Je revois le Jardin d'essai La darse de l'Amirauté Les arcades du Palais d'été Et les places plantées de palmiers Et je pense au Clos-Salembier Aux rencontres que j'y faisais A ma jeunesse que j'ai laissée Sur les bancs de la rue Michelet."
J'avais fréquenté dans mon enfance le littoral du côté est puisque ma mère était née à cap Matifou mais mon père avait passé ses toutes jeunes années aux Bains romains. J'ai le souvenir de l'Amirauté que nous quittions pour filer vers la Madrague de Guyotville
Selon Historia magazine n° 210 (LA GUERRE D'ALGERIE) voici :"C'est au journal Algerrépublicain, dirigé par Pascal Pia qu'Albert Camus collabora à Alger. En juin 1939 Camus écrit une série d'articles sur la famine en Kabylie. Le ton, le fond, la forme, en font un modèle du genre. Leur publication demandera dix jours et fera sensation tant dans les milieux musulmans, où cette voix surprend, que dans ceux du Gouvernement général, que cette même voix offusque. Camus traînera "la casserole" de ce reportage jusqu'à son expulsion d'Alger, qu'on lui signifiera d'ailleurs qu'en termes voilés. On le trouve plutôt indésirable. Alger républicain était, avant guerre, un journal indépendant soutenu par les socialistes." Pour mes parents, Alger républicain était le pendant de l'Humanité à Paris.
L'amirauté d'Alger de Louis Benisti. Louis Benisti se lie d'amitié avec Jean de Maisonseul qui le présentera à Albert Camus. Louis Benisti deviendra l'ami intime d'Albert Camus qui confiera plus tard à Jean de Maisonseul : "Je passe ma vie à voir des gens que je méprise ou qui m'ennuient alors que
je sais que je ne rencontrerai jamais personne comme Benisti ".
Je me demande pourquoi Camus s'entendait avec Benisti dont la naïveté des dessins me désarme. Sa prose ? Ses sculptures ? Lorsque j'étais jeune, je crois que j'étais sévère dans mes jugements. Je suis à présent plus tolérant. Peut-être parce que j'ai passé un grand cap. Je sens bien que la vie est et sera très changeante au soir de ma vie. Je m'en inquiète. Un de mes professeurs nous disait autrefois :"Ce n'est pas dans le grand âge qu'on se pose les questions essentielles sur l'âge, -sur chaque âge de la vie". Je ne comprenais pas. Mon esprit courait ailleurs. J'étais tout entier au plaisir de connaître le monde. J'ai surtout vu les aéroports. Je voulais dépeindre Venise ou Prague, New-York et Miami, Hong-Kong ou Singapour. Que sais-je ? Ecrire et relater, cherchant ma voie et me cherchant une voix que les autres auraient reconnue. Hélas, on se raconte toujours, -c'est su,- quoi qu'on écrive.
C'est en contemplant ce tableau de l'amirauté d'Alger dont l'original est passé par l'esprit du peintre Louis Bénisti que j'essaie d'ordonner ces réflexions. Elles ne sauraient être fortuites. Une méditation sur l'âge, même superficielle, en entraîne inévitablement une sur le passé. Le passé ! Je retourne toujours vers le mien en contemplant Alger.
Albert Camus :
"L'été remplissait le port de clameurs et de soleil. Il était onze heures et demi. Le jour s'ouvrait par son milieu pour écraser les quais de tout son poids de chaleur. Devant les hangars de la Chambre de Commerce d'Alger, des "Schiaffino" à coque noire et cheminée rouge embarquaient des sacs de blé. Leur parfum de poussière fine se mêlait aux volumineuses odeurs de goudron qu'un soleil chaud faisait éclore."
Voici une photo et un tout petit texte de Martial Mélis-Granval :
"J'ai vécu dans ce quartier de l'Amirauté, Cathédrale, Place du Gouvernement, Opéra d'Alger et comme Camus et bien d'autres j'allais "Lézarder" sur les quais de L'Amirauté quelquefois entre midi et deux heures. Voici une photo de ma jeunesse sur les quais de l'Amirauté".
Ecoutons encore Albert Camus : A Alger, on ne dit pas "prendre un bain" mais "se taper un bain". N'insistons pas. On se baigne dans le port et l'on va se reposer sur des bouées. Quand on passe près d'une bouée où se trouve déjà une jolie fille, on crie aux camarades :" Je te dis que c'est une mouette." Ce sont là des joies saines. Il faut bien croire qu'elles constituent l'idéal de ces jeunes gens puisque la plupart continuent cette vie pendant l'hiver et, tous les jours à midi, se mettent nus au soleil pour un déjeuner frugal.
Et puis un jour ce fut la fin...
A jamais les côtes s'éloignèrent et nous partîmes chercher la Méditerranée ailleurs. Plus jamais nous ne trouvâmes une ville où l'on apercevaitla mer au tournant de chaque rue.
L'exilé, ce n'est pas celui qui part, puisque celui qui part va toujours découvrir un autre monde qu'il ne connaît pas et qui pourrait apporter un certain excitant à sa vie ; l'exilé, c'est celui qui reste.
Aline Stagliano sur la Plage Martin des Bains-Romains.
Le couple Marc - Aline sur la plage Martin aux Bains-Romains. Nous avons déjà rencontré Marc sur la photo de l'équipe de volley-ball des Deux-Moulins.
Camus :"Si le voyageur arrive en été, la première chose à faire est évidemment d'aller sur les plages qui entourent la ville. Il y verra les mêmes jeunes personnes, plus éclatantes parce que moins vêtues. Le soleil leur donne alors les yeux somnolents des grands animaux."
Les Bains-Romains chers à mon père. Il a quitté l'Algérie à 14 ans pour Nice où il a passé son adolescence et il est revenu à Alger pour faire son service militaire. Il a rencontré ma mère et n'est plus reparti. Il a dû subir à Nice les affres d'une famille recomposée et ne sait jamais, jamais entendu avec la marâtre.
Historia magazine. La guerre d'Algérie. N° 233. La Pointe Pescade cette plage proche d'Alger dont on prétendait qu'elle avait donné son surnom à Ali La Pointe... qui en avait fait le théâtre de ses exploits.
La Pointe Pescade et la plage Franco aujourd'hui. La Pointe Pescade s'appelle Raïs Hamidou, quant à la plage, voilà ce qu'il en reste.
"La nostalgie. La fiancée des bons souvenirs qu'on éclaire à la bougie." Grand Corps malade
Au tout début des années cinquante, mes parents nous amenaient ma sœur, mon frère et moi à la plage Franco en bus. Nous retirions au moment de partir nos maillots mouillés en nous cachant avec une serviette. Depuis les naturistes ont cherché à briser une forme de pudeur bien trop excessive. Camus encore :" (...) l'idéal de ces jeunes gens puisque la plupart continuent cette vie pendant l'hiver et, tous les jours à midi, se mettent nus au soleil pour un déjeuner frugal. Non qu'ils aient lu les prêches ennuyeux des naturistes, ces protestants de la chair (il y a une systématique du corps qui est aussi exaspérante que celle de l'esprit). Mais c'est qu'ils sont "bien au soleil". On ne mesurera assez haut l'importance de cette coutume pour notre époque.Pour la première fois depuis deux mille ans, le corps a été mis nu sur les plages."
« Les bons souvenirs sont des bijoux perdus. » Paul Valéry Et encore le grand Paul Valéry : " (...) La mer, la mer toujours recommencée O récompense après une pensée Qu'un long regard sur le calme des dieux".
Un plan que nous envoie Gérard Stagliano. Cliquer pour agrandir la photo et ainsi mieux lire les noms des différents endroits qui ont bercé notre jeunesse.
La vie se déroule devant nous comme un album de photos. Les multiples couleurs du temps font virevolter une valse de souvenirs intimes. (Marie-Claude Pietragalla)
Si la fin de la bataille de Stalingrad, le 2 février 1943, reste aujourd’hui le symbole le plus marquant du tournant de la Seconde Guerre mondiale, la guerre connaît en réalité le même mois des renversements moins spectaculaires, mais tout aussi parlants sur le front du Pacifique et en Afrique du Nord. Si des signes évidents de faiblesse étaient apparus dès 1942, c’est bien durant ces quelques semaines que la défaite des forces de l’Axe, encore longue à venir, devient une certitude.
Après l’invasion de la Pologne, en septembre 1939, par l’Allemagne nazie et l’URSS, et le printemps 1940 qui voit la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la France capituler en moins de deux mois face aux armées d’Hitler, les forces de l’Axe Rome-Berlin plongent l’Europe dans la sidération. Dans les mois qui suivent, la conquête des Balkans, commencée par l’Italie en septembre 1938 avec l’occupation de l’Albanie, semble tout aussi inexorable.
Hongrie, Roumanie et Slovaquie rejoignent les forces de l’Axe à l’automne. Profitant du chaos, l’URSS poursuit son avancée à l’Est de l’Europe par l’annexion des États baltes et de la Bessarabie, province orientale de la Roumanie. Les États-Unis gardent leurs distances et l’Angleterre, qui a dû rapatrier ses troupes en catastrophe depuis Dunkerque en juin 1940, semble seule capable encore de tenir tête aux nazis. À l’issue de trois mois de duels ininterrompus entre la Royal Air Force et la Luftwaffe, la bataille d’Angleterre met fin à la suprématie aérienne de l'Allemagne, ouvrant ainsi la voie à des bombardements massifs de son territoire.
Vers la « guerre totale »
L’année 1941 voit le conflit - jusque là circonscrit à l’Europe, ses possessions d’Afrique du Nord, de l’Est et du Proche-Orient - se changer en une guerre mondiale. Les victoires en Yougoslavie et en Grèce, avec l’alliance nouvelle de la Bulgarie et le ralliement d’un régime fantoche en Croatie, achèvent l’expansion continentale nazie. Il n’y a plus en Europe que quelques pays neutres, souvent complaisants avec les forces de l’Axe, comme l’Espagne et le Portugal. En juin, Hitler, soutenu par son nouvel allié finlandais, envahit l’URSS. Rien ne semble devoir l’arrêter.
Le 5 décembre 1941 cependant, alors que la température à Moscou est descendue à - 37 °C, Hitler doit arrêter l’offensive en URSS et les troupes de Staline reprennent l’initiative. Deux jours plus tard, l’attaque des Japonais à Pearl Harbor oblige les États-Unis à entrer dans le conflit. La guerre s’étend désormais aux colonies françaises d’Indochine et à l’océan Pacifique. Sa démesure va bientôt se retourner contre ceux qui l’ont déclenchée.
L’année 1942 voit le monde plonger dans la « guerre totale » qui sera officiellement proclamée par Hitler au début de l’année suivante. En janvier 1942, les nazis décident à Wannsee de la «solution finale» : la déportation et l’assassinat des populations juives deviennent une industrie génocidaire, en réalité mise en œuvre dès 1941. En février, la forteresse britannique de Singapour, réputée imprenable, tombe aux mains des Japonais. En mars, la Royal Air Force bombarde Paris pour la première fois.
Au printemps, les forces de l’Axe reprennent leur offensive en URSS et en Afrique du Nord. En juin, les Américains remportent la première grande victoire alliée à Midway, dans le Pacifique. À l’automne, les Britanniques stoppent l’avancée des troupes de l’Axe en Égypte après la première bataille d’El-Alamein. En novembre, les Alliés débarquent en Algérie. La zone libre est occupée par les Allemands et la flotte française se saborde à Toulon. Si la toute puissance des forces de l’Axe commence à se fissurer, leur pouvoir en Europe semble se consolider.
De Stalingrad à Guadalcanal et Kasserine : le commencement de la fin
Le 2 février 1943, cependant, après six mois de combat et malgré l’ordre d’Hitler de combattre jusqu’à la mort, le Feldmarschall Von Paulus et son état-major sont capturés et donnent l’ordre de capituler aux troupes allemandes, à Stalingrad, en URSS. Les pertes totales, en incluant les civils, les blessés et les prisonniers des deux camps, s’élèvent à deux millions de personnes. L’obstination du Führer commence à créer des dissensions dans la haute hiérarchie allemande. Hongrois, Finlandais et Roumains, ainsi que de hauts dignitaires fascistes italiens, commencent à envisager leur sortie de la guerre. Les nazis perdent, en outre, tout espoir d’accès au pétrole du Caucase.
En août 1942, les Américains ont débarqué sur l’île de Guadalcanal, dans l'océan Pacifique. Durant six mois, l’île fait l’objet de combats aériens pratiquement quotidiens, auxquels s’ajoutent trois grandes batailles terrestres et sept navales. Le 7 février, les Japonais se retirent de ce qui avait symbolisé le point culminant de leur avancée dans le Pacifique en mai 1942. Si les pertes sont sans comparaison avec les combats livrés en Union Soviétique, cette longue campagne marque la fin des opérations défensives des Alliés et le début de la reconquête.
En octobre-novembre 1942, la seconde bataille d’El-Alamein s’est soldée par une victoire de la 8e Armée britannique sur l’Afrika Korps d’Erwin Rommel désormais sur la défensive. « Ce n'est pas la fin, s’écrie alors le premier ministre Winston Churchill. Ce n'est même pas le commencement de la fin. Mais, c'est peut-être la fin du commencement.» Le 19 février 1943, Rommel lance en Tunisie sa dernière offensive. La bataille de Kasserine révèle l’impréparation de l’armée américaine, mais aussi sa capacité à renouveler hommes et matériels malgré de lourdes pertes. Les Allemands s'avèrent incapables de reprendre longtemps l’avantage et, le mois suivant, Rommel part pour Berlin, convaincu que la guerre en Afrique du Nord est déjà perdue. Il est relevé de ses fonctions.
La guerre dure encore deux ans et demi, avant la capitulation du Japon le 2 septembre 1945. L’Allemagne nazie reprendra encore quelquefois l’initiative, comme pendant la bataille de Koursk à l’été 1943 et jusqu’à l’hiver 1944 dans les Ardennes. Elle mettra au point des armes extrêmement novatrices, comme les missiles V1 et V2, et mènera des recherches sur l'arme atomique. Cependant, malgré la violence et la démesure des combats qui vont se dérouler, et bien qu'une majeure partie des victimes de la Shoah, des bombardements et des massacres de civils soient encore à venir, dès le mois de février 1943, les acteurs et les témoins les plus lucides de la guerre en devinent déjà l’inéluctable issue.
Casbah des dockers des pères de famille des chômeurs des frères et des sœurs qui déversent des larmes d’amertume des honnêtes hommes et des imams
Casbah des prostituées des souteneurs et des proxénètes Casbah blanche des touristes en mal de romantisme
N’oublie pas que je suis un des tiens et aujourd’hui loin de toi je revois mon visage sale mes vêtements déchirés mes pieds nus mes amis qu’on appelait les yaouleds les cireurs et les voyous ma jeunesse et l’école où je n’allais qu’au début de l’année
Casbah des disparus des hommes qu’on arrête à l’aurore des frères qu’on recherche pour acte d’héroïsme et qu’on veut abattre
Casbah des paras des cordes des camions et des 120 V. des enfants qu’on torture des hommes qu’on fusille au coin de la rue
Casbah des politiciens et des politiques des bleus des hommes de mains et des gardes de corps Casbah blanche des ahuris et des béni-oui-oui
Casbah de Serkadji d’Ali la Pointe de Didouche et des héros sans nom Casbah de Bab el Djedid de Bab el Oued et de Bab Azoun
N’oublie pas que je suis un des tiens et aujourd’hui loin de toi je revois mes vingt ans les terrasses pleines de soleil
les réunions clandestines les enfants qui s’amusent près des frères qui meurent les papiers qui circulent de main en main le printemps qui surprend la Certitude les cheveux et les yeux noirs de nos femmes qui ont perdu le sourire les tracts les larmes qui défient le soleil
Je revois les frères qui manifestent et qui brandissent des pancartes Serkadji avec ses cours ses cellules ses couloirs ses gardiens – l’appel – son escalier interminable
Serkadji de 1956 avec mes frères ma maladie et ma jeunesse
Casbah n’oublie pas que je suis un des tiens
.
Ville incomparable, jolie comme une perle,
Splendide à souhait, au bord de la mer
Les mouettes au port, les bateaux ancrés
Les iles reliées, le mole qui les suit
Vision d'une coupole, la Casbah colline
Maison séculaires, cèdres renforcés
Habitat mystère, les murs patinés
terrasses gouailleuses, ruelles clairières
Céramiques claires, colonnes torsadées
Marbre le parterre, patios ombragés
Alger El Djazair, comptoirs phéniciens
Hercule y vécut, Mezghenna aima
L'andalou maçon traça le schéma
Le soleil selon, un gite à la lune
Un peuple pour époux, épouse dulcinée
Casbah solitaire, joyau de mon coeur
Casbah de mémoire, aux histoires citées
Le voile qui te sied, ne peut plus cacher
Les rides séniles, rongeant toute ta peau
A chaque jour nouveau l'agonie te guette
Et toi toute muette, dans les yeux ta vie
Gaieté des enfants, l'oeuvre des mamans
Dans ce monde nouveau, tu es matriarche
Je sais ce que racontent, les tournants des rues
Les pavés qui chantent, les pas des partants
Du sang sur les murs, linceuls dans les tombes
Je me dois de dire à ceux qui ne sont plus
Qu'ils sont avec nous et Toi avec eux
Nous sommes leur Casbah et toi notre aieule !
Momo, 28-03-1978, Casbah
CASBAH LUMIÈRE...
Comme un cygne paré de sa blancheur laiteuse,
La Casbah s'apprête à recevoir le soleil arqué à l'horizon.
Paraissant immobile, le soleil avance, et la Casbah en révérence ailée, le salue.
Et toi, baie d'el Djazaïr,
comme une vierge de Botticelli qui attend tout de l'amour
tu drapes ta nudité en baissant pudiquement les paupières.
C'est la grâce de son sillage qui rend le cygne attirant,
C'est la rondeur de la terre qui rend le soleil heureux,
C'est aussi le sourire des étoiles qui rend les terrasses joyeuses.
Si je m'avisais à décrire ton état actuel, mienne Casbah,
je me détruirais tout en te détruisant.
Ne dit-on pas que lorsque le cygne sent l'approche de son départ,
il annonce sa mort en offrant son chant à tous les alentours.
Si le chant du cygne est le chant du grand départ,
pour toi mon chant est comme une ode.
Tu me fais écrire des mots dont tu composes la musique.
Tu me fais dire des paroles décrites par ton climat.
Tant que je t'adule je ne peux t'abhorrer,
et tant que tu es là je ne peux t'oublier
Quant à ceux qui m'invitent à écrire sur la Casbah...
Ô mon Dieu, comme la Casbah est très demandée ces jours-ci.
Je leur dirai que la Casbah est encore celle
que le regard de mon enfance a coincé dans une impasse.
Dans cette impasse il n'y a qu'elle et moi
Elle, encore vierge malgré son âge sans âge.
Moi pas jeune du tout
quoique dans mes yeux pétille un accent de vie de jouvence,
que seul je sens lorsque près d'elle je suis.
Je me rappelle cette nuit là !
C'était une nuit sans lune, sans éclairage.
Un nuit où les marches d'escaliers vous guettent
pour vous surprendre et vous faire glisser, le long de la ruelle,
pour vous la faire haïr davantage.
....
Se retrouver dans la nuit et le noir de la nuit
avec un corps pour flambeau
un coeur pour lumière
une âme pour servir
C'est retrouver la Casbah dans toute sa juvénilité millénaire.
C'est retrouver des ruelles qui vous guident jusqu'aux sources de la vie.
C'est retrouver des murs qui vous racontent les récits collés à leur patine.
C'est retrouver les terrasses qui vous confient les échos
des voix de nos parents confondues dans les nues.
C'est retrouver les confidences de la mer qui vous réconforte
avec la pureté qu'elle sait circonscrire dans ses moments de bon accueil.
C'est se retrouver soi-même en train d'apprendre à respirer la respiration,
comme on respirerait une rose qui vous serait offerte par surprise.
...
Sous le dôme de ma Casbah, j'ai retrouvé les restes de l'école musicale
arabo-andalouse, avec un je ne sais quoi de parfum de cédrat d'antan.
Et la musique comme un plain-chant serein réveille à la vie ce coeur souverain.
En respirant les noubas arabo-andalouse,
je lisais la démarche sonore comme le rebond d'une balle
qui ne s'arrête pas de bondir et rebondir,
en décrivant des arcs autour de la terre.
Voyez-ça d'ici ou plutôt voyez-ça avec votre ouïe.
Des arcs qui se croisent et s'entrecroisent.
Des arcs qui ne finissent plus d'imiter le dôme.
Des arcs par où coule la musique comme on ferait couler de l'or fondu.
Des arcs en or fondu pour obtenir un arc musical
par où passerait le cortège d'amour de musique vêtue..
Rendre grâce à la terre pour être mieux aimé par elle,
c'est ce que le musique arabo-andalouse fait en flânant sereinement autour.
La modale de la musique arabo-andalouse ne se multiplie pas
pour architecturer une superposition de vibrations sonores
qui veulent défoncer le ciel.
Elle est un acte d'amour qui répond aux besoin de la terre.
Je me sentais une intimité foisonnante qui se collait à la peau de la terre.
Je voyais tomber des gouttes d'étoiles comme des flocons de neige
et la terre en était imbibée.
Le dôme recevait cette offrande comme un don de la vie à la vie.
Comme une vision peinte par Salvador Dali, le dôme fondait en tous les tons.
Toute une ribambelle de demi-tons se joignaient à la noce.
Toute une myriade de corpuscules se bousculaient autour du quart de ton.
...
Voir une ligne droite qui ondule et épouse les formes du corps humain jusqu'à l'ubiquité,
c'est voir un rai de lumière qui paraphe son parcours.
Une clé de sol qui s'agite et se démène pour bâtir sa maison.
Une gamme de serrures qui attendent l'avènement de leurs vies.
Une profusion de signes où se reconnaît l'appel de la terre entière.
Chaque montagne, chaque vallée, chaque champs, chaque prairie, chaque mer, chaque océan
chaque vie s'animait en s'identifiant à travers la profusion de signes.
L'image de ma Casbah avait toute la terre pour espace.
Le monde musical que je respirais n'avait d'autre droit
que celui d'ouvrir les voix à la clarté de la parole,
pour que le jour ouvre à la nuit l'entrée du secret des lumières.
Ma Casbah et moi sommes à l'aise dans notre placenta planétaire.
Voici que la musique s'empare de ma plume et me demande
de prêter ma perception à tout ce qui m'entoure.
Je dresse mon coeur.
Assidûment , je dresse mon coeur et j'entends
une polyphonie assourdissante, comme étouffée,
elle me parvient des façades des maisons.
Ces façades qui semblent remercier leurs bâtisseurs.
Ces façades qui ne finissent pas d'être des façades
et comme façades on ne trouverait pas mieux.
Ces façades qui se révèrent et se prosternent toutes en même temps.
Avez-vous jamais vu une cité qui se prosterne ?
Venez à ma Casbah, vous les verrez comme elles acceptent
cette attitude à la fois humble et altière.
Chacune d'elle est un serment témoin.
Chaque maison de distingue par sa génuflexion spéciale.
Chaque terrasse se singularise pour épater sa voisine.
Chaque patio sert de place publique aux muses heureuses de danser la musique
Chaque arceau sur sa colonne chante la modale du marbre enivré par sa torsade.
Chaque ruelle est une corde de luth et quand la corde vibre,
l'âme de toute la médina frissonne au son de cet accent envoûtant.
Chaque fontaine est une oasis d'attraction,
et la bousculade des enfants vaut tout un spectacle.
Une cité qui se prosterne face à la mort, face à la vie
ne peut être une cité comme les autres.
Un médina pareille a quelque chose en plus et cette chose là:
C'est l'amour avec lequel l'endroit a été choisi.
C'est l'amour avec lequel le maçon l'a construite.
C'est l'amour avec lequel l'histoire l'a glorifiée.
C'est l'amour avec lequel moi-même,
pris dans les mailles de son filet,
je me complais à y rester
pour continuer à respirer et à attendre
celui qui,
par cette nuit noire,
vint me rendre visite pour me marquer au front.
HIMOUD BRAHIMI
àà
Casbah Lumière est l'un de ces livres que l'on ne rencontre pas tout à fait par hasard. De ces livres rares qui ont l'air de choisir eux-mêmes leurs lecteurs. Rare, parce qu'il y a là, sous forme poétique et littéraire, une parole. Une voix inspirée, capable de retransmettre tout un héritage - la magie de cette Casbah millénaire aujourd'hui menacée de disparition - et d'ouvrir un chemin de connaissance.
Himoud Brahimi, «Momo de la Casbah» pour les gens d'Alger : celui qui dit la vérité. Mais la vérité dérange et l'on préfère le prendre pour un fou. Métaphysicien, poète, comédien... La foule l'a marginalisé comme une sorte de derviche. Momo, libre et serein, un être d'exception dans l'Algérie d'aujourd'hui, jamais publié depuis l'Indépendance, pourrait être le symbole de la rencontre réussie des cultures de la Méditerranée.
Dans la nuit du 22 au 23 septembre 1997, la ville de Bentalha, au sud d’Alger, a connu un massacre qui a coûté la vie à des centaines de personnes. Aujourd’hui, malgré le chômage, la commune s’est métamorphosée en dynamique banlieue.
En cette journée chaude de septembre, le centre de soutien psychologique de Bentalha, à 15 kilomètres au sud d’Alger, déborde de vie. Comme dans une crèche, des éducatrices accompagnent les enfants à la cantine pendant que d’autres répondent aux sollicitations des parents.
En raison de la chaleur écrasante, les terrains de sport et les installations de loisirs à l’intérieur de ce petit domaine restent déserts en attendant que le temps se rafraîchisse en fin de journée. Les effluves des repas préparés dans les cuisines aiguisent les appétits des petits comme des grands.
Pendant que tout le monde s’affaire, Azedine Boutrik veille sur le bon fonctionnement de l’établissement que gère la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (FOREM).
Le jeune trentenaire, brun et longiligne, est coordinateur de cet espace jadis dédié à des enfants traumatisés par la guerre entre l’armée au pouvoir et des groupes islamistes armés au milieu des années 1990, la tristement célèbre décennie noire.
Il nous reçoit sans protocole, dans l’immense bibliothèque située à l’étage du bâtiment principal. Autour, des étagères remplies de livres et des tables entourées de chaises. Sur certains murs de la salle de lecture, autour de canapés posés pour recevoir des invités, sont collés des dessins qui rappellent le passé tragique de la ville.
« Ce sont des croquis d’enfants victimes de terrorisme. Nous avons gardé les dessins des premiers jours de leur arrivée dans le centre et ceux des semaines suivantes : l’évolution est nette », explique Azedine à Middle East Eye. Il nous montre deux dessins d’un même enfant ; dans le premier, il a dessiné des scènes d’horreurs, dans le second, la scène a changé : On voit une maison fleurie devant laquelle des enfants jouent tranquillement. Il nous renvoie 25 ans en arrière.
« Des scènes d’horreur »
Dans la nuit de 22 au 23 septembre 1997, des dizaines d’islamistes armés font irruption dans plusieurs quartiers de la petite localité de Bentalha.
Parmi les maisons plongées dans l’obscurité, seuls les cris des victimes et les sifflements des balles brisent le silence de cette nuit maudite. Au petit matin, une fois le calme revenu, les habitants, tout comme les journalistes alertés à l’aube, découvrent l’horreur : de 200 à 400 morts selon les bilans, des deux sexes, de tous âges.
« Nous avons fait le tour de toutes les maisons touchées. C’étaient des scènes d’horreur. Mais à ce jour, je ne sais toujours pas ce qu’il s’est passé cette nuit-là », témoigne à MEE Hocine Yacef, 80 ans.
Selon les médias et les repentis (combattants islamistes qui se sont rendus), les massacres comme celui de Bentalha répondaient à une logique de vengeance du Groupe islamique armé (GIA), qui reprochait aux Algériens – en particulier dans ce quartier où vivaient des membres du Front islamique du salut (FIS), formation politique concurrente – de ne pas avoir voulu rejoindre le camp qui cherchait à instaurer un État islamique.
« Certains ont réussi leur vie. C’est le cas d’un informaticien qui est bien installé et qui vient nous donner un coup de main de temps à autre »
- Azedine Boutrik, directeur du centre de soutien psychologique de Bentalha
Cet ancien professeur d’histoire à la retraite habite le quartier Hai-Djilali, qu’il avait rejoint six ans avant le drame. De la terrasse de son imposante maison encore inachevée, construite dans sa propriété située au coin d’une rue, avec sa famille, ils ont entendu les cris et les coups de feu.
Puis, une fois les funérailles terminées, la vie a repris son cours.
Pour faire face au traumatisme de dizaines d’enfants qui ont quasiment tout perdu, la FOREM a installé un centre d’aide psychologique juste après la tuerie. Des dizaines d’enfants orphelins y ont été accueillis. Aujourd’hui guéris, ils ont tous quitté le centre.
« Certains ont réussi leur vie. C’est le cas d’un informaticien qui est bien installé et qui vient nous donner un coup de main de temps à autre », confie fièrement Azedine Boutrik.
Vingt-cinq ans après les faits, le centre de la FOREM a changé de vocation. Il accueille désormais 220 orphelins de toute la région, pris en charge grâce à des donateurs qui font office de parrains en prenant en charge un ou plusieurs enfants.
À l’image du centre d’assistance psychologique, tout Bentalha – qui compte plus de 25 000 habitants – a changé. En dehors des impacts de balles qui demeurent encore visibles sur une maison ou des cicatrices physiques ou psychologiques, il ne reste plus rien de cette nuit d’horreur.
VIDÉO : Le jour où l’Algérie bloqua la prise de pouvoir des islamistes
Les routes et venelles du village construit sur les terres agricoles de la Mitidja (plaine autour d’Alger) sont toutes goudronnées. Des espaces verts donnent un aspect luxuriant à certains endroits malgré la sécheresse qui sévit en cette fin d’été.
À proximité du quartier de Boudoumi, l’un des plus touchés par le drame, est construite une cité constituée de 700 logements sociaux, édifiés notamment pour faire face à la pression démographique liée à l’arrivée de nouveaux habitants au début des années 2000. On y trouve une école, des administrations, un bureau de poste et des commerces de proximité.
À l’autre extrémité du village, au nord, les autorités ont construit un ensemble de terrains sportifs de proximité. À l’ouest, un énorme projet de complexe sportif comprenant un stade, une piscine et un hôtel est en construction. Il s’ajoute au Centre de préparation des équipes nationales de football bâti dans la commune voisine de Sidi Moussa.
« Le chômage, le plus grand problème »
Au milieu des immeubles carrés, sans relief, des jeunes se retrouvent en petits groupes. Comme dans de nombreux quartiers populaires, les jeunes de Bentalha, nés majoritairement après 1997, sont au chômage.
« Nous n’avons pas de travail. Ici, il n’y a rien. Les responsables nous rendent visite, repartent, et nous, nous restons ici à compter les heures »
- Un jeune de Bentalha
« Nous n’avons pas de travail. Ici, il n’y a rien. Les responsables nous rendent visite, repartent, et nous, nous restons ici à compter les heures », témoigne un jeune homme qui, par méfiance, refuse de donner son identité. Il retourne discuter avec ses amis.
« Ici, le plus grand problème est le chômage », abonde Hocine Yacef.
À l’image de nombreux résidents de Bentalha, Mohamed Ait-Youcef, qui a loué récemment une petite maison dans le quartier, est au chômage. Il espère que la construction du complexe sportif ou encore l’aménagement de l’oued el-Harrach, le fleuve situé en bordure de la commune, pourront offrir quelques débouchés. Sans plus.
Un responsable de la commune confie à MEE que le taux de chômage y dépasse les 35 %, notamment parmi les jeunes.
En attendant l’implantation de nouvelles entreprises pour absorber le chômage, les autorités tentent d’améliorer le cadre de vie des habitants. Elles ont organisé, en 2018, une campagne de reboisement. Des milliers d’arbres ont été plantés, donnant une vue pittoresque à cette localité dont les champs agricoles, jadis fertiles, sont désormais couverts de béton : des dizaines d’immeubles flambant neufs sont prêts à accueillir des milliers de nouveaux habitants. Une manière de donner un nouvel aspect à cette localité.
En diffusant des images violentes des années 1990, la télévision d'État scandalise les Algériens
Erreur de communication ou volonté politique de « terroriser » la population ? Médias, politiques et société civile s’interrogent sur les raisons qui ont poussé la télévision publique à diffuser des images particulièrement violentes de la décennie noire
Des Algériennes en larmes après un massacre perpétré le 6 janvier 1997 à Douaouda, l'ouest d'Alger, au cours duquel dix-huit personnes ont été tuées (AFP)
« Terrifiantes, insoutenables, traumatisantes ». Le quotidien francophone El Watan a utilisé ce dimanche des adjectifs très forts pour qualifier les images diffusées par la télévision officielle. Et il n’est pas le seul.
À l’occasion du douzième anniversaire de la Charte pour la réconciliation nationale, la télévision publique a diffusé un documentaire, intitulé « Pour ne pas oublier », montrant des images très dures « d’enfants déchiquetés, de cadavres brûlés et de têtes coupées », recense le quotidien en parlant de « propagande de l’horreur ».
Adoptée par référendum le 29 septembre 2005, cette Charte voulait – après dix ans de guerre civile pour laquelle les ONG ont dressé un bilan de 200 000 morts – couronner un processus de réconciliation à travers différentes mesures : l’élargissement des extinctions de poursuites judiciaires contre les islamistes armés et la prise en charge de leurs proches en échange de leur reddition ; l’indemnisation des familles de disparus ; et l’immunité judiciaire des agents de l’État impliqués dans la lutte antiterroriste et soupçonnés par les ONG de violations des droits de l’homme (torture, disparition forcée et exécution extrajudiciaire).
« Cela est d’autant plus choquant que la démarche est ‘’vendue’’ comme une opération de propagande au service d’un seul et unique homme : le chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika », s’indigne El Watan.
Alors que le quotidien arabophone Echorrouk regrette l’absence d’avertissement pour les plus jeunes, un autre journal, Liberté, s’interroge sur cette diffusion « dans la foulée de la sortie d’Ouyahia [le Premier ministre] devant les parlementaires où il a dépeint une situation chaotique du pays », et dénonce « un chantage à la terreur ».
Certains politiques de l’opposition y voient aussi une manœuvre politique. « Sans aucun avertissement, le régime, dans sa panique, veut terroriser par l’image, pour faire accepter ses mesures impopulaires et donner une virginité à un pouvoir qui a mené le pays à la faillite », peut-on lire sur la page Facebook d’Atmane Mazouz, député du Rassemblement pour la culture et démocratie (RCD, opposition).
Le Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamistes) contextualise ce « recours à l’exploitation des images de la tragédie nationale pour nous le [Abdelaziz Bouteflika] présenter comme le sauveur de la nation », en l’absence de « réalisations concrètes sur le plan économique, politique et social ».
Pour le site TSA, qui parle de « terrorisme audiovisuel », le documentaire, « tellement mal fait », non seulement ne sert pas le président, mais « met à nu la barbarie des terroristes qui ont été pardonnés, sans aucun procès, par le texte de réconciliation nationale, mis en branle de manière collective et sans débat à partir de 2005. »
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Par
MEE
Published date: Dimanche 1 octobre 2017 - 17:01 | Last update:5 years 1 day ago
Nadia Kaci : « Pour les Algériens, les années 1990, c'est dans les tripes »
Le 26 avril sort « À mon âge, je me cache encore pour fumer », premier film de Rayhana. Du tournage, des femmes, de l'Algérie : Nadia Kaci, une des comédiennes, s'est confiée à MEE
« À mon âge, je me cache pour fumer », le premier film de Rayhana, est un huis clos nerveux dans un hammam algérien pendant la décennie noire (Films du losange)
Dans l’humidité et l’intimité du hammam se dénudent les corps et les cœurs. On y prend soin de son corps pour oublier les bleus que portent l’âme, tatouages infamants.
Avec « À mon âge, je me cache encore pour fumer », qui sortira en salles en France le 26 avril, la caméra de Rayhana, metteur en scène et comédienne franco-algérienne, signe un premier long métrage percutant, sachant capter ces moments de mises à nu, des tensions que portent les premières victimes de la société patriarcale et machiste.
Rayhana s’est entourée presque exclusivement de femmes. La productrice, Michèle Ray-Gavras, qui pousse Rayhana à adapter sa pièce et à réaliser le film, est la femme de Costa, celui qui a filmé la Grèce, Salonique exactement, à Alger, pour « Z ! » en 1969.
On y retrouve aussi les comédiennes palestinienne Hiam Abbas, française Fadila Belkebla ou encore les Algériennes Biyouna et Nadia Kaci. Cette dernière raconte à Middle East Eye les secrets de tournage du film, tourné pour les extérieurs à Alger et pour les scènes du hammam, à Salonique en Grèce, dans un des plus vieux hammams turcs (transformé en musée d’ailleurs et datant de 1444).
Middle East Eye : Comment vous êtes-vous retrouvée à jouer dans ce film ? Qu’est-ce qui a motivé votre choix ?
Nadia Kaci : Il y une quinzaine d’années, Rayhana m’avait proposé de jouer dans la pièce du même nom, mais, à mon grand regret, je ne pouvais pas car j’étais engagée sur d’autres projets. Mais j’avais adoré le texte. Lorsqu’elle est revenue vers moi avec son projet de film, j’étais ravie, pour plusieurs raisons. Je trouvais que la réécriture scénaristique était très réussie.
La décennie noire y est abordée pour la première fois au cinéma sous un angle exclusivement féminin. Le hammam, où les femmes viennent se laver, se livrer, yanahiw diqt el khater [retirer l’oppression de l’être], comme on dit en Algérie dans une expression que j'aime beaucoup. Et cela, dans un des rares espaces qui leur est dédié. Plus d’hommes pour les juger ! Du coup, la parole est libérée, vivante et drôle ! Avec beaucoup moins de tabous. Elles parlent d’elles, de leurs intimités, de leurs inquiétudes avec beaucoup d’humour et de dérision.
Par ailleurs, j'ai aimé le rôle de Keltoum, cette femme mariée depuis dix ans avec un homme dont elle reste très amoureuse. Et elle dit tout haut son désir pour cet homme, sans tabou, avec beaucoup de naturel, comme une sorte d’hymne à la vie.
Enfin, j’ai toujours été révoltée par la condition douloureusement inégalitaire des femmes en Algérie, par leur position de souffre-douleur et par les violences qu'elles subissent ! Même si beaucoup continuent à se battre, il y a une grande régression. J’avais appris aussi que toutes les comédiennes vivant en Algérie, à qui Rayhana avait proposé des rôles, avaient refusé, le plus souvent parce qu’elles avaient peur d’éventuelles représailles. M’inscrire dans ce projet me paraissait vraiment important.
MEE : Comment se passe un tournage avec une équipe presque exclusivement féminine ?
NC : Ce tournage m’aurait paru compliqué avec des techniciens hommes. Le hammam est un lieu où la nudité ou la semi-nudité est une chose qui va de soi dans notre société en l'absence d’hommes. Mais je pense que même les actrices et les figurantes grecques étaient plus à l’aise sans le regard d’hommes sur le plateau. On n’y pensait pas. C’était simple.
Le fait de participer à un film que nous portons ensemble, qui ne va pas seulement distraire mais aussi faire réfléchir, qui va faire du bien, a probablement créé une forte complicité. Et cela, au-delà des affinités qui peuvent se créer habituellement en fonction des personnalités des unes et des autres.
Aussi, nous parlions beaucoup de la situation politique avec l’équipe grecque, car nous avons tourné à l’époque du référendum [pour que les Grecs s'expriment en faveur ou contre les mesures d'austérité proposées par les instances financières internationales]. Et c’était passionnant.
MEE : Comment ce film a été reçu par le public ?
NC : Jusqu’ici, les avant-premières ont été très émouvantes. Le film a été vu pour la première fois à Tunis. Il a été ovationné. Au festival Premiers plans à Angers, le film a eu droit à une standing ovation d’une dizaine de minutes. On ne s’y attendait absolument pas. Je n’avais pas vécu cela depuis fort longtemps. Même chose au Festival de femmes de Créteil et à celui de Thessalonique, où il a obtenu le prix du public. Nous sommes toujours surprises et émues. Nous avons fait certains festivals toutes ensemble et c’était super de se retrouver ailleurs et autrement que pour le travail.
MEE : Est-ce que le cinéma algérien est « condamné » à toujours revenir sur les années 1990 ?
NC : Quand une société a été traumatisée comme l’a été la nôtre, on y revient de façon instinctive. C’est dans les tripes. On a besoin d’en parler, de revenir là-dessus. La politique de « réconciliation » mise en place par l'État a été très mal gérée et c’est une blessure supplémentaire qu’on inflige aux victimes. Les Algériens n’en sont pas sortis indemnes et ne sont pas guéris de leurs blessures.
Par
Adlène Meddi
Published date: Lundi 24 avril 2017 - 22:15 | Last update:3 years 3 months ago
Du 16 au 18 septembre 1982, entre 800 et 3 500 réfugiés palestiniens sont massacrés dans les camps de Sabra et Chatila, à Beyrouth, par des milices chrétiennes libanaises, avec la complicité de l’armée israélienne. Quarante ans après, des rescapés racontent l’horreur qu’ils ont vécue.
Les images qui commencent à circuler dès le 18 septembre 1982 provoquent une grande émotion dans le monde (AFP)
« Ils ont tué mes gendres… l’un par balle, l’autre à l’arme blanche ! » Le cri de détresse teinté d’effroi retentit encore dans les oreilles de Zouhour Accaoui, 40 ans après.
« Quand cette femme a surgi dans la rue en hurlant, personne ne l’a crue », se souvient cette rescapée du massacre de Sabra et Chatila. « Nous entendions de sourdes explosions et des coups de feu sporadiques mais nous étions loin de penser qu’un carnage méthodique se déroulait, froidement, quelques ruelles plus loin. »
Aujourd’hui assistante sociale pour l’ONG Beit atfal al-Soumoud (la maison des enfants de la résistance), elle garde gravée dans la mémoire chaque minute des 40 heures d’enfer qu’elle a vécues avec la population de réfugiés palestiniens du quartier de Sabra et du camp de Chatila, dans le Sud de Beyrouth.
VIDÉO : Il y a 40 ans, les massacres, toujours impunis, de Sabra et Chatila
Dans la nuit du 16 au 17 septembre 1982, les tueurs se livrent à leur sordide besogne à la lueur des fusées éclairantes tirées par l’armée israélienne postée aux entrées des camps.
Le 18 à l’aube, une voix appelle en arabe par haut-parleur les habitants du quartier situé à la lisière de Sabra à se rassembler dans la rue.
« Ils sont entrés dans l’hôpital Gaza et ont poussé tout le monde dehors, y compris les membres du corps soignant, les blessés et les malades », raconte à Middle East Eye Zouhour Accaoui.
« Des hommes armés en uniforme vert olive avec l’insigne MP [Military Police] cousu à l’épaule et parlant arabe avec l’accent libanais étaient déployés en double haie. Nous étions plusieurs centaines de personnes. Après avoir séparé les hommes des femmes et des enfants, ils nous ont sommés de marcher vers le sud, en direction de la rue principale de Chatila. »
Des images insoutenables qui ont fait le tour du monde
Effrayée mais silencieuse, la foule est confrontée à l’horreur au bout de quelques dizaines de mètres. Des cadavres entassés les uns sur les autres, des corps désarticulés, des lambeaux de chair éparpillés, des femmes éventrées, des enfants la tête écrasée. La rue de Chatila n’est plus qu’un immense charnier pestilentiel.
« Ils invitaient les habitants à sortir de chez eux en leur promettant qu’aucun mal ne leur serait fait. Dans la rue, ils étaient massacrés à coups de hache ou de baïonnette », raconte à MEE Amina*, qui avait 10 ans à l’époque des faits. Elle a été sauvée par son père qui l’a cachée dans l’arrière-cour de leur maison, avant d’être abattu.
« La tuerie s’est déroulée presque en silence, c’est pour cela que les survivants avaient du mal à convaincre les habitants des autres quartiers à l’intérieur et à l’extérieur des camps de l’horreur qui se déroulait quelques rues plus loin. »
« Ceux qui ont commis ce carnage ne pouvaient être des humains, ils ont tué tout ce qui respirait, y compris les animaux », affirme Zouhour Accaoui. « Ils savaient parfaitement qu’il n’y avait plus aucun combattant dans les camps après l’évacuation du dernier contingent de fedayin, le 25 août. »
Après l’invasion israélienne du Liban le 6 juin 1982 et le blocus de Beyrouth, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) avait accepté d’évacuer de la capitale libanaise ses 15 000 combattants par voie navale. Les fedayin ont été dispersés dans les différents pays arabes et l’OLP a établi son siège à Tunis.
Les hommes emmenés vers une destination inconnue
Abou Mohammad se décrit comme un miraculé. Caché dans son échoppe dans la rue principale de Chatila, il était séparé des tueurs par un simple rideau de fer. « Pendant trois jours, j’ai été témoin de ce qu’aucun homme ne peut supporter », se souvient-il.
« Les supplications d’une femme qui se transforment en gargouillis après un coup de couteau dans la gorge, le bruit d’un crâne fracassé à coups de marteau, un coup de feu sec tiré à bout portant… J’ai tout entendu ! »
À plusieurs reprises, les tueurs sont tentés de défoncer le rideau de fer pour se servir dans l’épicerie. Ils ne passeront jamais à l’acte. Abou Mohammad reste recroquevillé pendant trois jours, affamé et assoiffé.
« Ils invitaient les habitants à sortir de chez eux en leur promettant qu’aucun mal ne leur serait fait. Dans la rue, ils étaient massacrés à coups de hache ou de baïonnette »
- Amina, rescapée
« Il me suffisait de tendre la main vers une étagère pour prendre une boîte de conserve ou une boisson. J’étais tellement terrorisé que je n’osais pas faire un geste », confie-t-il.
Chaque récit recueilli à Sabra et Chatila confirme et complète le précédent. La propension à aller dans les détails montre à quel point cet événement reste vivant dans l’esprit des habitants 40 ans après.
Chahira Abou Roudeina a perdu sept membres de sa famille dans le carnage, dont son père, son mari et des cousins. « Des hommes ont été conduits à la Cité sportive [située dans l’Ouest de Chatila] et d’autres ont été embarqués comme des moutons dans des camions et emmenés vers une destination inconnue. Beaucoup, séparés de leurs familles, n’ont jamais été revus », raconte-t-elle à MEE.
Lorsque les récits épouvantables commencent à s’ébruiter, les premiers journalistes, dont des Européens, parviennent à pénétrer à Chatila. Les tueurs sont contraints d’interrompre le massacre mais ils n’ont pas le temps d’effacer les traces de leur crime.
Jean-Marie Bourget et Marc Simon, sur place dès le 17 septembre, témoigneront de la barbarie qu’ils découvrent dans un ouvrage intitulé Sabra et Chatila, au cœur d’un massacre, publié en 2012, 30 ans après les faits.
Mais les images qui commencent à circuler dès le 18 septembre 1982 provoquent une grande émotion dans le monde.
Au Liban et en Israël, personne n’a jamais été jugé
Soumis à de fortes pressions, le gouvernement israélien consent à former une commission d’enquête dirigée par le président de la Cour suprême, Yitzhak Kahane.
Dans son rapport publié en février 1983, la commission conclut à la responsabilité directe des milices chrétiennes – Forces libanaises (FL), Phalanges libanaises (Kataëb) et milices du commandant dissident de l’armée libanaise Saad Haddad – et à la responsabilité indirecte d’Israël.
Le nom du ministre israélien de la Défense de l’époque, Ariel Sharon, sera associé de près au carnage par de nombreux journalistes et historiens. Le rapport Kahane jugera qu’il n’avait pas pris « les mesures appropriées » susceptibles d’éviter le massacre. Il démissionnera de son poste mais sera nommé, quelques jours plus tard, par le Premier ministre Menahem Begin, ministre sans portefeuille avec l’autorisation de participer aux réunions du cabinet restreint de sécurité.
Au Liban, aucune enquête sérieuse ne sera menée, surtout que le président de la République de l’époque, Amine Gemayel, frère du président Bachir Gemayel, assassiné le 14 septembre 1982 par un chrétien membre du PSNS (Parti social national syrien), était issu des rangs du parti des Phalanges, accusé d’avoir perpétré le massacre.
Le rôle d’Ariel Sharon dans le carnage est de nouveau pointé par des enquêtes journalistiques au début des années 2000. Des dizaines de survivants et des proches des victimes déposent des plaintes contre le dirigeant israélien, devenu entre-temps Premier ministre. Au nom du principe de la justice universelle, des tribunaux belges acceptent d’instruire le dossier avant de se rétracter.
L’ancien chef des Forces libanaises, Elie Hobeika, se déclare prêt à témoigner. Il sera assassiné en janvier 2002 à Beyrouth dans des circonstances jamais élucidées.
En 2012, un chercheur américain de l’University College de Londres, Seth Anziska, souligne dans un article publié par le New York Times le rôle des États-Unis dans le massacre. Il écrit qu’à la suite d’une réunion le 17 septembre 1982 entre le diplomate américain Morris Draper et l’ambassadeur à Tel Aviv Sam Lewis, d’une part, Ariel Sharon et des chefs de l’armée israélienne de l’autre, « les Israéliens obtiennent des Américains le maintien des miliciens phalangistes dans les camps pour encore 48 heures ».
Après le départ des combattants palestiniens, une force multinationale composée de soldats américains, français et italiens, déployée pour superviser l’accord de cessez-le-feu conclu entre l’OLP et Israël sous l’égide des États-Unis, avait plié bagage le 11 septembre.
Les camps devaient être placés sous la protection de l’armée libanaise, mais au lendemain de l’assassinat de Bachir Gemayel, l’armée israélienne a occupé l’Ouest de Beyrouth, violant ainsi un engagement de ne pas entrer dans cette partie de la capitale. Le 15, les Israéliens, postés aux entrées des camps de Sabra et Chatila, ont laissé entrer des centaines de miliciens chrétiens venus perpétrer le massacre.
Ce que le massacre de Sabra et Chatila a changé en Israël
Plus récemment, en juin, un journaliste d’investigation israélien, Ronen Bergman, révèle dans le Yediot Aharonot que le massacre avait été planifié des semaines avant l’assassinat de Bachir Gemayel. Le journaliste affirme que lors d’une réunion le 11 juillet 1982, Ariel Sharon aurait exprimé son intention d’« anéantir la partie sud de Beyrouth ».
Se basant sur des archives du gouvernement israélien, Ronen Bergman évoque une « réunion secrète », le 19 septembre 1982, entre des dirigeants libanais chrétiens et des hauts gradés israéliens, dont le chef d’état-major de l’époque, Rafael Eitan. L’objectif de la réunion était d’« établir une version unifiée des faits pour la présenter à l’international » afin de contenir les réactions au massacre, en tentant d’atténuer l’impact de la publication d’images insoutenables de corps d’enfants et de femmes.
« Rafael Eitan ne se souciait pas du volet moral, affirme le journaliste, il craignait surtout que les forces israéliennes ne soient forcées de se retirer de Beyrouth. »
Malgré tout ce qui a été écrit et révélé, les milliers de morts et de survivants du massacre de Sabra et Chatila n’ont pas obtenu justice. Jamais personne n’a été condamné pour ce crime. Au Liban, une loi d’amnistie adoptée à la fin de la guerre civile (1975-1990) a tourné la page de toutes les atrocités commises pendant le conflit, y compris le massacre de Sabra et Chatila.
Mais depuis des années, des survivants et des proches des victimes continuent à se battre pour essayer d’obtenir justice.
« En 2012, j’ai témoigné à deux reprises devant un tribunal en Malaisie », déclare Chahira Abou Roudeina. « Depuis, j’ai juré de ne plus parler aux journalistes car après mon témoignage, on a refusé de me délivrer un visa pour aller rendre visite à mon fils dans un pays européen. »
* Le prénom de l’interlocutrice a été modifié à sa demande.
Paul Khalifeh
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BEYROUTH, Liban
Published date: Jeudi 15 septembre 2022 - 07:25 | Last update:1 week 6 days ago
Résistants officiellement reconnus ou simplement présumés, des dizaines de ceux que l’on appelaient alors les Nord-Africains ont été passés par les armes par les Nazis. Parfois après avoir été livrés par la police française. Voici le troisième volet de notre série sur « ces héros maghrébins de la guerre de 1939-1945 ».
Le 70 eme anniversaire au Mont Valérien du maquis de l’Oisa
Environ 4 500 personnes sont tombées, les mains attachées dans le dos, devant le poteau d’exécution, en France métropolitaine pendant l’Occupation. Parmi deux, à partir de la fin 1941, figuraient des dizaines de travailleurs immigrés originaires du Maghreb.
Selon les archives officielles, les premiers à tomber sous les balles nazies n’étaient pas forcément membres de l’Armée secrète. Ainsi Mohamed Moali, né à Constantine et vivant dans le XIXème arrondissement de Paris, est arrêté, porteur d’un revolver, par les hommes de la préfecture de police de Paris. Etait-il résistant ou simple malfrat, l’histoire n’a pas permis de l’établir. Et les autorités allemandes n’ont que faire de ce détail : il est condamné à mort et passé par les armes le 27 septembre 1941.
Rien ne prouve que Mohamed Bounaceur soit impliqué dans quelque acte de résistance que ce soit, mais il est pourtant jugé comme tel
Deux mois plus tard, c’est au tour de Mohamed Bounaceur de tomber sous les balles allemandes. Ce terrassier de 41 ans également, natif de Mekla, près de Tizi-Ouzou, se fait arrêter, lui aussi par la police française, en décembre 1941 en essayant de négocier de faux tickets de pain. La police française perquisitionne chez lui et tombe sur une arme de poing. L’Algérien est immédiatement livré aux Allemands. Rien ne prouve que Bounaceur soit impliqué dans quelque acte de résistance que ce soit mais il est pourtant jugé comme tel par les Allemands et tombe au Mont Valérien, le lieu habituel des exécutions de Résistants. Au lendemain de la guerre, la municipalité d’Ivry-sur-Seine donnera d’ailleurs son nom à un sentier sur les berges du fleuve.
Est-ce quil s’agit de délinquants ou de sympathisants anti-nazis? Il est difficile de trancher sur le véritable statut des Nord-Africains fusillés à une époque où la Résistance française n’est pas encore réellement organisée. Un temps également où les Algériens coincés en région parisienne, la plupart ouvriers, baignent dans un univers prolétaire, proche du Parti Communiste, entré en clandestinité. Dans le doute, les nazis ne sont pas très enclins à séparer le bon grain de l’ivraie.
C’est ce qui sera fatal, un mois plus tard, en janvier 1942 à Essaïd Ben Mohand Haddad. Lui aussi ouvrier, né dans la région de Tamassit en Kabylie et domicilié dans le XIXème arrondissement de Paris. Il est arrêté porteur d’un revolver, toujours par la police française. Chez lui, on retrouve de la littérature crypto-communiste sous forme de tracts syndicaux. Il sera pourtant condamné par un tribunal allemand pour la seule infraction de « détention d’armes » et passé par les armes. Dans les semaines qui suivent, Amar Zerboudi et Mohammed Aït Abderrahmane, deux autres ouvriers algériens de 39 et 38 ans, subiront le même sort, pour les mêmes raisons.
Mohamed Ben Slimane, figure de la Résistance
A partir du printemps 1942 par contre, des agents assermentés de la résistance commencent à trouver la mort devant le poteau d’exécution. La figure la plus emblématique de cette résistance maghrébine, tombé au champ d’honneur est sans doute Mohamed Ben Slimane.
Lui était né dans le Grand Sud algérien, dans le département de Laghouat, 43 ans plus tôt. Après quatre ans de service militaire dans le 27ème régiment du train, il s’était installé en France métropolitaine et s’était fait embaucher comme infirmier à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre en 1931. Deux ans plus tard, il se mariait avec la bretonne Marie-Louise Corbel. Cinq enfants avaient suivis.
Mohamed Ben Slimane était un père comblé, encarté au Parti Communiste, ultra-dominant dans cette ceinture rouge de Paris. L’infirmier algérien militait ouvertement dans la section communiste de Villejuif, jusqu’en septembre 1939 date à laquelle le Parti Communiste fut interdit. Mais il continua à oeuvrer secrètement dans l’appareil clandestin. Début 1942, il adhère même à l’Organisation spéciale, la branche militaire du PCF. Mais suite à un attentat raté, un militant imprudent de son groupe se fait arrêter. Dans ses papiers figurent une liste de noms.
Ben Slimane est arrêté le 23 juin 1942 par la Brigade spéciale des RG de la Préfecture de Police, de redoutables collabos, chasseurs de juifs et de résistants. Dans ses affaires, la police française retrouve un pistolet, un coup de poing américain et une matraque. Cela suffit pour le faire transférer illico à la Gestapo. Les Nazis le soupçonnent d’avoir participé à un attentat à la bombe dans un café proche du palais de justice où deux collabos avaient été tués. Mais même sous la torture, Ben Slimane ne desserre pas les mâchoires. Les Allemands s’interrogent mais en plein mois d’août un nouvel attentat sanglant à lieu contre des soldats de la Luftwaffe près du stade Jean-Bouin à Paris. Huit soldats allemands perdent la vie. Les Nazis décident, en représailles, la condamnation à mort de 88 détenus. Ben Slimane en fait partie. Il tombe sous les balles allemandes au Mont Valérien, le 11 août. La mention « mort pour la France », lui sera décernée à la Libération.
Des Marseillaises fusent, des « Vive la France, l’Angleterre et la Russie » sont scandés.
Quelques semaines plus tard, c’est au tour d’Omar Ammar d’être passé par les armes. Né en 1895 à Mirabaud, près de Tizi-Ouzou en Algérie, Omar Ammar travaille alors comme un manœuvre sur le terrain d’aviation de Saint-André (Eure). Il est marié, père de cinq enfants, ne fait parti d’aucun mouvement de Résistance mais, baignant dans une ambiance ouvrière proche du parti communiste, cultive des sentiments anti-allemands prononcés. Aussi, le 5 octobre 1941, quand des miliciens arrivent sur le chantier pour tenter de recruter des candidats pour le compte de la Légion des volontaires français contre le Bolchevisme (LVF), une organisation ultra-collaborationniste qui entend combattre aux côtés de l’armée nazie sur le front de l’Est, Omar Ammar voit rouge. Des coups sont échangés entre l’ouvrier immigré, ses collègues de travail et deux hommes de la LVF. Des Marseillaises fusent, des « Vive la France, l’Angleterre et la Russie » sont scandés. Le patriote Omar Ammar est arrêté, condamné à mort par le tribunal militaire d’Evreux et fusillé, en fin d’après-midi, le 5 juin 1942.
Mais c’est durant l’année 1944, celle où la confrontation armée entre les Nazis et la Résistance atteint son apogée que le rythme des exécutions s’accélère. Elles concernent d’abord les Nord-Africains évadés des camps de prisonniers allemands comme Ahmed Yahia par exemple. Né dans la région de Constantine, engagé dans l’armée française et fait prisonnier dès le début de la guerre, Ahmed Yahia se trouve affecté dans une colonne de travail agricole à Moulins-en-Tonnerrois dans l’Yonne.
A l’été 1943, le camp est attaqué par les hommes du maquis Horteur, un groupe de résistants FTP (d’obédience communiste). Yahia parvient à prendre la fuite en compagnie de quatre de ces co-détenus indigènes, le marocain Ali Ben Hamed et trois algériens, Djelloul Ouaheb, Saïd Barich et Arsène Zamouchi.
Ensemble, ces hommes acceptent de s’engager dans le maquis très actif dans l’Yonne. Mais dès septembre, le groupe de résistants est démantelé par les Nazis. Arrêtés et incarcérés à Auxerre, les cinq hommes sont condamnés à mort par un tribunal militaire allemand. Fait suffisamment rare pour être signalé, les autorités de Vichy vont néanmoins tenter d’intervenir pour faire commuer leurs peines. Le secrétaire d’Etat Fernand de Brinon, pourtant connu pour ses sentiments ultra-collaborationniste, intervient : « Ces prisonniers Nord-Africains semblent avoir obéi aux suggestions d’un meneur et facilement influençables, en raison de leurs origines, désorientés par ailleurs, ils ont eu surtout en vue le désir d’une évasion et non pas celui d’une activité anti-allemande, écrit-il aux autorités nazies. Ils n’ont en effet pris aucune part active à l’exécution des attentats perpétrés par les dissidents et n’ont été trouvés porteur d’aucune arme, quoiqu’en ayant à leur disposition ». Et le responsable de Vichy de plaider l’indulgence…en pure perte. Les cinq hommes seront fusillés à Dijon, le 22 avril 1944.
Dans cette période, les autorités d’occupation semblent particulièrement s’acharner sur les Nord-Africains, notamment en les exécutant comme « otage ». Hammouche Slimi, originaire de la commune mixte de Maillot (aujourd’hui M’Chedallah) près de Bouira en Algérie, et marié avec Alexandrine Bas, la veuve d’un soldat mort pour la France en 14-18, se fait rafler à Chatillon-la-Palud dans l’Ain où il réside, trois jours après le débarquement en Normandie. Les Allemands sont furieux, et l’Algérien fait office de victime expiatoire, en compagnie de deux autres hommes du village. Tous les trois sont fusillés, sans procès, ni raison.
Morts pour la France
Youssef Ben Larbi, 24 ans, originaire de Ouled Saïd dans la région de Timimoun en Algérie et ancien soldat de l’Armée française lui aussi trouve la mort sous les balles de ses exécuteurs allemands à Moulin (Allier) en septembre 1944. Il avait été raflé par hasard dans les rues et assassiné en tant que simple otage. La Gestapo ne savait pas que Ben Larbi était en réalité un authentique résistant enrôlé dans la 3éme Compagnie du 1er Bataillon FFI de l’Allier plus connue sous le nom de Compagnie Forgette…
Après le Débarquement, de toutes, façons, l’armée d’Hitler ne fait plus beaucoup de prisonniers. Les Résistants qui tombent entre leurs griffes ont peu de chance d’échapper à la peine capitale ou pire, comme Saïd Yahi, à l’exécution sommaire. Ce manœuvre, originaire de Dal El Mizan avait rejoint l’Armée Secrète dans le maquis de l’Oisan en Isère en compagnie d’un camarade algérien Azouz Mehedine Ben Mohamed, quand ils sont tous les deux arrêtés, et après un bref interrogatoire par la Gestapo locale, exécutés d’une balle dans la nuque.
Parmi les 12 à 15000 morts sous les balles allemandes en France pendant l’Occupation, les immigrés originaires du Maghreb, pas tous des combattants, ont eux aussi payé un lourd tribut à la répression aveugle des nazis à la fin de la guerre.
Le barrage de Génissat dans l’Ain, un haut lieu de la Résistance
Le 8 mars 1944, Tahar Ben Belkacem et Mohamed Ben Ahmed deux ouvriers algériens, accompagnés de Djellil Taïeb, un tunisien natif de Sousse, tous trois affectés au barrage de Génissat dans l’Ain, se rendent consciencieusement à leur travail. La région est alors en pleine ébullition. Un groupe de résistants emmenés par un de leur ancien collègue de travail au barrage, le FFI François Bovagne, est engagé dans un combat avec les forces allemandes, assistées de gendarmes français.
Bovagne alias « Michel », ancien délégué CGT, est une figure de la Résistance dans la région. Il a recruté un groupe de partisans dans les rangs de son syndicat; mais les trois ouvriers n’en font pas partie. Ils se préparent simplement à embaucher. Un destin funeste les attend pourtant. Les trois hommes sont arrêtés sur le bord de la route et torturés à mort. Ils rendent l’âme sans avoir jamais parlé. Et pour cause : ils n’avaient rien à voir ni de près, ni de loin, avec la Résistance.
Larbi Ben Lahyien, un marocain de 56 ans, lui non plus ne faisait pas partie de l’Armée secrète. Il était juste curieux. Le 29 juin 1944 à Saint-Manvieu, dans le Calvados, les SS le surprennent examinant les papiers d’un soldat britannique tué après le débarquement. Soupçonné de faire partie d’un réseau de soutien logistique aux partisans, Ben Lahyen est battu et torturé pendant plusieurs jours avant d’être achevé d’une balle dans la tête.
Massacres de masse
Ces civils nord-africains font parties d’une longue cohorte de victimes d’exécutions sommaires et massacres de masse qui vont endeuiller la France vers la fin de la guerre. Une politique de la terreur mise au point au début de l’année 1944 par les autorités allemandes pour faire face à la stratégie de harcèlement qu’avaient adopté les hommes de la Résistance plus nombreux et mieux armés.
Le plus haut responsable militaire allemand en France, Hugo Sperrie, avait en effet promulgué un ordre général en février 1944. Cette instruction dite « Sperrle-Erlass » prescrivait à la troupe de répondre immédiatement par le feu quand elle serait attaquée par la résistance française. Cette note prescrivait: « Dans la situation actuelle, il n’y a pas de raison de sanctionner le chef d’une unité quiimposerait des mesures trop sévères. Au contraire, il faudra punir un chef trop souple, car il met la sécurité de ses hommes en danger. » Difficile de ne pas y voir un permis de tuer sans condition n’importe qui, même les civils. Une carte blanche qui explique en partie les grands massacres de la fin de la guerre en France comme Oradour-sur-Glane (643 morts) ou Asq (86 morts) par exemple.
La communauté nord-africaine immigrée en France, en paiera elle aussi un lourd tribut, rarement mis en évidence par les historiens depuis. Les exemples d’exécutions sommaires purement gratuites ou par représailles ne manquent pourtant pas. Comme celui par exemple de Mohamed Ben Ahmed, né à Fès au Maroc et installé à Cheylas (Isère) depuis 1920. A 44 ans, il travaille comme manœuvre à l’usine des Hauts Fourneaux et Forges d’Allevard (Isère). Cet ancien soldat de 1ère classe du 5ème régiment de tirailleurs marocains fait prisonnier en 1940 et libéré trois ans plus tard, avait, depuis, repris le cours de sa vie de labeur, tranquillement, sans faire d’histoires. Célibataire, il occupe un petit logement aménagé dans la cité de son usine, en compagnie notamment d’Abdelkader Ben Haouri Ben Ali, un manœuvre âgé de 35 ans, lui aussi marocain.
« Morts pour la France »
Le 11 août 1944, un groupe de la résistance s’accroche avec une colonne allemande de six à sept cents hommes dans le hameau du Villard. Mais les résistants se sont montrés trop présomptueux. Ils doivent se replier.
Les Allemands investissent l’usine et fouillent les bâtiments. Ils tombent sur Ben Ahmed et Ben Haouri Ben Ali. Le premier est conduit au bord d’une route, jeté dans le fossé et exécuté d’une rafale de mitraillette dans le dos. Son compagnon abattu de trois balles dans la tête, sans autre forme de procès.
Le maire de Cheylas, dans un rapport daté de juillet 1945 écrira : « leur attitude a tous les deux a été magnifique de simplicité, de grandeur et de résignation ». Les deux hommes ont obtenu, depuis la mention, « morts pour la France ». Comme également, les Algériens Tahar Bendemagh, son cousin Saad et trois autres ouvriers cuvistes de l’usine Péchiney de Saint-Michel de Maurienne en Savoie. Eux ont été fusillés sans raison le 23 août 1944. Ils avaient eu la malchance de se trouver dans les parages d’une embuscade organisée par la Résistance contre une autre colonne allemande battant en retraite après la campagne d’Italie.
Quelques jours plus tôt, le 16 août, Nourredine Rhachide, un cafetier algérien de Lyon, avait déjà succombé. Il avait été raflé par hasard, avec deux autres hommes, par la Gestapo et un groupe de collabos, après l’attaque d’une caserne de la Milice par la Résistance.
En cet été 44, la défaite allemande qui se profilait après le débarquement avait fait sauter les derniers verrous moraux de l’armée nazie. En Côte d’Armor par exemple sur 700 victimes recensées dans le département après le 6 juin 1944, la moitié étaient de simples quidams abattus par colère et frustration, sans le moindre motif, comme Abdelkader Bensaïd par exemple. Natif de Constantine, il buvait un café au Brezellec sur le port de Paimpol, le 5 août 1944 quand des Allemands font irruption dans l’établissement, font sortir tous les consommateurs et tirent dans le tas. Bilan : trois morts dont Bensaïd, 38 ans
Quelques jours plus tard, c’est au tour d’Ali Lakrout de tomber. Né au douar Ennalou à Fort-National, marchand forain, sans domicile fixe, Lakrou est arrêté en représailles après le largage de parachutistes britanniques dans la région, qui avait rendu folles les autorités allemandes. Cet immigré est d’abord détenu dans une école catholique de Callacavec trente autres malheureux, dont ses associés Amokrane Lassaoui et Hocine Ouareski ainsi que quatre autres compatriotes. Le lendemain tout le monde est conduit dans une forêt de Plestan et sauvagement assassiné. Les meurtriers sont parfaitement identifiés. Ils sont dirigés par le chef de la Gestapo et de Rennes, assistés d’autonomistes bretons. A la Libération pourtant, les coupables réussiront à passer entre les mailles du filet de la justice.
La communauté des forains qui comptaient à l’époque nombre d’Algériens déplorera deux mois plus tard une autre victime des représailles aveugles allemandes, en la personne de Mohamed Yanes. De passage à Saint-Yan, en Saône-et-Loire, le 31 août, Yanes se retrouve pris en otage avec tous les habitants de ce petit bourg occupés par les Allemands mais assiégés par les FFI.
Les nazis, plus lourdement armés, parviennent à faire fuir les résistants. Mais ils tiennent à faire un exemple. Cinq hommes, dont Yanes, choisis au hasard sont torturés et abattus. Pour essayer de masquer leurs forfaits, les nazis brûleront vêtements et papiers d’identités des otages. Mais à leur départ, les habitants exhumeront les corps, avant de leur donner une sépulture décente.
Leurs noms figurent toujours sur le monument aux morts du village.
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