Dans la rue ou sur des terrains vagues, partout dans le pays, le ramadan voit surgir des armées de footballeurs amateurs s’affronter dans des tournois aussi populaires qu’endiablés. Le plus ancien se déroule depuis quarante-huit ans, entre les tours d’un quartier d’Alexandrie. Une tradition qui résiste, malgré l’élitisme de plus en plus criant du football égyptien et le gouffre qui se creuse avec les fans.
Roland-Garros s’ouvre ce week-end et jusqu’au 11 juin dans une ambiance de douce euphorie. La pratique du tennis connaît un engouement nouveau depuis la pandémie, dopant un marché au plus haut depuis trente ans.
La fête avant la fête. Les premiers matchs de la Quinzaine de Roland-Garros sont programmés dimanche 28 mai, mais la veille, samedi 27, promet déjà une belle ambiance sur les courts pour la « journée Yannick Noah ». Un vibrant hommage pour célébrer les 40 ans du sacre du champion, quand, le 5 juin 1983, il battait le Suédois Mats Wilander (6-2, 7-5, 7-6) en finale du tournoi parisien et offrait enfin un Grand Chelem au tennis tricolore.
La victoire ponctuait une belle décennie, la discipline se démocratisant bon train. Des courts construits tous azimuts, des champions charismatiques et des duels homériques : de quoi séduire plus de 1,3 million de licenciés (le pic en 1991) et imposer le tennis comme un des marchés les plus lucratifs dans le domaine sportif.
Avec le retour de Yannick Noah à la porte d’Auteuil souffle un petit vent de nostalgie pour une époque bénie. Révolue ? On pouvait le penser avant la pandémie. Dans la vitrine du haut niveau brillaient alors les derniers éclats du trio de géants Federer-Nadal-Djokovic. Côté amateur, les statistiques fédérales mesuraient un lent déclin, sous la barre du million de licenciés. Quant aux équipementiers, ils constataient sans enthousiasme l’habituelle stabilité du marché.
La croissance inédite des sports de raquette
Puis le Covid-19 est venu chambouler la donne. Mais plutôt pour le meilleur, concernant le tennis. « Notre sport pouvant se pratiquer à l’extérieur et permettant de respecter la distanciation sociale exigée était parfait pour refaire de l’exercice après les confinements. Du coup, les raquettes sont ressorties des placards, rappelle Éric Babolat, le président du fabricant éponyme d’articles de sports de raquettes, numéro 1 du marché français. Les Français ont en quelque sorte redécouvert une pratique ludique, familiale, en phase avec l’intérêt nouveau pour le sport-santé. Depuis, le marché du tennis profite d’un formidable second souffle. »
Et le phénomène est semblable dans tous les pays. « On a assisté ces deux dernières années à une croissance inédite depuis trente ans, à tel point que partout la demande est supérieure à l’offre, avec des équipementiers qui ont eu du mal à fournir certains articles, en raison notamment d’une pénurie de main-d’œuvre », observe Bertrand Blanc, directeur commercial monde de la marque numéro un mondial, Wilson. Aux États-Unis, le nombre de pratiquants affiche une hausse de 20 %. Dans l’Hexagone, la Fédération française de tennis (FFT) a retrouvé son million de licenciés l’an dernier, et l’élan se poursuit.
« Les ventes de raquettes ont augmenté de 15 %, celles de balles de 18 %, et globalement, si l’on ajoute chaussures et textile, le marché est en hausse de 15 % par rapport à 2021, à plus de 200 millions d’euros, détaille Virgile Caillet, délégué général de l’Union Sport & Cycles, la première organisation professionnelle de la filière sport. La dynamique est plus que positive, et si l’on se réfère à l’apogée du tennis dans les années 1980, on peut se dire que le potentiel est là pour retrouver cet âge d’or. »
La FFT veut y croire, qui fait aussi
Une diversité des pratiques
flèche de tout bois sur le mode « tennis partout ». Ainsi l’« urban tennis » lancé l’an dernier, qui se résume à une raquette et une balle en mousse. Pour le reste, tout est bon pour imaginer un terrain, avec le mobilier urbain comme filet, le moindre mur pour s’entraîner. Il s’agit surtout de banaliser la pratique. Le beach-tennis, qui depuis quelques années prend ses quartiers l’été sur les plages, et le padel – un intermédiaire entre tennis et squash – en plein boom avec près de 30 000 licenciés désormais, assurent aussi un bouillonnement salvateur.
« Ces nouveaux sports de raquette viennent profondément moderniser l’image du tennis, et nous permettent de toucher de nouveaux publics. Avec l’urban tennis en particulier, beaucoup de jeunes qui n’ont pas l’habitude de tenir une raquette ont l’occasion de découvrir les premières sensations du jeu. C’est extrêmement important pour la FFT, qui a à cœur de montrer que le tennis, sous toutes ses formes, est un sport accessible à tous, dans lequel n’importe qui peut prendre du plaisir », appuie Gilles Moretton, le président de la FFT.
Bertrand Blanc se réjouit aussi de cette diversité : «Le padel, un des sports qui croît le plus vite aujourd’hui dans le monde, est à mon sens une chance plus qu’un concurrent pour le tennis. Il apporte un vent de fraîcheur et fait venir une nouvelle population de pratiquants dans les clubs. » Nombre de clubs connaissent ainsi une effervescence nouvelle. « La pandémie est aussi à l’origine d’une envie de voir du monde et de croiser des gens avec la même passion, et donc la vie de club reprend de l’essor », souligne Éric Babolat.
Continuer à dépoussiérer l’image
Un certain chic de country club, disparu avec la prédominance donnée à la compétition, redevient même tendance. La mode s’intéresse à nouveau au tennis, en s’appuyant notamment sur un côté un peu vintage très présent aujourd’hui dans le sport en général. La marque Wilson n’hésite pas à travailler cette image en collaborant avec Saint-Laurent par exemple.
« L’ancienne championne des années 1970 Billie Jean King disait : “si vous aimez le tennis, il fera partie de votre mode de vie”. C’est une des grandes forces de notre sport, capable de susciter de vives émotions, par le spectacle qu’il présente tout au long de l’année, et cela va bien au-delà des amoureux du jeu, analyse Bertrand Blanc. Trop longtemps, nous n’avons parlé qu’aux pratiquants dans les clubs. Nous essayons désormais d’élargir notre public avec un partenariat avec la marque automobile Cupra par exemple, ou la marque de vêtements Supreme pour toucher une clientèle plus urbaine. »
Roland-Garros, un regain de passion
Le tennis s’applique à se défaire définitivement de son image encore trop traditionnelle à l’heure des sports pressés et « fun ». Netflix vient de monter au filet, en proposant une série documentaire, Break Point, où sont suivis quelques joueuses et joueurs tout au long de la saison, dévoilant les coulisses du circuit à la façon des épisodes à succès de Drive to Survive avec lesquels la plateforme américaine a relancé l’intérêt pour la Formule 1. La première partie de Break Point a été diffusée en janvier 2023, la seconde arrive avec Roland-Garros, et une deuxième saison est déjà en cours de tournage.
La montée en puissance d’une nouvelle génération de champions n’est également pas pour rien dans l’engouement actuel. Même si aucun Français ne semble capable aujourd’hui de tirer son épingle du jeu, Roland-Garros devrait à la fois confirmer et accentuer le renouveau constaté par tous les acteurs du secteur.
« Au-delà des performances du très haut niveau, ce que je trouve inspirant, c’est que la période de Roland-Garros est, chaque année, un moment de regain de passion de la France envers le tennis, aussi bien pour les pratiquants que pour les non-pratiquants, s’enflamme Gilles Moretton. Être témoin de ce regain de passion, chaque année, est quelque chose de magique. »
Plus d’un million de licenciés
La Fédération française de tennis revendiquait au 1er mai 2023 1 041 393 licenciés au sein de 7 051 clubs.
Sur le plan des équipements, la France compte 32 360 courts de tennis, 1 366 pistes de padel et 397 terrains de beach tennis.
La FFT dispose d’un budget de 384 millions d’euros, plus de 85 % de ce budget provenant des recettes de Roland-Garros.
Roland-Garros 2023 distribuera cette année 49,6 millions d’euros de dotation, en hausse de 12,3 % par rapport à l’an dernier. La joueuse et le joueur qui triompheront en simple recevront 2,3 millions d’euros, comme en 2019.
rès valeureuse et fougueuse équipe du Maroc qui aurait bien pu mettre KO, avec un peu de chance, le Onze français lors des demi-finales de jeudi et qui a encore brillé lors de la petite finale samedi contre la Croatie.
Mais au fait, de qui les Lions de l’Atlas sont-ils les champions ? Des pays arabes, c’est sûr puisque le Maroc est une nation arabo-musulmane comme en témoigne sa langue principale : celle du prophète Mahomet et du Coran. Les Lions, c'est une autre évidence, sont aussi les porte-drapeaux du continent africain tout entier auquel ils appartiennent géographiquement.
Reste qu’on en oublie une brique identitaire. C’est que le Maroc est aussi le pays du Maghreb qui compte le plus de Berbères. Les Berbères ? C'est le peuple souche d'Afrique du Nord dont l’histoire remonterait bien avant l’arrivée des conquérants arabe au IXe siècle. Les Berbères revendiquent même une présence continue de 5000 ans…
Ce qui est sûr c’est que le Maroc est le premier pays berbère du Maghreb avec 40% d’individus. Quatre à cinq millions sont berbérophones (locuteurs du Tamazight) sur 37,4 millions d’habitants. Il faut ajouter ceux qui parlent le chleuh : un autre dialecte berbère et le rifain qui, dérive-lui aussi du berbère. En Algérie, les berbérophones seraient 10 à 12 millions (25% de la population). Ils ont 220 000 en Lybie, une centaine de mille en Tunisie et quelques 720 000 au Niger…
Présence si considérable qu’en 1994, feu le roi Hassan II décidait que le Tamazight, serait désormais enseigné au moins dans le primaire. C’est son fils et successeur Mohamed VI dont la mère Lalla Latifa est une berbère de Khenifra, qui instaure par la Constitution (article 5) l’Amazigh comme « langue officielle et patrimoine commun à tous les Marocains ». Soit la seconde langue du royaume. Les nombreux dialectes berbères oraux ont été transcrits par écrit avec l'introduction de l'alphabet tifnagh et l'édition de manuels scolaires par l'IRCAM : l’Institut Royal de la Culture Amazighe.
La force des Lions de l’Atlas c’est peut-être de porter au-delà du drapeau marocain autant de fiertés. Autant d’énergies. Celle d’une nation, d’un royaume, d’une religion, d’une identité arabe, d’un continent et du peuple premier berbère d’Afrique du Nord.
Renoncer à jouer à la Coupe du monde pour un tour du monde, ils l’ont fait !
e de Saint-Étienne se font la malle un lendemain de match de Championnat de France. Direction la Suisse. Sur le chemin, ils passent prendre des camarades footballeurs à Lyon. À la frontière, les agents de la douane reconnaissent le populaire Mustapha Zitouni et le félicitent pour ses récentes performances. Peu de temps après, une dépêche annonce la désertion de footballeurs algériens.
De la Suisse, ces derniers prennent un train pour Rome puis un avion jusque Tunis, ville où siège la direction du Front de Libération Nationale (FLN). Le lendemain, le quotidien sportif L’Équipe fait sa une sur leur disparition. La Fédération française de football (FFF) les condamne dans un communiqué furieux : « Les joueurs indigènes mordent à pleines dents dans le pain du football que nous leur distribuons ». Dans la capitale tunisienne, ils sont dix à se retrouver pour fonder le « Onze de l’indépendance algérienne ». C’est que dans la lutte pour la libération du peuple et de la terre algérienne, le football occupe une place importante.
De gauche à droite : Mustapha Zitouni, Kadour Bakhloufi, Abdelaziz Ben Tifour, Abdel Rahman Boubaker, et Ammar Rouei en Tunisie en 1958
En Algérie, sous domination coloniale depuis 1830, le football est un outil de contrôle social pour les autorités coloniales. « Le sport doit être le lien qui permet d’unir Français et Musulmans dans le même désir de performance et de nobles aspirations, en éliminant toute rivalité de religions et de races » [1] affirme le général Henri Giraud en 1936, alors qu’il est à la tête de la division d’Oran. Bref, sur un même terrain, sous un même maillot, colonisateurs et colonisés auraient des intérêts communs : le mélange comme outil d’acculturation.
Ce qui explique que la création, dans les années 1920, des premiers clubs de foot composés uniquement d’« indigènes » ait été vue d’un mauvais œil. Ils ne sont tolérés par les autorités coloniales que tant qu’ils restent neutres par rapport à la question de l’indépendance et qu’ils se concentrent sur leur occupation récréative et hygiéniste. Ce qui n’empêche pas les tribunes de se politiser petit à petit. Dès 1928, les rencontres entre équipes européennes et « indigènes » sont interdites par le gouverneur général de l’Algérie.
En 1937, le Parti du Peuple Algérien est créé et, de manière générale, le mouvement indépendantiste gagne en puissance. L’État colonial répond par la violence : le 8 mai 1945, des milliers d’algérien·nes sont assassiné·es par l’armée française et des colons suite à une manifestation indépendantiste. En 1954, le FLN fait le choix de l’insurrection armée. Le football ne reste pas à l’écart des combats. Deux ans plus tard, le FLN appelle les équipes musulmanes de football à boycotter toutes les compétitions du colonisateur. Des joueurs rejoignent la lutte, comme Mohamed Benhamed de l’Union sportive musulmane d’Oran qui devient dirigeant du FLN au Maroc. En février 1957, l’organisation commet des attaques à la bombe dans des stades lors de matchs de pieds-noirs à Alger. La même année, en métropole, le député loyaliste Ali Chekkal est assassiné par un membre du FLN au coup de sifflet de la finale de la coupe de France.
Le FLN cherche à convaincre des footballeurs professionnels jouant en France de rejoindre la lutte en constituant une équipe de l’indépendance. Parmi la quarantaine, nombreux sont ceux qui versent déjà une « taxe révolutionnaire » qui représente jusque 15 % de leur salaire. En avril 1958, une dizaine rejoint donc Tunis en héros. Le choix de la date est tout réfléchi : la défection a lieu quelques jours avant un match de préparation à la coupe du monde, auquel devaient participer au moins deux d’entre eux, et affaiblit donc l’équipe française sur le terrain.
Pour le FLN, ces ralliements permettent de constituer sur le terrain une équipe nationale algérienne, et de montrer que des stars sont prêtes à sacrifier leur carrière. En quelques jours, ces derniers passent en effet du statut de vedette du football français avec une vie confortable à celui de joueurs clandestins. Dès le 7 mai, la Fédération Internationale de Football association (FIFA) suspend les joueurs et prévoit des sanctions pour toute équipe nationale qui accepterait de les rencontrer. En plus de renoncer à la Coupe du monde en Suède, Rachid Mekhlouli risque la cour martiale pour désertion en tant que militaire.
Le 9 mai 1958, a lieu le premier match du « Onze de l’indépendance » contre l’équipe marocaine, dans le cadre d’un tournoi qui porte le nom de la prisonnière politique algérienne Djamila Bouhired. « La tribune était pleine d’Algériens combattants, se rappelle Rachid Mekhlouli. Quand j’ai vu notre drapeau se soulever, entendu l’hymne retentir, et les maquisards qui tiraient tout autour du terrain, j’ai été pris d’une énorme émotion ».
Pendant 4 ans, le onze de l’indépendance joue plus de 80 matchs dans 14 pays, de la Libye à l’Asie en passant par l’Europe de l’est, et comptera jusqu’une trentaine de joueurs. L’équipe devient le porte-drapeau de la libération algérienne. « Quand on partait dans les pays de l’Est ou les pays arabes, les politiques étaient au courant de cette guerre mais pas les populations des pays qu’on visitait, poursuit Rachid Mekhloufi. Attention, on ne faisait pas que jouer au football ! On allait visiter les usines, on discutait avec les populations, on expliquait ce qui se passait en Algérie. On était le bras de la révolution à travers le football. Nos résultats et notre manière de jouer nous aidaient énormément. Les gens qui nous voyaient débarquer se posaient des questions : « C’est quoi cette équipe ? D’où ils viennent ces diables ? » On avait une équipe du tonnerre ».
Sur le terrain justement, le jeu proposé se veut à l’image de la lutte indépendantiste : offensif. Et ça marche : en moyenne, l’équipe marque 4 buts par match. « Sur le plan tactique, une constante : l’attaque dans le spectacle, analyse Rachid Mekhloufi. Venus d’horizons différents, nous n’avons pas de problèmes pour réussir l’amalgame puisque nous vivons ensemble, partageons les mêmes joies et les mêmes peines. Autant de conditions idéales à un jeu collectif »
Petit à petit, la fatigue s’accumule, en raison des conditions précaires d’accueil et de voyage, et la lassitude d’affronter des formations moins talentueuses pointe le bout de son nez. D’autant que la direction du FLN se désintéresse petit à petit de ses ambassadeurs à crampons. Au printemps 1961, une dernière tournée de matchs les mène en Bulgarie, Yougoslavie, Roumanie, Hongrie et Tchécoslovaquie. La FIFA reconnaît l’équipe algérienne dans la foulée de l’indépendance gagnée le 18 mars 1962. Une fois leur suspension levée, la plupart des joueurs rebelles retournent jouer dans le championnat français.
Antoine Klein, Toulouse
Un timbre imprimé par le gouvernement algérien lors de l’anniversaire de son indépendance
Conseils de lecture :
La BD Un maillot pour l’Algérie de Ray, Galic et Kris, 2016
« Le Onze de l’indépendance algérienne. Une lutte de libération en crampons », chapitre du livre Une histoire populaire du football, M. Correia, La Découverte, 2018
La géopolitique et l’immigration s’invitent comme thèmes majeurs en avant-match de la demi-finale de la Coupe du monde.
Les fans des Lions de l’Atlas célèbrent, à Rabat, l’exploit de leur équipe devant le Portugal, le 10 décembre 2022 (AFP/Fadel Senna)
« Cette demi-finale, c’est quelque chose qu’on aura l’occasion de vivre une fois dans notre vie ! » Karim, 32 ans, un Franco-Marocain ayant obtenu la nationalité française il y a moins d’un an, est sur un petit nuage.
« Battre la France et aller en finale du Mondial, ce serait de la folie pure. Si on y arrive, on aura battu les trois pays qui ont colonisé le Maroc [avec le Portugal et l’Espagne] depuis le XVIe siècle ! », résume-t-il à Middle East Eye.
C’est une demi-finale porteuse de symboles qui se tiendra mercredi 14 décembre entre la France et le Maroc dans le cadre de la Coupe du monde au Qatar.
D’abord parce que cette confrontation sera la toute première entre les deux équipes en grande compétition. Les deux équipes se sont affrontées cinq fois en tout mais jamais en compétition officielle. L’avantage est détenu jusque-là par les Bleus : quatre victoires (dont une suite à une séance de penalties) et un nul.
Autre fait remarquable, comme le souligne Europe 1, les têtes d’affiche marocaines ne sont pas inconnues en France. Achraf Hakimi joue avec son ami Kylian Mbappé au PSG depuis 2021, sans oublier Sofiane Boufal, Azzedine Ounahi, Achraf Dari et Zakaria Aboukhlal qui évoluent dans des clubs de la Ligue 1 en France.
Europe 1 rappelle aussi que « le sélectionneur franco-marocain Walid Regragui est né en région parisienne, à Corbeil-Essonnes, et a effectué quasiment toute sa carrière professionnelle en France, à Toulouse, Ajaccio ou Grenoble ».
Le président français Emmanuel Macron se rendra au Qatar mercredi pour assister au match.
Avant le début du Mondial, le chef de l’État avait annoncé sa présence pour la demi-finale ou la finale en cas de qualification des Bleus, un engagement qui avait fait polémique en raison des critiques contre le Qatar.
« Une finale sans pays ennemis »
Alors que samedi soir, les Marocains ont fêté comme il se doit leur victoire contre le Portugal et leur accession historique à la demi-finale, plusieurs responsables politiques étrangers ont félicité le Maroc.
Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a twitté : « À la veille du sommet des dirigeants États-Unis-Afrique 2022 [prévu la semaine prochaine à Washington], je félicite les Lions de l’Atlas pour leur victoire aujourd’hui ».
Le vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Dmitri Medvedev, a exprimé sur sa chaîne Telegram, un vœu très politique : « À propos de football. Ce serait cool d’avoir une finale sans pays ennemis. Argentine-Maroc. »
La France et le Maroc ne sont pas des pays ennemis mais la relation bilatérale s’est beaucoup dégradée depuis un an. En cause : la « guerre des visas » liée à la décision de Paris en septembre 2021 de réduire de moitié les permis d’entrée accordés aux Marocains, arguant de la réticence du royaume à réadmettre ses ressortissants en situation irrégulière dans l’Hexagone.
EN IMAGES : De Gaza à Paris, scènes de liesse après la qualification du Maroc
Lire
Une mesure qualifiée d’« injustifiée » par Rabat, d’« humiliante » par les ONG humanitaires et de « grande maladresse » dans les milieux francophones marocains. Par ailleurs, Paris est jugée trop attentiste sur la question du Sahara occidental, « cause nationale » du Maroc, et sa nouvelle lune de miel avec l’Algérie, rivale régionale, a fait grincer des dents.
Côté français, on n’a guère apprécié les révélations du consortium de médias Forbidden Stories, selon lesquelles des numéros de téléphone d’Emmanuel Macron et de ministres, entre autres, ont été ciblés en 2019 par le Maroc, utilisateur du logiciel espion israélien Pegasus. Rabat a démenti.
Pendant que les forces israéliennes ont attaqué, à Jérusalem, les Palestiniens qui défilaient pour fêter la victoire marocaine contre le Portugal, le président israélien, Isaac Herzog, a twitté en français : « Félicitations à Sa Majesté le roi du Maroc Mohammed VI et au peuple du Maroc pour l’exploit historique à la Coupe du monde 2022. »
Traduction : « Les forces d’occupation israéliennes attaquent la foule palestinienne rassemblée place de Bab al-âmoud pour fêter la qualification du Maroc en demi-finale. »
Les joueurs marocains ont tenu à brandir le drapeau palestinien, à l’instar de leurs supporters au Maroc, en France ou ailleurs… Un positionnement qui a poussé certains commentateurs en France à réagir.
Le producteur et écrivain Georges-Marc Benamou a par exemple exigé « que le roi du Maroc, ses ministres et l’ambassadeur du Maroc en France s’excusent car l’équipe marocaine a brandit le drapeau de la Palestine ».
Des heurts ont marqué les festivités des supporters du Maroc aux Champs-Élysées, à Paris et la police a procédé à 144 interpellations.
Ces débordements ont été commentés par l’extrême droite et les sphères xénophobes en France.
« Quand la liesse populaire se répand au Maroc, ça se passe très bien. Quand ça se passe en France, ça finit par des émeutes et des affrontements avec la police. J’aimerais comprendre pourquoi », a commenté Éric Zemmour, président du parti Reconquête (extrême droite) sur BFMTV.
Mais les médias ont aussi rapporté d’autres images moins clivantes, notamment celle de ce Franco-Marocain qui a déclaré : « C’est dur : il y a le pays de nos parents et le pays qui nous a tout donné ! On est à Paris, c’est notre ville, la France c’est chez nous, on va tout donner et que le meilleur gagne ! ».
Certains internautes s’attendent à davantage de débordements en France après la demi-finale de mercredi prochain.
Depuis Paris, Safa, étudiante marocaine, balaie ces craintes. Elle confie à MEE : « Je ne me suis jamais sentie aussi fière d’être Marocaine et je suis fière de tout ce qu’on a accompli jusqu’à maintenant. J’espère vraiment qu’on va gagner le prochain match même si les statistiques ne sont pas de notre côté. Mais avec autant d’amour, de foi et de soutien du monde entier, on en est capables ! »
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MEE
Published date: Dimanche 11 décembre 2022 - 15:53 |
Selon les supporters, le succès des Lions de l’Atlas repose sur le talent de sa diaspora : 14 des 26 joueurs de la sélection présente au Qatar sont nés à l’étranger.
L’équipe du Maroc célèbre sa victoire contre la Belgique lors de la Coupe du monde au Qatar, le 27 novembre 2022 (AFP)
L’air est empli d’une atmosphère singulière.
Le drapeau rouge et vert du Maroc flotte sur les voitures, les supporters portent fièrement leur maillot et affichent un optimisme sincère quant à la capacité des Lions de l’Atlas à réaliser quelque chose de grand à la Coupe du monde au Qatar.
Après sa victoire face au Canada (2-1) au stade al-Thumama de Doha jeudi, le succès du Maroc sur le pré rassemble les supporters de toute la région et suscite un rare moment d’unité panarabe.
« Tant que tu as un lien du sang avec le Maroc, tu es marocain »
– Fatima-Ezzahra Hayad, supportrice
Alors que les supporters se délectent de la magie proposée par leurs protégés sur le rectangle vert, le Maroc est cité par certains comme un exemple parmi les pays classés hors du top 20 au classement FIFA dans sa manière de puiser dans sa diaspora mondiale pour triompher.
Achraf Hakimi, qui s’est particulièrement distingué en ce début de Mondial, est né en Espagne. Sofiane Boufal, qui joue un rôle clé dans la construction du jeu, est originaire de France, tandis que le brillant Hakim Ziyech, premier buteur face au Canada, a vu le jour aux Pays-Bas.
Plus de 130 joueurs présents à la Coupe du monde représentent une sélection différente de leur pays de naissance : ainsi, le recours à la diaspora n’est pas une question spécifique à l’équipe nationale marocaine.
Le milieu offensif Wahbi Khazri, qui a annoncé sa retraite internationale après son but victorieux contre la France (1-0), était l’un des nombreux joueurs de la sélection tunisienne nés en France. Les États-Unis, l’Angleterre, l’Australie ou encore le Qatar, pays hôte, ont également fait appel à des joueurs nés à l’étranger.
Mais aucune sélection présente au Mondial ne compte plus de joueurs nés à l’étranger que le Maroc.
Nés à l’étranger mais liés au Maroc
Lors de la Coupe du monde 1998 en France, l’équipe du Maroc ne comptait que deux joueurs nés hors du pays. Cette fois-ci, pas moins de 14 joueurs sur les 26 qui composent la sélection sont nés à l’étranger.
Le Maroc n’a rien à se reprocher dans ses choix de joueurs : la majorité des supporters rencontrés par Middle East Eye estiment par ailleurs que la question n’est pas particulièrement problématique, étant donné que les joueurs entretiennent des liens forts avec le pays.
Interrogé par MEE, Ayman El Felyani, étudiant à Tétouan, une ville située à 220 km au nord de la capitale Rabat, estime que la nationalité est un concept à géométrie variable.
L’un de ses joueurs préférés, le défenseur Noussair Mazraoui, né aux Pays-Bas, a toujours évolué dans des clubs européens mais a des parents marocains.
Le Printemps du football arabe
« En tant que Marocain, même si les joueurs étaient nés sur Mars, je n’en aurais rien à faire », lance Felyani.
Cette volonté des supporters d’ignorer la forte dépendance de leur équipe nationale à l’égard de talents nés à l’étranger est peut-être liée à la multitude d’identités parmi les joueurs.
Achraf Hakimi, qui porte un nom courant dans le royaume, continue de rendre hommage à ses origines marocaines et a reçu à plusieurs reprises des éloges de joueurs légendaires tels que Noureddine Naybet, le décrivant comme source de « fierté pour le Maroc et [de] joie pour le pays ».
Wisal Elkha, expatrié marocain installé en Italie et supporter de longue date des Lions de l’Atlas, souligne le côté pratique du recrutement opéré par l’équipe nationale auprès des clubs européens.
« Ici, on sait que l’on trouve les meilleurs clubs en Europe, où il est possible de côtoyer de grands joueurs et de progresser à leurs côtés, et où le football pratiqué est d’un niveau élevé. »
La victoire avant tout
Le Maroc dispose d’un grand vivier de talents. En 2018, les missions diplomatiques du pays ont enregistré 4,2 millions de Marocains vivant hors du royaume, un contingent estimé à environ 10 % de sa population à l’époque.
La diaspora conserve néanmoins des liens étroits avec le royaume. Selon une étude réalisée en septembre par le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, une institution gouvernementale, 61 % des Marocains âgés de 18 à 35 ans vivant en Europe se rendent tous les ans au Maroc.
Pour les plus fervents supporters des Lions de l’Atlas, le patriotisme et les chances de victoire de la sélection l’emportent sur le lieu de naissance de chacun.
« Les Marocains apprécient le fait que beaucoup de ces footballeurs aient choisi de jouer pour leur pays d’origine alors qu’ils avaient la possibilité de jouer pour une sélection européenne »
– Mohamed Ben Moussa, professeur à l’université de Charjah
Fatima-Ezzahra Hayad, une professionnelle en marketing originaire de Salé, une ville du nord-ouest du Maroc, estime que la présence d’une star comme Achraf Hakimi, considéré comme l’un des meilleurs défenseurs d’Europe cette saison, peut dynamiser l’équipe.
« Si tu es le meilleur à ton poste, tu dois être appelé dans l’équipe nationale », affirme cette supportrice présente au Mondial à Doha.
« L’équipe à proprement parler, en particulier les joueurs binationaux ou ayant vécu toute leur vie à l’étranger, est représentative du Maroc tant que les joueurs aiment le pays et contribuent à son succès.
« Tant que tu as un lien du sang avec le Maroc, tu es marocain. Chacun de tes exploits et les contributions que tu apporteras au Maroc seront considérés comme une source de fierté. »
C’est cette fierté nationale qui a incité Fatima-Ezzahra Hayad à suivre son équipe au Qatar, et elle n’est pas la seule. Mohamed Sitri, ambassadeur du Maroc à Doha, a affirmé dans une récente interview accordée au site web Winwin que les Marocains figuraient parmi les dix premières nationalités en matière d’achats de billets pour les matchs de la Coupe du monde.
Une vaste diaspora
La présence d’Achraf Hakimi, Noussair Mazraoui et d’autres immigrés de deuxième génération dans l’équipe nationale marocaine témoigne d’une tendance aussi ancienne que la Coupe du monde elle-même : l’immigration marocaine vers l’Europe.
Selon Said Saddiki, professeur de relations internationales à l’université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, les émigrés marocains, à l’image des autres diasporas maghrébines, ressentent un attachement durable à leur patrie.
« Cette relation forte se manifeste lors des grands événements publics tels que les matchs de football », explique-t-il à MEE.
« L’équipe du Maroc ne me représente pas » : pour les Sahraouis, pas question de soutenir les Lions de l’Atlas en Coupe du monde
« Les débordements qui ont lieu à Paris ou à Bruxelles lorsqu’une sélection maghrébine gagne ou perd un match important en sont une illustration. »
Après la victoire surprise du Maroc face à la Belgique (2-0) et celle face au Canada synonyme de qualification pour les huitièmes de finale, des débordements ont eu lieu dans plusieurs villes belges et néerlandaises.
Mohamed Ben Moussa, professeur associé de communication à l’université de Charjah, explique que les liens entre la patrie et la diaspora sont de plus en plus forts, notamment grâce aux voyages fréquents et aux mariages.
« Il n’y a pratiquement aucune famille marocaine qui ne compte pas au moins un membre dans la diaspora.
« On considère que l’équipe nationale représente cet aspect fondamental de l’identité marocaine moderne. En réalité, vivre et réussir à l’étranger, comme le font ces footballeurs, est une source de fierté supplémentaire. »
Des talents locaux
Certains supporters des Lions de l’Atlas soutiennent que le Maroc brille lorsqu’il met en avant les footballeurs nés sur son territoire.
Nommé au poste de sélectionneur en 2019, l’ancien footballeur Vahid Halilhodžić est entré en conflit avec des joueurs clés, notamment Hakim Ziyech et Noussair Mazraoui, ce qui les a éloignés de la sélection marocaine.
En août, le technicien bosnien a été remplacé par Walid Regragui, un entraîneur franco-marocain qui a porté le maillot les Lions de l’Atlas et de plusieurs clubs européens.
Presque immédiatement, il a rappelé Hakim Ziyech et Noussair Mazraoui dans sa liste des 26.
Qatar 2022 : cinq joueurs de la région MENA à surveiller
Abderrazak Khettabi, un supporter vivant à Casablanca, s’interroge sur le dévouement envers l’équipe nationale de certains footballeurs marocains jouant à l’étranger.
Il cite Hakim Ziyech et l’attaquant Marouane Chamakh, qui a désormais raccroché les crampons, comme deux exemples de joueurs qui, selon lui, ne portent pas fièrement le maillot.
« Il y a des joueurs comme Ziyech qui jouent extrêmement bien en club, alors qu’en sélection, ils jouent comme s’ils avaient peur de se blesser », souligne-t-il.
« C’est quelque chose que nous disions aussi à propos de Chamakh, à l’époque. Peut-être que leurs agents leur disent de ne pas jouer à fond pour éviter de se blesser, car ils pourraient perdre leur salaire en Europe. »
Que ce supporter soit rassuré : si son attitude en sélection a pu décevoir par le passé, Hakim Ziyech répond bel et bien présent au Qatar. Auteur d’une passe décisive contre la Belgique, le milieu de Chelsea monte en puissance et a ouvert la marque d’un lob astucieux face au Canada.
Abderrazak Khettabi oppose ces deux joueurs à Houcine Ammouta et Jamal Sellami, deux ex-footballeurs nés au Maroc qui, selon lui, « jouaient avec le cœur ». Houcine Ammouta entraîne aujourd’hui le Wydad AC, le club favori de Khettabi, basé à Casablanca.
Construire de meilleures infrastructures
Les supporters s’inquiètent de la faiblesse des investissements dans le championnat national marocain, susceptible d’entraver la recherche de diamants à polir pour les futures compétitions.
Ayman El Felyani, l’étudiant de Tétouan, constate avec amertume que « de nombreux jeunes footballeurs voient leurs rêves de gloire locale s’envoler à cause du manque – ou plutôt de l’absence totale – d’infrastructures sportives pour soutenir ces talents en herbe ».
Il y a quelques années, la FIFA s’est fait l’écho de certaines de ces préoccupations. La candidature du Maroc à l’organisation de la Coupe du monde 2026 est tombée à l’eau après qu’un rapport en 2018 a soulevé des interrogations sur l’adéquation des infrastructures du royaume et la qualité de ses installations pour les joueurs. Les inspecteurs ont souligné que les stades constituaient un sujet particulier présentant un « risque élevé ».
VIDÉO : Des supporteurs de foot marocains chantent contre la monarchie
Aujourd’hui, les Marocains semblent souhaiter que leurs dirigeants approfondissent le développement du football local.
Selon une enquête réalisée en 2022 par le Conseil économique, social et environnemental, une institution gouvernementale marocaine, 60 % des personnes interrogées estiment que « les politiques publiques devraient cibler » le football.
Le Maroc a déjà pris des mesures pour répondre à ces préoccupations. En 2009, l’Académie Mohammed VI de football a été ouverte pour proposer une nouvelle filière aux talents locaux. Un atelier du Programme de développement des talents de la FIFA s’est également tenu dans le royaume en juin.
Pour cette édition de la Coupe du monde, cependant, les supporters ont l’intention de soutenir les Lions de l’Atlas tels qu’ils sont.
« Les Marocains apprécient le fait que beaucoup de ces footballeurs aient choisi de jouer pour leur pays d’origine alors qu’ils avaient la possibilité de jouer pour une sélection européenne », souligne Mohamed Ben Moussa, le professeur à l’université de Charjah.
« C’est la preuve ultime que l’on est un “vrai” Marocain. »
Depuis plusieurs mois, la question du boycott de la Coupe du monde au Qatar ne cesse de faire la une du débat en Occident. Si les pratiques de l’émirat sont moralement condamnables, cette mise à l’index laisse néanmoins entrevoir une indignation à géométrie variable.
Vous n’y avez sûrement pas échappé : articles, émissions, livres, vidéos ou statuts sur les réseaux sociaux, la place publique s’anime depuis quelques semaines autour d’une interrogation morale : faut-il boycotter la coupe du monde au Qatar ? Des mairies, quelques médias et un certain nombre de personnalités publiques ont tranché. Pour eux·elles, ce sera niet. Une décision qui n’est pas seulement le lot des plus perméables à leur image publique, puisque de « grandes gueules » comme Éric Cantona ont exprimé haut et fort leur rejet de ce que ce dernier a qualifié à juste titre d’« aberration écologique » et d’« horreur humaine ».
Si quelques informations mensongères se sont mêlées à ces arguments — non, les couples non mariés ou gays ne seront pas interdits de séjour au Qatar, et il n’y a nul besoin de climatiser les stades en décembre —, l’essentiel des critiques adressées à la monarchie gazière : les terribles conditions de travail des ouvriers, le coût écologique, la situation des droits humains et plus précisément des minorités sexuelles dans le pays supportent difficilement la contradiction. On conviendra toutefois que la question des conditions d’attribution du Mondial par la FIFA fait au mieux sourire, le tournoi de 2022 n’étant pas une exception en la matière.
C’est compter sans l’appareil de communication de Doha et l’implication personnelle de son émir, Tamim Ben Hamad Al-Thani, pour laver l’honneur de son pays. Si l’on s’en tient à la défense sérieuse de la monarchie, en évacuant donc d’office la propagande fallacieuse de la neutralité carbone, c’est le racisme et l’islamophobie des pays occidentaux qui expliqueraient ce Qatar bashing requalifié par la chaîne Al-Jazira de « qatarophobie » dont fait l’objet « le premier mondial organisé dans un pays arabe et musulman », comme le rappellent souvent les médias du pays. Doha n’en est pas à sa première expérience en la matière. La crise de 2017 qui a conduit au boycott du pays par ses voisins du Conseil de coopération du Golfe (CCG), ainsi qu’à une campagne de dénigrement sans précédent, suite à un différend avec l’Arabie saoudite n’a fait que renforcer le sentiment nationaliste de ses habitants. Le pays en est sorti renforcé, et le jeune émir y a gagné le titre de « Tamim Al-Majd », Tamim la Gloire. Aujourd’hui, la même fierté nationaliste se sent à travers les messages véhiculés par le Qatar.
UN FOND DE VÉRITÉ
S’il est exagéré, l’argument du racisme et de l’islamophobie n’est toutefois pas dénué de vérité. L’image du Bédouin nouveau riche — une sorte de M. Jourdain proche-oriental — colle trop souvent aux pays du Golfe, dont les habitants sont régulièrement dépeints en Occident en individus incultes, dont le savoir est exclusivement religieux et qui pensent pouvoir tout acheter avec leurs pétrodollars. Un tableau qui se double d’une dimension politique, au vu du soutien apporté par Doha au mouvement des Frères musulmans, dont elle a accueilli un certain nombre de militants, à l’instar de l’imam et père spirituel de la Confrérie, Youssef Al-Qaradawi, qui officiait sur la chaîne Al Jazira. Les partis issus de cette organisation ont été soutenus au lendemain des printemps arabes dans les différents pays où ils ont pris part à la vie politique, tant financièrement que médiatiquement. Sans parler du soutien actif — et armé — du Qatar à une partie du soulèvement en Syrie.
Or, les Frères musulmans sont désormais systématiquement associés au terrorisme en Occident, y compris en France, où l’Union des organisations islamiques de France (UOIF, aujourd’hui appelée Musulmans de France), dont les liens avec les Frères musulmans sont de notoriété publique était pourtant un interlocuteur historique des autorités. Résultat : la monarchie gazière se trouve éclaboussée par la mauvaise réputation de ses protégés, tandis que ses meilleurs ennemis les Émirats arabes unis entretiennent en France l’image d’un pays soi-disant moderniste à l’islam dit « modéré ». Le dessin publié par Le Canard enchaîné dans son numéro d’octobre 2022 intitulé Qatar, l’envers du décor, et qui montre des hommes barbus et armés portant des maillots de football avec la mention « Qatar », a été la manifestation la plus probante de ce raccourci islamophobe.
Pour contrecarrer ce discours, le Qatar a opté pour ce qu’il sait faire de mieux : jouer la carte du monde arabe face à un Occident jugé ignorant et méprisant. Ainsi, le narratif de « la coupe des Arabes » a été mis en place dès l’année dernière, lorsque l’émirat a accueilli la dixième édition de la Coupe arabe des nations, dont la cérémonie d’ouverture a été marquée par l’interprétation en direct de tous les hymnes nationaux des pays de la Ligue arabe. Depuis quelques semaines, les médias qataris n’ont de cesse de mettre en avant les drapeaux des quatre pays arabes qui participent au Mondial : le pays hôte, l’Arabie saoudite, le Maroc et la Tunisie, interpellant leurs auditeurs et demandant aux ressortissants des pays arabes non qualifiés quelle équipe ils comptent encourager. Le nationalisme qatari a généreusement cédé la place à un panarabisme digne d’Abdel Gamal Nasser. Mieux : si pour la traditionnelle chanson du mondial, Doha a produit un hymne en anglais, « Light The Sky » (Allume le ciel), partagé par la chaîne YouTube officielle de la FIFA, elle a produit aussi une deuxième chanson, en arabe cette fois, « Ard El Mondial » (La terre du Mondial). Le morceau, produit par l’étatique Qatar Media Corporation, est interprété par un chanteur qatari, deux Saoudien·nes et un Tunisien, et a été diffusé par la chaîne YouTube officielle Al Kass Sports Channel, chaîne de télévision satellitaire sportive qatarie. Pour toucher les plus récalcitrants, quitte à faire dans le misérabilisme, une reprise de la chanson produite par l’opérateur téléphonique qatari Ooredoo et intitulée Arhebo (Bienvenue) a même été filmée dans un camp de réfugiés dans le nord de la Syrie, et diffusée par Al Jazira. Tant pis si l’annonce de vols entre Israël et le Qatar prévus spécialement pour le Mondial vient gâcher le tableau. Au-delà du monde arabe, ce sont surtout les spectateurs d’Afrique et d’Asie que le pays vise à travers cet événement, bien plus que les fans de football des pays du Nord. Une provincialisation que l’Occident a du mal à reconnaître.
UNE PREMIÈRE « QUALIFICATION » POUR LE QATAR
Mais faisons un pas de côté, ou plus exactement plus au sud : les accusations de racisme et d’islamophobie paraissent alors plus discutables, puisque la critique du Mondial 2022 n’est pas exclusivement occidentale. Tant pis pour le néo-panarabisme qatari, mais l’enthousiasme pour ce premier « mondial arabe » n’est pas unanime. Il y a d’abord les critiques du voisin émirati, qui accueille pourtant une partie des supporteurs de la coupe ; ceux-là qui seront transportés par l’un des 160 vols quotidiens en guise de navettes vers les stades. Rien d’officiel, mais l’auteur Hamad Al-Mazrou’i, proche des cercles du pouvoir, a exprimé plus d’une fois sur Twitter ses doutes ces dernières semaines sur la capacité du Qatar à accueillir cette coupe. Une rengaine qui remonte à 2017.
Mais ces critiques sont à mettre dans le contexte d’une réconciliation entre le Qatar et les autres pays du CCG début janvier 2021 qui n’a toujours pas été digérée par Abou Dhabi. Plus à l’ouest, les intentions se font moins politiques, mais les propos plus acerbes. Si le rapprochement d’Alger et du Caire avec Doha semble limiter la critique médiatique de l’organisation du Mondial, les réseaux sociaux en sont moins avares. En Afrique du Nord, on rit du fait que le pays hôte ne s’est jamais qualifié à la phase finale du mondial avant cette édition. On se remémore aussi la politique de naturalisation des sportifs, très en vogue encore il y a quelques années, pour pallier le manque de joueurs dans ce pays qui compte près de 3 millions d’habitants, mais dont 10 % seulement sont des nationaux. Enfin, le coût exorbitant du tournoi : environ 220 milliards d’euros, renforce dans cette partie du monde arabe aussi l’image d’un pays qui pense pouvoir tout s’acheter. Un jugement que confirme le scandale récent des faux supporteurs étrangers qui défilent dans les rues de la capitale qatarie.
Une différence de taille subsiste cependant entre les critiques occidentales et celles d’une partie du public arabe : ces derniers n’appellent pas au boycott du tournoi. La réponse politique, et surtout morale, demeure ainsi l’apanage des pays du Nord.
Ce n’est pas la première fois qu’une compétition sportive de cette envergure devient l’objet d’appels au boycott. Lors de la dernière édition de la Coupe du monde en Russie (2018), la question s’est posée à la suite de l’empoisonnement de l’ex-agent double russe Sergueï Skripal, quand la participation de Moscou aux bombardements de civils en Syrie était de notoriété publique. La première ministre britannique Theresa May avait alors indiqué qu’aucun ministre ni aucun membre de la famille royale britannique ne se rendrait en Russie. Quatre ans auparavant, le même dilemme tourmentait les Occidentaux quant à la participation aux Jeux olympiques de Sotchi, après la promulgation par Moscou de lois homophobes. Sans donner une connotation clairement politique à son absence, le président français de l’époque, François Hollande, avait décidé de ne pas s’y rendre. Plus récemment, les Jeux olympiques d’hiver à Pékin ont également fait l’objet d’un appel au boycott, lancé cette fois par Washington et suivi par six de ses alliés.
LE PRIVILÈGE MORAL DE L’OCCIDENT
Tous ces boycotts étaient cependant diplomatiques. Certes, le choix pour un chef d’État ou de gouvernement de ne pas assister à un tel événement sportif n’est pas anodin. Mais il est sans commune mesure avec le mouvement de boycott actuel, quand des villes comme Paris ou Lille annoncent ne pas diffuser les matchs sur leurs écrans, que le débat est présent au quotidien et que la question est posée même à des personnalités qui n’ont rien à voir avec le monde du football. Il faut dire que le Qatar n’a économiquement et diplomatiquement ni le poids de l’ours russe ni d’un pays-continent comme la Chine.
Ce qui interpelle dans ces appels au boycott, c’est qu’ils sont toujours le fait de pays du Nord contre des pays non occidentaux. C’est une posture morale à sens unique. En 2019, l’organisation Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) a appelé à mettre à l’index l’organisation du concours de l’Eurovision en Israël, pour dénoncer la politique coloniale de ce pays et son mépris total pour le droit international. Mais cette fois, l’appel a été dénoncé par plusieurs personnalités du monde artistique dans une tribune publiée par The Guardian, où ces dernières mettaient en avant « l’esprit de solidarité » promu par le concours. En France, l’appel a été noyé par la campagne homophobe menée sur les réseaux sociaux contre le candidat queer Bilal Hassani, et qui a été du pain béni pour la politique de pinkwashing de Tel-Aviv1.
L’appel au boycott pose une question morale fondamentale, celle de la ligne rouge, de la limite infranchissable. Le boycott du Mondial 2022 nous apprend que la question des droits humains en est une. Qu’en est-il alors de la politique migratoire de l’Europe ? Les pratiques de Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, en Méditerranée, ou l’externalisation des frontières européennes en Turquie ou en Afrique du Nord sont-elles des lignes rouges qui justifieraient par exemple que l’on boycotte les Jeux olympiques de Paris 2024, pour lesquelles la mairie de Paris s’est investie ? Pourtant, ces pratiques aggravent le traitement d’une population de migrants — tout comme le sont les ouvriers du Qatar — et transforment la Méditerranée en un cimetière, où plus de 3 200 personnes sont mortes en 2021. Et qu’en est-il de la criminalisation de l’avortement ou du maintien de la peine de mort aux États-Unis ? Ces lois ne sont-elles pas suffisamment graves pour que les villes occidentales boycottent la diffusion des matchs du Mondial 2026, qui aura lieu entre les États-Unis, le Canada et le Mexique ?
Le problème en réalité n’est pas d’appeler au boycott du Qatar, mais de fermer les yeux quand il s’agit des autres. La logique du deux poids, deux mesures est à nouveau à l’œuvre, celle-là même qui a fait rire (jaune) une partie de la population du Sud en entendant le locataire de la Maison Blanche condamner l’invasion d’un pays par un tiers, 19 ans après l’invasion de l’Irak. Celle-là même aussi qui a fait répondre au vice-président de la Commission européenne Josep Borrell, quand Orient XXI l’a interrogé lors d’une conférence de presse en marge du Forum de Doha 2022 sur la différence d’accueil réservé en Europe aux Ukrainiens et aux Syriens, que les seconds n’étaient pas « des réfugiés », « juste » des migrants.
Se voiler de vertu pour dénoncer les tares des autres et être aveugles aux leurs, tel le dromadaire qui ne voit pas sa propre bosse – équivalent arabe de la parabole de la paille et de la poutre — n’est pas nouveau pour les pays occidentaux. Ce qui l’est en revanche, c’est qu’une partie des pays du Sud ont désormais les moyens économiques de se faire entendre. La grande victime dans l’histoire ? L’universalité des droits humains.
« Dans notre village, ceux qui sont partis vivre en France sont plus nombreux que ceux qui sont restés », dit d’emblée Ramtane Benzema, 68 ans. Ce village, c’est Tighzert Ath Jlil – littéralement « le ravin des Ath Jlil » –, une jolie petite bourgade nichée au fond d’une étroite vallée. Le village fait partie de la commune d’Ath Jelil, de son nom berbère, ou Beni Djelil, comme on l’appelle officiellement. Située dans une zone montagneuse enclavée dans l’arrière-pays du département de Béjaia, en basse Kabylie, cette commune rurale compte une quinzaine de villages éparpillés au milieu des oliveraies, des figueraies et des forêts.
Il fait excessivement chaud pour une journée d’automne en ce mardi 18 octobre 2022. Autour d’un café et d’une limonade, Ramtane Benzema accepte volontiers de raconter sa famille et son village, lui qui savoure aujourd’hui une retraite amplement méritée. Peintre, chauffeur, maçon, paysan, ouvrier sur divers chantiers, l’homme a exercé une foule de petits métiers qui lui ont permis de faire vivre décemment sa famille. La veille au soir, bien entendu, tous les hommes attablés dans l’unique café du village ont suivi avec grand intérêt la cérémonie de remise du Ballon d’or à l’enfant du pays, Karim Benzema. Ici, la moitié des habitants s’appellent Zema, Benzema ou Benzemma. La famille du champion vit à Tighzert Ath Jlil depuis sa fondation, il y a près de trois siècles.
Karim, la star mondiale, on ne le connaît ici que par ses exploits sur les terrains de foot. Mais on n’est pas avare d’anecdotes sur Hafid, le papa du footballeur, et surtout sur Leghel, son grand-père. « Mon cousin Leghel, le grand-père de Karim, connu aussi sous le prénom de Mohand, est parti en France fin 1962. En 1963, il est revenu prendre sa femme et ses enfants pour s’installer là-bas mais il revenait chaque année au village », raconte Ramtane. Les liens avec le pays d’origine ont changé au fil du temps et des générations. Si Leghel rentrait régulièrement au pays, son fils Hafid, le papa de Karim, qui a épousé une Oranaise, le faisait beaucoup moins. Et personne ne se souvient avoir vu Karim mettre les pieds à Tighzert. « Peut-être qu’il viendra un jour en pèlerinage au pays de ses ancêtres, quand ses responsabilités professionnelles lui laisseront un peu plus de temps. En tout cas, il est le bienvenu ici, chez lui », dit l’un des villageois.
Une terre d’exil
Ramtane se rappelle que c’est à partir de 1958, en pleine guerre d’Algérie, que les premiers hommes, des mineurs pour la plupart, ont commencé à emmener leurs familles pour s’installer en France. Avant, la grande source du village, aujourd’hui presque tarie, permettait aux hommes d’entretenir de beaux et luxuriants jardins qui les faisaient vivre. Après l’indépendance, la population a grandi et la terre n’a plus suffi à nourrir tout son monde. Les hommes jeunes et valides ont dû prendre leurs baluchons et s’exiler sous des cieux plus cléments.
En Kabylie, pays de montagnes hérissées de villages, la terre nourrit chichement hommes et bêtes. On y cultive l’olivier et le figuier, on entretient un petit jardin potager et on élève quelques têtes de bétail. Quand la famille s’agrandit, l’aîné doit s’inventer un avenir ailleurs, en France ou dans une grande ville du pays, comme Alger, Oran ou Constantine. Quand un Kabyle s’installe en France, il commence par faire venir femme, enfants, frères et cousins. En faisant jouer les liens de solidarité, bientôt une communauté se crée. L’été à Tighzert, ils sont encore très nombreux à revenir de Lyon, Paris, Marseille ou d’ailleurs. Certains ont construit ici de belles demeures, d’opulentes villas que le visiteur aperçoit au bord de la route.
Fidèle à chaque grand rendez-vous footballistique, Tighzert chavire à chaque but inscrit, chaque titre, coupe ou championnat remporté par le capitaine du Real Madrid et buteur de l’équipe de France. Et des titres, Karim en a gagné beaucoup avant cette soirée du lundi 17 octobre 2022 qui l’a vu, lui, le petit cousin de la famille, soulever le fameux ballon d’or. Les Tighzertois étaient doublement heureux. À la fierté légitime de voir un Benzema soulever ce prestigieux trophée, s’ajoutait le bonheur de voir l’autre icône du football, Zinedine Zidane, le lui remettre et le serrer contre son cœur comme un frère.
Zidane, l’autre enfant du pays
Ici, on considère Zinedine comme un autre authentique enfant du pays. Aguemoune, son village d’origine, c’est juste de l’autre côté de la montagne, à une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau. En fait, à travers la trajectoire de ces deux footballeurs qui brillent au firmament du football mondial, ce sont deux destins d’émigrés kabyles qui se croisent. Deux histoires qui ont commencé à s’écrire sur les chemins escarpés de la Kabylie, alors même que l’Algérie et la France étaient comme un couple en instance de divorce qui se déchire après un mariage forcé.
Comme Leghel Benzema, Smail Zidane, un paysan kabyle qui gardait les chèvres de l’autre côté de la montagne, est parti en France en 1953. Installé à Marseille, il y a travaillé toute sa vie comme ouvrier et fondé une famille avec Malika, la femme de sa vie. Zizou, le plus jeune de ses cinq enfants, est devenu, bien avant Karim, une star planétaire. Leghel et Smail, les deux paysans kabyles devenus ouvriers en France, ne se sont jamais rencontrés. Mais leurs fils et petit-fils ont prolongé ces chemins amorcés dans des petits villages de Kabylie. Comme Smail Zidane, Leghel revenait régulièrement au pays, pratiquement deux fois par an. Décédé le 25 janvier 2021, il a fait son dernier voyage à bord du jet privé de son petit-fils pour être inhumé au cimetière familial, sur la terre qui l’a vu naître.
Nassim Benzema se propose de nous faire visiter Tighzert, petit village propret, à l’heure où les enfants sortent de l’école primaire. Dernièrement, les villageois, y compris les émigrés installés en France, ont cotisé pour rénover le petit dispensaire de santé de Tighzert. Nassim est maçon itinérant. « Je vais partout où il y a du travail pour moi », dit-il, et son rêve est que le village construise un jour un stade de football pour tous les enfants qui rêvent de suivre les traces de Karim. « Nous avons l’assiette de terrain qu’il faut pour ça mais pas l’argent nécessaire », déplore-t-il.
Ce que les jeunes qui nous accompagnent lors de la visite ne nous disent pas, c’est qu’ils espèrent qu’un jour Karim viendra visiter le petit village où sont enterrés ses ancêtres. Ce sera un grand honneur pour tous ces villageois qui portent pour la plupart le même nom que lui. En fait, Karim l’avait même solennellement promis dans une émission de la chaîne Canal+, fin 2018 : « Je n’ai pas encore eu la chance d’y aller pour des questions de timing, mais dans pas longtemps je vais y aller et ce sera une belle surprise pour le peuple car je sais que là-bas je suis aimé… », a-t-il promis.
En fait, les jeunes de Tighzert espèrent qu’il suivra un jour l’exemple de son « grand frère » et idole, Zinedine Zidane, venu en pèlerinage à Aguemoune. Zizou a aussi créé une fondation portant son nom pour soutenir des projets caritatifs en Kabylie et dans toute l’Algérie.
Dernière halte dans l’abribus qui jouxte la place principale du village. Là, le portrait de Karim, qui a été peint il y a quelques années, est presque effacé. Il se devine à peine.
La contestation de la coupe du monde de football organisée par le Qatar pourrait déboucher sur un boycott d’audience y compris par le truchement de La télévision. Au nom des droits de l’homme, des droits de la femme, et des droits nombreux travailleurs étrangers réquisitionnés par le Qatar.
La coupe du monde de football jette une lumière crue sur les investissements arabes dans le sport. Le Qatar a joué un rôle pilote en prenant le contrôle du PSG en France, en organisant les Championnats du monde de handball en 2015, de cyclisme en 2016, d’athlétisme en 2019, la Coupe du monde des clubs de la FIFA en 2019 et 2020, le Championnat du monde de natation en 2023 et, bien évidemment, le Mondial de foot de 2022. Ce dernier représente un poste de dépense colossal de 500 millions de dollars… PAR SEMAINE ! Il n’est pas exclu que le Qatar finisse par obtenir l’organisation des Jeux olympiques de 2032.
Le Qatar a fait école Le Qatar a été suivi par d’autres monarchies pétrolières. L’Arabie saoudite accueillera les Jeux Asiatiques d’hiver en 2029 et prévoit d’investir 500 milliards de dollars dans la construction d’une ville futuriste dédiée au sport dans le désert. L’Arabie saoudite accueillera également les Jeux asiatiques de 2034 à Riyad. Et si l’on en croit le Financial Times, le fonds souverain saoudien (riche de 620 milliards de dollars) va engager 2,3 milliards de dollars dans du parrainage d’évènements liés au football.
L’Arabie saoudite finance déjà aussi, LIV Golf Investments, une ligue séparatiste qui menace de bouleverser le statu quo du golf. Deux milliards de dollars ont été investis pour marquer le golf aux couleurs de l’Arabie Saoudite et sponsoriser des joueurs suivis par des millions de fans.
Dans le football, un consortium mené par les Saoudiens a pris le contrôle de Newcastle United.
Abou Dabi s’est spécialisé dans la compétition automobile avec le circuit Yas Marina qui accueille différents Grand Prix, et diverses courses du championnat du monde de Formule 1. Les 15ème et 16ème Grand Prix s’étaient déroulés sur le circuit international de Sakhir, à Bahreïn. La première course de F1 a eu lieu en 2004, à Bahreïn déjà.
Un authentique soft power arabe Les quelques exemples qui précèdent montrent la construction d’un authentique soft power arabe dans le sport. Dans un article intitulé « Le sport : une fonction géopolitique » (Revue Défense Nationale, 2017), Pascal Boniface, fondateur et directeur de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), explique que « le sport est devenu un élément essentiel du rayonnement d’un État. (…) Au-delà des émotions, du plaisir, des joies et des espoirs, c’est aussi de la géopolitique. »
Les Etats du Golfe ont donc entrepris de changer d’image. Ils ne veulent plus être cantonnés à leur capacité à produire du pétrole ou du gaz. En 2004, Hamad Abdulla Al-Mulla, alors directeur de la communication du Qatar, déclarait : « Il est plus important d’être reconnu au Comité International Olympique (CIO) qu’à l’Organisation des Nations Unies (…). Le sport est le moyen le plus rapide de délivrer un message et d’assurer la promotion d’un pays. » Cette volonté de reconnaissance s’est construite en dotant le pays d’infrastructures sportives ultra modernes, mais aussi en exerçant un lobbying auprès des institutions internationales (ex : FIFA, CIO, World Athletics) pour obtenir l’organisation d’évènements sportifs internationaux. Restent que ces pays fournissent peu de sportifs ce qui se traduit aussi par un déficit de légitimité.
Les bénéfices de cette diplomatie sportive sont multiples : modernisation du pays, développement de relais de croissance pour l’avenir, diversification de l’économie (qui reste dépendante de la manne pétrolière et/ou gazière), médiatisation unique et renforcement de l’identité nationale.
Le sport et les relations internationales La place acquise par les monarchies du Golfe dans le sport mondial a soulevé de nombreuses controverses.
L’Arabie Saoudite voit surgir des tombereaux de critiques dès qu’une compétition est organisée sur son sol. Les principaux reproches faits au royaume concernent la guerre menée au Yémen depuis 2015, l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi (contributeur du Washington Post et critique de la monarchie ultraconservatrice) dans le consulat de son pays à Istanbul, en 2018, et plus généralement la répression de la dissidence depuis l’arrivée au pouvoir du prince héritier Mohammed ben Salmane en 2017.
La minorisation des femmes dans la société arabe est également à l’origine de mises en garde émanant des défenseurs des droits humains. Les dernières Supercoupe d’Espagne et d’Italie ont fait l’objet d’appels au boycott. La télévision publique espagnole (TVE) a annoncé qu’elle ne s’alignerait pas pour obtenir les droits de diffusion d’un trophée qui se joue « dans un endroit où les droits humains ne sont pas respectés, et en particulier ceux des femmes. »
En juin dernier, Amnesty International a lancé un appel aux fédérations nationales de football et aux clubs pour les mettre en garde contre les violations des droits de l’homme au Qatar, avant le Mondial 2022. Des travailleurs immigrés n’auraient pas été payés depuis des mois et les conditions de travail le jour sous 45° pendant dix heures d’affilée auraient abouti à la mort de 2 700 ouvriers entre 2012 et 2018.
Même si peu de sanctions réelles sont prises, les polémiques réduisent la portée de ces dépenses de communication. Les accusations de corruption d’officiels du sport qui sont aujourd’hui fréquentes sont aussi un frein au développement de tournois internationaux dans le Golfe.
De plus en plus également, la pertinence d’organiser des compétitions de haut niveau dans une région au climat totalement inadaptée pose problème. En 2019, les Mondiaux d’athlétisme de Doha ont fait apparaître de nombreuses défaillances dans l’organisation : conditions climatiques difficiles, manque d’engouement populaire, impact écologique considérable.
Si le sport de haut niveau ne masque plus les dysfonctionnements des Etats organisateurs, il n’est pas exclu que les Etats despotiques du Golfe soient incités à terme à évoluer vers plus de démocratie pour faire taire les critiques.
La Tunisienne Ons Jabeur s’est inclinée le 10 septembre en finale de l’US Open face à Iga Swiatek, la numéro 1 mondiale. Malgré cette défaite, l’année 2022 sera à marquer d’une pierre blanche pour celle qui est devenuela première Africaine à se hisser au deuxième rang mondial.
Kamel Deguiche, le ministre tunisien des Sports, va peut-être réellement devoir créer ce « ministère du Bonheur » qu’il avait évoqué en juillet, quand Ons Jabeur a atteint la finale du tournoi de Wimbledon, perdue face à la Kazakhe Elena Rybakina.
Ce 10 septembre, de Tunis à Sfax en passant par Sousse et Nabeul, des centaines de milliers de Tunisiens ont déjà programmé leur soirée télé : Ons Jabeur, alors numéro cinq mondiale, s’apprête à défier la Polonaise Iga Swiatek (21 ans) en finale de l’US Open.
Après sa finale perdue sur le gazon londonien, Ons Jabeur rêvait d’inscrire son nom au palmarès d’un tournoi du Grand Chelem. Mais la Polonaise s’y est opposée en battant sèchement son aînée tunisienne en deux sets (6-2, 7-6).
Deux finales du Grand Chelem en 2022
Sous les yeux du très connaisseur public new-yorkais et de millions de téléspectateurs, Ons Jabeur n’est donc pas devenue la première joueuse africaine et arabe à inscrire son nom au palmarès d’un tournoi du Grand Chelem du circuit professionnel féminin.
Avant cette cruelle défaite, elle avait atteint la finale après un parcours parfaitement maîtrisé, en se débarrassant successivement des Américaines Madison Brengle (7-5, 6-2), Elizabeth Mandlik (7-5, 6-2) et Shelby Rogers (4-6, 6-4, 6-3), de la Russe Veronika Kudermetova (7-6, 6-4), de l’Australienne Ajla Tomljanović (6-4, 7-6) et de la Française Caroline Garcia, balayée en demi-finale (6-1, 6-3).
La droitière la plus célèbre d’Afrique est arrivée en finale en n’ayant perdu qu’un seul set, physiquement affutée, et boostée par les résultats qu’elle a obtenus depuis deux ans, notamment en 2022. « Cet US Open est une très grande victoire pour Ons. Certes, elle a perdu en finale, mais elle a battu les meilleures joueuses américaines, elle a atteint deux finales du Grand Chelem cette année, et je suis persuadée qu’elle en remportera un bientôt. Toute la Tunisie est très fière », s’enthousiasme Salma Mouelhi, présidente de la Fédération tunisienne de tennis (FTT).
Cette année, avant sa brillante mais inachevée escale new-yorkaise, Ons Jabeur ne s’est pas contentée d’atteindre la finale du tournoi sur gazon le plus prestigieux au monde, où elle a notamment éliminé Venus Williams, cinq fois victorieuse à Wimbledon. Elle a aussi remporté le tournoi de Berlin et atteint la finale à Charleston (États-Unis) et à Rome, face à une certaine… Iga Swiatek.
Sa seule vraie fausse note ? Un passage trop furtif à son goût à Roland-Garros, marqué par une élimination précoce au 3e tour pour celle qui ne cachait pas ses ambitions avant de fouler la terre battue parisienne. Mais dans la continuité de deux années 2020 et 2021 très convaincantes, avec notamment une victoire – sa première sur le circuit WTA – à Birmingham l’année dernière, la Tunisienne n’a cessé de progresser, s’affirmant à chaque tournoi davantage comme une des joueuses les plus prometteuses du circuit, sans jamais se départir de son sourire désormais proverbial et de son objectif : intégrer le Top 5 mondial.
« Les plus belles pages du sport tunisien »
Avant la finale face à sa cadette polonaise, elle n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler à son auditoire que tous les plans qu’elle a échafaudés pour 2022 se sont, pour le moment, concrétisés : intégrer le Top 5 mondial, disputer une finale d’un tournoi du Grand Chelem, et remporter un tournoi. Elle a certes perdu le match le plus important depuis le début de sa carrière en 2010, mais elle est aujourd’hui redevenue numéro 2 mondiale – comme en juillet après sa finale à Wimbledon –, le meilleur classement jamais obtenu par une joueuse arabe et africaine.
Celle dont les matches étaient d’abord suivis par une poignée d’initiés dans un pays où le football reste le sport roi, a progressivement su convaincre une frange importante de ses compatriotes de s’intéresser à une discipline peu suivie en Afrique.
« Une fierté pour l’Afrique »
Comme elle s’en est félicitée à New York, la veille de sa finale, « les Tunisiens regardent aujourd’hui les matches de Ons ». Salma Mouelhi, qui a vu le nombre de licenciés augmenter de manière significative ces dernières années, voit en Ons Jabeur un symbole « non seulement pour la Tunisie, mais également pour l’Afrique et le monde arabe. Une femme sportive, jeune, moderne, avec une personnalité sympathique », résume-t-elle.
Nabil Maâloul, l’ancien sélectionneur de l’équipe tunisienne de football, désormais entraîneur de l’Espérance Tunis, ne cache pas son admiration pour sa compatriote : « Je pense que vous aurez du mal à trouver quelqu’un en Tunisie qui ne se soit pas intéressé à ses dernières performances. Ce qu’elle a réalisé cette année, en disputant deux finales des plus grands tournois, en en remportant d’autres, est extraordinaire. Elle est en train d’écrire une des plus belles pages du sport tunisien, mais aussi arabe et africain. Et elle va progresser et finir par gagner un tournoi du Grand Chelem. Oui, aujourd’hui, Ons Jabeur est au moins aussi populaire que les footballeurs, et même un peu plus ! »
En Afrique subsaharienne, les performances de la Tunisienne ont aussi trouvé un écho. Clémentine Touré, la sélectionneuse de l’équipe nationale féminine ivoirienne, a évidemment suivi de près l’US Open. « Pour le continent africain, c’est une vraie fierté, commente-t-elle. Peu importe la nationalité de celle qui obtient ces résultats. » En dépit des deux finales perdues, Ons Jabeur est bien une Africaine en or.
Par Alexis Billebault
Mis à jour le 13 septembre 2022 à 16:54https://www.jeuneafrique.com/1376661/societe/tunisie-tennis-ons-jabeur-une-africaine-en-or/
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