatre mois de massacres, médiatiquement plus ou moins escamotés grâce aux réseaux sous contrôle en Europe et en Amérique du nord, l'armée israélienne ne parvient pas venir à bout d'une résistance palestinienne à espérance de vie bien supérieure aux conflits antérieurs (guerre des six jours en juin 1967, guerre d'octobre 1973, confrontation avec Hezbollah en 2006).
Contrairement à ce qui est répété sur les réseaux mondiaux, il ne s'agit pas d'une guerre entre armées conventionnelles. L'Afrique du sud a déposé une plainte pour un génocide systématiquement entrepris condamné par la Cour Internationale de Justice le 26 janvier.
Le mot « génocide » a été euphémisé mais « Israël » et « génocide » ont été étroitement associés comme cause et effet.
On peut défaire une armée mais pas un peuple sous le regard d'un monde instantanément médiatisé. Les Israéliens pourront détruire Ghaza, tuer des dizaines de milliers de Palestiniens et quelques uns de leurs dirigeants. Cela ne suffira pas à effacer la Palestine et sa cause.
En quelques semaines, Israël a perdu un crédit considérable qui pourra même affecter l'histoire de ce qu'il prétend incarner. La forfanterie militaire produit des réputations surfaites et une sécurité factice. Israël n'est après tout que la partie apparente d'un iceberg mondial qui le porte à bout de bras. En sera-t-il toujours ainsi pour l'éternité ?
Pancho, Le Monde, V. 05 juin 1987
Non seulement les conflits ne se résorbent pas mais ils s'aggravent, se multiplient un peu partout dans le monde.
Outre l'Ukraine et la Palestine, l'enfer menace d'ouvrir des succursales à Taiwan, dans les Balkans, entre le Pakistan et une Inde théocratique qui a oublié les principes fondateurs qui ont présidé à sa naissance, entre le Pakistan et l'Iran, entre les deux Corées, entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie... Chacun de ces conflits pourrait représenter la mèche qui mettra le feu à une conflagration qu'il sera peut-être impossible de juguler.
Les Nations Unies sont aujourd'hui aussi inaptes et obsolètes que la Société des Nations l'avait été en 1920 à traiter de la guerre et de la paix.6 Le monde d'aujourd'hui n'a plus rien à avoir avec celui de 1945. Il serait temps d'en prendre acte.
A l'évidence, si l'humanité survit à ces crises, la première tâche des nations sera de fonder impérativement un nouveau système de régulation des conflits internationaux et une meilleure administration de la création, de la répartition des richesses et de la préservation de la biosphère terrestre, support essentiel de la vie sur la planète.
Notes
1- Même si Pfizer doit son vaccin à un laboratoire germano-turc (BioNTech). C'est l'Europe qui crée mais c'est l'Amérique qui en universalise les bienfaits (moyennant de très convenables rétributions, cela va de soi).
2- Zbigniew Brzeziñski, conseiller à la sécurité nationale du président des États-Unis Jimmy Carter l'a reconnu publiquement en janvier 1998 : les Etats-Unis sont intervenus en Afghanistan avant même l'entrée des troupes soviétiques en 1979. « Cette opé ration secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d'attirer les Russes dans le piège afghan. (...) Nous avons maintenant l'occasion de donner à l'URSS sa guerre du Vietnam » écrivait-il à J. Carter.
3- Aussitôt la paix venue W. Churchill, opportuniste roué, a épuisé le carburant qui le maintenait au 10 Downing Street A son retour aux affaires en 1951, il n'avait plus la magie qui avait séduit les Londoniens sous les bombes.
4- Il serait injuste et malhonnête de ne pas faire référence aux nombreuses manifestations anti-israéliennes dans le monde et aux protestations de nombreuses personnalités en Occident et en Israël en soutien à la Palestine. Lire par exemple « Ami-es israélien-nes, voilà pourquoi je soutiens les Palestinien-nes » (https://www.contretemps.eu, 17 octobre 2023) de Ilan Pappe.
5- C'est pourquoi les Israéliens ne parlent jamais de « Palestiniens » mais d'« Arabes ». La guerre est aussi dans le lexique.
6- Il n'est pas suffisamment rappelé que le Sénat américain avait voté contre la SdN et que les Etats-Unis avaient refusé d'en être membres, alors que le projet avait été proposé et défendu par le président Wilson.
Texte (en français) et vidéo (en anglais) de la conférence du professeur Etienne Balibar sur « La Palestine, l’Ukraine et autres guerres d’extermination : le local et le global » donnée dans le cadre des conférences Bisan le 13 décembre 2023.
Résumé : La guerre en Ukraine et la guerre en Palestine ne sont certainement pas les seuls cas de guerres « chaudes » de notre présent ou passé récent, et il est vraisemblable qu’elles ne resteront pas les seules dans un avenir prévisible. Pourtant, elles nous confrontent à des interpellations tout aussi dramatiques. Et, avec toutes leurs différences que nous ne pouvons négliger, qui remontent dans chaque cas à une histoire longue, complexe, tragique, et qui font référence aux circonstances de leur début (ou nouveau début), elles soulèvent certains problèmes communs. Quelques-uns sont essentiellement liés à leurs déterminations « locales », telles que les questions hautement conflictuelles d’appropriation et d’expropriation qui régissent l’articulation de la population et du territoire et, avant tout, les questions morales et juridiques de justice qui émergent des relations de domination, d’agression, de destruction, d’extermination. D’autres impliquent une perspective « globale », que l’on peut cependant inscrire dans des cadres analytiques d’interprétation très différents : droit international et résolution des conflits, stratégies impérialistes et anti-impérialistes, politiques nationalistes de militarisation et forces cosmopolites de démilitarisation. Cette conférence n’a pas la prétention de couvrir toutes les dimensions de la situation, sans parler de proposer des « solutions » pour parvenir dans chaque cas à une « paix juste ». Je vais essayer de réfléchir à l’articulation de ces deux niveaux et soumettre à la discussion des enseignements provisoires de la comparaison. Sans jamais oublier que – en tant que citoyens du monde avec plus ou moins de liens personnels directs avec les populations et les lieux actuellement soumis à la destruction et au massacre – notre principal devoir est d’agir, pas de parler. Mais agir, où et quand c’est possible, exige aussi une réflexion commune.
Texte de l’exposé
Cher-e-s collègues, cher auditoire, j’ai accepté sans hésiter, mais avec un peu d’inquiétude, l’invitation à donner cette conférence Bisan, qui est un grand honneur pour moi. Nous sommes au milieu d’une guerre sauvage menée par l’État d’Israël contre la population de Gaza, avec des milliers d’adultes et un nombre monstrueux d’enfants déjà tués et encore plus nombreux mutilés. Deux millions de personnes sont poussées hors de leurs logements pour se retrouver à nouveau sous les bombardements sur la route ; des secteurs urbains entiers sont transformés en ruines ; écoles, hôpitaux, universités, mosquées, théâtres, bâtiments administratifs, sites archéologiques, bref une société tout entière est à jamais détruite. A l’encontre de toutes les lois de la civilisation et des conventions internationales, la fourniture de nourriture, d’eau, de carburant et d’aide médicale s’est vue interdite d’accès à la population. L’ONU met en garde contre une catastrophe humanitaire imminente de magnitude historique, si elle n’est pas déjà là. Permettez-moi alors d’être très clair. Les Palestiniens de toutes les parties du pays ou de l’étranger n’ont pas vraiment besoin de suivre une conférence sur cette situation et ses responsabilités. Ils ont aussi leurs idées, peut-être multiples, sur le dénouement qui pourrait être recherché, s’il en existe encore un – chose que nous ne devrions pas nier, même au moment le plus désespéré. Je n’ai jamais pensé que je devais parler pour les Palestiniens, encore moins à leur place. J’ai pensé que je devais leur parler à eux, avec mes propres mots et en harmonie avec d’autres intellectuels, pour exprimer notre solidarité et notre engagement à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour mettre fin au massacre et aider à la libération du peuple de Palestine. Mais j’ai également pensé que je devais saisir l’occasion que m’offrait votre hospitalité pour me parler à moi-même, essayer de clarifier ce qui fait que l’épisode actuel de la « Guerre de Cent Ans sur la Palestine », comme l’a appelée l’historien Rachid Khalidi, révèle un nouveau modèle de conflits meurtriers et d’apories politiques qui affecteront la condition de toute l’humanité. C’est ce qui m’a conduit au projet hasardeux de comparer la guerre sur l’Ukraine et la guerre sur la Palestine, qui se déroulent à deux « frontières » de l’espace euro-méditerranéen et impliquent en partie les mêmes acteurs (pensez à la fourniture continue d’armes américaines aux deux endroits). Il m’a semblé que, du point de vue de ce qui se passe maintenant en Palestine, certaines des implications de la guerre russo-ukrainienne peuvent être plus clairement identifiées, et que, à la lumière de ce qui est en cours en Ukraine, on pourrait interroger de manière significative l’articulation des caractères historiques « locaux », « autochtones » et des déterminations cosmopolitiques plus « globales » dans la guerre de Palestine. Bien sûr, je suis conscient que, outre les erreurs que je ferai inévitablement, il y a ici un danger à superposer artificiellement des situations hétérogènes, qui soulèvent différents problèmes de généalogie, d’identité collective, de statut d’État, de stratégie militaire, de droits, d’effets internationaux. La singularité de chaque situation ne devrait jamais être brouillée dans un souci de généralisation. Je tâcherai de garder ce danger à l’esprit, tout en vous demandant d’accepter la comparaison en tant qu’hypothèse de travail et instrument analytique. Je pense que cela ne nous détournera pas de l’urgence qui, dans les deux cas, demande un engagement politique résolu.
En préambule, je veux justifier mon utilisation du terme « extermination » dans le titre qui a été annoncé. J’ai déjà reçu quelques questions et objections à propos de ce choix, concernant à la fois sa définition et son champ d’application. Parler d’extermination signifie que nous incluons dans la caractérisation d’une guerre ses effets destructeurs sur despopulations, qu’elles soient constituées de civils ou de soldats, ou d’un mélange des deux, et que nous écartons donc la terminologie trompeuse de « dommage collatéral ». Dans des limites données de territoire et de temps, ceci peut aller de massacres ciblés à la destruction de l’environnement avec tous ses habitants, ou la plupart d’entre eux. Que ceci ait fait oui ou non partie de leur plan (j’ai tendance à penser que ce l’était), le Hamas a commis le 7 octobre des massacres exterminateurs dans son assaut sur les kibboutz et le festival israéliens, qui semblaient répliquer les massacres perpétrés par les paramilitaires juifs sur les Palestiniens pendant la Nakba. La destruction actuelle de Gaza se fait dans des proportions complètement différentes : du jour au lendemain, s’il n’y a pas de cessez-le-feu, si les frontières restent scellées, si l’aide humanitaire reste bloquée, et si les épidémies se répandent, cela pourrait devenir l’une des pires tueries depuis la Deuxième Guerre Mondiale. Les troupes russes qui ont envahi l’Ukraine ont commis des massacres dans les villages ukrainiens (comme à Butcha) et ont réduit la ville de Marioupol à un tas de ruines (exactement comme ils l’ont fait à Chechnya). Ils ont sans cesse ciblé des quartiers civils avec des missiles et des bombes. Et, bien que les chiffres exacts soient couverts par le secret militaire, il semble que la « guerre de position » prolongée, réminiscence des tranchées de la Première Guerre Mondiale, dans laquelle Ukrainiens et Russes sont maintenant coincés, équivaut à un processus mutuel d’extermination, parfois appelé « attrition » dans le jargon militaire, signifiant que l’issue sera déterminée par la capacité des deux peuples à accepter l’anéantissement de sa jeunesse. Bien sûr, ce caractère « exterminateur » n’a rien de neuf : dans le passé, il caractérisait les conflits armés qui devenaient des « guerres totales », notamment les deux Guerres mondiales (dont les chiffres restent hors d’atteinte, mais ont été proportionnellement approchés dans des conflits « locaux » tels que la guerre Iran-Irak dans les années 1980). Il a également caractérisé des guerres coloniales telles que la guerre d’Algérie menée par les Français, ou la guerre du Vietnam menée par les Américains. Nous sommes impressionnés par le « retour » de conflits de haute intensité, qui avaient été déclarés comme appartenant au passé. Et nous sommes inquiets devant le fait – sur lequel je reviendrai – que « l’Ukraine » et « la Palestine » surviennent comme des conflits sans solution diplomatique dans un avenir prévisible, laissant la porte ouverte à diverses formes d’« intensification ».
Maintenant, la discussion sur le caractère des guerres ne peut rester enfermée dans ce genre de formules descriptives, à cause des questions morales, juridiques et politiques qui y sont impliquées. Deux autres catégories plus controversées ont été invoquées qui sont largement surdéterminées : le terrorisme et le génocide. Je dois essayer de clarifier ma position sur leur utilisation légitime dans les deux cas.
En ce qui concerne le « terrorisme », la situation est compliquée par le rejet généralisé mais incohérent de l’idée qu’un mouvement ou une organisation pourraient être en même temps un mouvement de « résistance » et utiliser des méthodes « terroristes », idée qui dérive du fait que chaque État confronté à une résistance armée ou une insurrection la qualifie de terroriste afin de la délégitimer. Elle est aggravée par le fait que, depuis les attaques du 11 septembre et la « Guerre au terrorisme » qui s’en est suivie, des listes d’« organisations terroristes » ont été émises par divers pays et institutions, dont les États-Unis, l’Union Européenne, mais aussi la Russie et les Nations unies, ce qui signifie que des organisations ou des mouvements ainsi définis sont hors-la-loi et qu’on ne peut négocier avec eux (officiellement du moins). Ce sont des « ennemis absolus » qu’on ne peut que combattre et détruire. Mais c’est là une logique dans laquelle les États sont à la fois juges et parties. Je pense que nous devons repartir d’une description des actions elles mêmes, pour tenter de caractériser les forces ou les institutions qui les portent. Le Hamas est une organisation déjà ancienne de résistance du peuple palestinien, fondée sur une idéologie religieuse (comme beaucoup d’autres dans le passé ou le présent), une histoire complexe de rivalités avec d’autres, une stratégie qui oscille entre des actions violentes et non violentes, et une capacité à susciter l’adhésion de la population. Je comprends pourquoi les intellectuels palestiniens expliquent que, face à une guerre totale menée à Gaza, ils ne peuvent se dissocier du Hamas, même lorsqu’ils ne sont pas d’accord avec son idéologie ou sa stratégie. Et je comprends pourquoi l’opinion publique dans le monde arabe (et au-delà) choisit d’isoler l’aspect de défi héroïque à leur puissant ennemi (même si c’est parfois au prix de la négation des faits les plus dérangeants). Néanmoins, je vois le massacre du 7 octobre qui comporte diverses atrocités perpétrées contre des civils comme une action purement terroriste (également au sens littéral du terme : destinée à répandre la terreur), qui oblige à conférer un caractère terroriste à l’organisation elle-même. Cependant, si nous regardons les actions commises depuis des décennies envers le peuple palestinien par l’État d’Israël (et, avant lui, par les milices sionistes), ou aujourd’hui en Cisjordanie par les colons aidés par l’armée, il n’y a aucune possibilité d’échapper à la conclusion qu’Israël est un État terroriste (tout comme la Russie a été un État terroriste à Chechnya, les États-Unis ont été un État terroriste en Irak, la France en Algérie et dans d’autres colonies, etc.). La symétrie ne justifie pas à mes yeux la méthode terroriste, ni ne l’empêche de faire du tort à long terme à la cause de la Résistance. Elle ne fait que fournir un contexte nécessaire à l’interprétation de ce qui s’est passé et quelle signification nous donnons à certains termes que nous utilisons.
Peut-être la question du génocide est-elle plus compliquée, mais elle n’est pas moins essentielle pour notre évaluation de la situation à laquelle nous faisons face. Tout d’abord, nous devons avoir à l’esprit à quel point l’histoire tragique des deux régions et des deux conflits est hantée par le souvenir des plus grands génocides du XXème siècle, les modèles qu’ils ont créés pour l’évaluation de l’extrême violence et la fonction qu’ils ont acquise pour cimenter les identités collectives des « survivants » : l’Holocauste des Juifs européens perpétré par l’Allemagne nazie dans toute l’Europe avec l’aide d’autres régimes fascistes, et la famine mortelle programmée de millions de paysans soviétiques, dont la plupart étaient ukrainiens, ciblés aussi à cause de leur nationalité, connue aujourd’hui sous le nom d’Holodomor. Ces mémoires sont instrumentalisées en Israël et, de façon différente, en Ukraine, mais ce sont de véritables traumatismes transmis de génération en génération, générant des affects contradictoires qui vont de l’angoisse de la répétition à la projection de l’image des anciens bourreaux sur les ennemis actuels. C’est un processus qui comporte des résultats ambivalents sur lesquels il faut enquêter à l’aide de notions psychanalytiques telles que la pulsion de mort, et le transfert du traumatisme des victimes sur leurs propres victimes (Edward Saïd a autrefois écrit que le sort tragique des Palestiniens, c’est d’être devenus les victimes des victimes). Mais si nous nous concentrons sur nos deux champs de bataille, il semble se dégager une nette dissymétrie. La propagande russe a prétendu que l’Ukraine était en train de pratiquer un « génocide » dans la région orientale principalement habitée par des Russophones (le Donbass). Et de nombreux Ukrainiens ont tendance à décrire les intentions de l’invasion russe comme une continuation de l’Holodomor. Dans le premier cas, la catégorie est clairement non pertinente (même si des violences systématiques ont été commises) ; dans le deuxième cas, le terme correct serait plutôt ethnocide, parce que le discours russe comporte une négation de l’idée d’une nation ukrainienne en tant qu’entité indépendante, et la possibilité pour un peuple ukrainien d’exister historiquement avec son gouvernement autonome et sa culture, bien que certains crimes de guerre (tels que l’enlèvement et l’adoption forcée d’enfants) soient à la limite des marques juridiques du génocide. Inversement, la catégorie de génocide, ou d’extermination avec une dimension génocidaire, semble appropriée pour décrire la catastrophe qui prend place à Gaza, et sa signification pour la survie du peuple palestinien. Cela ne devrait pas être une surprise qu’il soit utilisé, non seulement par les Palestiniens qui appellent à l’aide et aux sanctions, mais par d’estimés universitaires, des porte-parole autorisés d’organisations humanitaires et d’agences des Nations unies. Je pense que l’invocation exceptionnelle du Secrétaire Général Gutierres de l’article 99 de la Charte de l’ONU le 6 décembre peut elle aussi être interprétée dans ce sens. Parmi les comparaisons qui viennent à l’esprit, il y a les massacres génocidaires perpétrés en 1995 par les forces serbes contre les musulmans en Bosnie. Le cœur du problème est bien sûr de savoir si la combinaison de meurtres de masse et de déportations qui a maintenant affecté Gaza quoique criminel du point de vue du droit international devrait être considérée comme un effet secondaire du projet d’« éradication » du Hamas, comme prétendu par le gouvernement israélien, ou si elle constitue le véritable objectif de la totalité de l’opération militaire. Il existe de nombreuses preuves pour étayer la seconde proposition, émanant non seulement des déclarations des dirigeants israéliens qui ont promis une « deuxième Nakba » (qui ne peut être accomplie que par des moyens exterminateurs) et qui ont déshumanisé la totalité de la population de la Bande de Gaza, mais par la combinaison des éliminations à Gaza avec une brutale intensification des assassinats, des expulsions et des persécutions en Cisjordanie et à Jérusalem. Ce sont des éléments complémentaires d’une politique dont le but n’est plus simplement la discrimination de la population arabe de Palestine (pour laquelle la catégorie apartheid s’est avérée adéquate), mais finalement la création d’un territoire « purement juif » « du Fleuve à la Mer », rêve de longue haleine de l’extrémisme sioniste « messianique » maintenant au pouvoir. Le 7 octobre n’a fait que fournir la fenêtre d’opportunité, mais a aussi permis de gagner le soutien de la population israélienne ou son acquiescement passif, écrasant les oppositions.
Je veux maintenant aller plus loin dans la comparaison, grâce à deux étapes successives. La première essaiera d’articuler les questions de droit et de justice avec l’histoire spécifique de chaque guerre, qui est la base sur laquelle nous devons nous appuyer afin de prendre parti dans le conflit, chose que nous ne pouvons éviter à moins de devenir complices de crimes historiques. La seconde essaiera de trouver les « alliances » et les « solidarités » sur lesquelles les protagonistes s’appuient dans le cadre d’une géométrie de l’impérialisme qui pourrait expliquer les situations antithétiques dans lesquelles se trouvent les principales « victimes » des guerres, à savoir le peuple ukrainien et le peuple palestinien, par rapport aux divisions géopolitiques des luttes contemporaines pour l’hégémonie. Ainsi, d’une certaine façon, j’essaie d’examiner la dynamique des guerres intérieurement et extérieurement.
Permettez moi de commencer avec les questions de droits et de justice. Comme point de départ, nous pouvons considérer la notion de juste guerre, qui est notoirement contestée. Chaque belligérant prétend toujours être justifié, soit juridiquement, soit par quelque intérêt « supérieur ». Les pacifistes ou les défenseurs de la non-violence ont toujours évidemment rejeté cette notion : aucune guerre ne peut être « juste », même si on nous y oblige, et l’impératif de la non-violence devrait imposer des limites éthiques absolues à tout projet de résistance à un ordre oppressif, une violation de ses « vie, liberté et patrimoine » (dans la fameuse définition de Locke de l’individualité, que l’on peut étendre des individus à la collectivité). Je ne m’embarquerai pas dans une discussion des principes, mais j’adopterai le point de vue du droit international tel qu’il a été codifié dans la Charte des Nations unies (1945) : les seules guerres justes sont les guerres défensives, menées en réaction à une attaque ou une agression. Il s’agit donc d’un concept absolument dissymétrique : la guerre ne peut être « juste » des deux côtés (quoiqu’elle puisse être éventuellement injuste des deux côtés). Voilà où commencent en fait les difficultés, parce que la codification ne faisait exclusivement référence qu’à la « défense » d’États, ou d’entités politiques que l’on peut assimiler à des États. Ceci laisse entièrement pendante la question des guerres de libération, ou guerres menées par des peuples, communautés ou groupes opprimés qui ne sont pas organisés (ni reconnus internationalement) en tant qu’États, ou cela pourrait même suggérer que les guerres de ce genre sont par définition illégitimes ou « injustes ». C’est bien sûr ce que l’histoire consécutive à la décolonisation a entièrement remanié. Ce qu’elles nous enseignent, c’est que nous pouvons considérer comme une juste guerre un combat dans lequel une communauté avec un sentiment d’identité collective (chose qu’il n’est pas toujours facile de déterminer) historiquement attachée à un territoire (encore une notion complexe, du point de vue de l’« exclusivité » et des « frontières ») exprime et défend un droit à l’autodétermination et à l’auto-préservation qui est dénié ou menacé par une puissance étrangère (généralement appelée un empire). Cela s’applique, avec des nuances significatives, aux deux guerres, la guerre en Ukraine et la guerre en Palestine.
Le cas ukrainien pourrait sembler très simple, parce qu’on ne peut raisonnablement nier qu’en février 2022, l’État russe (qui se donne le nom de « fédération ») a envahi le territoire d’une République indépendante, dont il avait reconnu l’intégrité et la souveraineté après la dissolution de l’Union soviétique. La continuité de la guerre cruelle menée depuis sur le territoire ukrainien dérive de cette agression initiale et y a ajouté (dans la conduite de la guerre) d’autres dimensions criminelles (qui devraient logiquement être portées devant la Cour pénale internationale). Ce qui rend cependant les choses plus compliquées est le fait qu’un conflit plus « limité » avait été mené depuis 2014 dans la « région frontalière » du Donbass entre les séparatistes locaux et le gouvernement central de l’Ukraine, combinant des raisons linguistiques, sociales et idéologiques, un conflit que le gouvernement russe a présenté comme une guerre civile et dans lequel il est intervenu par des fournitures militaires et de prétendus « volontaires » du côté de ses « frères ». Cela a été le tout début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, conduisant à une militarisation croissante des deux côtés, particulièrement après l’annexion par la Russie de la région contestée de Crimée, faisant légalement partie de l’Ukraine mais largement habitée par des russophones supposés pencher du côté de la Russie. L’annexion a coïncidé avec la « révolution démocratique » en Ukraine (l’Euromaïdan) qui a conduit à éliminer du pouvoir quelques « oligarques » ayant des liens forts avec le régime du président Poutine, et qui a initié une procédure de négociations en vue de l’intégration dans l’Union européenne et dans l’OTAN, en opposition directe aux intérêts « géopolitiques » de la Fédération russe. Pour résumer, nous pourrions dire que l’invasion russe de 2022 était basée sur un double motif. C’était une guerre impérialiste, essayant de rebâtir l’Empire qui avait été formé au cours des siècles sous le régime tsariste et sanctifié par la mission messianique de la « Sainte Russie », ensuite sécularisé et étendu par Staline sous le nom de communisme, maintenant ressuscité à l’aide d’une idéologie nationaliste virulente qui oppose une « Grande Russie » ou « Eurasie » traditionnelle idéalisée à l’Occident démocratique « dégénéré ». Et c’était une guerre politique préventive, qui cherchait à écraser l’orientation libérale-démocratique de l’Etat ukrainien avant qu’il ne puisse devenir un modèle pour les réformistes en Russie même, qui auraient profité des solidarités entre les différents régimes « post-soviétiques » pour défier le pouvoir combiné des oligarques économiques et de l’État autoritaire (Poutine lui-même ayant bénéficié de la corruption et hérité de la tradition de la police secrète qui contrôlait l’Union soviétique sous Staline et après lui). Pour les Ukrainiens cette double guerre crée une unique menace existentielle. Leur réaction patriotique, cependant, renforcée par la guerre mais aussi soumise à ses vicissitudes sur le long terme, est enracinée dans la complexité énorme d’un sentiment « national » qui a continuellement enchevêtré des moments de lutte indépendantiste et des moments d’intégration dans des constitutions impériales ou fédérales (ou quasi-fédérales, comme nous pourrions étiqueter les politiques des nationalités dans la première période, « léniniste », de l’Union soviétique). Dans une terminologie significative (quoique non exclusive), ils présentent leur résistance actuelle comme une guerre d’indépendance reportée qui est combinée avec un processus de décolonisation culturelle. C’est une formulation intéressante, parce qu’elle attire notre attention sur le fait que le colonialisme a été aussi intra-européen, dans le cadre de différents « États impériaux », la Russie (prolongée par l’Union soviétique après la contre-révolution stalinienne) n’étant que l’un d’eux, avec des caractéristiques spéciales (une double expansion et soumission des peuples envers l’Occident et envers l’Orient). En ce sens, la grande question en jeu dans la guerre actuelle en Ukraine et dans les évolutions des deux nationalismes qu’elle dresse l’une contre l’autre, comme je l’ai traité ailleurs, est une nouvelle phase dans la longue « guerre civile européenne » et une expérience décisive dans la gouvernance de la complexe composition « ethnique » interne de l’Europe.
Retournons maintenant au cas de la Palestine et de sa guerre prolongée avec Israël – une guerre civile aussi dans un sens spécifique, puisque la population et l’État d’Israël, quoique nés d’un processus typique de colonisation inspiré par l’idéologie sioniste, ont depuis longtemps cessé de former un corps extérieur ou étranger dans l’espace de la « Palestine historique » qu’ils réclament de manière exclusive pour eux-mêmes, mais qu’ils partagent par force avec les Palestiniens. C’est encore plus le cas depuis qu’Israël, étendant continûment le processus de colonisation, a créé un unique espace politique (ce qu’Adi Ophir et Ariella Azoulay ont appelé la « Condition à un État ») où il est la seule autorité souveraine, y exerçant une domination directe ou indirecte, à l’exception paradoxale de Gaza, qui est (ou plutôt était, avant son annihilation en cours) en même temps une enclave gouvernée indépendamment et une institution pénitentiaire totalement contrôlée et punie en permanence pour ses actes de résistance, qu’ils soient violents ou non-violents.
En tant qu’il est question de deux peuples en compétition pour disposer du même territoire, la longue guerre en Palestine oppose formellement des affirmations de droit, ou simplement des « droits », chacun d’eux cherchant à établir sa légitimité par une combinaison de narratifs historiques et d’actions stratégiques. La légitimité d’Israël, qui est effective en termes de cohésion politique et de reconnaissance extérieure, repose sur trois « sources » ou « fondements » dont la combinaison s’est avérée extrêmement puissante. La première est imaginaire, c’est la conviction sioniste (et avant le sionisme, la vieille conviction juive) que les juifs d’aujourd’hui, partout dans le monde, sont les « descendants » d’un peuple qui aurait été expulsé de la Terre sainte après la destruction du Temple de Jérusalem, et qui a toujours rêvé de retourner « chez lui ». La deuxième est le fait crucial qu’après la partition décidée par les Nations unies en 1947 et la victoire de l’armée juive sur les Palestiniens et les États arabes en 1948, l’État d’Israël a été reconnu internationalement par tous les « camps » (à l’exception des États arabes, qui néanmoins coopèrent de plus en plus avec lui économiquement), et est devenu un membre à part entière de la « communauté internationale » des États-nations. Et la troisième, qui n’est pas juridique, mais morale et aussi politique, dérive du fait qu’Israël s’est conçu et est apparu comme un lieu de refuge, un sanctuaire pour les survivants de l’Holocauste et d’autres juifs persécutés dans le monde, qui n’ont « aucun État à eux ». Laissant de côté la fondation imaginaire dans les « origines » du peuple juif, je voudrais me concentrer sur les deux autres sources et sur leur évolution historique. Bien sûr je dois mettre entre parenthèses beaucoup d’épisodes importants et de détails qui nécessiteraient des restrictions, mais je voudrais vous soumettre l’analyse suivante : bien que fermement enracinée dans ses sources juridiques et morales, la légitimité d’Israël (ou son « droit » à gouverner le territoire palestinien et et à le renommer) a toujours été conditionnelle. Elle pourrait se justifier sur le long terme uniquement à la condition d’être acceptée par les Palestiniens eux-mêmes : une condition évidemment très difficile, sinon impossible, à réaliser (ou seulement au prix d’une invention politique extraordinaire), et qui en fait n’a jamais été remplie. Non seulement elle n’a pas été remplie, mais elle a été consciemment et systématiquement détruite dans sa possibilité même. Au cours du temps, Israël a détruit sa propre légitimité. Le résultat est un renversement de la situation initiale, une radicale délégitimation d’Israël comme État « décent », quelque chose qui peut rendre joyeux ses ennemis, mais doit probablement avoir des conséquences dramatiques, parce que cela poussera de plus en plus Israël à affirmer une légitimité inconditionnelle, ou le droit de « se défendre » quel qu’en soit le prix contre tout adversaire ou critique, ce qui est ce que nous observons aujourd’hui.
Mais soyons un peu plus précis. La légitimité juridique d’Israël repose sur des déclarations et des actes internationaux, mais elle ne peut qu’être contestée, parce que sa base territoriale vient de la colonisation, à la fois dans le sens de l’immigration dans le pays (« colonies de peuplement ») d’étrangers d’origines et de trajectoires variées ; et dans le sens plus conflictuel de l’accaparement des terres (Landnahme) prises à la population autochtone par diverses procédures de dépossession, qui en fin de compte impliquent toujours de la force. Contrairement à la formule tristement célèbre de Golda Meir, la Palestine n’était pas et n’est pas « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Légitimer la colonisation est un énorme paradoxe (encore plus à l’âge de la « décolonisation »), mais si cela peut être imaginé, comme une façon de passer de la partition à une transaction ou partage (répartition, cohabitation) et du partage à la reconnaissance, ou égale dignité, cela exigerait un changement révolutionnaire dramatique moral et politique. Israël ne s’est jamais engagé dans cette voie : non seulement il n’a jamais reconnu que son appropriation du territoire sur lequel établir un « État juif » était « opposable » ou contestable à bon droit, mais il s’est étendu dans chaque partie de la Palestine que la guerre lui permettait de contrôler (ou il a mené des « guerres préventives » pour permettre cette expansion), officialisant finalement l’objectif de la domination juive sur la totalité de la Palestine « du fleuve [Jourdain] à la mer [Méditerranée] », qui avait été proclamée par ses propres extrémistes. Avec l’aide de puissants sponsors à l’étranger, il a pu contredire de manière flagrante le droit international en mettant en place la colonisation de la Cisjordanie et Jérusalem-Est. En ce qui concerne la légitimité morale d’Israël, reposant sur la mission d’offrir un sanctuaire aux victimes et aux survivants de l’Holocauste, ou un endroit où ils pourraient être libérés de leur apatridie et réclamer ce qu’Hannah Arendt a appelé « le droit à avoir des droits », elle était aussi immédiatement contestable au sens où elle a sauvé des masses de réfugiés au prix d’en créer des masses d’autres, violemment expulsés, terrorisés et à qui on dénie le droit au retour. Encore une fois, elle ne serait justifiée qu’à la condition paradoxale de juifs assujettissant leur propre citoyenneté (ou leur appartenance politique) à la création de la citoyenneté des autres, qui ne peut être concédée de manière paternaliste, mais devrait être reconnue comme leur propre initiative, et à qui on devrait accorder ses conditions institutionnelles, que ce soit sous la forme d’une « solution à deux États » ou à « un État » avec de multiples modalités d’appartenance. « L’égalité ou rien », est le titre célèbre qu’Edward Said a donné à l’un de ses recueils d’essais politiques, après Oslo. Non seulement Israël n’a autorisé aucun processus d’égalisation à commencer, mais il a fait exactement le contraire : instituant la discrimination et un harcèlement continu des Palestiniens, même quand ceux-ci avaient officiellement la citoyenneté israélienne, ce qui a conduit à la création d’un État d’apartheid sur l’ensemble du territoire. La notion de sanctuaire a été renversée en ce qui a été à bon droit appelé une « ethnocratie », où les juifs de n’importe où peuvent venir pour se voir comme un peuple privilégié ou « supérieur ». A cela nous pouvons ajouter la déplorable transformation de l’Holocauste, d’un symbole d’inhumanité enseignant des leçons de moralité politique à tout individu et à tout peuple en un instrument « privatisé » de domination et d’auto-justification. Cela engendre une autre forme dévastatrice de délégitimation.
Maintenant le question devient : est-ce que la délégitimation croissante de l’État d’Israël (dont nous allons observer des développements rapides dans le sillage de la guerre actuelle), implique une légitimité croissante pour les droits du peuple palestinien, ou une plus grande justification de leur propre affirmation de droits ? Cela est l’enjeu majeur pour anticiper un renversement de tendance, un résultat positif de la confrontation en cours, aussi improbable que cela puisse apparaître au milieu des destructions et de l’incapacité apparente (ou de la mauvaise volonté) des forces externes médiatrices à retarder la catastrophe. Il me semble cependant que la réponse ne peut que rester ambivalente : c’est oui et non. La réponse est « oui certes », parce que les Palestiniens n’ont aucun besoin d’être « reconnus » ou « justifiés » pour leur droit à habiter et travailler sur la terre où leurs ancêtres ont vécu pendant des générations. La question est pratique, ce n’est pas une question de conditionnalité « normative ». Et, du point de vue pratique, on peut dire que, alors que l’État d’Israël et la majorité de sa population n’admettent même pas qu’il existe quoi que ce soit comme un peuple de Palestine, avec une identité nationale enracinée dans le passé et formant un horizon d’attentes pour le futur, la situation évolue rapidement du côté de l’opinion publique dans le monde en général, ce qui est une condition cruciale pour la constitution légale de la Palestine comme « sujet politique » à un niveau international, par exemple sous la forme d’une acceptation complète de l’État palestinien par les Nations unies (même si c’est un État palestinien en exil). Ce qui pendant longtemps a été proclamé par les peuples et – plus ou moins sincèrement – par les gouvernements dans les États arabes et islamiques, la « Gauche mondiale » incluant des citoyens anti-impérialistes dans le « Nord », qui a vu la Palestine comme le dernier grand cas d’émancipation contre le principe colonial après la fin du système d’apartheid en Afrique du sud, devient une conviction très largement partagée qui transgresse les barrières de la civilisation et tend à l’universalisation. Mais peut-être que la réponse est aussi « Non », parce que les obstacles se sont accumulés devant la constitution du peuple palestinien en tant que sujet politique autonome, agent effectif de sa propre émancipation. La guerre telle qu’elle se déroule maintenant augmentera certainement les sentiments de solidarité à l’intérieur du peuple, mais pas nécessairement sa capacité politique à agir comme un sujet. Bien sûr cette incapacité a été l’objectif permanent d’Israël, elle a été brutalement ou insidieusement imposée de l’extérieur, par la répression (particulièrement l’emprisonnement systématique des dirigeants nationaux) et par la corruption, mais elle s’est aussi développée de l’intérieur. Ce qui a été admirable (et politiquement significatif) dans l’histoire du peuple palestinien depuis la Naqba et dans toutes les vicissitudes du conflit, avant et après 67, avant et après Oslo, à travers les intifadas, a été la conservation de l’unité morale et de l’esprit de résistance parmi les fractions dispersées du peuple palestiniens, à l’extérieur et à l’intérieur d’Israël comme circonscription juridique. Mais ce qui est devenu de plus en plus problématique (malgré quelques tentatives remarquables pour renverser le cours des choses, comme le « document du prisonnier » en 2006), c’est l’unité politique des organisations et des personnes qui représentent le peuple comme une force affirmant sa place dans l’histoire et lui donnent une voix publique. Avec la quasi-complète subordination de l’Autorité palestinienne aux injonctions de l’État d’Israël, et le choix du Hamas d’utiliser périodiquement des méthodes terroristes qui créent dans la population autant d’anxiété et de répulsion que d’émulation et d’encouragement, la dissociation interne semble plus insurmontable que jamais. Au moins en l’observant depuis ma position extérieure, raison pour laquelle je soumets ces réflexions avec une extrême modestie et de manière hypothétique. Demandant en particulier si et comment « des tierces parties » pourraient émerger pour surmonter la fracture et comment.
Une dernière observation vient à l’esprit lorsqu’on confronte les deux cas que nous discutons : l’Ukraine et la Palestine, du point de vue de leur place dans une discussion sur la justice : non seulement la justice qui fait référence à une position dans la guerre, d’un côté ou de l’autre du fossé entre agresseur et victime, ou oppresseur et résistant, mais la justice qui peut acquérir une résonance universelle, la justice qui confère une dimension universaliste à l’affirmation de droits que certains acteurs incarnent dans la guerre (pas tous, évidemment). Une similitude frappante entre la cause ukrainienne et la cause palestinienne qui crée une convergence virtuelle entre elles vient précisément du fait qu’elles apparaissent comme des incarnations de principes universels d’auto-détermination et de résistance à l’oppression, raison pour laquelle, dans différentes parties du monde, il y a aujourd’hui des militants qui font des efforts importants pour soutenir simultanément et articuler les deux causes. Cependant, cela reste limité pratiquement parce qu’elles sont aussi perçues comme inséparables d’alliances géopolitiques antithétiques et de « camps » impliqués dans une autre sorte de « guerre », parfois décrite comme la « nouvelle guerre froide », dont elles ne formeraient que des aspects partiels, des « moments » locaux, ou dans laquelle elles seraient inévitablement absorbées. Paradoxalement, à cause de la tension qui déchire le champ cosmopolitique entre un point de vue des valeurs universelles et une logique du global et des relations globales de forces, les affinités entre les « justes causes » des peuples affirmant leur droit à l’auto-détermination ne sont pas facilement perçues, ou sont même déniées par leurs supporters. Pour cette raison, brièvement (bien trop rapidement, en fait), je veux consacrer quelques considérations finales aux dimensions globales des deux guerres, que je résumerai sous le nom de « géométrie de l’impérialisme », emprunté à l’économiste et théoricien politique défunt Giovanni Arrighi, une des figures fondatrices de l’« alter-mondialisation ».
La première chose qui, je voudrais insister sur ce point, ne doit jamais être oubliée, est le fait que l’essence d’une cause politique ne réside jamais dans son association avec des oppositions globales entre forces géopolitiques qui sont enracinées dans des intérêts économiques et des antagonismes idéologiques « systémiques ». Croire le contraire est un héritage négatif du « campisme », la logique politique héritée des fractures de la guerre froide, sur laquelle je reviendrai. C’est pourquoi il est crucial de reconstruire l’histoire spécifique de chaque guerre, de chaque peuple, de chaque territoire, dans ses propres termes locaux, et de décrire les modalités dans lesquelles une guerre s’est développée à partir de conditions et de choix qui ont été faits par leurs propres acteurs : Russes, Ukrainiens, Israéliens juifs et Arabes palestiniens, avec leur divisions internes et leur histoire complète. L’évaluation de la justice ne dérive pas du fait que l’Ukraine s’unisse au « monde libre » ou « au monde des démocraties » contre une coalition de régimes autoritaires, ou du fait que le combat palestinien pour la dignité et l’indépendance forme une partie du combat mondial « anti-hégémonique », qui défie maintenant la domination planétaire des USA. D’un autre côté, cependant, il n’existe pas d’action et de transformation isolées de quelque peuple que ce soit dans le monde, aujourd’hui moins que jamais. C’est clairement vrai pour tous les acteurs des guerres dont nous parlons, bien qu’avec des différences radicales. Contrairement à ce que la coalition occidentale soutenant l’Ukraine a annoncé et a voulu croire, la guerre n’a pas isolé la Russie économiquement, diplomatiquement, ni même militairement : elle a plutôt créé la possibilité d’un nouveau système d’alliances autour d’elle, qui est peut-être fragile, mais pas arbitraire. Et bien qu’il puisse apparaître que le peuple palestinien est tragiquement isolé dans l’environnement géopolitique, à cause du refus des puissances américaine et européenne d’imposer des obligations à Israël, qu’ils « compensent » par de l’aide humanitaire, donc en « subventionnant » en un sens la colonisation, mais aussi parce que le soutien officiel des États arabes s’est révélé la plupart du temps essentiellement instrumentalisant et intéressé, le fait est aussi, comme je l’ai indiqué un peu plus tôt, que la cause palestinienne occupe une place centrale dans les mouvements populaires d’émancipation qui défient régulièrement l’ordre établi. Et les Palestiniens eux-mêmes font partie d’un large système de solidarités « de la diaspora ». Cependant il me semble que la question la plus intéressante et la plus difficile concerne les relations contradictoires des deux causes que j’ai essayé de comparer avec les forces et les politiques de l’impérialisme américain, un impérialisme qui n’est peut-être plus sans rival dans le monde, mais qui exerce encore une hégémonie militaire et financière dont l’issue des guerres dépendra complètement. Une formulation simplifiée mais éloquente du paradoxe serait la suivante : les bombes qui détruisent les maisons et tuent les gens à Gaza sont fournies quotidiennement par les USA, exactement de la même façon que l’imposition d’un cessez-le-feu réclamé par les Nations unies est bloquée par le veto des Etats-Unis, qui a immédiatement déclaré un « soutien inconditionnel » au « droit à l’auto-défense » d’Israël après le 7 octobre. Sur le front est-européen, il devient de plus en plus visible que, si les soldats qui meurent en combattant les troupes russes (qui meurent elles aussi) sont Ukrainiens (avec quelques volontaires étrangers), les armes sont maintenant européennes et surtout américaines : cesser ou même limiter leur fourniture (ce qui dépend de continuités politiques aléatoires) impliquerait presque immédiatement une défaite du peuple ukrainien et une destruction ou un démembrement de son pays, dont ils défendent l’intégrité. Le soutien des États-Unis à la guerre israélienne est en continuité avec une dépendance de son existence et une politique de subvention américaine qui a été si importante pendant des décennies que, à un certain point, Israël pourrait être décrit comme un État membre « externalisé » de la Fédération, bien que jouissant de la capacité d’imposer ses propres priorités sur sa métropole. Alors que le soutien des États-Unis et de l’Europe à l’indépendance ukrainienne ou à sa « décolonisation » est l’aboutissement des mesures stratégiques qui ont suivi l’écroulement de l’Union soviétique et du « camp » socialiste, d’où la transformation de la fracture globale entre les puissances capitaliste et socialiste en une nouvelle lutte pour l’hégémonie parmi des États « néo-impérialistes » de forces inégales et dotés de régimes politiques intérieurs variés. La conclusion à tirer est que les guerres actuelles d’extermination prennent effectivement place dans une « géométrie impérialiste », mais elles ne doivent pas être jugées selon la vieille syntaxe « des camps », qu’elle soit formulée dans les termes d’un conflit entre les « démocraties » et les « États totalitaires », ou d’un conflit entre l’« impérialisme occidental » (sous hégémonie américaine, organisée par l’OTAN) et les « peuples émergents » avec une base tricontinentale. Nous devons inventer une compréhension cosmopolitique du monde pour orienter nos solidarités avec les combats des peuples qui luttent pour leur liberté et afin qu’ils naviguent entre leurs alliances et leurs ennemis.
Etienne Balibar (professeur émérite à l’université Paris-Ouest Nanterre)
Cycle de Conférences Bisan, 13 décembre 2023 https://aurdip.org/la-palestine-lukraine-et-autres-guerres-dextermination-le-local-et-le-mondial/
L'actualité nous oblige à comparer les conflits en Ukraine et en Palestine, Kiev et Gaza.
A Kiev, on se promène dans les rues, on accueille les dirigeants de l'Occident, chefs d'État, ministres, diplomates, généraux, hommes d'affaires. On dit que les boîtes de nuit sont pleines, et on a même découvert, cet été, les images d'une jeunesse faisant la fête dans des piscines. On ne se réfugie même plus dans le métro. On a fini par comprendre que les lieux officiels, les quartiers résidentiels, les zones de fréquentation, n'étaient pas attaqués.
On prend le train, ou l'avion, pour voyager. Les églises, les monuments, les bâtiments historiques sont là, témoignant du passé slave commun de l'Ukraine et de la Russie. Il y a eu certes des destructions, mais rien à voir avec Gaza. Ici les Russes ont été préoccupés de ne pas insulter l'avenir, de ne pas provoquer une haine éternelle. Ils auraient pu, probablement au début du conflit, causer de grands dommages à Kiev, ils ne l'ont pas fait.
A Gaza il n'y a plus rien, sauf un peuple de résistants
A Gaza, il n'y a plus de mosquées, il n'y a plus d'écoles, il n'y a plus d'universités. A Gaza, il n'y a plus de rues où se promener, il n'y a plus d'immeubles, il n'y a plus de maisons. Ils ont été bombardés, systématiquement, sans pitié, froidement. Il n'y a pas de métro où se réfugier. Les habitants ont essayé innocemment de se réfugier dans les hôpitaux, ou les bâtiments des agences internationales, croyant que certaines règles humanitaires seraient au moins respectées, mais ils ont été bombardés là aussi. Ils ont alors essayé de se réfugier dans les ruines des bâtiments déjà bombardés, en espérant que la foudre ne tombe pas deux fois au même endroit. Mais rien n'y a fait. Ils sont alors partis au Sud comme l'exigeait Israël, mais Israël a bombardé aussi le Sud.
A Gaza, il y a longtemps qu'il n'y a pas de lieu festif comme à Kiev. Y en a-t-il d'ailleurs jamais eu, depuis 30 ans de blocus et de bombardements. Il n'y a plus d'eau, il n'y a plus d'électricité, il n'y a plus de nourriture. Il y a l'odeur putride des corps et de la mort qui monte de partout sans qu'on sached'où elle vient. A Gaza, il n'y a plus rien sauf un peuple de résistants. A Gaza, il n'y a plus de médicaments. Les hôpitaux, quand ils survivent encore, opèrent sans anesthésie, et puis n'opèrent plus. Les médecins, les ambulanciers, les secouristes eux-mêmes sont tués, et aussi les journalistes, et aussi les professeurs, et aussi les femmes, et aussi les vieillards, et aussi... et aussi tout le monde. Israël ne fait pas la discrimination, il tue tout le monde, tout ce qui bouge. Même les siens, quand il pense qu'il le faut. Il a tué trois otages qui s'étaient mis torse nu et avaient brandi un drapeau blanc. L'armée israélienne les a pris pour des Palestiniens, avoue-t-elle, aveu terrible qu'un Palestinien est abattu même les mains levées, même avec un drapeau blanc. Mais ce qu'Israël et les medias affiliés ne veulent pas dire aussi, car dans leur récit l'Israélien est par définition occidental, c'est que les Israéliens ressemblent aux Palestiniens, aux Arabes quand ils sont sans... kippa. Ceci ne rend encore que plus absurde, plus odieux le colonialisme et le racisme israéliens.
Les enfants de Gaza
A Kiev, on s'émeut des enfants du «Donbass» qu'on dit déportés, kidnappés par la Russie. Le procureur général de la Cour pénale internationale s'est senti alors une âme de justicier et a inculpé le président de la Fédération de Russie, à ce sujet, de «crime contre l'humanité». A Gaza, les enfants sont tués par milliers, mais le procureur de la CPI s'est tu. L'Occident politique aussi s'est tu ou a protesté finalement mollement, parlant «de dégâts collatéraux» ou que les «guerres sont nécessairement sales». Israël tue les enfants sans l'ombre d'une compassion. Ne les considèrent-ils pas comme les enfants d'»animaux humains», de la «graine future de terroriste»?
Les enfants blessés sont des dizaines de milliers. A l'hôpital on les opère sans anesthésie. Ils ressentent cette douleur indicible à l'orée de leur vie, les yeux grands ouverts, innocents, incrédules. Le procureur général de la CPI s'est tu. Des centaines d'autres enfants ont disparu, ensevelis quelque part sous les ruines, leurs petits corps faisant désormais partie du mortier des décombres. Le procureur de la CPI s'est tu.
On voit parfois des enfants, miraculeusement indemnes, gratter de leurs petites mains les ruines espérant y trouver leurs parents ou tendre leurs bras suppliants en sanglotant pour chercher un refuge, au moins une explication à toute cette cruauté. Leur mère n'est plus là. Leur père n'est plus là. Les enfants errent dans les décombres de Gaza, cherchant qui peut les recueillir. Ils ont soif et ils boivent l'eau de mer. Ils ont faim. Beaucoup, qui ont échappé aux bombardements, vont mourir de maladie
En Cisjordanie, comme à Gaza, les habitants attendent la peur au ventre les colons armés et les soldats israéliens qui vont venir et décider qui abattre, qui tuer, qui épargner pour l'instant, qui humilier, qui aligner, accroupis, en rangs, nus dans la rue.
Une guerre de pauvres, une guerre de riches
A Kiev, on demande sans arrêt de l'argent à l'Occident, les milliards de dollars coulent à flots, 113 milliards de dollars en novembre 2022, 110 milliards en instance d'approbation par les Etats-Unis et l'Union européenne, 270 milliards d'aide militaire promis par l'ensemble des pays occidentaux en septembre 2023 (*). Mais Israël et l'Occident crient au scandale lorsqu'on apprend que Hamas a reçu quelques millions de dollars. Et jusqu'à présent, on se plaint, à Kiev, de ne pas avoir assez d'armes, de chars, d'obus, de canons, de bazookas, de missiles, d'avions, et d'argent encore et encore. Je me dits que si Hamas avait le centième, non le millième des armes de Kiev, Israël n'y résisterait pas. Cela est évident. Je me dis que si les Palestiniens avaient le millième de l'argent donné à Kiev, ils vaincraient sans coup férir. Je me dis que s'ils avaient l'appui de tout l'Occident comme l'a Kiev, Israël ne résisterait pas comme le font les Palestiniens. J'enfonce une porte ouverte ? Oui, mais cela fait du bien de le dire dans l'océan de mensonges dans lequel on essaie de noyer le combat de Gaza.
A Gaza, on bricole des rockets, des RPG, on se bat avec des armes de fortune, et pourtant on résiste. Pas un pleurnichement, on meurt debout, on s'attaque aux chars à pied, en courant à l'assaut vers eux, et l'ennemi a peur, et l'ennemi recule. De quoi a-t-il peur ? Toute la différence est là. L'ennemi a peur devant une volonté, un désespoir, un espoir, un courage infinis. A Gaza on ne réclame rien. On se bat. On demande seulement aux gens de manifester dans le monde pour Gaza, pour la Palestine. On leur demande de prier pour Gaza. On est en présence d'une détermination incroyable.
La détermination, la conviction c'est d'évidence ce qu'il manque aux dirigeants la plupart repus des Etats arabes voisins. Ils sont comme ces animaux, dans la jungle, qui regardent, immobiles, apeurés, fascinés et tremblants, l'un des leurs être dévoré par les bêtes féroces, dans l'espoir d'être épargnés.
Les deux conflits, Kiev, Gaza, sont différents militairement, humainement. Mais leur simultanéité temporelle amène à réfléchir à la fois sur leurs ressemblances et leurs différences. Certes il y a de chaque côté de l'héroïsme. L'Ukraine n'en manque pas comme la Russie et ils l'ont prouvé dans leur Histoire. Mais de quoi s'agit-il finalement dans le conflit en Ukraine ? Pourquoi se bat-on ainsi à Gaza, pourquoi y a-t-il ici une guerre de pauvres, et là, à Kiev une guerre de riches, à dizaines de milliards de dollars ? S'agit-il, dans les deux cas, à Kiev comme à Gaza, d'une guerre de libération ? Dans les guerres de libération, on s'est battu au début avec des fusils de chasse, des sabres, des machettes. On récupérait les armes sur l'ennemi. Pourquoi l'Ukraine n'est- elle pas capable de mener une guerre de partisans, par exemple au Donbass. La guérilla suppose un appui total de la population, d'y être comme un poisson dans l'eau. Cela amène à s'interroger sur l'appui populaire à Kiev. Sur les sentiments de l'opinion publique russe à l'égard du peuple ukrainien. Russes et Ukrainiens sont-ils à ce point ennemis ? Ou bien, les a-t-on dressés les uns contre les autres ?
Deux poids, deux mesures
A Kiev, et en Israël, il y a le même discours dans les milieux dirigeants. Des deux côtés on dit qu'on combat le terrorisme, pour «défendre la civilisation, les valeurs occidentales», on dit en Israël, qu'on en est «un rempart», face au monde arabe, et à Kiev, un rempart face à la Russie. Kiev et Gaza agissent comme les deux facettes d'un même conflit auquel participe l'Occident.
La Russie a été sanctionnée par «l'Occident politique» pour avoir envahi l'Ukraine, pour avoir violé le droit international. Israël l'a violé cent fois. Les Américains expliquent «qu'il exerce son droit à se défendre» et ils mettent leur veto au Conseil de sécurité chaque fois qu'on veut arrêter le massacre des Palestiniens ou chercher une solution politique. Comme ils le font à Kiev, les principaux dirigeants occidentaux viennent à Tel-Aviv et à Jérusalem, l'un après l'autre, pour soutenir Israël «inconditionnellement».
Chaque jour de guerre d'Israël est un crime de guerre, un crime contre l'humanité, mais on ne songe même pas à interdire à l'État hébreu les jeux olympiques. L'a-t-on fait d'ailleurs un jour, depuis 75 ans que cela dure. Israël participera aux jeux olympiques, drapeaux en tête, mais les athlètes russes eux sont conviés à cacher leur drapeau, à en avoir honte, à ne pas le montrer. Et malheur à un athlète qui refusera de concourir avec un Israélien. Un lutteur algérien a été pour cela suspendu pour dix ans. La Pologne a refusé d'affronter la Russie en éliminatoires de la coupe du monde mais c'est la Russie qui a été suspendue de la compétition.
Quoi qu'il fasse, même s'il s'oppose au monde entier, Israël n'est jamais sanctionné. Les sanctions sont faites pour la Russie, l'Iran, le Yémen, le Venezuela, Cuba, etc. et tous ceux qui soutiendront les Palestiniens. On parle déjà de sanctionner le Yémen du Sud, les Houthis pour avoir déclaré qu'ils attaqueraient les bateaux israéliens jusqu'à ce qu'Israël laisse passer l'approvisionnement de Gaza. Les Occidentaux qui arment Israël, lequel se moque en permanence du droit international, crient que ce droit, que la liberté de commerce sont menacés en mer Rouge par les Houthis. Mais on cherchera à taire, pour l'opinion occidentale, la véritable raison des opérations des Houthis.
Splendide logique d'un Occident en plein délire et qui marche sur la tête. Une phrase a surgi, qui résume désormais la situation d'un monde sous tutelle déclinante de l'Occident: le deux poids deux mesures. Plus besoin de discours, plus besoin d'analyse idéologique ou politique, la phrase résume tout. Il suffit de la dire et tout est dit. Elle désempare l'Occident politique. Elle le rend muet. Elle désamorce toutes ses bombes médiatiques, tous ses mensonges.Tout est devenu clair dans le monde. Mais que de temps, il a fallu pour en arriver à cette conclusion.
Si Zelensky ne capitule pas, de mauvaises surprises l'attendent. D. R.
Depuis le début du désastre de la contre-offensive ukrainienne face aux troupes russes, suivi de la compréhension par les partenaires occidentaux de la faillite de leur projet sur le territoire de l’Ukraine, le pouvoir à Kiev s’est retrouvé devant une réalité effroyable : le refus de la continuation des investissements venus des sources qui lui ont assuré auparavant d’être impérissables – le début de la fin du règne de Zelensky et de son entourage.
Pourtant, une telle fin était parfaitement prévisible. Seule l’ignorance de l’histoire et du mode opératoire doctrinal des protagonistes nous condamne à sa répétition. Dans mon analyse datant d’un an, «La guerre en Ukraine : les véritables raisons du conflit», j’avais déjà mentionné les éléments constitutifs de la future défaite de Kiev : […] Au moment venu, quand le pouvoir américain considérera que le retour sur investissement dans la guerre en Ukraine est suffisant ou bien quand il fera le constat que la probabilité à atteindre le seuil de satisfaction est trop faible, il abandonnera le régime de Kiev. Il l’abandonnera de la même manière que le régime afghan d’Ashraf Ghani a été abandonné et les Kurdes en Irak et en Syrie ont été abandonnés, après avoir accompli, partiellement, les missions qui leurs ont été attribuées par l’Amérique contre la promesse de la création d’un Etat kurde. La promesse qui n’engageait que ceux qui l’écoutaient.
De ce fait, et vu que malgré la pression des sanctions occidentales sans précèdent la Russie dispose toujours de finances publiques saines – dette négligeable, balance commerciale excédentaire et aucun déficit budgétaire –, le conflit en Ukraine ne peut ne pas être importé par les Russes, dans une forme ou une autre.
De plus que, élément fondamental : pour la Fédération de Russie, ceci est un élément existentiel ; pour les Etats-Unis d’Amérique, comme déjà mentionné, il ne l’est pas […].»
Les intentions initiales des Russes
Les pseudo-experts du camp occidental n’ont trouvé qu’une parade pour justifier leur grave manque de vision, d’anticipation et d’évaluation du potentiel de Moscou : répéter les mantras sur l’impuissance de la Russie à continuer à mener la guerre, vu qu’elle reste sur ses positions et n’avance guère sur le front depuis un an.
La myopie analytique ne leur permet pas de percevoir la réalité dérangeante. Si la Fédération de Russie a eu l’initiative unilatérale au début de la guerre de proposer la signature de l’accord de paix qui devait avoir lieu à Istanbul à l’époque, quand elle était incontestablement en position de force, y compris selon le point de vue du camp «atlantiste», cela ne signifie qu’une seule chose : au moment d’entrer dans la négociation, Moscou avait déjà obtenu la satisfaction au niveau des acquis territoriaux – les territoires pro-russes récupérés à l’Ukraine – et il ne lui restait qu’à obtenir de Kiev l’engagement sur son statut de neutralité vis-à-vis de l’OTAN, soit l’assurance juridique de la non présence des forces armées du camp ennemi sur le territoire de l’Etat tampon qu’est devenu l’Ukraine pour la Russie depuis 1991.
Aujourd’hui, la Russie reste stationnée d’une manière inébranlable sur ses positions acquises sur le front et ne se contentera qu’une fois épuisées les dernières forces matérielles et humaines restantes de l’armée ukrainienne. Ceci n’est ni un signe de faiblesse ni, encore moins, un hasard.
Les thèses ukraino-occidentales stipulant que la Russie aurait visé la disparition de l’Etat ukrainien en tant qu’entité étatique sont, tout simplement, fantaisistes et ne sont que le reflet de l’amateurisme déconcertant de leurs auteurs. Les événements qui ont eu lieu à Istanbul au début de la guerre en sont la preuve : si Moscou avait comme objectif la disparition de l’Ukraine, jamais elle ne se serait mise autour d’une table de négociation de sa propre initiative au tout début de la guerre, tandis qu’elle dominait la situation sur le terrain et que ses troupes étaient positionnées dans les faubourgs de Kiev qui se trouvaient dans un état de chaos. Les troupes russes n’ont été retirées qu’en gage de bonne volonté au moment de la signature de l’accord d’Istanbul par la partie ukrainienne. Signature suivie de l’annulation au lieu de la ratification.
La révélation
Vingt mois se sont écoulés depuis les événements mentionnés. Ce fin novembre 2023, un personnage très controversé de la scène politique ukrainienne a été mis sur le devant de la scène, dans l’espace médiatique ukrainien, et a fait des révélations qui ont produit l’effet d’une bombe auprès de l’opinion publique ukrainienne. Révélation considérée par la communauté d’experts ukrainiens indépendants comme la plus scandaleuse de l’année en cours.
Dans une interview accordée à la chaîne de télévision ukrainienne 1+1 par David Arakhamia, qui n’est autre que le chef de la fraction parlementaire du parti Serviteur du peuple, le parti politique de Volodymyr Zelensky, il a évoqué les circonstances des négociations entre la Russie et l’Ukraine qui ont eu lieu à Istanbul en mars-mai 2022. Il était à la tête de la délégation ukrainienne.
Arakhamia se souvient de la position des Russes à l’époque : «Ils ont espéré presque jusqu’au dernier moment que nous allions accepter la neutralité. Cela était leur objectif principal. Ils étaient prêts à terminer la guerre si nous prenions la neutralité – comme la Finlande autre fois – et si nous prenions des obligations de ne pas entrer dans l’OTAN.»
Il a également mentionné que les «conseillers à la sécurité» de Washington, de Londres, de Varsovie et de Berlin ont eu accès à l’intégralité des documents discutés sur la table de négociation.
En parlant des raisons de l’annulation de l’accord, il en n’a évoqué qu’une seule sérieuse : la visite de Boris Johnson à Kiev : «Boris Johnson est venu à Kiev et a dit : nous ne signerons rien du tout avec eux, nous allons, tout simplement, faire la guerre.»
Il est à noter que le parlementaire n’a pas prononcé un seul mot concernant Boutcha. Et, rappelons-nous, l’unique version officielle de Kiev et du camp «atlantiste» de l’époque de la raison de l’arrêt des pourparlers avec les Russes et de l’annulation de l’accord d’Istanbul était le prétendu «massacre de la population civile perpétré par des troupes russes» dans cette ville.
Cet illustre personnage termine son interview avec la grande fierté d’avoir dupé la délégation russe : «Nous avons accompli notre mission de faire traîner les choses avec la note 8 sur 10. Ils [les Russes] se sont décontractés, sont partis et nous avons pris la direction de la solution militaire.» (1)
Cette révélation a fait découvrir au grand public ukrainien la réalité de la guerre qui aurait pu aisément être arrêtée dans ses débuts et que ce n’est qu’à l’initiative directe de l’Occident collectif, via son émissaire Boris Johnson, qu’elle a été relancée d’une manière forcée et a eu comme conséquence des centaines de milliers de morts ukrainiens et davantage de blessés graves et de mutilés, ainsi que la destruction quasi totale de l’économie et des infrastructures du pays qui prendront des décennies pour s’en remettre et revenir au niveau d’avant-guerre qui était déjà déplorable.
Le rappel
Etant à l’opposé de tout ce qui était servi par l’appareil de la propagande étatique inégalé agissant en Ukraine et dans les pays occidentaux depuis bientôt deux ans, les informations révélées cette fin novembre 2023 ont provoqué une véritable stupéfaction auprès des masses ukrainiennes, auparavant formatées et endoctrinées par des récits de toute autre nature.
Pourtant, pour des esprits non aveuglés par les narratifs «otaniens», les choses ont été d’une évidence flagrante dès le début du conflit en cours.
Lors de mon interview du mois de mai 2023 à la publication française L’Eclaireur des Alpes, cette réalité était déjà évoquée non pas comme l’une des probabilités, mais comme l’unique évidence avec des conséquences immédiates appropriées : «Rappelez-vous les expertises sérieuses qui ont été faites sur la capacité de l’Ukraine à maintenir la résistance contre la Russie. A l’époque, juste avant le déclenchement de la guerre, il était estimé que l’Ukraine ne pouvait tenir qu’un temps très limité face à la Russie.
Contrairement aux informations développées dans les mass médias occidentaux et malgré les événements que l’on observe sur le terrain, j’aimerais souligner que ces experts, qui ont prévu que l’Ukraine ne pourrait résister qu’un temps limité, n’ont eu nullement tort. Ils ne se sont nullement trompés dans leurs prévisions.
Mes propos peuvent paraître étonnants vis-à-vis de ce qu’on observe depuis plus d’un an. Pourtant, il n’y a pas à s’étonner. Il ne faut jamais oublier que le déclenchement de la phase active des hostilités a eu lieu fin février 2022 et que, déjà fin mars 2022, il y a eu des pourparlers à Istanbul entre l’Ukraine et la Russie. Pour quelles raisons une partie qui se sent forte et qui sait qu’elle a encore des capacités considérables de résistance se mettrait-elle autour d’une table de négociation pour convenir d’une forme de reddition ? Ça ne se passe jamais ainsi. Les Ukrainiens se sont mis autour d’une table de négociation en étant conscients que leurs capacités de résistance étaient très limitées.
A Istanbul, quand les deux parties ont trouvé un consensus sur la majorité d’éléments clés de l’accord sur l’arrêt des hostilités, quand ils ont été pratiquement à un pas de la ratification du document de l’accord de paix, il y a eu un virage à 180 degrés du côté ukrainien. Pourquoi ? Il ne faut pas avoir une grande expérience dans le monde des affaires pour comprendre : dans le cadre de la négociation, quand une des deux parties fait volte-face du jour au lendemain, cela ne signifie qu’une seule chose, cette partie a eu une contre-proposition de la part des concurrents de ceux qui sont en face d’elle. C’est comme cela que cela se passe dans le monde des affaires. Dans la politique, c’est pareil.
Si l’Ukraine a pu se permettre le luxe de faire une croix sur l’accord de paix, c’est tout simplement qu’elle a reçu une contre-proposition. Et cette contre-proposition ne pouvait venir que du camp occidental. Les événements qui ont suivi ont dévoilé les éléments de cette proposition : l’Ukraine a reçu une proposition pour l’ouverture d’une gigantesque ligne de crédit partiellement payable en armement. En contrepartie, l’Ukraine devait s’engager à s’interdire de conclure un accord d’arrêt de guerre face à la Russie et fournir la «main-d’œuvre» combattante. C’était ça l’accord.
Afin de répondre au second engagement de Kiev, les frontières nationales de l’Ukraine pour sortir du pays ont été fermées. En France, on n’en parle pas beaucoup car c’est une vérité trop gênante, mais, au début de la guerre, il y a eu un gigantesque exode des populations des territoires ukrainiens, notamment de la population masculine. Les hommes savaient que s’ils ne partaient pas, ils seraient envoyés au feu. Quand on parle à la télévision occidentale de l’héroïsme ukrainien, ça me fait sourire, sachant parfaitement que le pays se serait vidé des futurs combattants en un temps très réduit si les frontières n’étaient pas interdites de passage […].» (2)
La capitulation et le transfert des responsabilités
Dans l’interview de David Arakhamia, l’une des personnes clés de la politique de l’Ukraine d’aujourd’hui, en parlant de plusieurs sujets, il a également évoqué la nécessité d’organiser un référendum national sur la question des éventuelles concessions territoriales à la Russie en échange de l’accord de paix.
La signification de cette déclaration est d’une importance stratégique : le régime de Kiev prépare auprès de l’opinion publique du pays non seulement sa capitulation, mais également, et surtout, le transfert sur les épaules du peuple ukrainien meurtri depuis bientôt deux ans de la responsabilité de sa politique désastreuse mise en place par le camp occidental américano-centrique, qui a provoqué des centaines de milliers de morts et a dévasté le pays.
Ainsi, ce n’est pas le régime en place, mais soi-disant le peuple qui devra prendre la décision et sur la cessation de guerre et sur la perte des territoires nationaux.
Nul doute que ce simulacre de référendum ou une initiative similaire aura lieu. Le fait que Zelensky a déjà annoncé que cela serait à la limite de l’impossible de mettre en place et de réaliser les futures élections présidentielles du 31 mars 2024, car, pour commencer, une partie non négligeable de la population se situant à l’étranger, sur les champs de bataille ou sur les territoires occupés par la Russie, n’aura pas l’accès physique aux centres de vote. Ce fait ne sera certainement pas un obstacle pour organiser la passation de la lourde responsabilité de la perte de la guerre sur les épaules du peuple ukrainien.
Néanmoins, si Volodymyr Zelensky, étant d’ores et déjà un cadavre politique, n’est pas en train de préparer la passation du pouvoir vers le Parlement ukrainien (Verhovna Rada) aussi ultranationaliste et corrompu que lui-même, et ceci est en dehors de tout processus électoral – ce qui est hautement probable – des surprises fort désagréables l’attendent dans un avenir proche.
Une contribution d’Oleg Nesterenko
Président du Centre de Commerce & d’Industrie Européen (CCIE, France), spécialiste de la Russie, de la Communauté des Etats indépendants (CEI) et de l’Afrique subsaharienne, ancien directeur du MBA, ancien professeur auprès des masters des grandes Ecoles de commerce de Paris.
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